Abstracts
Résumé
En France, l’organisation des services de santé périnatale subit actuellement de profondes mutations en raison de la restructuration de l’offre de soins et notamment en raison de la fermeture des petites ou moyennes maternités. Au-delà des polémiques suscitées lors de la suppression d’un établissement, ces restructurations ont-elles des répercussions sur l’accessibilité aux maternités pour les parturientes ? À la suite des fermetures successives de maternités, notre étude a pour objectif de présenter les recompositions des pratiques spatiales des femmes et de lire les nouvelles aires d’attraction. Le territoire d’étude est la région Bourgogne, territoire hétérogène, aux forces centrifuges associant des zones urbaines, périurbaines et rurales enclavées. Cette étude met en évidence les inégalités spatiales d’accès aux soins et apporte des éléments d’analyse face aux questions d’équité que se posent les décideurs et les professionnels de santé publique.
Mots-clés:
- Maternité,
- accessibilité spatiale,
- inégalités,
- aires d’attraction,
- flux,
- Bourgogne
Abstract
The organization of perinatal healthcare services in France is undergoing significant change due to the restructuring of maternity healthcare services and in particular the closure of small and medium sized maternity units. Beyond the strong local reactions and debate provoked by the closure of these maternity units, is it reasonable to say that changes of this kind affect access to maternity care by expectant mothers during pregnancy or delivery ? The goal of our study is to examine changes in the impact of successive closures of maternity units on spatial accessibility for pregnant women and identify the corresponding new catchment (service) areas. The study covers the Burgundy region, a heterogeneous combination of urban, suburban and rural enclaves, all of which are subject to centrifugal forces. The study highlights spatial inequalities in access to perinatal care and identifies factors that policy makers and public health professionals must take into consideration when addressing equity issues.
Keywords:
- Maternity unit,
- spatial accessibility,
- inequality,
- catchment area,
- flux,
- Burgundy
Resumen
En Francia, la organización de servicios de salud perinatal atraviesa actualmente profundas transformaciones ocasionadas por la restructuración de la oferta de servicios sanitarios, debido principalmente del cierre de medias y pequeñas maternidades. Más allá de la polémica provocada, se pregunta si tales restructuraciones repercuten en la accesibilidad de las parturientas a las maternidades.Después que varias maternidades han cerrado, una después de la otra, este estudio tiene por objetivo de presentar la recomposición de las prácticas espaciales de las mujeres y de leer cuales son las nuevas áreas de atracción.La región del estudio es la de Bourgogne, territorio heterogéneo con fuerzas centrífugas que asocian zonas urbanas, periurbanas y enclaves rurales. Se pone igualmente en evidencia las desigualdades espaciales de acceso a los servicios sanitarios y provee elementos de análisis sobre cuestiones de equidad que dirigentes y profesionales en salud pública se plantean.
Palabras claves:
- Maternidad,
- accesibilidad espacial,
- desigualdades,
- áreas de atracción,
- flujo,
- Bourgogne
Article body
Introduction
Dans des pays comme la Finlande (Viisainen et al., 1999), la France (Pilkington et al., 2008) ou encore les États-Unis (Nesbitt, 1996), l’organisation des services de santé périnatale subit actuellement de profondes mutations en raison de la restructuration de l’offre de soins. En France, à la suite de la fermeture des maternités de proximité de moins de 300 accouchements par an [1], le nombre de maternités est passé de 759 en 1998 à 585 en 2006 (Blondel et al., 2011). La distance minimum à la maternité la plus proche a elle aussi évolué, passant de 6,6 km en 1998 à 7,2 km en 2003 (Pilkington et al., 2008). En 2008, si le temps d’accès moyen à la maternité la plus proche est estimé à 11,4 minutes sur l’ensemble du territoire métropolitain, d’importantes disparités spatiales persistent (Trugeon et al., 2010).
