Article body

Introduction

Lancé en France le 31 janvier 2001 par le ministère de la Santé, le Programme national nutrition santé (PNNS) inaugure une politique préventive de santé publique dont l’objectif général est d’améliorer l’état de santé de la population en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs, la nutrition. Justifié par la volonté de réduire les risques associés aux consommations alimentaires déséquilibrées et à la sédentarité, il s’appuie sur une acception large de la nutrition qui intègre l’alimentation et les dépenses énergétiques par l’activité physique, dont l’augmentation est un objectif à part entière du programme [1]. Issu d’une tradition de « gouvernement de la vie » (Fassin, 1996) qui, historiquement, a impulsé la médicalisation progressive du corps social et l’émergence d’une administration collective de la santé (Cattacin et Lucas, 1999), ce plan de prévention s’inscrit dans un processus plus général d’institutionnalisation du positionnement de l’État comme chef de file dans ce secteur. Cette stratégie, que consacrent avec le PNNS plusieurs programmes et lois relatives à la politique de santé publique, vise autant à consolider les dispositifs en matière de lutte contre les inégalités sociospatiales de santé (Rican et al., 2011) que la maîtrise des coûts (Mossé et Pierru, 2002) et la mise en cohérence du système alors que se diversifient les acteurs qui participent à la conception et à la mise en oeuvre de politiques de prévention et d’éducation à la santé (associations, réseaux de santé, représentants locaux des ministères de l’Éducation nationale et de l’Agriculture, collectivités territoriales, entreprises agroalimentaires, etc.).

Dans ce contexte d’ouverture de l’action publique, l’échelon régional devient progressivement le niveau pertinent de pilotage des politiques publiques pour que l’État conserve la gouvernance générale du système de santé. En ce sens et dans le cadre de l’application du PNNS, le Préfet de région et, pour exécution, les anciennes Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et désormais les Agences régionales de santé (ARS) [2] se voient confier la mission de relayer les objectifs, principes et repères du programme sur les territoires et, également, de susciter la participation des acteurs locaux dans une perspective de construction collective de l’action publique [3]. À ce titre, les DRASS et les ARS sont chargées d’organiser l’animation et le pilotage d’un partenariat multiniveaux avec les intervenants publics et privés que ce champ intéresse ou mobilise. Ainsi, et parce que l’exigence de coopération ne va jamais de soi, la mise en oeuvre du PNNS en région pose directement la question des outils, méthodes et formes de gouvernance territoriale mobilisés par l’État pour produire une action coordonnée et transversale. Une telle interrogation invite l’analyste à apprécier, « au plus près », les modes de territorialisation de ce programme et leurs effets réels tant sur le degré d’intégration des diverses initiatives locales que sur le respect des orientations fixées nationalement.

Après avoir présenté les diverses étapes ayant consacré l’espace régional comme cadre de l’aménagement sanitaire de la France et de la coproduction des politiques de santé (Vigneron, 2002 : 41), il s’agit de montrer, au moyen d’une étude menée dans trois régions, que la territorialisation du PNNS, bien qu’apparaissant légitime pour mobiliser différentes catégories d’acteurs locaux et améliorer les réponses à apporter aux populations, soulève des questions quant à sa mise en oeuvre. Cette territorialisation, engendre en effet des interprétations diverses du programme, elles-mêmes sources de disparités territoriales car liées à une fragmentation des responsabilités institutionnelles et des actions produites.

Ainsi et alors que l’enjeu de la territorialisation des politiques de santé consiste à ce que l’État, par ses organes déconcentrés, en conserve le pilotage en produisant des coopérations horizontales et intersectorielles avec ses interlocuteurs locaux (Clavier, 2011), c’est essentiellement la figure d’un État « arroseur arrosé » (Moquay, 2005) qui domine ici, c’est-à-dire celle d’un acteur dans l’incapacité de tenir ce rôle dans une dynamique qu’il a pourtant, en partie, lui-même engagée.

L’espace régional comme cadre de mise en oeuvre et de coproduction des politiques de santé en France

L’État, en France, a historiquement désigné l’échelon régional comme niveau pertinent pour le pilotage de la politique de santé. Plus précisément, la mise en oeuvre de l’action publique sanitaire répond traditionnellement à une logique de « régionalisation » (Jabot et Demeulemeester, 2005 ; Loncle, 2009) selon laquelle le « local » est perçu comme un outil d’organisation et de planification. En effet, depuis l’instauration, par la loi hospitalière du 31 décembre 1970, d’une première « carte sanitaire » dont l’objectif était de réguler et d’équilibrer le parc hospitalier français en fixant des besoins par secteurs et par régions sanitaires, plusieurs mesures visant une planification volontariste de l’espace de santé se sont succédées (Vigneron et Brau, 1996). Parmi elles, la création du Schéma régional d’organisation sanitaire (SROS) [4] en 1991, la mise en place des Agences régionales d’hospitalisation (ARH) en 1996 [5], l’institution des Groupements régionaux de santé publique (GRSP) [6] en 2004, jusqu’à la constitution des ARS en 2009, marquent l’émergence et la reconnaissance progressive de l’échelle régionale dans la gestion et l’organisation du système de santé (Bourdillon, 2005 ; Coldefy et Lucas-Gabrielli, 2008). Plus précisément, l’évolution des dispositifs sanitaires montre une intégration croissante des spécificités locales dans la planification des politiques de santé avec, notamment, la multiplication d’instances régionales compétentes, l’organisation de la concertation avec l’ensemble des partenaires locaux, la définition de priorités de santé et la mise en oeuvre de programmes adaptés. Cette intégration se concrétise aujourd’hui par la consécration d’une « organisation territoriale du système de santé » [7]. Cependant, même si elle se base sur une rhétorique de l’évaluation des besoins de la population et la construction de territoires différenciés, cette dynamique de régionalisation correspond de fait à une déconcentration de la programmation et de la planification en matière de santé et découle, ce faisant, d’une logique centralisatrice (Clavier, 2005). Cela, d’une part, parce que le local reste subordonné à la réalisation des objectifs de la politique de santé publique et constitue l’échelon d’application des plans stratégiques pluriannuels et des programmes nationaux. D’autre part, parce que les principaux gestionnaires des services chargés des questions de santé dans les régions et les départements demeurent des organismes déconcentrés de l’État.

