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La thématique
Les nouveaux défis que la mondialisation pose aux villes et aux régions métropolitaines sont nombreux et nourris de paradoxes. Pendant que celles-ci sont soumises à l’interdépendance croissante des réseaux économiques et sociaux dans le monde et doivent développer leur compétitivité et leur attractivité, on exige d’elles qu’elles s’ajustent aux préceptes du développement durable. Ces préceptes demandent non seulement de concilier croissance économique et protection de l’environnement, mais également de se préoccuper des questions d’équité sociale et spatiale dans la mise en place des dynamiques de développement. Qui plus est, ces défis doivent être abordés dans le respect, sinon le renforcement, des identités territoriales.
Ces nouveaux paradigmes du développement urbain et métropolitain, qui ont émergé avec force au cours des dernières décennies, posent de nouveaux défis en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Ces défis pourraient être résumés par le lien que les territoires doivent maintenir entre, d’une part, un développement ancré dans leur réalité locale, faisant notamment appel à leurs propres ressources humaines et matérielles et, d’autre part, leur connectivité physique et sociale, d’un point de vue endogène et exogène.
Ainsi, les défis urbains et métropolitains croisent les thèmes de la recherche urbaine et régionale. C’est sur ces thèmes que ce numéro de la revue réunit six textes sélectionnés à partir de communications présentées lors d’un séminaire de la section Amériques de l’Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et en urbanisme (APERAU), tenu à l’Université Laval les 31 octobre et 1er novembre 2013 intitulé « Les paradoxes et défis actuels du développement urbain et métropolitain : contributions de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire ». Les trois premiers textes traitent à leur façon et à partir de différents thèmes (décentralisation, innovation et transport) de la gouvernance urbaine et métropolitaine. Le quatrième texte s’intéresse aux questions de mobilité des personnes âgées, population souvent en croissance rapide et ayant des besoins distincts, dans un contexte métropolitain. Enfin, les cinquième et sixième textes analysent des expériences d’aménagement et de revitalisation en milieu périurbain et urbain, en touchant particulièrement la question de l’habitat. Cinq de ces textes s’intéressent uniquement ou principalement à des villes et régions d’Amérique du Nord, incluant le Mexique, alors qu’un autre texte se penche sur une ville européenne, en l’occurrence, Bruxelles.
Les contributions des auteurs
Au centre du phénomène du développement urbain et métropolitain, se trouve la question de sa gouvernance. Dans une démarche exploratoire et descriptive, Jean-François Meloche croise les questions de la gouvernance urbaine et de la décentralisation inframunicipale dans les grandes villes des Amériques. En effet, parmi les défis de la métropolisation, ceux relatifs aux modalités de la gestion publique des territoires apparaissent centraux pour comprendre les changements au coeur de l’action publique contemporaine. Son article vise, à partir de huit cas, à faire des comparaisons sur le niveau de décentralisation et d’autonomie des unités inframunicipales. Rappelant qu’à la base de l’argumentation en faveur de la décentralisation municipale il y a l’objectif de la vitalité de la démocratie locale, Meloche précise que les contributions empiriques sur les retombées de la décentralisation inframunicipale demeurent limitées. Au centre de son travail de comparaison entre des grandes villes des Amériques, se trouve le cas de la ville de Montréal qui, incidemment, avec ses arrondissements, s’avère un modèle de décentralisation municipale. En s’appuyant sur la littérature existante, l’auteur propose une approche principalement qualitative pour mesurer le niveau d’autonomie des unités inframunicipales, et ce, selon quatre aspects institutionnels, soit la constitution légale, l’autonomie politique, l’autonomie budgétaire et la décentralisation financière. Outre la ville de Montréal, les villes de Toronto, NewYork, Los Angeles, Mexico, Bogotá, São Paulo et Buenos Aires sont comparées. Ces villes ont été retenues parmi un groupe de 29 grandes villes des Amériques, dont deux canadiennes, 17 étasuniennes et 10 d’Amérique latine.