En terme de santé publique, des études mettent en évidence une relation significative entre l’augmentation des temps de trajet à la maternité et l’augmentation du nombre d’accouchements inopinés hors maternité (c’est-à-dire hors cas d’accouchement à domicile planifié avec une équipe médicale) (Chabernaud, 2004 ; Combier et al., 2007 ; Blondel et al., 2011). Or, l’accouchement inopiné extra hospitalier est considéré comme une situation à risque pour la mère et pour l’enfant (Chabernaud, 2004). En Finlande, comparé aux naissances réalisées dans un hôpital, le risque de mortalité périnatal est 2,5 fois plus élevé chez les enfants nés lors d’un accouchement inopiné hors maternité (Viisainen et al., 1999). En France, le risque d’accouchement inopiné extrahospitalier est plus élevé chez les femmes qui résident à plus de 30 minutes d’une maternité (Blondel et al., 2011). Aux Pays-Bas, le risque de mortalité et de morbidité périnatale augmente lorsque le temps de trajet entre le domicile de la femme et la maternité est supérieur à 20 minutes (Ravelli et al., 2010). Cependant, les auteurs soulignent aussi le peu de travaux menés sur l’impact de la distance d’accès à l’offre dans le domaine de l’obstétrique et plus spécifiquement lors de l’accouchement. Ainsi, dans un contexte de restructuration de l’offre, il devient important de mieux comprendre les logiques spatiales des femmes et d’évaluer l’impact des restructurations sur les temps d’accès à la maternité lors de l’accouchement.
Notre recherche a pour objectif d’analyser – en région Bourgogne – les recompositions des pratiques spatiales des femmes, induites par les fermetures successives de maternités et de proposer une lecture des nouvelles aires d’attraction. Dans cet article, sont présentées 1) les évolutions des temps de trajet à la maternité la plus proche induites par les fermetures successives sur une période de 10 ans (de 2000 à 2009) dans la région Bourgogne et 2) l’analyse des modifications des flux des femmes lors de l’accouchement après la fermeture de trois maternités : celle d’Avallon en 2002 et celles de Clamecy et de Châtillon-sur-Seine en 2008.
Territoire d’étude : la région Bourgogne, un territoire hétérogène aux forces centrifuges
La Bourgogne, vaste région au coeur de la France, composée de quatre départements (la Côte d’or, la Saône-et-Loire, la Nièvre et l’Yonne), est caractérisée par des milieux naturels très divers. À l’est, on trouve des plaines d’effondrement (plaine de la Saône) ; au nord et à l’ouest, de bas plateaux de bassins sédimentaires formant la Basse-Bourgogne (régions de Chablis et d’Auxerre) ; au centre et au sud, des massifs anciens et des zones accidentées (massifs du Morvan et de l’Autunois, collines du Charolais, monts du Mâconnais) (figure 1).
La Bourgogne bénéficie de sa situation entre les deux pôles économiques majeurs français : le nord de la région profite de ses échanges avec Paris, et le sud avec Lyon. La région joue un rôle de carrefour national, mais cet étirement au nord et au sud accentue d’autant la situation de désertion du centre. Bien que l’axe autoroutier le plus emprunté de France (autoroute A6) traverse la région du nord au sud, il existe des zones difficiles d’accès, notamment le centre de la région, point de jonction des quatre départements où le massif du Morvan culmine à 901 m. Il est plus facile de le contourner que de le traverser et sa position centrale rend les liaisons est-ouest difficiles.
Le territoire bourguignon rassemblait 1 631 000 habitants au 1er janvier 2008 soit 2,6 % de la population métropolitaine française et, avec une superficie de 31 600 km2, la région représente 6 % du territoire métropolitain. La densité d’habitants est faible puisqu’elle est en moyenne de 51 habitants/km2 contre 108 pour l’ensemble de la France. Mais la population y est très inégalement répartie : la zone la plus peuplée de la région se situe à l’est sur un axe Dijon – Beaune – Chalon-sur-Saône – Mâcon, les zones les plus faiblement peuplées étant situées dans le Châtillonnais (figure 1). La région a un caractère rural très marqué : 33 % de la population vit dans des communes appartenant à l’espace à dominante rurale (moyenne nationale : 18 %) (Lix, 2010). Seules 16 communes comptent plus de 10 000 habitants. L’agglomération de Dijon (238 100 habitants en 2006), unique commune de plus de 100 000 habitants en Bourgogne, concentre 15 % de la population régionale. La ville de Chalon-sur-Saône compte 75 500 habitants. Suivent Nevers (57 500 habitants), Mâcon (46 600), Montceau-les-Mines (43 400) et Auxerre (40 900). Le contraste entre le centre de la région et les territoires périphériques, où se situent toutes les grandes agglomérations, est saisissant.
Bien que la Bourgogne soit la seconde région agricole de France, l’activité économique de la région s’appuie aussi sur l’industrie et le tourisme. En terme de revenu (niveau moyen), la Bourgogne est l’une des 11 régions françaises les mieux dotées avec un taux de chômage faible (8,8 %, fin 2009), mais avec des écarts importants entre les départements. En effet, si celui de la Côte d’Or bénéficie du dynamisme de l’agglomération dijonnaise et affiche, fin 2009, un taux de chômage de 7,9 %, le département de l’Yonne enregistre un taux de 9,5 % (www.insee.fr).