Dans ce cadre, le niveau régional va progressivement devenir un espace de mobilisation d’acteurs non étatiques parmi lesquels se trouvent les collectivités territoriales [8]. Les changements d’échelle amenés par la décentralisation en France (1982-1983) ont effectivement permis une ouverture du jeu en faveur de ces acteurs, même si la réforme ne leur a confié que des compétences limitées en matière de santé publique. Dans cette tension permanente entre déconcentration et décentralisation (Péricard, 2002), la territorialisation des politiques de santé participe donc d’une redéfinition du rôle des acteurs institutionnels et d’une reconfiguration de leurs rapports.

L’acception retenue ici de cette notion correspond ainsi à un double mouvement répondant à des logiques spécifiques. D’un côté, l’État régionalise son action afin de piloter plus efficacement ses politiques publiques et de les ouvrir à plus d’acteurs sociaux. De l’autre, les collectivités territoriales se mobilisent sur des questions fortement investies socialement et porteuses de légitimité. À ce titre, la territorialisation est directement articulée à la dynamique de l’action collective et du partenariat. Autrement dit, analyser les modalités de fabrication de l’action publique dans le champ de la santé publique c’est, ici aussi, considérer que peuvent s’agréger localement des intérêts institutionnels spécifiques et se mettre en place des procédures de traitement des problèmes associant divers acteurs (De Maillard et Roché, 2005).

Ces changements d’échelle attestent d’une nouvelle acception du territoire traduisant les recompositions des modes d’intervention de l’État que les approches classiques sur la gouvernance ne permettent pas de saisir (Jones, 1998 ; Macleod et Goodwin, 1999). En effet, l’observation de signes (la crise économique et sociale, la décentralisation ou l’intégration européenne) indiquant une perte de centralité, voire la contestation de l’État, dans plusieurs pays, a amené de nombreux auteurs à conclure à son « évidement » ou à son déclin (Crouch et Streeck, 1996). Or, si elles confirment également que l’émergence et la diversification d’acteurs organisés érodent la capacité d’action autonome de l’État, les approches contemporaines des politiques publiques montrent que cet État n’en dépérit pas pour autant. Celui-ci étant incité à agir en interaction dans un processus de construction collective de l’action publique, ces mutations se traduisent désormais en enjeux de gouvernance, c’est-à-dire « de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés, incertains » (Le Galès, 1998 : 225). Plusieurs travaux éclairent d’ailleurs la diversité de ces configurations dans lesquelles le rôle et la place de l’État varient entre banalisation et repositionnement favorable à ses services (Le Galès et Thatcher, 1995 ; Leresche, 2001 ; Leloup et al., 2005 ; Lascoumes et Le Galès, 2007). En ce sens, cette multiplicité invite au développement de recherches portant sur les modalités de recomposition des modes d’intervention étatique dans un contexte de pluralisation de l’espace public et de nécessaire construction de relations de coopération et de coordination. Dans cette perspective, le territoire constitue un laboratoire pertinent d’analyse de ces transformations, car il fournit à la fois le cadre où se définissent les problèmes, où se décident et se mettent en oeuvre les politiques publiques et ne constitue plus le seul lieu d’application de mesures élaborées au centre (Offner, 2006).

Pour le programme de santé publique analysé ici, l’espace régional, niveau de mise en oeuvre de la politique nationale selon une démarche verticale descendante, est également un lieu de mobilisation, de socialisation et d’apprentissage de la coopération, c’est-à-dire un système dynamique complexe et évolutif associant des acteurs et l’espace géographique qu’ils utilisent, aménagent et gèrent (Moine, 2006).

Les promoteurs nationaux du PNNS soulignent en effet le rôle déterminant des collectivités territoriales, et plus particulièrement des municipalités, comme relais stratégiques de sa mise en oeuvre. Compétentes en matière de protection de l’hygiène et de la santé et historiquement mobilisées dans la promotion et le développement des activités physiques et sportives, ces municipalités sont invitées, dès 2003, à adhérer au dispositif par l’entremise d’un instrument d’action publique (Lascoumes, 2003) de type conventionnel et incitatif, la charte « Villes actives du PNNS » créée après concertation avec l’Association des maires de France (AMF). Alors que les premières adhésions sont enregistrées en 2004, c’est à partir du deuxième PNNS (2006-2010) qu’elles se multiplient dans l’ensemble des régions françaises. Ainsi, en 2011 et pour le territoire national, la Charte est signée par 258 communes et 11 communautés de communes, soit 0,7 % des communes françaises. Malgré un taux de couverture qui peut paraître très réduit, cette charte touche aujourd’hui plus de 12 millions d’habitants, soit près de 20 % de la population nationale.

