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Dans son récent ouvrage, intitulé Géographie de l’art. Ville et création artistique, Boris Grésillon énonce les fondements d’une nouvelle spécialisation géographique : la géographie de l’art. D’emblée, l’auteur situe son intention méthodologique à la jonction des recherches urbaines et sociales, et en réaction à une absence générique des arts comme objet d’études en géographie. Cette absence lui apparaît d’autant plus notable dès lors qu’on constate les influences majeures de ce champ d’activités pour le développement des sociétés, particulièrement des milieux urbains. Dans ce contexte, l’auteur entrevoit les arts comme une source de connaissances pour la géographie, principalement par l’étude des lieux de diffusion des arts, de leur implantation et du travail de recherche réalisé par les artistes, souvent influencés et inspirés par la société où ils vivent. De plus, il interprète les lieux voués aux arts – qu’ils soient in ou off, pour reprendre l’expression de l’auteur – comme des noeuds urbains : des espaces qui induisent une mobilité des populations (acteurs et spectateurs), des impacts économiques, architecturaux et urbanistiques, un roulement des activités diurnes et nocturnes, etc. Deux parties distinctes structurent efficacement le livre et permettent d’appréhender la pensée de l’auteur selon une posture successivement théorique et pratique. À leur lecture, les spécificités et les potentialités d’une géographie des arts se mettent graduellement en place.
Dans la première partie de l’ouvrage – intitulée Positions –, Grésillon énonce certaines nuances et précisions sémantiques relatives aux concepts moteurs de la géographie de l’art. Ce travail théorique s’avère primordial, vu l’aspect profondément polysémique des termes utilisés – tels que « culture », « créativité », « création » – et considérant leur utilisation dans plusieurs disciplines émanant des sciences sociales. L’analyse se fait ici de façon efficace et éclairante. Par exemple, le terme « culture » est réfléchi autant dans sa dimension sémantique et multidisciplinaire que dans sa filiation géographique, comme champ de recherche.
La seconde partie du livre – Terrains – permet de considérer la géographie de l’art suivant son biais pratique et, ultimement, d’évaluer dans quelle mesure l’art offre « une clé de compréhension satisfaisante de nos univers métropolisés complexes ». Au niveau méthodologique, l’auteur affirme la nécessité pour le géographe d’explorer et d’expérimenter les lieux concernés, de rencontrer les acteurs du milieu et de recueillir leurs témoignages, d’être mis en présence d’oeuvres. L’approche suggérée est résolument interdisciplinaire, qualitative, systémique, sensible et modulable, ce qui sied parfaitement à l’objet étudié. Les exemples présentés par l’auteur appuient judicieusement ses idées, tout comme ses intentions. En outre, Grésillon évoque les retombées parallèles à ces recherches, dont la réciprocité des échanges et du partage des connaissances entre géographes, acteurs du milieu des arts et artistes. La maîtrise des codes cartographiques par les géographes est ici donnée en exemple comme moyen d’améliorer la visibilité des différents espaces de diffusion artistique, dans les milieux urbains.
Il va sans dire que la géographie des arts proposée par Boris Grésillon recèle de multiples avenues : l’ensemble de l’argumentaire réussit aisément à convaincre de l’intérêt et de la pertinence de cette nouvelle spécialisation. On déplorera seulement une définition restreinte donnée aux arts, « comme un produit social et urbain », alors qu’il apparaît primordial de préserver un caractère infiniment ouvert, mutable et pluridisciplinaire pour ce domaine : les phénomènes artistiques se déclinent sous une variété de formes, aussi bien matérielles qu’immatérielles, pérennes qu’éphémères. En cela, les assimiler au statut de produit et les associer en définitive au fait urbain pourrait limiter les recherches et la portée des études géographiques effectuées. Indépendamment de cette question, l’ouvrage s’avère riche et inspirant ; il invite à la création de trajets méthodologiques féconds qui sauront certainement favoriser une compréhension inédite des phénomènes artistiques et, surtout, de leurs répercussions dans les milieux d’ancrage et de déploiement.