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Ce livre dresse un portrait historique et théorique de l’idée selon laquelle le développement économique ne peut se comprendre qu’à travers ses liens avec le territoire. Le territoire est vu à la fois comme « actif » et « contexte », et le développement économique serait propulsé essentiellement par des dynamiques internes aux territoires maillés par des processus à d’autres échelles.
Outre une introduction de Claude Lacour, le livre comprend cinq chapitres. Le premier dresse un portrait historique de l’idée que le territoire est un élément-clé du développement, et ce, d’autant plus que l’État nation est aujourd’hui en crise face à une mondialisation croissante. Le deuxième chapitre aborde certaines notions d’économie spatiale, passant en revue différentes conceptualisations de l’espace géographique, passant ensuite aux économies d’agglomération, aux externalités positives et au territoire comme système économique complexe et ouvert. Le troisième chapitre fait état de diverses idées plus ou moins récentes qui mettent en exergue le territoire comme facteur-clé du développement économique, comme les districts, les systèmes productifs localisés ou encore les territoires dits créatifs. Dans l’avant-dernier chapitre, l’argument va plus loin : les auteurs suggèrent que la performance économique nationale et mondiale passe par les territoires et leur compétitivité : plus les économies des territoires se structurent en augmentant leur compétitivité propre, plus le PIB global croît. Le dernier chapitre se penche sur la politique publique – particulièrement française, qui est paradoxalement guidée par l’État, surtout par l’entremise de la DATAR.
Ce livre fait donc la synthèse d’une idée qui a fait son chemin, surtout depuis les années 1980, marquées par la désarticulation des grandes industries dites Fordistes. Teinté par un point de vue très européen et continental – les grandes distances ne posent pas problème, et la véritable périphérie ainsi que la faible densité n’y existent pas –, ce volume nous permet de comprendre pourquoi le territoire a pu prendre une telle importance en géographie économique. Mais il se lit plus comme un regard vers l’arrière que comme l’annonce d’une théorie porteuse pour l’avenir.
En premier lieu, il est parfois difficile – en tant que lecteur – de percevoir si sa thèse est essentiellement théorique, visant à présenter les faits, les arguments et contre-arguments pour démontrer que le territoire joue un rôle économique de premier plan, ou si elle est normative, visant à convaincre que le territoire devrait jouer un tel rôle. Par exemple, pour nous convaincre que les districts industriels italiens sont un élément-clé de compétitivité, on fait appel à des chiffres montrant que l’emploi industriel y décroît moins vite qu’ailleurs durant les années 1970. Outre le fait que les dynamiques observées voici 40 ans ne sont peut-être plus très révélatrices, les processus causaux derrière ces chiffres pourraient être divers : s’agit-il d’un effet de structure industrielle, de taille d’entreprise, de présence d’infrastructure et de main-d’oeuvre, ou bien d’un effet dynamique d’échanges d’idées, de créativité et d’innovation ? Par ailleurs, ainsi que Bennett Harrisson l’a montré dans les années 1990, ces districts ont évolué vers des structures dominées par de grandes entreprises comme Benetton.
Un deuxième élément d’inconfort réside dans le fait que les structures de développement a-territoriaux, les chaînes de valeur globales, les communautés d’intérêt, la facilité croissante qu’ont les intervenants économiques de collaborer et d’échanger à distance (moyennant des rencontres temporaires peu fréquentes) ne sont pas abordées de front dans le livre. Ces dynamiques récentes, qui n’ont pris de l’ampleur que dans les 15 dernières années, avec la démocratisation d’Internet et des communications mobiles, nous interpellent sur les idées qui émanent des années 1970 et 1980 (raffinées durant les années 1990 et 2000). Même si les auteurs reconnaissent la mondialisation croissante de l’économie, et le fait que les territoires (et leurs dynamiques) s’insèrent dans des réseaux d’échange plus larges, l’idée que le territoire ne serait plus capable de contenir ses dynamiques propres (possibilité que la conceptualisation de Doreen Massey, For Space, Routledge, 2005, permet d’envisager) n’est pas sérieusement prise en compte. Quel que soit l’avis qu’on peut avoir sur ces évolutions et leurs conséquences sur le territoire, il s’agirait de les articuler et de justifier le rôle du territoire dans ce nouveau contexte de flux rapides, de mobilité et d’appartenances diverses.
Finalement, la notion même de territoire n’est pas clairement définie par les auteurs. Le territoire est présenté comme acteur syntagmatique, c’est-à-dire « ayant un objectif clair et mettant au point une stratégie pour l’atteindre ». Or, le territoire – quels qu’en soient les limites et les contours – n’a rien d’uni. Il est formé de multiples acteurs, souvent en conflit politique ou social, avec des objectifs soit incompatibles, soit indépendants les uns des autres. De plus, chaque acteur appartient à des communautés virtuelles et à des réseaux divers. La compétitivité territoriale, qui peut être néfaste si elle accapare les moyens publics pour s’octroyer ce qui se trouve chez les voisins, doit aussi être comprise comme un message politique rassembleur, permettant de faire passer des décisions sans les regarder de trop près : nul, aujourd’hui, n’a le droit d’être contre la compétitivité !
Ce livre, clair et bien écrit, permet de faire le tour des arguments en faveur de l’idée que le territoire est un élément-clé du développement économique. Tous les étudiants et chercheurs voulant rapidement comprendre les fondements de cette idée sont chaudement invités à le lire. Par contre, tout en présentant très clairement cette idée, l’ouvrage ne parvient pas à convaincre.