Par ailleurs, si le ministère de la Santé définit ici les objectifs, repères nutritionnels et cadres d’intervention, le contenu et les modalités concrètes de l’action publique sont à déterminer localement. En effet, ce programme national, dans ses trois versions (2001-2005, 2006-2010, 2011-2015), mentionne un certain nombre d’applications possibles [9], mais appelle surtout les participants à inventer les règles et le contenu de l’action publique afin d’ajuster leurs réponses aux populations et contextes locaux (Hernandez et Messaoudène, 2010). Parce que la définition retenue de la nutrition convoque plusieurs secteurs d’intervention (santé, alimentation, activité physique, éducation, etc.), donc d’acteurs chargés de les promouvoir ou susceptibles de le faire, c’est dans l’interterritorialité (Vanier, 2008) mais aussi dans l’intersectorialité que doivent être fabriquées les modalités concrètes de l’action collective.

Cette gouvernance territoriale n’étant pas « donnée » pour l’État, mais bien à élaborer et à décoder, il s’est agi pour nous d’étudier empiriquement les formes de régulation instaurées afin de construire une action de prévention destinée à sensibiliser les populations à l’importance de l’alimentation et de l’activité physique pour la santé. L’autonomie accrue des collectivités territoriales depuis la réforme de décentralisation pouvant rendre délicate l’articulation entre leurs actions et celles de l’État, c’est plus particulièrement l’étude des rapports entre ces organes déconcentrés et les municipalités ayant adhéré à la charte « Villes actives » du PNNS qui a mobilisé notre attention. Une telle orientation s’explique par le rôle stratégique que revêtent les communes au regard de l’antériorité de leur engagement, tant en matière de santé que d’activités physiques. Dans cette perspective, une enquête a été réalisée en France dans les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas de Calais [NPdC] [10] car elles paraissaient, a priori, se différencier tant sur la place accordée à la nutrition comme déterminant de santé avant le lancement du PNNS que sur les modalités adoptées de gouvernance territoriale des programmes de santé publique. Dans la région NPdC, une politique de santé publique a, dès les années 1970, progressivement été structurée et organisée par les services de l’État et les collectivités territoriales en réponse à des données socioéconomiques et des indicateurs de santé particulièrement dégradés [11]. La santé des habitants constituant ainsi un « enjeu permanent » (Autès, 2006), cette politique de prévention et de promotion, se voulant par ailleurs globale, est historiquement présentée par les acteurs institutionnels comme concertée et partenariale [12]. A contrario, en Aquitaine et Midi-Pyrénées, régions dans lesquelles les indicateurs de santé sont plus favorables, ce n’est qu’à partir du début des années 2000 que la nutrition a progressivement été intégrée comme déterminant de santé dans divers plans de santé publique. Par ailleurs, les diagnostics réalisés dans le cadre de l’élaboration de ces programmes ont clairement souligné toute la difficulté pour les services déconcentrés de l’État à construire une action concertée dans ce secteur (DRASS Aquitaine, 2003 ; DRASS de Midi-Pyrénées, 2003).

Ainsi, la comparaison engagée dans le dispositif de recherche avait pour objet d’apprécier, empiriquement, si ces configurations régionales distinctes influaient sur les modalités étatiques de pilotage du PNNS en région et, plus particulièrement, sur les formes d’animation et de régulation adoptées par les communes ayant adhéré à la charte « Villes actives » du PNNS. Il est donc moins question ici de décrire les contenus issus de la réalisation du PNNS dans chaque région que d’analyser, dans une perspective de sociologie de l’action organisée, les jeux d’acteurs en présence et les modes de gouvernance territoriale de ce programme instaurés hier par les DRASS et aujourd’hui par les ARS.

Pour ce faire, nous avons effectué des entretiens semi-directifs auprès de 42 responsables politiques et administratifs des 3 régions et de 65 représentants de 25 municipalités ou établissements publics de coopération intercommunales (EPCI) : les élus politiques (conseillers délégués aux sports, à l’action sanitaire, etc.), les directeurs de divers services administratifs (sports, santé, restauration, etc.) des municipalités ou de leurs groupements ainsi que les agents des services déconcentrés de l’État associés à la mise en oeuvre du PNNS (DRASS puis ARS, Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, Rectorat, Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) [13].

Alors que la création des ARS, autorité unique chargée de l’offre de soins, de la prévention, du médicosocial et, plus globalement, du pilotage du système de santé à l’échelon régional [14], vise à renforcer le rôle de l’État dans la gouvernance territoriale de ce secteur, c’est essentiellement l’action des DRASS et des GRSP qui a été analysée ici. En effet, notre enquête ayant débuté en 2009 et les ARS s’institutionnalisant très progressivement depuis 2010 dans les trois régions étudiées, les changements souhaités par la réforme restent encore largement à construire (Pierru, 2011).