Organisation du relief, histoire, répartition de la population et dynamisme économique actuel font de la Bourgogne une région mosaïque, aux fortes inégalités internes.
Localisation et évolution de l’offre de maternités
La Bourgogne disposait de 25 maternités en 1997, 18 en 2000 et 15 en 2009. Durant la période 2000-2009, trois maternités publiques[2] ont été fermées : celle située dans la commune d’Avallon en 2002 et celles des communes de Clamecy et de Châtillon-sur-Seine en 2008 (figure 1). À la suite de ces fermetures, la Côte d’Or comptait quatre maternités dont une privée en 2009, deux d’entre elles étant situées dans la commune de Dijon (la maternité privée et une des maternités publiques). Dans la Nièvre, on recensait trois maternités dont une privée et seulement deux maternités publiques dans le département de l’Yonne. La Saône-et-Loire était équipée d’une maternité privée participant au service public et de cinq maternités publiques jusqu’à la fin de 2009 (fermeture de celle de Montceau-les-Mines en octobre 2009). Le Centre hospito-universitaire (CHU) de Dijon accueille la maternité de niveau III de Bourgogne [3], c’est-à-dire celle qui assure la prise en charge des accouchements prématurés avant 32 semaines d’aménorrhée (SA) (Combier et de Pouvourville, 1999). Par ailleurs, les maternités de Mâcon, Chalon-sur-Saône, Nevers, Sens, Auxerre et Dijon sont des établissements dits de niveau II (dotés d’une unité de néonatalogie) voire pour certaines, de niveau IIb (dotées d’une unité de soins intensifs en néonatalogie) et peuvent prendre en charge les accouchements prématurés à partir de 32 SA. Les autres maternités sont des établissements de proximité de niveau I, c’est-à-dire équipés d’une unité d’obstétrique convenant à la prise en charge des grossesses et des accouchements a priori sans risque.
Méthodes
Source des données individuelles : recueil du PMSI
En France, un recueil systématique de tous les séjours de patients est réalisé dans le cadre du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Tout séjour hospitalier en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) donne lieu à la production d’un document, tant dans un établissement hospitalier du secteur public (depuis 1994) que du secteur privé (depuis 1996) : le résumé de sortie standardisé (RSS). Ce résumé contient des informations administratives (âge, sexe, lieu de résidence) et des informations médicales (soins reçus, diagnostics posés, type d’actes effectués) sur le patient. La transmission de ces informations aux professionnels de la santé ou aux services de l’État se fait, après que les données ont été rendues anonymes, au moyen du résumé de sortie anonyme (RSA). Le code géographique du lieu de résidence disponible dans les bases PMSI est très proche du découpage par code postal. Par ailleurs, le résumé contient le numéro de l’établissement dans lequel a eu lieu l’hospitalisation (fichier national des établissements sanitaires – FINESS) permettant ainsi de localiser la maternité d’accouchement.
Recueil des données du PMSI « élargi » en Bourgogne
Pour l’évaluation annuelle des maternités, le Réseau périnatal de Bourgogne, qui regroupe l’ensemble des établissements d’accouchement de la région administrative, utilise des données recueillies dans le cadre du PMSI, pour toutes les naissances et certains événements de santé après 22 SA (interruption médicale de grossesse, mort foetale in utero) survenus dans les établissements de la région (Cornet et al., 1999). Depuis 2000, le contrôle de l’exhaustivité du recueil est fait tous les ans, pour toutes les maternités de la région.
Le PMSI est dit « élargi » car, en plus du recueil habituel (code postal de résidence, âge maternel, pathologies de la grossesse, antécédents obstétricaux, type d’accouchement, poids de l’enfant et état de l’enfant à la naissance), les services fournissent des données systématisées sur le terme à la naissance et sur des caractéristiques de la mère (famille monoparentale, absence de couverture sociale) (Sagot et al., 2003). Par ailleurs, pour faire le lien entre la mère et l’enfant, une technique de chaînage qui permet d’accoler les séjours, tout en garantissant l’anonymat a été mise au point (Quantin et al., 1998 ; Cornet et al., 2001).
