Hommage à Dean Louder (1943-2017) [Record]

  • Éric WADDELL

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Dean Louder est décédé subitement le 9 mai. Il avait 74 ans. Géographe de formation et de coeur, il a fait toute sa carrière à l’Université Laval et a continué de pratiquer son métier après sa retraite, d’une façon bien à lui. Originaire de l’Utah (États-Unis) et de foi mormone, Dean a passé deux ans et demi comme missionnaire en France, au début des années 1960. À la suite de ses études doctorales à la Washington State University, il est embauché à l’Université Laval, en 1971, avec le mandat d’enseigner les méthodes quantitatives au Département de géographie. La discipline était en pleine révolution quantitative à l’époque. Toutefois, il est vite happé par une culture nord-américaine qui lui est étrangère, celle du peuple québécois ; étrangère, mais en même temps partageant avec la sienne le fait de ne pas faire partie du mainstream anglo-saxon et protestant. En 1977, à l’occasion d’un premier congé sabbatique, il se joint à une petite équipe de géographes et d’anthropologues dont je faisais partie. Nous avions reçu une importante subvention pour étudier la renaissance ethnique chez les francophones de la Louisiane. Dean est sans doute motivé, du moins en partie, par le fait que son épouse est originaire du nord de cet État. Cette année passée chez les Cajuns modifie grandement la trajectoire de sa vie, tant personnelle que professionnelle. Dans le sud de la Louisiane, il découvre des Américains qui ne font pas partie de la norme anglo-américaine et qui entretiennent, en plus, certains liens avec sa nouvelle patrie, le Québec. C’est dans ce contexte que Dean découvre une autre façon de faire de la recherche : sans la moindre hésitation, il passe de la froide manipulation de statistiques dans la solitude de son bureau à l’Université à la pratique de l’observation participante sur le terrain. C’est la naissance d’une longue histoire d’amour. De retour de ce congé sabbatique, il met en place – encore une fois en collaboration avec moi et, ensuite, avec Cécyle Trépanier – un cours de premier cycle intitulé LeQuébecet l’Amérique française. Ce cours résolument innovateur est structuré autour d’un séjour d’une semaine en milieu francophone hors Québec, séjour impliquant une immersion dans la communauté d’accueil. Autrement dit, bien plus qu’un simple enseignement magistral, ce que Dean et ses collègues proposent dans le cadre de leur enseignement est une aventure humaine au coeur d’une Amérique insoupçonnée. Qui plus est, cette expérience, sans cesse renouvelée, permet à Dean de passer tranquillement de la pratique de l’observation participante à la participation pure et simple. Élaborer des théories générales l’intéresse peu ; conceptualiser, guère plus. Il est, en ce sens, un professeur hors norme, sa préoccupation première étant de côtoyer et de connaître les gens dans leur vie de tous les jours. La « qualité intellectuelle » de son travail importe peu pour lui. C’est que Dean n’est pas « un savant aux yeux secs », mais plutôt un homme simple, au sens noble du terme. Fils de camionneur, il aime profondément les gens du peuple et il se donne comme mission de révéler l’ampleur – aux sens d’étendue géographique et de profondeur historique – de l’Amérique francophone, une Amérique qui est au départ française, mais qui s’est transformée peu à peu en une Amérique ouvertement endogène, surtout grâce à la ténacité et à la débrouillardise des gens du pays. Dean tient à dire vrai en cherchant à sa manière à dessiner les contours d’une autre Amérique qui a pris forme et qui continue d’évoluer en dehors des cadres institutionnels, une Amérique construite et vécue par des gens d’ici. Comme universitaire, …

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