Ainsi, au-delà des spécificités des arrangements institutionnels établis dans chaque configuration régionale, cet article propose de resserrer la focale sur les nombreuses convergences à l’oeuvre dès lors que sont analysées les figures contemporaines de l’État en action et en interaction dans la territorialisation de ce programme de santé publique.

Des modes de territorialisation du PNNS diversifiés et peu intégrés

Alors que dans le cadre de la mise en oeuvre du PNNS, le rôle de régulation des initiatives locales revient à l’État territorial, les faibles ressources humaines et financières dont celui-ci dispose pour promouvoir ce programme, tout comme la multiplicité des initiatives communales en matière de sensibilisation aux bonnes pratiques alimentaires et d’organisation des activités physiques, rendent complexe l’exercice de cette mission et remettent en question, in fine, le leadership de cet acteur (Loncle, 2009).

Un État territorial fragilisé par la faiblesse des outils de pilotage des initiatives locales

Si la diversité des axes prioritaires d’intervention retenus dans chaque région atteste d’une autonomie relative des ARS dans la réalisation du PNNS, leurs marges de manoeuvre demeurent toutefois limitées par plusieurs facteurs. D’abord, bien que les ARS soient chargées de sa mise en oeuvre, les lignes directrices, les principes et les objectifs nutritionnels du Programme sont fixés nationalement. Ceux-ci s’appuient d’ailleurs sur des campagnes de communication massives de l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (INPES) au moyen d’outils pluriels (dépliants, livrets, messages publicitaires, etc.). Tels de véritables guides, ces outils jouent un rôle de diffusion d’un message homogène et normatif auprès des populations sur l’ensemble du territoire national. Cette uniformisation des discours à partir des repères nutritionnels du PNNS pèse ainsi sur l’action de l’État territorial et sur l’élaboration des outils de communication construits ensuite en région pour donner à connaître et légitimer, là encore, les axes retenus du Programme.

Au-delà de ces aspects, l’application concrète des actions relève de l’initiative et de la participation d’autres acteurs, dont les collectivités territoriales, que les coordonnateurs régionaux de projets doivent « enrôler » (Callon, 1986). Les ARS ne peuvent donc mettre en oeuvre les orientations adoptées que dans la mesure où elles fédèrent des partenaires à qui elles font partager une partie de leurs préoccupations. L’expertise, produite tant aux plans national (voire international) que régional, est ici massivement mobilisée pour sensibiliser, persuader les élus locaux de la nécessité d’agir. Dans la région NPdC, par exemple, ce sont les coordonnateurs des programmes territoriaux de santé (PTS), relais déjà existants dans l’organisation sanitaire antérieurement établie, qui ont eu pour mission de sensibiliser des acteurs sur des territoires où la question de la nutrition n’était pas ou était peu développée. En Aquitaine, l’intégration de la coordonnatrice du projet au sein de l’Institut de santé publique d’épidémiologie et de développement (ISPED) de l’Université de Bordeaux lui a permis de mobiliser les ressources de l’établissement (personnel titulaire, stagiaires) afin de réaliser des enquêtes destinées à obtenir des indicateurs sur les comportements alimentaires ou sur le niveau de sédentarité des populations scolarisées. En Midi-Pyrénées, une technicienne de l’ancienne DRASS, diététicienne de formation, a sollicité deux médecins de renom, professeurs au Centre hospitalier universitaire [15], chefs de services militant de longue date pour la prévention de l’obésité pédiatrique et contre la sédentarité, et fondateurs de deux réseaux de santé « expérimentaux ». Ces derniers se sont engagés dans la promotion des messages du PNNS et ont lancé des programmes d’action faisant le lien entre ville, hôpital, caisses d’assurance maladie, associations (sportives et d’éducation à la santé) et réseaux de professionnels de santé.

Ce processus d’enrôlement des acteurs locaux a placé les ARS dans une situation difficile dans la mesure où elles ne disposent pas de moyens spécifiquement associés au PNNS, susceptibles d’attirer d’autres acteurs (les collectivités territoriales particulièrement). Si les crédits obtenus au titre du Groupement régional de santé publique représentent un levier pour répondre aux appels à projets de santé publique, il n’existe pas de moyen directement assorti à l’adhésion à la charte des Villes actives pour une collectivité.

De plus et une fois l’adhésion entérinée, faute de ressources humaines suffisantes et parce que les dossiers d’attribution du label PNNS sont instruits au niveau national, les ARS sont contraintes de renoncer à contrôler les initiatives municipales même si elle doivent attester, chaque année, qu’elles ont mené au moins une action au titre du PNNS. Les communes sont ainsi libres d’organiser comme elles le peuvent ou comme elles le veulent l’élaboration et la mise en oeuvre du Programme. Leur suivi par les ARS s’avère donc très inégal et essentiellement conditionné par les sollicitations des porteurs de projets locaux, le plus souvent pour des conseils.

Les modes d’animation en région du réseau des villes ayant adhéré à la Charte ne peuvent pallier cette faiblesse de l’accompagnement, car ils sont eux-mêmes très différenciés : alors qu’en Aquitaine la DRASS (puis l’ARS) et l’Union régionale des caisses d’assurance maladie organisent chaque année une journée-rencontre « Villes actives » du PNNS afin de susciter les échanges et diffuser les bonnes pratiques élaborées, en Midi-Pyrénées, une seule manifestation de ce type a été réalisée lors du PNNS 1, mais n’a pas été reconduite et, enfin, aucune initiative du genre n’a été répertoriée en NPdC.