Il ressort de ce travail de comparaison que la plupart des entités inframunicipales des huit villes ont une existence légale forte (quatre) ou moyenne (trois). Seule Los Angeles est cotée faible sur cet aspect. Le pouvoir politique est évalué fort décentralisé dans quatre des villes et moyen dans les quatre autres. Seule Montréal est cotée forte au plan de l’autonomie budgétaire, alors que cinq autres se partagent la cote moyenne et deux la cote faible. C’est encore la ville de Montréal qui est la seule, avec Mexico, à être évaluée comme ayant une décentralisation forte, alors que les six autres se partagent la cote moyenne ou faible.
Ces résultats font conclure à l’auteur que c’est une chose de créer des entités inframunicipales dans des textes de loi, mais que c’en est une autre que de leur confier une marge de manoeuvre budgétaire significative susceptible de leur faire dépasser leur rôle d’influence politique, pour leur faire jouer un rôle important, avec des assises légales, dans la production des services locaux. Comme ces processus de décentralisation inframunicipale demeurent encore relativement jeunes pour la plupart des grandes villes des Amériques comparées par l’auteur, celui-ci conclut que l’avenir de la gouvernance décentralisée au niveau municipal dépendra de l’évaluation qu’en feront les acteurs politiques concernés.
À partir du cas de Bruxelles, région de l’innovation, Priscilla Ananian s’intéresse au processus d’intégration urbanistique des activités de l’économie de la connaissance, secteur reconnu à la fois comme stratégique pour l’avenir des métropoles, mais aussi révélateur des dynamiques qui les recomposent. Elle s’interroge ainsi sur le rôle de l’urbanisme et de ses agents dans ces processus à Bruxelles. Plus précisément, l’auteure se demande si et comment le débat sur les liens entre l’innovation et le territoire vient orienter la planification urbaine et les pratiques de l’urbanisme sur la base de nouveaux référentiels se rapportant aux processus de territorialisation des activités des secteurs innovateurs. Le référentiel principal en cause ici, celui de la ville créative, inclut des stratégies de régénération urbaine et une approche exogène pour attirer les ressources de la créativité.
Pour étudier ces postulats, l’auteure a adopté une approche inductive en analysant les plans de développement économique et de développement urbain contribuant à la construction du référentiel de région de l’innovation à Bruxelles, d’une part, et en interviewant les acteurs responsables du développement économique et de la planification urbaine en Région de Bruxelles-Capitale, d’autre part.
L’analyse conduit au constat qu’il y aurait une disjonction entre le discours de la planification urbaine et la géographie des entreprises innovantes à Bruxelles, du fait notamment d’un processus complexe où les entrepreneurs urbains seraient en déficit d’une perspective territoriale. Selon l’auteure, cela amènerait les pouvoirs publics bruxellois à devoir relever trois défis : 1) consolider une armature spatiale mixte pour y ajouter de nouvelles activités urbaines ; 2) développer des projets urbains stratégiques mobilisant les acteurs de l’économie de la connaissance ; 3) dynamiser une armature urbaine multipolaire, par-delà les logiques strictes des acteurs du développement économique.
Après l’intégration de l’économie de la connaissance aux processus d’urbanisation et de métropolisation, c’est de l’intégration des transports et de l’aménagement du territoire au niveau métropolitain, avec l’étude des cas de Toronto et Chicago, qu’il est question dans l’article de Fanny Tremblay-Racicot et Jean Mercier. Une telle intégration est désormais identifiée comme un enjeu récurrent inscrit à l’agenda de nombreuses métropoles en Amérique du nord, comme en Europe d’ailleurs. Les auteurs, dans ce cas-ci, s’intéressent aux politiques, plans et projets intégrant les transports et l’aménagement du territoire, plus particulièrement sur les aspects institutionnels et ceux de la prise de décision. Plus précisément, ils se sont prêtés à une démarche exploratoire d’analyse des politiques et des processus de prise de décision par lesquels l’aménagement du territoire et la planification des transports sont intégrés au niveau métropolitain, en tentant de comprendre comment les relations verticales et horizontales entre différentes organisations peuvent influencer la planification métropolitaine de l’aménagement du territoire et des transports aux niveaux local et métropolitain.
