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Imaginaire de l’espace dans le cinéma québécois fait penser à une sorte d’inventaire à la Prévert sur le mode universitaire dans lequel les titres de films, les années de sortie et les noms de personnages se succèdent au fil des pages. S’il n’est pas dénué d’une certaine poésie, cet inventaire se caractérise surtout par son organisation rigoureuse et par la clarté du propos. À partir de l’analyse d’un corpus impressionnant de 270 films québécois sortis entre 1965 et 2010, Andrée Fortin, professeure émérite en sociologie de l’Université Laval, dresse un portrait original des multiples formes d’espaces qui caractérisent ce cinéma. L’analyse de ces espaces est organisée en trois parties qui font suite à une introduction dans laquelle l’auteure contextualise le projet et présente rapidement la méthodologie utilisée.
Dans la première partie de l’ouvrage, l’auteure reprend le découpage géographique classique ville / banlieue / campagne, afin d’esquisser les principaux traits associés à chacun de ces espaces, avec un intérêt tout particulier pour la banlieue. En effet, d’après elle, la banlieue dans le cinéma québécois contemporain n’est plus l’espace marginalisé, standardisé et caricatural qu’elle était dans les années1970 ; c’est désormais un espace de vie à part entière autour duquel de plus en plus de films s’organisent. Ce n’est plus la ville-centre qui est au coeur de l’imaginaire cinématographique québécois, c’est la métropole au sein de laquelle la banlieue joue dorénavant le rôle principal.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteure s’intéresse aux espaces associés aux déplacements. Elle y répertorie les lieux de passages emblématiques, comme la ruelle et le pont ; elle identifie le rôle primordial joué par l’automobile et, notamment, la tension qui existe entre son caractère indispensable et sa dimension identitaire ; et elle retrace l’origine des personnages immigrés en insistant sur le fait que les récits cinématographiques québécois sont véritablement ouverts sur l’ailleurs. Même si cet argument aurait mérité d’être un peu plus développé, notamment en s’intéressant plus particulièrement à la place des immigrés non européens dans les films québécois, cette partie offre une perspective géographique originale et convaincante.
En revanche, le lien avec l’espace devient beaucoup plus ténu dans la troisième partie. Celle-ci est vouée à l’analyse de la représentation des activités artistiques et médiatiques dans le cinéma québécois. Si le sujet est intéressant et bien traité, la simple mobilisation des concepts « d’espace public » et de « place publique » ne suffit pas à le rendre véritablement convaincant d’un point de vue spatial. Mis à part ce bémol géographique, Andrée Fortin réussit à esquisser un portrait tout en nuances des espaces imaginaires proposés par le cinéma québécois des 50 dernières années, dont elle parvient à faire ressortir les traits principaux. Ces différents niveaux de lecture sont rendus possibles par la qualité de l’écriture, par la richesse et la diversité des exemples choisis, ainsi que par la capacité de synthèse de l’auteure. Au final, cet ouvrage s’adresse non seulement à un public d’universitaires, mais de manière beaucoup plus large, à tous les amateurs de cinéma québécois auquel il rend un bien bel hommage.