La charte « Villes actives » du PNNS : un instrument aux usages et effets divers et ambigus

Pour favoriser la mise en oeuvre locale du PNNS, la Direction générale de la santé en charge de son pilotage a souhaité consolider les relais stratégiques que constituent les collectivités territoriales. Comme le précise le président du comité de pilotage, « les collectivités locales et territoriales, notamment les villes (ou communautés de communes) offrent un niveau de proximité qui constitue un moyen de grande efficacité pour toucher directement les citoyens et relayer sur le terrain ce programme » [16]. À cet effet, la charte « Ville active » vise à informer les communes sur le PNNS et ses objectifs afin d’obtenir ensuite leur adhésion par une signature. Un guide à l’usage des élus et des techniciens municipaux, édité en 2004 par le Ministère, rappelle les six principes sur lesquels la Charte se fonde [17]. Considérée par les représentants du ministère de la Santé, comme une « forme d’engagement moral » et un « acte politique » pour mener des actions en relation avec les recommandations du PNNS, la signature de ce document permet aux collectivités adhérentes de bénéficier gratuitement des outils de communication et de diffusion conçus par l’INPES.

Dans les trois régions étudiées, comme à l’échelle nationale, les adhésions se sont multipliées à partir du milieu des années 2000 (tableau 1).

Tableau 1

Évolution du nombre d'adhésions à la charte « Villes actives » dans les trois régions (2004-2011)

Évolution du nombre d'adhésions à la charte « Villes actives » dans les trois régions (2004-2011)

-> See the list of tables

Outre ce dynamisme, les trois régions se caractérisent par de fortes disparités territoriales quant à la localisation des communes ayant adhéré à la Charte. En Midi-Pyrénées, huit des dix-huit « Villes actives » du PNNS sont situées dans un seul département sur les huit que compte la région et plus particulièrement à la périphérie de la métropole régionale. De même, deux départements ne comptent aucun signataire de la Charte et deux n’en comptent qu’un. Cette concentration territoriale se retrouve également en Aquitaine puisque 13 des 19 « Villes actives » sont situées dans deux départements. Par contre, tous les cinq comptent des signataires, bien que très peu nombreux. Enfin, et même si le NPdC n’est composé que de deux départements, on constate là encore un net déséquilibre dans la répartition régionale, dans la mesure où plus de 70 % des villes labellisées (10 sur 14) sont implantées dans le Nord. Par ailleurs, à l’instar du reste de la France, ce programme touche principalement les communes urbaines. Hormis les capitales régionales, les villes signataires sont avant tout des chefs lieux de taille relativement importante ou se situent à leur périphérie.

Pour la grande majorité des acteurs locaux rencontrés, l’adhésion à la Charte entérine une dynamique déjà présente, mais constitue un véritable levier d’action permettant à la collectivité de rendre visible son engagement en faveur de la santé des populations, de coordonner des actions jusque-là éparses ou ponctuelles, de les inscrire dans la durée, mais aussi de fédérer des acteurs municipaux et leurs partenaires autour de nouvelles actions sous une étiquette unique et considérée comme valorisante.

Les principales populations visées par les dispositifs communaux ou intercommunaux sont la jeunesse scolarisée (surtout en école primaire ou en Centre de loisirs associé à l’école), les personnes âgées (essentiellement en hébergement collectif) et le grand public. Certains territoires se distinguent en étendant leurs actions aux femmes enceintes, aux habitants des quartiers prioritaires ou aux populations précaires, plus rarement aux licenciés des clubs sportifs.

Très autonomes dans la conduite de leurs actions, les communes et leurs représentants ne considèrent pas cette adhésion comme contraignante. Les fondements et le contenu du PNNS font d’ailleurs consensus auprès de tous les acteurs rencontrés, essentiellement parce qu’ils offrent une « opportunité » de développer et de légitimer des actions d’éducation et de promotion de la santé. Néanmoins, une déception est régulièrement exprimée, celle-ci tenant à trois facteurs principaux. Le premier est le fort découplage (Grossetti, 2004) ressenti entre niveaux national (Direction générale de la santé) et local (Villes actives). À ce titre, les critiques les plus fréquentes portent sur la dissonance entre discours « d’en haut » et pratiques « d’en bas », une stratégie de communication nationale omniprésente et pas forcément efficace auprès de tous les publics (voire stigmatisant les populations précaires), l’absence de « professionnels de terrain » à l’écoute des acteurs locaux pour les aider dans leurs pratiques, un déficit de communication entre instances sanitaires nationales et porteurs de projets locaux, ainsi qu’une absence de suivi des actions et d’instruments d’évaluation qui, pour certains, confine au désintérêt des acteurs nationaux à leur égard.

Le second facteur est, lui, relatif au manque de moyens humains et financiers affectés à ce programme par le niveau national, déficit présenté comme un frein à une mise en oeuvre ne reposant, in fine, que sur la « bonne volonté des uns et des autres » sans autre contrepartie que l’attribution d’une étiquette.