En plus de leurs ressemblances en matière de géographie, de démographie et d’importance en termes de transport, les deux villes comparées ont vu la création d’une agence de planification régionale au sein de leurs régions respectives au cours des dernières années. Metrolinx fut créée par le gouvernement de l’Ontario en 2006 afin de coordonner la planification des transports dans la région de Toronto, et la Chicago Metropolitain Agency for Planning (CMAP) fut instituée en 2005 par l’État de l’Illinois dans le but d’intégrer la planification des transports et de l’aménagement du territoire dans la région de Chicago.
Les auteurs ont constaté que la composante hiérarchique et coercitive était plus présente dans les dispositifs institutionnels de Toronto que dans ceux de Chicago. À cet effet, ils considèrent que l’exemple de Toronto démontre l’importance de la gouvernance verticale pour promouvoir une vision métropolitaine, comme dans le cas de l’intervention de la province de l’Ontario dans la région de Toronto. Par ailleurs, la création de CMAP et la campagne de lobbyisme orchestrée par Metropolis Strategies (organisation régionale sans but lucratif représentant la communauté des affaires) à Chicago démontre aussi l’importance de la gouvernance horizontale et du capital civique au niveau métropolitain pour provoquer des changements aux échelons supérieurs, en l’absence de volonté politique. Par contre, poursuivent les auteurs, le cas de Chicago montre les limites de l’approche volontaire et décentralisée et le fait qu’une plus grande fragmentation constitue un frein à la mise en oeuvre de plans d’aménagement métropolitains. Au regard de leur analyse comparée de ces deux villes, les auteurs concluent que la dimension verticale de la gouvernance urbaine et métropolitaine peut parfois constituer un passage obligé à certaines étapes cruciales de la réalisation des politiques publiques en matière d’intégration de la planification régionale des transports et de l’aménagement du territoire.
Avec la métropolisation, au-delà des enjeux du transport durable, ce sont aussi les thèmes de la mobilité des individus et des ménages ainsi que de leur accès aux services et aux équipements publics qui retiennent l’attention. Le texte de Paula Negron-Poblete et Sébastien Lord s’inscrit tout à fait dans cet ordre de préoccupations en s’intéressant à la « marchabilité » des environnements urbains autour des résidences pour personnes âgées. À cette fin, les auteurs se sont concentrés sur quatre territoires de la région métropolitaine de Montréal, deux étant situés dans la ville de Montréal (Rosemont et Lachine) et deux, dans les villes de banlieue de la première couronne (Longueuil et Laval).
Deux questions ont été à la base de leur recherche, à savoir, premièrement, quel était le niveau de marchabilité autour des résidences de personnes âgées et des concentrations commerciales proches, et deuxièmement, comment les aînés qui habitent ces résidences percevaient-ils l’expérience de la marche dans leur quartier. Pour répondre à la première question, ils ont conçu et appliqué un nouvel audit environnemental, nommé MAPPA (Marchabilité pour les personnes âgées), autour de quatre résidences et des concentrations commerciales proches, alors qu’ils ont répondu à la deuxième question en analysant les constats rapportés par les résidants dans deux groupes de discussion.
L’application de l’audit MAPPA et les groupes de discussion ont permis de mettre en relief la diversité des environnements urbains où vivent les personnes âgées de la métropole. C’est ainsi qu’il s’est avéré que la marchabilité autour des résidences pour personnes âgées demeure globalement limitée. Malgré cela, les auteurs considèrent que les territoires de banlieue offrent un potentiel de réaménagement en faveur des aînés. Par ailleurs, les tests de fiabilité de MAPPA se sont révélés satisfaisants, dans l’ensemble. Après cette première validation, plusieurs ajustements ont été apportés à une nouvelle version de la grille, qui pourra éventuellement être appliquée à d’autres territoires.