Estimer les temps d’accès aux maternités de la région Bourgogne
Les distances entre les communes et la maternité intrarégionale la plus proche ainsi que les flux des femmes lors de l’accouchement ont été analysés à trois périodes : 1) de 2000 à 2001 inclusivement, 2) de 2003 à 2007 inclusivement, et enfin 3) l’année 2009. Les années de fermeture de maternité, en l’occurrence 2002 (fermeture d’Avallon) et 2008 (fermeture de Clamecy et de Châtillon-sur-Seine), ont été exclues des analyses. Dans une première étape, les distances ont été estimées en minutes de transport à partir des logiciels Chronomap© et MapInfo© et à partir du réseau routier (Routes500® IGN) à l’échelle des communes (N=1962), de centroïde à centroïde, pour l’ensemble des maternités de la région Bourgogne. Les estimations des temps d’accès n’ont pas pris en compte les maternités des départements voisins. La valeur du temps de trajet des villes équipées d’une maternité a été codée 0. Dans les analyses, les temps de trajet ont été divisés en six classes de 15 min : 0, 1-15 min, 16-30 min, 31-45 min, 46-60 min et 61-75 min. Les communes dans lesquelles aucune naissance n’a été enregistrée entre 2000 et 2009 ont été exclues des analyses.
Évaluer les flux des femmes lors de l’accouchement
Les données concernant les flux domicile-maternité pour les femmes lors de l’accouchement sont issues de l’extraction du PMSI élargi pour la région Bourgogne sur une période de 10 ans, de 2000 à 2009. Nous disposons des informations concernant le code postal de résidence de la mère, et la commune de l’établissement d’accouchement pour les femmes qui résidaient et qui ont accouché en Bourgogne de 2000 à 2009 : soit 127 518 accouchements survenus de 22 à 43 SA, mort-nés inclus.
Résultats
Évolution des temps d’accès aux maternités bourguignonnes
De 2000 à 2007, à l’échelle des communes, la très faible évolution des temps d’accès moyen (24,4 et 24,9 min) à la maternité bourguignonne la plus proche n’est pas significative (p=0,06). Durant la période 2007-2009, l’augmentation des temps de trajet est plus significative, passant de 24,9 à 28,7 min (p<0,0001). Par ailleurs, si le temps moyen n’augmente que de 4 min entre 2000 et 2009, le temps de trajet maximum augmente nettement entre ces deux dates, passant de 65 à 86 min. La figure 2 présente l’évolution des temps de trajet pour les communes de la région Bourgogne. Entre 2000 et 2009, on observe un accroissement du nombre de communes localisées à plus de 30 min d’une maternité située en Bourgogne. Ainsi, 11 345 femmes en âge de procréer (entre 15 et 45 ans – recensement 2006 - INSEE) qui étaient en 2001 situées à moins de 30 min d’une maternité, doivent aujourd’hui parcourir plus de 30 min de trajet pour accéder à une maternité (tableau 1).
Une nouvelle catégorie de communes situées à plus d’une heure de la maternité la plus proche, dont six qui ont des temps d’accès supérieurs à 80 min, apparaît en 2009 dans le secteur du Haut-Morvan après la fermeture de la maternité de Clamecy (figure 2c). Dès lors, pour 2511 femmes en âge de procréer, la maternité la plus proche est située à plus d’une heure de trajet (tableau 1). Par ailleurs, entre 2001 et 2009, 3 368 (3,3 %) femmes sont passées d’un temps de trajet équivalent à 0 (résidaient dans une commune avec une maternité) à des temps de trajet supérieurs à 30 min.
Sur la période 2000-2001, un gradient urbain-rural apparaît : les temps les plus élevés sont observés dans le Morvan et dans des territoires périphériques, en limite régionale. Après la fermeture de la maternité d’Avallon en 2002 (figure 2b), le temps de trajet augmente pour les communes situées dans la partie nord du Morvan. Après la fermeture de la maternité de Clamecy (2008), située elle aussi dans cette partie centrale de la Bourgogne, d’une part le périmètre des communes du Morvan concernées par une augmentation des distances-temps s’agrandit (figure 2c) et, d’autre part, les communes situées en bordure des départements de la Nièvre et de l’Yonne ont dorénavant des temps d’accès supérieurs à 30 min. La figure 3 représente la localisation des communes dont les temps de trajet ont augmenté à deux reprises à quelques années d’intervalle à la suite des fermetures successives des maternités d’Avallon et de Clamecy.
La figure 4 décrit l’augmentation des temps d’accès pour ces communes aux trois périodes de temps. Vingt quatre communes situées dans le Morvan (en partie dans le département de la Nièvre et dans celui de l’Yonne) ont connu « une double peine ». Certaines d’entre elles (par exemple Sermizelles, Givry, Dermey-sur-Levault, Blannay) sont passées de 15 à 30 min de trajet après la fermeture d’Avallon en 2002, pour se situer aujourd’hui à plus de 40 min d’une maternité après la fermeture de Clamecy. Ces 24 communes ont enregistré 538 naissances de 2000 à 2009, soit une moyenne de 54 naissances par an (état civil).
