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Le futur est une source d’incertitude pour la connaissance et de liberté pour l’acteur.
De Jouvenel, 1964
L’historique : pourquoi cette école ?
En 2007, Kok et Verburg dressaient une photographie des enjeux liés à l’exploration des futurs dans le domaine aujourd’hui appelé Land Change Science (Turner et al., 2007). « Scénarios », « modèles » et « participation » constituaient les pierres angulaires méthodologiques à combiner pour améliorer les connaissances sur les futurs possibles et leurs conséquences environnementales et socio-économiques, dans le but d’éclairer l’action présente et d’aider les décideurs à mettre en oeuvre une stratégie d’aménagement du territoire qui soit plus durable que s’il n’y avait pas eu cet éclairage prospectif. Néanmoins, Kok et Verburg (2007) constataient que, si de nombreuses études se prévalaient de les mobiliser toutes, leur couplage était le plus souvent unilatéral : les experts (scientifiques) construisaient des scénarios, parfois avec les acteurs, pour alimenter des modèles de simulation dont les sorties pouvaient être restituées aux acteurs.
Chacun de ces termes se référant à des fondements méthodologiques, des communautés, voire des écoles de pensées propres (Houet et Gourmelon, 2014), de nombreuses études contribuaient à faire évoluer les méthodes et approches pour explorer le futur, à l’aune de la participation et de la modélisation. Néanmoins, fruit de l’interdisciplinarité inhérente au couplage de la prospective, de la participation et de la modélisation, une confusion grandissante engendrait un besoin de clarification. Ainsi, certains termes comme « scénario » peuvent avoir des significations différentes en prospective ou en modélisation. Certaines approches telles que la validation peuvent se référer à des protocoles méthodologiques voire des paradigmes antagonistes (prospective vs prédiction). Enfin, la gamme des modèles mobilisés en modélisation d’accompagnement (participative) et en modélisation des paysages est telle qu’il existe là encore de nombreuses similitudes et différences.
La question de la prospective en environnement est particulièrement prégnante aujourd’hui et fourmille d’initiatives dans la communauté scientifique française (état des lieux des publications scientifiques par la Fondation de Recherche pour la biodiversité en 2013 ; appel à projet sur le thème « Scénarios et biodiversité » pour cette même fondation en 2015 ; thème identifié comme porteur d’enjeux lors des journées prospectives de l’Institut Écologie et Environnement du Centre national de recherche scientifique [CNRS] en 2009 ; etc.). Les dispositifs scientifiques de suivi des interactions entre société et environnement (Zones Ateliers [ZA], Observatoires Hommes-Milieux [OHM]) soutiennent et affichent clairement leur volonté d’explorer ce types de recherches. Par ailleurs, le Groupement de recherche en méthodes et applications pour la géomatique et l’information spatiale (GdR MAGIS) portait déjà depuis 2009 des actions de sensibilisation, de formation et de communications sur ce thème de recherche. Un séminaire a eu lieu à Nice les 4 et 5 avril 2011 sur le thème « Géoprospective : apports de la dimension spatiale aux recherches prospectives » et un workshop Jeunes chercheurs a été organisé du 23 au 26 septembre 2012 à Brest : « La Géo en prospective ». L’idée d’une école thématique plus complète a émergé suite à cette importante demande.
Cette école intitulée SCEMSITE pour SCÉnarisations, Modélisations et SImulations spatialisées pour le TErritoire et destinée aux jeunes chercheurs et chercheurs confirmés, avait pour objectif de leurs fournir une base de connaissances et de compétences dans ce domaine interdisciplinaire (SCEMSITE, 2016). Le message général reposait sur le principe que, s’il est nécessaire de coupler ces trois approches (prospective, participation, modélisation) pour aider à la gestion durable des territoires, il n’existe pas de méthode unique pour y parvenir. Il importait de faire comprendre que chacune de ces approches peut avoir des incidences méthodologiques sur les autres et qu’il fallait être rigoureux pour assurer la crédibilité, la cohérence et la transparence des scénarios produits. Par exemple, certains modèles ne sont pas adaptés pour simuler spatialement des scénarios non tendanciels d’usages des sols (Houet et al., 2016a ; 2016b).
