Cette troisième édition, dûment actualisée et remarquablement illustrée, fait de cet ouvrage, mieux qu’une improbable somme tant sont divers les questionnements sur l’eau, un ouvrage de référence dans lequel une première partie thématique est confortée par plusieurs analyses de cas bien choisis. Parmi les multiples enjeux de l’eau dans le monde qu’envisage la partie thématique, se pose au premier chef la question des guerres de l’eau. Il faudrait savoir toutefois si le terme de guerre est approprié et où se situe la frontière entre guerre et conflit. Sans trop préjuger de l’avenir, Frédéric Lasserre parle de pressions, de tensions, de causalités multiples (quelle est la place de l’eau dans la guerre des Six Jours ?) et botte en touche lorsqu’il présente l’eau comme source de coopération. Cet attentisme apparent trouve sa justification dans les pages qui suivent. Si l’eau est rare, il ne manque pas de solutions, depuis le recyclage jusqu’au dessalement en passant par la tarification, pour pallier cette rareté. Pour autant, et à défaut de guerres, des conflits aussi divers dans leur ampleur spatiale que dans leur intensité semblent inéluctables et leur régulation par le droit international relève à ce jour du catalogue des bonnes intentions. De même, les espoirs mis dans la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) dont il est beaucoup question dans les instances internationales risquent fort d’être déçus, tout comme seront déçus les tenants du recours à l’irrigation pour résoudre le problème de la faim dans le monde. Reste, ainsi que le souligne Luc Descroix, que l’eau est un instrument efficace de tout aménagement du territoire et que tout aménagement peut être compromis par la méconnaissance d’une gestion équilibrée de la ressource en eau. Autant la première partie de l’ouvrage est tout en nuances si ce n’est en perspectives optimistes, autant la seconde partie rassemblant une dizaine d’études de cas, est tout en violences. Trois de ces études portent sur les eaux du Jourdain et le différentiel d’accès à l’eau qui sépare Israéliens et Palestiniens, étudié dans son constat d’inégalité mais aussi dans son contexte culturel et dans ses implications stratégiques saisies à travers le cas du Golan, espace stratégique en même temps que château d’eau rassemblant la majeure partie des sources du Jourdain. Cette violence, ou pour mieux dire ce rapport de force, se retrouve dans de multiples cas, qu’il s’agisse des eaux de l’Euphrate et de la position dominante de la Turquie, du partage des eaux du Nil, sans cesse remis en cause au grand dam des Égyptiens, ou des relations entre les États-Unis et le Mexique, assombries par les gestions contestées du Colorado et du Rio Grande. La violence peut également affecter la terre par l’usage inconsidéré de l’irrigation avec, à la clef, la salinisation des sols en Australie et la disparition de la mer d’Aral. Les choses ne se passent guère mieux entre gens de bonne compagnie, comme en témoigne la question d’un éventuel transfert des eaux canadiennes vers les États-Unis et les terres assoiffées du Middle West. Finalement, le cas le plus encourageant pourrait bien être celui du Sénégal dont les riverains Mauritaniens et Sénégalais, après s’être affrontés, arrivent tout de même à gérer, sinon au mieux du moins de façon acceptable, une ressource limitée dans son volume comme dans le champ de ses applications. Faut-il, à partir de ce dernier cas, faire montre d’un optimisme au moins relatif ? L’avenir n’est écrit nulle part, cependant il est tout de même inquiétant. Les auteurs en conviendront sans doute, mais ils n’en définissent pas moins les bases d’une possible action volontariste menée à l’échelle mondiale. En tout état de …
LASSERRE, Frédéric et DESCROIX, Luc (2011) Eaux et territoires. Tension, coopérations et géopolitique de l’eau. (3e édition). Québec, Presses de l’Université du Québec, 490 p. (ISBN 978-2-76562602-0)[Record]
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Jacques Bethemont
Université Jean Monnet