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Les ports doivent édifier de nouvelles assises pour répondre aux besoins de globalisation des marchés. De façon davantage marquée, il s’agit d’évaluer les principaux enjeux auxquels la gouvernance portuaire est confrontée et de proposer les moyens nécessaires pour améliorer le processus décisionnel de sa mise en valeur. Souscrivant à cette approche, les auteurs de ce livre ont pour ambition d’expliquer les transformations des conditions de gouvernance des ports de l’Europe méridionale. Pour y parvenir, l’approche consiste à surmonter l’analyse théorique de la gouvernance portuaire par une étude empirique des relations entre les différents acteurs de la communauté portuaire.
Comportant 16 chapitres, l’ouvrage est le fruit d’une collaboration entre plusieurs chercheurs de France, d’Italie, d’Espagne et de Tunisie. La lecture du manuscrit permet de soulever trois éléments.
Premièrement, tous les auteurs portent une attention particulière à une critique de l’évolution régalienne de la gouvernance portuaire. Les chapitres sont superbement référencés ; aucun titre majeur ne semble avoir été oublié. S’appuyant sur des documents d’archives, des textes de loi, des chroniques de presse, des rapports financiers et des données statistiques, les auteurs identifient les conditions économiques, sociopolitiques et institutionnelles qui ont présidé à la transformation de la gouvernance portuaire en Europe méridionale.
Deuxièmement, les auteurs reconnaissent que chaque port est soumis aux instances politiques des différentes échelles institutionnelles (municipale, régionale, provinciale, nationale, internationale) et que les modalités d’acheminement du fret maritime relèvent d’une prise de décision du secteur privé. Cette variété d’échelles et cette multiplication du nombre de « parties prenantes » constituent le cadre institutionnel général dans lequel s’inscrivent les modes de gouvernance des systèmes portuaires mondiaux. Une des forces du volume consiste précisément à reconnaître le rapprochement dans la gestion et l’efficacité opérationnelle des transactions maritimes entre les entreprises marchandes et l’État. À cet égard, les chapitres sur la performance portuaire (Bagoulla, Lacoste et Abbes), le modèle hanséatique (Tourret) et le port de Livourne (Morucci) sont exemplaires. Ces auteurs établissent un cadre conceptuel permettant d’enquêter sur le dynamisme des processus de gouvernance portuaire en fonction des relations économiques, politiques et urbaines.
Troisièmement, les auteurs utilisent abondamment les thèses de Vigarié, Goss, De Langen et Slack pour expliquer la construction des circuits transactionnels portuaires. Dans ce contexte, l’analyse des manutentionnaires (Bouchet, Charbonneau et Mundutéguy), des professions portuaires (Chaumette), du financement portuaire (Maugeri et Parola) permet de comprendre les processus d’intégration ou de confrontation qui caractérisent l’organisation de la communauté portuaire.
L’argumentaire du volume met en lumière que la performance d’une organisation portuaire dépend des relations entre les institutions, les mécanismes de mise en oeuvre des stratégies de développement portuaire et les processus de gouvernance régissant les relations entre ces « parties prenantes ». Il importe de souligner qu’il n’existe pas de configuration optimale de liens entre institutions, mécanismes et processus. La gouvernance portuaire n’est pas un exercice figé. La conduite d’un système portuaire est dynamique. Elle doit s’adapter aux exigences spécifiques des différents types de marchandises (vrac, cargo, conteneurs) et de passagers (croisière, traversier, plaisance), ainsi qu’aux fonctions du transport (transit, industriel, marché océanique). Par ailleurs, la direction du changement est influencée par les cycles économiques, les transformations environnementales et les innovations dans le domaine du transport et des communications. Les auteurs démontrent de façon rigoureuse que la gouvernance portuaire doit s’inscrire dans le cadre d’un processus d’évaluation continue.
Le livre innove sur deux plans. D’abord, les auteurs analysent l’ensemble de l’arène de la communauté portuaire. Loin de remettre en cause les éléments distinctifs qui président à l’émergence d’un modèle français, italien ou espagnol de gouvernance portuaire, ces modèles sont décentrés et placés au sein de l’interface entre des intervenants publics et privés qui jouent des rôles variés et dont les intérêts sont différents et souvent même divergents ou opposés. Les textes de Guillaume, Gueguen-Hallouët, Foulquier et Maugeri permettent de comprendre la complexité de la gouvernance entre différents acteurs du triptyque portuaire (autorités portuaires-industrie privée du transport-collectivités locales). Il en résulte une nouvelle perspective sur les interactions entre ces intervenants réunis pour le développement, le contrôle et la gestion du système portuaire. Cet apport détaillé permet de mieux démontrer le rôle du leadership endogène à accroître la compétitivité portuaire. Le texte de González Laxe sur les ports espagnols est à cet égard très instructif. La seconde innovation concerne l’intégration des analyses historiques de la gouvernance des ports d’Europe méridionale aux études savantes sur la libéralisation, décentralisation et globalisation. L’analyse des conflits institutionnels portuaires (Guillaume, Guineberteau, Foulquier et Ortiz) permet d’afficher un éclairage beaucoup plus critique sur les conditions de gouvernance et de démontrer qu’il n’existe pas de modèle unique de gouvernance portuaire. Il en résulte une perspective portuaire qui dépasse les frontières étatiques, suggérant une nouvelle voie à suivre pour les « maritimistes ».
Comme nombres d’ouvrages de cette envergure, celui-ci comporte quelques faiblesses. Premièrement, bien que les chapitres soient très intéressants et fort instructifs, on ne peut que déplorer le manque de continuité dans l’articulation de certains chapitres. Il manque une certaine cohérence dans l’explication des changements dans la structure de gouvernance. Ainsi, Nicolas suggère que la mutation de la communauté portuaire à Nantes repose sur la territorialisation des acteurs économiques. En fort contraste, Patillon et Noyer avancent que les changements dans la communauté portuaire nantaise sont fonction des règles du marché. Deuxièmement, on ne peut que regretter que les auteurs aient escamoté les flux internationaux qui caractérisent les pays d’Europe du Sud. Les armateurs européens affichent une longue histoire. Les armements permettent de maintenir un espace transactionnel en lien avec les administrations portuaires. Une telle approche aurait permis de mieux comprendre l’espace transactionnel qui sous-tend la gouvernance portuaire. Troisièmement, le manuscrit aurait gagné à inclure un volet sur les chaînes d’approvisionnement de quelques produits à la lumière des liens institutionnels avec les ports. De récents travaux démontrent l’intérêt qui consiste à « suivre les opérateurs de transport » dans les conditions de gouvernance des systèmes portuaires. L’enchevêtrement des acteurs logistiques et portuaires agissant à des échelles variées contribue à stimuler la gouvernance portuaire fondée sur les marchés boursiers, les banques et les assurances, d’une part, et, d’autre part, à accroître le poids de la route « portuaire » sur les circuits mondiaux de marchandises. Parmi les éléments représentatifs de cette relation, il aurait été possible de faire ressortir et de comprendre les mécanismes et ressources mobilisés par les administrations portuaires pour améliorer les capacités, services et infrastructures du commerce maritime.
Malgré ces quelques faiblesses, l’ouvrage est d’une grande richesse, et mérite une large diffusion auprès de tous ceux qui s’intéressent à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’actualité portuaire européenne ».