Le troisième, enfin, est directement lié à la répartition des compétences entre les diverses échelles de gouvernement engendrée par les lois de décentralisation. De nombreuses interrogations existent quant à l’efficacité à moyen terme des actions communales, particulièrement dans le domaine de la restauration collective dans les écoles primaires, dans la mesure où le relais n’est pas systématiquement pris, ensuite, par les autres niveaux de collectivités territoriales responsables de la restauration dans le second degré (les départements pour les collégiens, les régions pour les lycéens). Ici encore, les services déconcentrés de l’État affichent une certaine forme d’impuissance. Les rapports de force issus de la décentralisation les conduisent à s’exprimer et agir avec prudence face aux collectivités libérées de la tutelle étatique : outre la prise en compte des propres préférences des communes, et comme au niveau national, l’engagement des Conseils généraux et régionaux dans ce programme est rare dans deux des trois régions étudiées [18]. A contrario, en NPdC, l’existence d’un dispositif spécifique de financement des actions « nutrition – santé » recentré sur leurs axes et leurs publics prioritaires [19] témoigne de la mobilisation des trois niveaux de gouvernement locaux. Toutefois, intervenant dans ce domaine selon des modalités propres et au-delà de leurs compétences obligatoires, cette dynamique ne relève pas du principe de l’« enrôlement » des collectivités nordistes par les services déconcentrés de l’État, mais plutôt de celui du « partenariat » jusqu’en 2008 et de la « dissidence » depuis 2009 [20].

L’intersectorialité à l’épreuve des configurations territoriales

Si la territorialisation du programme en région s’avère complexe au regard de la reconfiguration des pouvoirs issue de la décentralisation, elle est également rendue difficile par les cloisonnements sectoriels existant entre services administratifs au sein d’une même institution (État, commune ou leurs groupements). Alors que le PNNS a pour ambition d’être un programme transversal et « pivot » à d’autres plans préventifs de santé publique (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer, etc.), l’ajustement des finalités, la concertation sur les objectifs et sur les moyens des projets à mener demeurent des processus encore largement à construire. Ainsi, la division du travail administratif au sein de l’État territorial et des communes s’accompagne d’une multiplicité de collaborations bilatérales, non multiscalaires et faiblement intégrées entre acteurs.

Des cloisonnements sectoriels et administratifs présents au niveau communal

La définition d’une politique globale en matière de nutrition telle qu’elle est prévue par le référentiel national, c’est-à-dire combinant alimentation et activité physique, est généralement introuvable localement. Le faible niveau de contrainte imposé par la signature de la Charte laisse effectivement une grande latitude aux collectivités et explique la différenciation territoriale des actions mises en oeuvre. Une diversité dans le contenu, le sens et les modes d’intervention apparaît donc en fonction des configurations locales et, plus particulièrement, des politiques antérieurement mises en place par les services publics municipaux, des partenariats existants, des contraintes et ressources mobilisables qui orientent les comportements et les stratégies des acteurs. Ainsi, les initiatives mises de l’avant par les collectivités « actives » peuvent être catégorisées autour de trois axes forts : alimentation, activité physique ou nutrition.

Les actions portant sur le versant alimentation du PNNS sont majoritaires et elles constituent la porte d’entrée la plus empruntée dans le programme dont elles incarnent, d’une certaine façon, le « premier niveau de lecture ». Elles sont généralement mises en oeuvre par les services de restauration collective et peuvent prendre la forme d’organisation de manifestations ponctuelles visant l’éducation au goût et la sensibilisation aux bonnes pratiques alimentaires. Moins fréquentes, les actions portant sur le versant activité physique du PNNS visent, en général, à lutter contre la sédentarité et à promouvoir une pratique physique ou sportive régulière auprès des jeunes, parfois de leurs parents, des personnes âgées ou du grand public. Pour autant, cela ne signifie pas que les communes ou leurs groupements n’agissent pas dans ce domaine. Toutefois, ces acteurs n’articulent pas nécessairement leur action sportive au PNNS, ce qui confirme une appropriation restrictive de la définition de la nutrition. Enfin, les activités à dominante nutrition sont encore plus rares, la notion étant fréquemment assimilée à celle d’alimentation.

Le caractère peu coercitif de la Charte est en outre à l’origine d’une grande diversité des initiatives prises à l’échelle même d’une municipalité. Cette diversité renvoie directement aux formes de gouvernance construites entre les acteurs ainsi qu’aux ressources, internes ou externes à la collectivité, qu’ils mobilisent. À ce titre, quatre modalités de coordination, internes plus ou moins maximalistes (Dodier, 1993), émergent : une forme « intégrée », la plus rare, qui se caractérise essentiellement par une coordination intersectorielle, une action publique transversale et la constitution d’un comité local de pilotage du PNNS ; une forme « centralisée » dans laquelle un secteur d’intervention (restauration collective, sport, santé, éducation, action sociale, etc.) prédomine et oriente fortement le pilotage et le contenu du PNNS en local ; une forme « diffuse » consistant en des arrangements faiblement formalisés entre acteurs et services et où la stabilité et la continuité des actions semblent peu assurées ; enfin, une forme « éclatée » où dominent des relations d’indifférence, voire conflictuelles, entre différents porteurs locaux se réclamant du PNNS (élus ou techniciens), relations accompagnées parfois de mises en oeuvre contradictoires et non coordonnées des dispositifs. Ici, les actions menées se superposent, s’additionnent, mais ne s’articulent pas. Elles sont portées par des services administratifs distincts qui communiquent peu sur leurs programmes et travaillent avec leurs partenaires respectifs.