Dans le cas des territoires en limites régionales – dont les temps d’accès supérieurs à 30 min sont équivalents pour les trois périodes – l’hypothèse la plus probable est l’existence d’effets de bord. En effet, seules les maternités de la région Bourgogne ont été considérées dans nos estimations, sans prise en compte de l’existence de maternités localisées dans les départements limitrophes des régions voisines. Ainsi, par exemple, les femmes de la partie est de la Saône-et-Loire peuvent se rendre à la maternité de Lons-le-Saunier dans le département du Jura (figure 2). Cependant, le fait de ne pas disposer des données extrarégionales n’influe pas sur les temps d’accès et sur les flux vers les maternités, observés dans les communes situées dans le secteur du Haut-Morvan, partie centrale de la Bourgogne. Dans le cas du bassin de Châtillon-sur-Seine, bien que les communes se situent à proximité de la limite régionale, l’influence de maternités dans les départements voisins sur les temps d’accès reste limitée. Dans ce secteur, les temps d’accès n’augmentent qu’à partir de 2009 (figure 2c), année de fermeture de la maternité.
En regard de l’évolution des temps de trajet à une maternité observée en Bourgogne à l’échelle des communes, il est nécessaire de s’interroger sur les modifications des flux des femmes lors de l’accouchement. Ainsi, comment les pratiques spatiales des femmes se sont-elles modifiées au fur et à mesure de la fermeture des maternités ?
Évolution des flux vers la maternité lors de l’accouchement
La figure 5 décrit les principaux flux de femmes vers la maternité lors de l’accouchement durant les trois périodes. En raison de son plateau technique (unité de réanimation néonatale et adulte), les grossesses pathologiques ou considérées comme à risque sont orientées vers la maternité du CHU de Dijon (niveau III). De fait, l’aire d’attraction de cette maternité s’étend sur l’ensemble de la région. La hiérarchisation des niveaux de soins des établissements peut ainsi expliquer certains flux observés, notamment ceux vers la maternité de niveau III de Dijon, flux qui ne sont pas en direction de la maternité la plus proche. Selon un récent rapport de l’IRDES, 27 % des femmes de Bourgogne résident à plus de 1h30 de la maternité de niveau III de Dijon (Coldefy et al., 2011), ce qui fait de la Bourgogne une des régions les moins bien desservies en maternité de niveau III.
Ces cartes mettent aussi en évidence les modifications des flux au fur et à mesure de la restructuration de l’offre en maternité. Ainsi, après la fermeture d’Avallon, les femmes se sont principalement reportées vers le nord et l’est de la Bourgogne, en direction des maternités d’Auxerre et de Semur-en-Auxois (figure 5b). Pour celles qui résidaient dans le Morvan versant Nièvre, une tendance apparaît en direction de la maternité de Clamecy. Aucun flux n’est observé vers la maternité d’Autun, dont l’accès pour ces femmes nécessiterait de traverser le massif du Morvan.
En 2009, on observe l’élargissement du bassin d’attraction de la maternité de Semur-en-Auxois qui, après avoir absorbé une partie des flux attribuables à la fermeture d’Avallon, étend son aire d’attraction vers le sud-ouest (fermeture de Clamecy) et vers le nord (fermeture de Châtillon). Les femmes de l’ancien secteur de Clamecy se sont donc principalement reportées vers les maternités d’Auxerre (au nord), de Nevers (au sud) et de Semur-en-Auxois. En 2009 (figure 5c), les données concernant les flux en direction de la maternité de Decize (Nièvre) n’ont pas été transmises et ne sont donc pas reportées sur la carte ; cette maternité a fermé ses portes en février 2010.
Discussion et conclusion
La fermeture de trois maternités de proximité en l’espace de huit ans en Bourgogne a modifié les flux des femmes, lors des accouchements dans cette région. Cette restructuration de l’offre de soins a notamment influencé les pratiques spatiales des femmes qui résidaient dans les communes de la partie nord du Morvan et a augmenté les temps d’accès à la maternité la plus proche lors de l’accouchement. Les distances estimées dans notre étude sont similaires à celles établies dans de récentes recherches sur l’accessibilité spatiale à l’offre de soins en France (Trugeon et al., 2010 ; Coldefy et al., 2011). Selon le rapport de l’IRDES, en région Bourgogne, 43 % des communes (soit 21 % de la population féminine en âge de procréer) sont situées à plus de 32 minutes d’une maternité (tous niveaux confondus) en 2007.