Le descriptif de l’école
Cette école thématique s’est déroulée à Puy Saint-Vincent, en France, du 3 au 11 mars 2016. Co-construite par l’équipe pédagogique, composée de chercheurs spécialistes en modélisation, en prospective et / ou en approches participatives, elle était structurée autour de journées successives portant sur chacun de ces trois thèmes. Le matin (8 h 30-12 h), les fondamentaux théoriques et conceptuels, agrémentés d’exemples, étaient présentés. L’après-midi (14 h-19 h) des travaux dirigés (TDs) avaient lieu en sessions parallèles pour optimiser l’appropriation des compétences en sous-groupes.
Après une courte introduction concernant l’historique et le cadrage des recherches assemblant scénarios, participation et modélisation, la première journée s’est concentrée à présenter la prospective et notamment les principes méthodologiques de construction de scénarios (méthode de prospective, parmi d’autres), pour ensuite faire le lien avec ses déclinaisons dans les territoires. L’après-midi, les deux TDs ont eu pour objectif la construction de scénarios prospectifs narratifs à partir de deux exemples concrets. La seconde journée a porté sur la participation, à la fois dans son acception la plus large mais également sur les méthodes participatives existantes destinées à aider à la co-construction de scénarios prospectifs avec les acteurs (diagnostics partagés, jeux de rôles, etc.). L’après-midi s’est concentrée sur la mise en application de certaines de ces méthodes au cours de trois TDs. Le troisième jour a porté sur la modélisation, plus spécifiquement dédiée aux systèmes socio-écologiques et à la modélisation spatialement explicite, appliquée dans un cadre prospectif. Elle a abordé par exemple la question de la validation des modèles en prospective. Les trois TDs de l’après-midi ont focalisé sur la conception et l’usage de modèles pour spatialiser des scénarios prospectifs. Lors des soirées, des conférences-débats ont été réalisées par des conférenciers invités (Thierry Joliveau, Nils Ferrand, Jean-Pierre Müller) ainsi qu’un atelier de débriefing des TDs réalisés sur le thème de la participation qui a été particulièrement riche.
Une attention particulière a été portée à l’immersion des participants de façon progressive dans l’interdisciplinarité. Afin de s’assurer de leur montée en compétences, ils ont été sollicités de façon continue au cours de l’école. Ils ont ainsi commencé par présenter individuellement leur problématique scientifique lors de la soirée d’accueil. Regroupés en sous-groupes le quatrième jour, chacun des participants a pu mobiliser les connaissances qu’il a acquises lors de cette école pour discuter, voire (ré)orienter la méthode proposée initialement en la confrontant aux propositions de ses collègues. Ils ont ainsi pu aiguiser leur analyse critique par les différents points de vue exprimés.
Le retour des participants : un SCEMSITE bis !
Cette école thématique a regroupée 30 participants, dont environ la moitié était constituée de doctorants et post-doctorants et l’autre de membres permanents d’équipes de recherche (ingénieurs, maîtres de conférences, chargés de recherche, professeurs et directeurs de recherche). Ces chercheurs provenaient de l’ensemble des institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche (universités ; écoles d’ingénieurs ; CNRS ; Institut national de la recherche agronomique [INRA] ; Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement [CIRAD] ; Institut de recherche pour le développement [IRD] ; Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture [IRSTEA]). Un questionnaire d’évaluation leur a été transmis à la fin de l’école. Le questionnaire pouvait ensuite être complété par courriel. Si sur la forme, certains aspects logistiques méritaient de petites améliorations, sur le fond l’ensemble des participants a évalué cette école de façon très positive. Une majorité d’entre eux demandaient qu’une seconde édition de l’école, avec un niveau plus poussé, soit mise en oeuvre.
