En rappel

De la géographie comme culture, à la géographie des cultures [Record]

  • Marcel BÉLANGER

…more information

  • Marcel BÉLANGER
    Département de géographie, Université Laval (de 1973-1988)

La conscience québécoise est d’abord un combat intérieur. Partagée entre un mode de développement à l’américaine qui s’abandonne tout entier à la « maximisation des possibilités individuelles de choix » et un mode de développement à la québécoise qui voudrait articuler ces possibilités au rapport dynamique (et spécifique) de valeurs communautaires et collectives, la conscience québécoise souffre à l’excès le dilemme et l’angoisse de notre époque.  Surtendue, en ce qu’elle défie un puissant voisinage, mais davantage encore en ce qu’elle se propose une oeuvre qui n’est pas celle-là qui prévalut jusqu’à maintenant sur ce continent, cette conscience est confrontée à une explication de la culture, une explication qui voudrait définir « cet objet qui ne procède pas des règles de l’économie ». Il est clair, en effet, que l’expérience québécoise serait caduque et mal venue si l’on devait en juger d’abord et surtout depuis les règles de l’économie. Elle ne serait que la pénible histoire d’un peuple refoulé et conquis, accroché à ses terres par atavisme et confiné à des espaces hivernaux dont personne n’aurait voulu, ayant malgré tout survécu le temps qu’il fallait pour servir le dessein impérial britannique. Face à la technologie américaine, face aux exigences de la mobilité de la main-d’oeuvre dans une économie post-industrielle, l’aire culturelle québécoise serait aujourd’hui destinée à se fondre, à se diluer en quelque sorte, par la dispersion sans cesse croissante de ses habitants, dans des espaces plus vastes, américain ou canadien, de telle manière que les chances individuelles d’une « promotion personnelle » soient les plus grandes possibles. Voilà pourtant le type de raisonnement que les Québécois n’ont pas fait et ne font pas, alors même que le surpeuplement séculaire du Québec, conséquence de la conquête, en a largement dispersé l’accroissement naturel. On pourrait montrer – encore qu’ici l’évidence scientifique demeure fragmentaire – que les Québécois ont constamment cherché au-delà des événements politiques et à rencontre de la logique économique, la contiguïté de leurs établissements, de manière à définir justement le principe d’un rapport précis entre un territoire et leurs valeurs propres. L’image est frappante d’une expansion territoriale qui, après avoir comblé l’étendue des terres seigneuriales françaises, conquiert les plateaux officiellement destinés à l’établissement rural des Britanniques, pour ensuite investir progressivement, en un cheminement complexe, le champ urbain qui s’est formé depuis les villes coloniales qu’étaient Montréal et Québec. Ce fait simple donne au Québec sa singularité (et non pas la langue qu’on y parle, bien que ce caractère ait aussi son importance). Hormis le cas québécois, l’Amérique est sans exemple d’un peuplement régional préindustriel et culturellement homogène, aujourd’hui constitué en grande région sociale urbaine. Et ceci rend compte d’une conscience québécoise plus sensible, plus vulnérable aussi, à l’idéologie et plus encline à se projeter elle-même dans l’aménagement du territoire qui en nourrit l’expérience. L’une des tâches des géographes de ce pays devient ainsi l’étude des représentations, des valeurs et des idéologies par et selon lesquelles un territoire se développe et prend forme. Mais il s’agit ici d’un défi. D’une part, l’explication du Québec, qui n’est ni américaine ni européenne, ne sera aisément comprise ni des uns ni des autres, car l’évolution du Québec, comme région de développement, précède à bien des égards celle des régions des grandes nations. D’autre part, la tradition de notre discipline aura largement laissé échapper à son objet ce qui n’était pas d’une saisie concrète ou immédiate, de sorte que l’effort théorique est aujourd’hui considérable d’articuler à la notion de région l’immense littérature, sociologique, anthropologique, linguistique, historique et philosophique qui scrute le champ culturel. Certaines orientations de recherche apparaissent qu’il est utile de relever ici. (1) …

Appendices