Conformément au décret publié en 1998, les maternités fermées ont été remplacées par des centres périnatals de proximité (CPP) [4] dont les missions sont d’assurer les consultations pré et postnatales, les cours de préparation à la naissance, etc., mais en aucun cas d’effectuer des accouchements. Au moment de la fermeture des maternités, plusieurs maires aux alentours de Clamecy et de Châtillon-sur-Seine ont, symboliquement, pris des arrêtés municipaux enjoignant « les femmes enceintes à quitter le territoire communal dès le 1er juillet 2008 [date de la fermeture de la maternité de Châtillon ; 1er Avril 2008 pour celle de Clamecy] ». Le maire de Châtillon précise que la fermeture de la maternité « met en situation d’insécurité, menace l’intégrité physique et ne garantit pas les conditions de survie de l’enfant à naître sur les six cantons du pays châtillonnais [en conséquence,] il est interdit à toute femme [de la commune] de procréer » (Journal Le Point, 5 Juin 2008).
Au-delà du débat et des vives réactions suscitées lors de la fermeture d’un service d’obstétrique de proximité (O’Dowd, 2007), la question de la qualité de la prise en charge des urgences vitales que sont, par exemple, les urgences obstétricales de survenue inopinée [5] reste posée. En planification sanitaire, deux pôles sont généralement opposés : sécurité-qualité, d’une part, et accessibilité spatiale-proximité, d’autre part (Vigneron, 2001). C’est cette recherche de qualité des soins liée à la concentration des moyens qui est un des objectifs des décrets du 9 octobre 1998 prenant acte de la fermeture des petites maternités de moins de 300 accouchements. Pour la population, le risque hospitalier dans un contexte d’urgence vitale est décomposé en deux parties : le risque extrahospitalier, c’est-à-dire le risque de décéder avant d’arriver à l’hôpital, et le risque intrahospitalier, c’est-à-dire le risque de décéder une fois la parturiente admise à l’hôpital. Si l’objectif de la planification sanitaire est de maintenir l’égalité des chances pour toutes, c’est le risque global (extra et intrahospitalier) qui doit être pris en compte (Combier et al., 2007).
Dans la littérature consacrée au risque intrahospitalier, les résultats des études sont contradictoires et ne permettent pas de conclure à une augmentation systématique du risque, pour l’enfant comme pour la mère, lorsque la taille des maternités diminue (Combier et al., 2007). Si dans le cas d’enfants de très faibles poids de naissance (<1500g) ou très grands prématurés (<29 SA), des études montrent que les chances de survie de l’enfant augmentent lorsque l’accouchement a lieu dans un établissement équipé d’un service de soins intensifs néonatals (Phibbs et al., 2007), des recherches menées en Finlande montrent que les hôpitaux de proximité ont le même niveau de sécurité lorsque les femmes sont correctement orientées avant l’accouchement vers des établissements adaptés (Viisainen et al., 1999 ; Hemminki et al., 2011). Un audit clinique évaluant un protocole régional de prise en charge des cas graves d’hémorragies du postpartum en Basse-Normandie ne met pas en évidence des différences de qualité de prise en charge entre le CHU (maternité de niveau III) et les autres maternités de la région (Lefevre et al., 2009). A contrario, une précédente étude française montre des différences significatives dans la qualité de prise en charge des hémorragies de la délivrance selon l’organisation des soins (présence constante d’un anesthésiste, seuil des 500 accouchements par an) dans trois régions françaises (Champagne-Ardenne, Centre et Lorraine) (Bouvier-Colle et al., 2001).
Dans le cas du risque extrahospitalier, les résultats sont tout aussi contrastés. Une récente étude menée sur une large population de nouveau-nés (N = 751 926) aux Pays-Bas met en évidence une association positive significative entre temps d’accès et mortalité du nouveau-né à terme après ajustement sur les caractéristiques des femmes (Ravelli et al., 2010). Ainsi, le fait de résider à plus de 20 minutes d’une maternité augmente le risque de problème de santé à la naissance (score d’Apgar à 5-minutes inférieur à 4 [6], transfert en unité de soins néonatals) et de mortalité périnatale. Des résultats similaires ont été observés en France (Blondel et al., 2011) et au Japon (Mine et Babazono, 2004). A contrario, des études menées au Royaume-Uni ne trouvent pas d’association significative entre temps de trajet à la maternité la plus proche et état de santé de l’enfant à la naissance (Parker et al., 2000 ; Dummer et Parker, 2004). Des recherches complémentaires sont donc encore nécessaires pour analyser les relations entre distance d’accès à la maternité et état de santé périnatale ainsi que la question de l’accessibilité, au sens large, aux maternités lors de l’accouchement (Penchansky et al., 1981 ; Sutherns et Bourgeault, 2008). De telles analyses sont en cours pour la région Bourgogne dans le cadre du présent projet de recherche « Territoires de vie, santé périnatale et adéquation des services de santé ».