Ces quatre formes de coordination internes se combinent avec deux modalités de coordination externes, soit autarciques soit ouvertes. Ces deux modalités différencient les collectivités en capacité de mobiliser en moyenne entre quatre et neuf partenaires extérieurs au territoire d’action et appartenant à des secteurs différents (santé ou médical, agroalimentaire, sport, éducation, pour les plus fréquents) de celles n’ayant que peu de ressources mobilisables ou une faible connaissance des réseaux et des institutions publiques susceptibles de les soutenir. Dans ce dernier cas, il s’agit le plus souvent de collectivités de taille démographique modeste, dont l’implication dans le PNNS est récente, dans lesquelles les acteurs se sentent isolés et déplorent la faiblesse des liens avec les institutions sanitaires régionales et leur manque de soutien. Dans les trois régions, pour les acteurs situés dans un autre département que celui de la métropole régionale, la distance géographique est vécue comme un handicap pour accéder aux ressources cognitives (information, actualité régionale), financières (appels à projet) ou humaines (conseils) susceptibles de les soutenir ou de les aider à pérenniser leurs actions.

Par ailleurs, et s’agissant de ces partenariats, plusieurs communes, soucieuses de développer ces actions au moyen de cofinancements, recentrent ou intègrent leur implication dans le cadre du volet santé de la Politique de la ville [21]. Cette stratégie, synonyme de financements étatiques dès lors qu’est démontré le volontarisme local de lutter contre les inégalités territoriales de santé, peut également être impulsée par les thèmes des appels à projet publiés par le GRSP en région [22]. De plus, les partenaires à qui les municipalités délèguent la mise en oeuvre des opérations ont eux-mêmes recours aux circuits administratifs traditionnels des politiques contractuelles et sectorielles ou à divers appels à projets (Centre national pour le développement du sport pour les associations sportives [23], appels à projet du GRSP pour les réseaux de santé, etc.), ce qui affaiblit encore la dimension intersectorielle et intégrée de leur intervention. Cette diversité et cette segmentation, aussi bien des actions communales que des réseaux d’acteurs associés, posent d’autant plus la question de la coordination d’un tel ensemble éclaté que cette complexité organisationnelle est parfois générée par l’État lui-même. Ce dernier, effectivement, « avance divisé » face aux collectivités et à leurs partenaires. Dès lors, sa capacité à orienter et intégrer les initiatives des acteurs locaux s’avère faible et relative en raison des contradictions inhérentes à ses propres modes d’intervention.

Les ambiguïtés de l’interministérialité locale

Programme préventif de santé publique mené par le ministère de la Santé, le PNNS revêt une forte dimension interministérielle dans la mesure où plusieurs administrations (ministères chargés de l’Alimentation et de l’Agriculture, de la Ville, de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, etc.) sont responsabilisées au regard de leurs compétences respectives en matière de nutrition et d’accès à la pratique sportive. En région, l’animation de cette interministérialité échoit aux agents de l’ARS mais, là encore, ce rôle s’avère difficile à endosser pour des raisons diverses. Le mode d’organisation de l’administration territoriale de l’État n’est généralement pas favorable à l’intégration des préoccupations sectorielles portées par les divers services qui restent, par ailleurs, soucieux de préserver leur position, leur autonomie d’action et leur réseau dans l’espace régional (Moquay, 2005). Cette défense de préoccupations sectorielles est parfois lancée par les ministères de tutelle eux-mêmes. Ces derniers, en élaborant leurs propres programmes intégrant des objectifs de santé, peuvent en effet brouiller voire contredire les messages du PNNS, brouillage fortement ressenti en région devant la multiplicité des propositions. En guise d’illustration et alors qu’un des objectifs du PNNS, relayé dans les régions observées, consiste à supprimer la collation matinale à l’école, le ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche a lancé, en 2008, l’opération « Un fruit à la récré ». Témoignant des ambiguïtés dont sont régulièrement porteuses les politiques publiques, c’est localement que les représentants des ARS ont ressenti la nécessité d’en minimiser les contradictions auprès des partenaires locaux au moyen, notamment, de concertations engagées avec les Directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt chargées par leur ministère de tutelle, d’élaborer le Programme régional de l’offre alimentaire. D’autres programmes, par exemple les « Pack itinérant jeunesse » soutenus par un groupement professionnel, le Centre d’information des viandes, proposent des ensembles pédagogiques aux écoles sur les pratiques d’élevage, la traçabilité de la viande et sa place au sein de l’équilibre alimentaire. Bien qu’ayant obtenu le logo PNNS, ce programme est controversé par les associations de protection de la nature ou de consommateurs et fréquemment présenté par les acteurs du ministère de l’Éducation nationale comme une simple opération de marketing à visée commerciale.