À l’issue de cette évaluation et en raison du nombre de demandes d’inscription qui n’ont pas pu être honorées, l’équipe pédagogique a décidé de reconduire cette école en 2017. [1] Si peu de changements sur le fond seront apportés, une place plus importante sera donnée aux participants et à leur problématique de recherche, au travers de sessions de travail collaboratives en lieu et place des conférences.
Appendices
Remerciements
Cette école thématique s’est faite « hors cadre » institutionnel, c’est-à-dire sous l’égide d’une seule tutelle, et a bénéficié de multiples financements. Les principaux soutiens sont venus du Dispositif de recherche Interdisciplinaire sur les Interactions Hommes-Milieux du Laboratoire d’Excellent (LabEX DRIIHM), du GdR MAGIS et des Unités Mixtes de Recherche (UMR) Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique(UMR 6554 LETG) et Géographie de l’Environnement (UMR 5602 GEODE). Nous souhaitons leur témoigner notre profonde gratitude pour avoir soutenu et rendu possible cette école thématique.
L’organisation de cette école SCEMSITE a demandé l’investissement de 11 personnes, membres de l’équipe organisatrice et pédagogique, ainsi que du soutien de la Délégation Régionale Midi-Pyrénées pour les inscriptions, et dont l’implication avant, pendant et après a été essentielle (une mention spéciale pour Gilles Casonato et la gestion financière de l’école) : Thomas Houet, Cyril Tissot, Mathias Rouan, Françoise Gourmelon, Nicolas Becu, Mehdi Saqalli, Laure Vacquié (CNRS) et Olivier Thérond, Olivier Mora, Sylvie Lardon (INRA). Enfin, que l’ensemble des participants soient également remerciés, car c’est leur motivation, leur investissement et la qualité de leurs échanges qui ont fait de cette école SCEMSITE un succès.
Note
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[1]
L’école aura lieu du 13 au 17 novembre 2017, et est organisée par l’INRA.
Bibliographie
- DE JOUVENEL, Bernard (1964) L’art de la conjecture. Monaco, Éditions du Rocher.
- HOUET, Thomas, MARCHADIER, Colette, Bretagne Geneviève, Moine, Marie-Pierre, Aguejdad, Rahim, Viguié, Vincent, Bonhomme, Marion, Lemonsu, Aude, Avner, Paolo, Hidalgo, Julia et Masson, Valéry (2016a) Combining narratives and modelling approaches to simulate fine scale and long-term urban growth scenarios for climate adaptation. Environmental Modelling and Software, vol. 86, p. 1-13 [En ligne]. http://dx.doi.org/10.1016/j.envsoft.2016.09.010
- HOUET, Thomas, Aguejdad, Rahim, DOUKARI, Omar, BATTAIA, Guillaume et CLARKE, Keith (2016b) Description and validation of a ‘non path-dependent’ model for projecting contrasting urban growth futures. Cybergeo: European Journal of Geography, vol. 759 [En ligne]. http://cybergeo.revues.org/27397
- HOUET, Thomas et GOURMELON, Françoise (2014) La géoprospective – Apport de la dimension spatiale aux démarches prospectives. Cybergeo : revue européenne de géographie, vol. 8 [En ligne]. http://cybergeo.revues.org/26194
- KOK, Kasper et VERBURG, Peter H. (2007) Integrated assessment of the land system: The future of land use. Land Use Policy, vol. 24, no 3, p. 517-520.
- SCEMSITE (SCÉNARISATIONS, MODÉLISATIONS ET SIMULATIONS SPATIALISÉES POUR LE TERRTOIRE) (2016) Objectif [En ligne]. https://scemsite2016.sciencesconf.org/
- TURNER, Billie L., LAMBIN, Eric F. et REENBERG, Anette (2007) The emergence of land change science for global environmental change and sustainability. Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 104, no 52, p. 20666-20671.