Ainsi, il est aujourd’hui largement reconnu que les deux dimensions accessibilité spatiale et qualité-sécurité ne doivent plus être opposées, mais conciliées au sein de la planification sanitaire. L’isolement géographique doit être retenu comme un des critères de dérogation, lors de restructurations hospitalières. De telles dispositions sont prévues dans le décret de 1998 puisque une dérogation pour maintenir ouverte une maternité de proximité peut être prononcée lorsque « l’éloignement des établissements pratiquant l’obstétrique impose des temps de trajet excessifs à une partie significative de la population ». Cependant, aucun élément n’est venu préciser ce que le législateur considère comme des « temps de trajet excessifs » ou une « partie significative de la population » (Combier et al., 2007). Si la nouvelle loi de santé publique Hôpital, santé, patient et territoire (HPST) introduit l’accessibilité géographique aux soins comme une des priorités et stipule que « l’accès aux soins de premier recours ainsi que la prise en charge continue des malades sont définis dans le respect des exigences de proximité, qui s’apprécie en termes de distance et de temps de parcours, de qualité et de sécurité »¯, cette loi n’apporte pas plus de précision sur les « distances et temps de parcours », donc sur la proximité géographique. Récemment, une proposition de loi visant à normaliser les schémas régionaux d’organisation des soins (SROS) propose d’élaborer les futurs SROS en veillant à ce que la durée d’accès à un médecin généraliste et à une maternité « n’excède pas trente minutes de trajet automobile dans les conditions normales de circulation du territoire concerné » [7]. Or, en Bourgogne, nos résultats montrent que 11 345 femmes en âge de procréer (recensement 2006-INSEE) résidaient à plus de 30 minutes de trajet d’une maternité, en 2009. La question de l’accessibilité géographique à des soins adaptés et de qualité implique autant les professionnels de la santé publique que les élus ou les professionnels de l’aménagement du territoire devant répondre au défi de l’équité spatiale d’accès aux soins, enjeu majeur de santé publique.
Notre travail de recherche présente un certain nombre de limites qui doivent être discutées. Les informations sur les temps de trajet entre les communes de Bourgogne et la maternité la plus proche ont été obtenues par estimation (de centroïde à centroïde). Ces estimations ont été établies pour des trajets réalisés en condition normale de circulation sans prise en compte d’informations relatives aux conditions de circulation par la route (congestion) et aux aléas climatiques (routes enneigées, verglas, brouillard), qui augmentent les temps d’accès même lors d’un transport en ambulance. Par conséquent, dans nos analyses, les temps d’accès peuvent être sous-estimés. Pour transporter une femme vers une maternité, il est bien sûr possible d’avoir recours à l’hélicoptère. Cependant, le territoire du Morvan – qui connaît les temps d’accès à une maternité les plus importants par la route – est aussi celui où les conditions climatiques sont les plus rudes : entre 100 et 158 jours de brouillard par an, en moyenne. Or, par temps de brouillard, il est impossible d’assurer un transport par hélicoptère, sauf si l’appareil est muni d’équipements spécifiques, ce qui n’est pas le cas actuellement. Par ailleurs, lors des calculs, le temps d’accès a été fixé à 0 lorsque la commune est équipée d’une maternité ; ce choix induit un biais pour les communes étalées que ce soit en milieu urbain (la ville de Dijon, par exemple) ou en milieu rural (Coldefy et al., 2011).
Les données disponibles pour réaliser l’analyse de l’évolution des flux des femmes lors de l’accouchement, sur une période de 10 ans à l’échelle d’une région, sont celles issues du recueil du PMSI, dans lequel seul le code postal de résidence de l’usager est reporté. Par ailleurs, les informations relatives au mode de transport utilisé pour se rendre à la maternité ou encore le temps de trajet entre le domicile et la maternité ne sont pas indiqués. Si la base de données du PMSI permet une description longitudinale et exhaustive des hospitalisations dans l’ensemble du territoire français, ces données ne peuvent pas être exploitées pour réaliser des analyses géographiques à des échelles fines qui tiendraient compte de spécificités territoriales locales.
