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Le débat sur le sens des lieux est ouvert depuis longtemps et il est toujours salutaire d’y revenir pour s’interroger sur ce fameux genius loci qui fait de chaque endroit un espace particulier, inscrit dans une expérience personnelle et dans une mémoire partagée. Les lieux sont ce qu’on en fait, mais ils font ce que nous sommes – et c’est pourquoi géographes, sociologues, anthropologues, architectes, urbanistes et historiens doivent dialoguer pour échanger leurs connaissances et pour mettre en commun leurs méthodes dans un domaine où il est indispensable d’étudier les relations qui s’établissent entre les territoires (à différentes échelles), les sociétés (présentes ou passées) et les identités (individuelles ou collectives).
En regroupant dans un seul volume 15 contributions différentes (sans compter les textes de présentation et de synthèse), Célia Forget a répondu à une nécessité et à un défi. La nécessité était de publier les résultats du premier Forum international des jeunes chercheurs et professionnels en patrimoine culturel, qui s’était tenu à Québec en septembre 2008. Le but était de faire connaître à un plus large public les perspectives ouvertes par l’arrivée de nouveaux chercheurs qui se sont emparés du thème des lieux, de la mémoire, du patrimoine et de l’identité pour réfléchir non seulement sur les lieux eux-mêmes (territoires et bâtiments), mais aussi sur les sociétés qui les ont produits, qui ont choisi ou non de les conserver pour ce qu’ils représentent, et qui les utilisent (comme espace pratiqué ou comme symbole incarné).
À cette nécessité s’ajoutait un véritable défi : proposer aux lecteurs un livre cohérent, ce que la coordonnatrice a pu faire en évitant les dérapages, les débordements et les digressions – même si, comme toujours dans ce type d’ouvrage, on peut se demander pourquoi tel article est placé dans telle partie et pas dans une autre. En effet, les quatre sections qui organisent l’ensemble posent de véritables questions auxquelles les différents chapitres répondent logiquement. Dans un premier temps, on tente d’« interpréter l’esprit du lieu » en analysant des lieux emblématiques imprégnés de mémoire ou dont la mémoire est instrumentalisée pour donner du sens à des groupes sociaux (de la communauté locale à la nation) qui s’identifient ou non à la culture historique qu’on leur demande d’assimiler, de répéter et de défendre. Dans une deuxième partie (Architecture et esprit du lieu), les auteurs s’intéressent à la dimension matérielle du bâtiment qui incarne l’esprit du lieu – ou dont on décide qu’il l’incarne, que ce soit l’architecture norvégienne en bois de Røros, les pétroglyphes de Peterborough (Ontario) ou le palais des Tuileries, incendié en 1871 pendant la Commune de Paris. Cependant, l’esprit du lieu ne se limite pas à sa forme ni à sa matérialité, comme l’a si bien montré Augustin Berque dans ses études sur la logique du lieu (basho no ronri) au Japon. C’est pourquoi la troisième partie de l’ouvrage s’intéresse aux menaces qui pèsent sur l’esprit des lieux, surtout quand on prétend conserver leur existence aux dépens de leur essence. Ce débat entre l’esprit et la matière des lieux trouve son aboutissement dans une dernière section qui pose la question de savoir ce que devient l’esprit d’un lieu quand il ne dispose plus de support physique pour s’incarner.
Le pari initial était risqué, mais il est en grande partie gagné, car les textes publiés ici (accompagnés d’un DVD consacré au mur de pierres du couvent des Ursulines de Québec) sont en général de haut niveau et montrent que la relève est assurée dans au moins 29 pays dont les représentants ont participé au Forum de 2008.