Outre ces contradictions, les ministères disposent parfois et « historiquement » d’un référentiel de politique publique très restrictif en matière de santé publique. Cette « dépendance au sentier » (Pierson, 2000) peut alors freiner l’adoption ou le soutien d’autres programmes d’intervention. L’exemple du ministère de la Jeunesse et des Sports est révélateur de ces résistances au changement. Longtemps limitée à la lutte antidopage, l’articulation dans cette administration des questions de santé avec la pratique de l’activité physique n’a été renforcée que récemment. Cela s’est notamment traduit par l’adoption, là encore, d’un programme ministériel, le Plan national de prévention par l’activité physique ou sportive (Toussaint, 2008) et par la possibilité, pour les associations sportives, de bénéficier de crédits du Centre national pour le développement du sport au titre d’actions « sport santé ».

Cet exemple illustre, plus généralement, un malaise produit par un double discours étatique. Alors qu’il incite, par le PNNS, les collectivités à élaborer une politique transversale facilitant les interactions entre les secteurs et les effets de synergie entre les interventions envisagées, dans le même temps, l’État les renvoie, ainsi que leurs partenaires (associations des secteurs du sport, de l’éducation à la santé, du champ social, etc.), dans des circuits administratifs distincts et organisés de manière sectorielle. Au-delà des crédits du Centre national pour le développement du sport susmentionnés, existent en effet ceux des appels à projet du Groupement régional de santé publique, de la Politique de la ville, de divers contrats éducatifs (Contrat enfance jeunesse, Contrat éducatif local), du Plan national de l’aide alimentaire, etc. Ainsi et s’agissant de la territorialisation du PNNS, l’État n’est pas en mesure de fournir lui-même une réponse d’ensemble sur l’accompagnement financier de ce programme, le dernier rapport publié sur le PNNS 2 reconnaissant d’ailleurs l’impossibilité de réaliser un bilan des moyens financiers affectés à ce programme (Jourdain-Menninger et al., 2010). Une logique de « guichet » perdure et contribue pleinement au maintien de modes de financement traditionnels et cloisonnés au détriment de l’élaboration de projets intégrés.

La complexité administrative ressentie localement pour obtenir ces financements s’est en outre révélée rédhibitoire, tout particulièrement pour les petites communes et les associations ne disposant que de peu de personnel pour renseigner les dossiers et maîtriser l’ingénierie que requiert la réponse à ces appels à projet. Si ce maquis, pour reprendre le mot de Brunet (1997 : 254), provoqué par la panoplie d’aides publiques existantes autorise la « ruse » et présente de multiples avantages, ceux-ci ne sont accessibles qu’aux acteurs qui ont appris à s’en servir, c’est-à-dire qui disposent des informations et du savoir technique pour composer avec cette complexité. Le fait, enfin, que les crédits soient généralement attribués sur le principe de l’annualité budgétaire, source d’incertitudes quant à la pérennité des aides, renforce parfois la démobilisation des porteurs de projets et les inégalités territoriales de financement qui en découlent.

Conclusion

Alors que la territorialisation des politiques de santé repose sur l’ambition de concilier deux modes d’action publique que sont l’intervention verticale et hiérarchisée des administrations régionales agissant comme relais de la politique nationale et la production de coopérations horizontales avec une pluralité d’acteurs publics et privés, la fragilité des échanges construits dans les trois régions révèle que la déclinaison opérationnelle de cette mission est aléatoire. Les outils de coordination proposés dans le cadre du Programme, de la Politique nationale de santé publique, ou élaborés régionalement, n’ont ici qu’un effet limité pour asseoir des formes de gouvernance négociées et intégrées de l’action publique de prévention sanitaire, car ils échouent à freiner les cloisonnements interinstitutionnel et intersectoriel.

De plus, l’autonomie des collectivités territoriales, considérées pourtant comme un relais stratégique pour la mise en oeuvre du PNNS, et le fait que ce soient elles qui financent et conduisent les actions, entraînent des appropriations et des interprétations très variées de ce programme, interprétations intégrées aux problématiques, aux priorités territoriales et aux ressources mobilisables par les « metteurs en oeuvre ». Parce que les collectivités territoriales intègrent en outre ces opérations dans des politiques plus globales, souvent construites antérieurement, il est parfois difficile de discerner celles qui peuvent réellement se prévaloir du PNNS. Ainsi, au fur et à mesure qu’on se rapproche des réalisations communales, le découplage (Grossetti, 2004) entre programme national et mise en oeuvre locale s’accentue et débouche sur sa dilution, voire son débordement.

La territorialisation peut ainsi produire une différenciation accrue en fonction, notamment, des mobilisations et configurations d’acteurs aux niveaux local et sectoriel. La difficulté, voire l’incapacité, de l’État à créer de l’action collective résulte à la fois de cette implication en ordre dispersé des participants, mais aussi d’une faiblesse du niveau régional qui n’est pas en mesure d’établir l’articulation entre dimensions territoriale, sectorielle et nationale. La capacité d’enrôler les collectivités, élément essentiel de la mise en oeuvre du PNNS, n’étant pas aisée, il demeure complexe pour l’État de lancer et de coordonner une stratégie d’ensemble à l’échelle de chaque région, d’autant plus que la puissance des lobbies agroalimentaires proposant des programmes « concurrents » contribue, elle aussi, à brouiller le message de prévention sanitaire auprès des populations et des acteurs communaux.