L’habitation est un autre thème incontournable dans le développement urbain et métropolitain, touchant particulièrement l’enjeu de l’équité sociale. Les deux derniers textes de ce dossier traitent de cette question, mais dans des perspectives et des espaces tout à fait différents, quoiqu’ils se recoupent, selon un angle d’analyse, comme nous le verrons. Le premier de ces deux textes s’intéresse au logement social en périphérie de la ville de Guadalajara, au Mexique. Les auteurs, Ramón Reyes, Juan Torres et Olga Becerra, y analysent un projet de développement domiciliaire, nommé Hacienda Sante Fe, dans la perspective résidentielle. Le deuxième texte, celui de Hélène Bélanger, traite de la revitalisation de quartiers centraux de Montréal, connus sous le vocable du Faubourg Saint-Laurent. La transformation de cet espace urbain central passe par un renouvellement de son habitat, mais elle s’inscrit dans le cadre de projets urbains et soulève les enjeux de la gentrification et de la mixité sociale.
Revenons à l’étude du projet Hacienda Sante Fe, dans la région métropolitaine de Guadalajara (RMG). Comme les auteurs de l’article prennent soin de le préciser, au cours des années 1990 au Mexique, le rôle de l’État dans la production de logement social a en a été un d’ouverture au marché, permettant ainsi à des groupes privés de développer l’offre en logement social. Cette décentralisation vers le privé a entraîné notamment une importante croissance du parc de logements sociaux en milieu périurbain, dans les dernières années. Le projet Hacienda Santa Fe est un exemple de ce type de projet de logement social auquel Reyes, Torres et Becerra se sont intéressés. Ces projets immobiliers transforment radicalement la dynamique urbaine des municipalités où ils s’inscrivent, dans la mesure où ils sont réalisés sur des terrains utilisés auparavant pour les activités agricoles, autrefois la principale activité économique des municipalités qui les accueillent. De même, bien que destinés à une clientèle à faible revenu, ces projets ont été concrétisés, depuis plus d’une décennie, sur le modèle de « communauté fermée », comportant plusieurs sous-ensembles ou clusters. Dans leur analyse, les auteurs ont utilisé la notion de satisfaction résidentielle pour explorer les liens existant entre les résidants et leur milieu de vie, et ce, dans un contexte marqué par l’inoccupation d’une partie significative des logements construits récemment dans ces ensembles.
Cette notion de satisfaction résidentielle est aussi utilisée par Hélène Bélanger, dans sa recherche exploratoire sur la revitalisation urbaine et le changement social dans les quartiers centraux montréalais. Comme le signale l’auteure, cette recherche avait pour buts de 1) décrire les transformations récentes des quartiers centraux depuis l’implantation de grands projets urbains ; 2) connaître les perceptions des résidants actuels au sujet des transformations physiques et sociales de leur milieu de vie, de même que leurs satisfactions ou leurs insatisfactions face à ces transformations.
Les grands projets urbains, constate Bélanger, constituent un des outils d’urbanisme pour la revitalisation des quartiers en déclin. Ces projets ne vont pas sans entraîner une nouvelle dynamique sociorésidentielle des ménages. Ainsi, il est noté qu’entre 2001 et 2011, la population totale des secteurs de recensement du Faubourg St-Laurent a connu une croissance de près de 17 % pour atteindre 14 819 résidants répartis dans 9796 ménages. Un des constats centraux observés en lien avec cette croissance est l’arrivée de résidants ayant un niveau socioéconomique plus élevé.
La métropolisation, analysée à travers les six contributions de ce dossier, vient recomposer les échelles de l’aménagement du territoire pour répondre à de nouveaux défis économiques, sociaux et environnementaux induits par les nouveaux paradigmes du développement. Pour y arriver, les acteurs engagés dans les dynamiques de développement et d’aménagement, doivent s’attarder autant aux processus de gouvernance qu’aux formes urbaines ; autant se soucier de l’inscription des villes et des régions dans les dynamiques de compétitivité économique que de qualité de vie pour leurs habitants ; de même, ils doivent s’activer aussi bien à la régénération des vieux quartiers centraux, qu’imaginer le renouvellement des premières banlieues et la conception des nouvelles, de façon à procurer de la satisfaction résidentielle à ceux qui les habiteront. Ces défis, ils sont portés par les acteurs territoriaux, par les différents niveaux de gouvernement, mais aussi plus spécifiquement, par les professionnels et les chercheurs dans les domaines de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.