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À leur tour, les Presses de l’Université du Québec (PUQ) ont profité des commémorations entourant le 375e anniversaire de Montréal pour publier un ouvrage dont cette fois l’histoire se rapporte, pour l’essentiel, du début du XXe siècle au temps présent. Le lecteur est donc amené à suivre la période allant de l’industrialisation à la reconversion de divers quartiers de la ville. Dès la première page, Juan-Luis Klein, du Département de géographie de l’UQAM, et Richard Shearmur, de l’École de planification urbaine de l’Université McGill, présentent une illustration de ce qu’est devenue la métropole du Québec, en recourant à ce mot si cher à celui qui, de l’hôtel de ville, en préside les destinées : la diversité. Cependant, si le quartier chinois, la Petite Italie, le Petit Maghreb et autres Little India sont bel et bien présents, la diversité dont il est question dépasse la connotation ethnique. En effet, l’ouvrage met en évidence ce qu’on perçoit ici comme une mosaïque de territoires. Et pour ce faire, 15 collaborateurs se partagent la responsabilité des 12 chapitres essaimés à l’intérieur de trois parties : 1) Les villages urbains et l’empreinte culturelle, 2) Les quartiers ouvriers en restructuration, 3) Les projets structurants et les nouveaux enjeux.
On précise que les cas présentés dans chacun des chapitres affichent des identités coconstruites, soit par les acteurs des différents quartiers, soit par des interventions exogènes ou par la convergence des deux sous la forme d’emblèmes mobilisateurs. Pour en faire une métropole culturelle ? La question est soulevée. On offre au lecteur ce qui semble de plus en plus prendre la forme d’une image de marque ici désignée par le mot qui s’impose depuis une dizaine d’années : le branding (territorial).
Le tout débute avec ce quartier où l’on trouve ce que certaines radios de la capitale nationale désignent, avec un dédain non dissimulé, par l’expression la gang du Plateau. Il revient à Kenza Benali de dresser le portrait du Plateau-Mont-Royal, vu comme la figure-phare de la montréalité. Si, avec l’exploitation des carrières, les faits rapportés ici remontent au lendemain de la Conquête, c’est à partir de 1980, avec sa gentrification, que sa véritable histoire a pris naissance. Ses nombreux espaces ludiques et culturels en feraient un bastion de la postmodernité. De toute évidence, l’auteure n’a pas osé s’en prendre au médiatique maire de l’arrondissement, souvent pris à partie pour les inconvénients suscités par certaines de ses décisions.
La deuxième partie commence avec le Mile-End où a habité Leonard Cohen et où se déroule l’intrigue du film de Ouellet, Gurov et Anna. Rantisi et Leslie signalent que ce quartier, qui a attiré les artistes en vertu de sa localisation et des loyers à prix abordables, se voit menacé. Oui, on l’aura deviné, les loyers tendent à s’élever – gentrification oblige – et mettent en péril les fondements mêmes des réseaux sociaux tissés serrés qui caractérisent le quartier.
Le Quartier des spectacles fait l’objet d’une intéressante analyse de Lefebvre qui offre un tableau complet des problèmes passés et actuels de l’espace entourant la Place des Arts. Si les grues – au moment d’écrire ces lignes – s’activent toujours, il y aurait encore beaucoup à faire pour « remplir les trous ». Ces espaces vacants qui enlaidissent tan la ville sont transformés au gré des spéculations foncières (p. 195) en terrains de stationnement avec l’espoir d’y construire des immeubles à condos. L’auteur, avec ô combien raison, fait allusion aux résistances affichées par les défenseurs du « patrimoine intangible » qu’ils perçoivent dans les vestiges du Redlight qui, en fait, déshonorent le secteur de la rue Saint-Laurent au sud de la rue Sainte-Catherine. [2] Néanmoins, l’auteur estime que le Quartier des spectacles s’inscrit résolument dans la catégorie des microterritoires aux identités solides qui se font porteurs de symboles forts en offrant des repères identitaires à une ville sur un horizon de long terme.
En troisième partie, le Quartier de l’innovation (par Shearmur) soulève une interrogation : s’agit-il d’un quartier imaginaire ? Griffintown fait l’objet d’un intéressant historique. Ce qu’on voit aujourd’hui émane d’un projet proposé par des promoteurs immobiliers voilà déjà plus de dix ans. Le projet fut accompagné d’un processus de consultations publiques où, comme on devait s’y attendre, les citizens against virtually everything n’ont pas manqué de se manifester, comme l’auteur le souligne à sa façon. Or, il fait observer que le patrimoine bâti d’un espace largement en friche s’avérait plutôt maigre. Qu’en est-il de l’innovation ? Ici, l’auteur reprend un débat soutenu dans ses écrits des dernières années : pas besoin de la proximité pour innover. Ce constat rejoint mes travaux des années 1990. Se trouve donc ici (p. 219) remise en question l’idée du lien privilégié entre proximité physique et innovation.
En 1969, peu avant mon retour d’études en Belgique, un jeune Québécois de passage m’a dit : « Tu vas voir ça swing à Montréal. » C’est un peu ce que ce livre met en évidence : tout ce que commençait à vivre Montréal en pleine Révolution tranquille et qui se poursuit toujours. Pour en faire la démonstration, les responsables de l’ouvrage ont fait appel à une panoplie d’auteurs dont les deux-tiers, probablement bien jeunes, me sont de parfaits inconnus. C’est pourquoi, je regrette qu’on n’ait pas invité des urbanistes chevronnés pour rédiger une postface. Je pense, entre autres, à Jean-Claude Marsan et à Gérard Beaudet, familiers des médias, qui n’auraient pas manqué de fournir un éclairage des plus pertinents pour couronner le tout.
Chacun des chapitres est agrémenté d’une carte qui montre les limites et les points d’intérêt du quartier concerné. Pour bien en profiter, cependant, le lecteur aura utilement recours à une loupe. Enfin, on ne s’étonnera pas du fait que la bibliographie de 11 chapitres fasse état de références tirées de la toile. Ce qui surprend, cependant, c’est que presque toutes ont été consultées le 19 janvier 2017. Ainsi, ce jour-là, les deux responsables du chapitre sur le Mile-End n’ont pas dû avoir le temps de s’attarder dans un bar fréquenté par les hipsters, car on mentionne pas moins de… 30 consultations. Cette petite bizarrerie compte très peu en présence d’un ouvrage qui offre une excellente idée d’où vient et où va la ville en attente, elle, du retour des Expos.
Appendices
Note
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[2]
Pour désigner ceux qui s’opposent à tout, les Étasuniens utilisent l’acronyme CAVE (citizens against virtually everything).