Ce travail de recherche a permis d’identifier des inégalités spatiales d’accès aux maternités lors de l’accouchement et d’analyser l’évolution des flux. Il apporte aussi des éléments de lecture de réalités géographiques relativement aux questions d’équité d’accès aux soins, questions que se posent les décideurs et les professionnels de santé publique, notamment dans des territoires ruraux enclavés comme c’est souvent le cas dans la région Bourgogne. Une attention particulière doit être accordée à l’organisation des services de santé dans ces territoires isolés afin de tendre à l’égalité d’accès aux soins notamment dans les situations d’urgence.
Appendices
Remerciements
Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet Territoires de vie, santé périnatale et adéquation des services de santé, coordonné par Jennifer Zeitlin (INSERM U953) et financé par l’Institut de recherche en santé publique (IRESP, Appel à projets Territoires et santé). Certaines données analysées dans ce travail sont issues de la base annuelle du Réseau périnatal de Bourgogne qui bénéficie d’un financement par le Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS).
À ce titre, nous tenons à remercier les membres du réseau périnatal de Bourgogne : tous les médecins et les sages-femmes des hôpitaux de la région Bourgogne (CH de Sens, Auxerre, Nevers, Dijon, Beaune, Chalon-sur-Saône, Mâcon, Montceau-les-Mines, Paray-le-Monial, Le Creusot, Semur-en-Auxois, Châtillon-sur-Seine, Autun, Decize, Avallon, Clamecy, clinique Sainte-Marthe, clinique de Chenôve, clinique d’Auxerre et clinique du Nohain).
Notes
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[1]
Décret n°98-900 du 9 octobre 1998, publié au Journal officiel du 10 octobre - Art. R. 712-88. – « L’autorisation d’obstétrique ne peut être accordée ou renouvelée [...] que si l’établissement justifie d’une activité minimale annuelle constatée, ou prévisionnelle en cas de demande de création, de 300 accouchements. Toutefois, elle peut exceptionnellement être accordée à titre dérogatoire lorsque l’éloignement des établissements pratiquant l’obstétrique impose des temps de trajet excessifs à une partie significative de la population. »
-
[2]
Le système hospitalier français se caractérise par la coexistence d’établissements de soins publics et privés (Code de la santé publique, sixième partie – Livre Ier). Les établissements privés sont gérés par une personne morale de droit privé. Sous la dénomination d’établissements de soins privés, on distingue ceux qui poursuivent un but lucratif de ceux qui participent au service public hospitalier (PSPH – récemment renommé Établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC)). Pour ces derniers, les modes de financement et de contrôle sont identiques à ceux des établissements de soins publics. En 2007, le secteur public représente 64 % des maternités, celui des établissements privés à but non lucratifs 7 % et le secteur privé à but lucratif, 29 % (Exertier et Minodier, 2010).
-
[3]
Les deux décrets n°98-899 et n°98-900 du 9 octobre 1998, publiés au Journal officiel du 10 octobre, s’inscrivent dans un plan d’ensemble qui vise à mettre en réseau les maternités selon une hiérarchisation des niveaux de soins pour assurer la prise en charge de la mère et du nouveau-né. Les maternités de niveaux I disposent d’une unité d’obstétrique adaptée aux grossesses et accouchements a priori sans risques. Les maternités de niveaux II peuvent prendre en charge certaines pathologies du nouveau-né nécessitant une hospitalisation et des soins spécialisés mais non intensifs (niveau IIa) ou, si besoin, en unité de soins intensifs (niveau IIb). Les maternités de niveaux III assurent la prise en charge des grossesses à haut risque et disposent d’une unité de réanimation néonatale et d’un service de réanimation adulte. Ce décret impose aussi à toutes les maternités de faire partie d’un réseau de périnatalité qui organise les modes d’intervention.
-
[4]
Décret n°98-900 du 9 octobre 1998, publié au Journal officiel du 10 octobre - Art. R. 712-88. – « Les établissements qui ne sont plus autorisés à pratiquer l’obstétrique peuvent continuer à exercer des activités pré et postnatales sous l’appellation de « centre périnatal de proximité » [...] [qui] peut assurer les consultations pré et postnatales, les cours de préparation à la naissance, l’enseignement des soins aux nouveau-nés et les consultations de planification familiale. »
-
[5]
Par exemple, dans le cas d’hémorragies de la délivrance (1ère cause de mortalité maternelle en France (Lefevre et al., 2009) ou encore d’éclampsies ou de rupture de grossesse extra-utérine (GEU).
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[6]
Le score Apgar est une évaluation de la vitalité du nouveau-né à la naissance, administré 60 secondes et 5 minutes après la naissance.
-
[7]
[En ligne.] http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/schemas_regionaux_soins.asp
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