Moins fréquemment mobilisée que les notions de ségrégation et d’exclusion sociale, la notion de fragmentation urbaine n’en est pas moins présente en géographie et en études urbaines. Cette notion plus souvent utilisée dans les travaux portant sur les pays en développement (Jaglin, 2001 ; Bénit-Gbaffou, 2007) est aussi mobilisée dans le contexte des pays développés (Navez-Bouchanine, 2002 ; MacKillop et Boudreau, 2008). La fragmentation est une notion multidimensionnelle qui se décline sur les plans spatial, économique, politique et social. La fragmentation spatiale réfère à un état où il existe de forts contrastes entre les différentes parties de la ville ou encore un accès difficile entre celles-ci, qui se concrétise par des barrières ou d’autres formes de déconnexions physiques ou de discontinuités morphologiques (Jaglin, 2001 ; Bénit-Gbaffou, 2007). La fragmentation économique peut prendre la forme de populations ou d’un prolétariat urbain mis à l’écart des zones d’activités économiques, ou encore considérés comme « inadaptés » à l’économie métropolitaine (Bénit-Gbaffou, 2007). La fragmentation politique correspond à la multiplication des acteurs de la gestion et de la régulation urbaines. Elle peut se concrétiser par la création de municipalités ou de juridictions séparées qui verront aux intérêts spécifiques de leurs commettants au détriment de l’ensemble des habitants de la métropole. Jaglin (2002) va même jusqu’à parler de « microrégulations » pour faire référence à la diversification croissante des instances décentralisées d’encadrement, à la multiplication des opérateurs de services urbains, à la diversification des acteurs responsables de dispositifs de production et de gestion de la ville, voire même des instances planificatrices et d’élaboration des politiques et programmes. Enfin, la fragmentation sociale réfère à une forte séparation spatiale des habitants ou encore à un repli sur la communauté immédiate et à une différenciation croissante des pratiques sociales dans la ville (Jaglin, 2001 ; Bénit-Gbaffou, 2007). La fragmentation urbaine peut donc être définie comme une faiblesse ou un affaiblissement des relations politiques, sociales, économiques et entre quartiers ou portions de l’espace au sein d’une entité urbaine plus vaste. Des auteurs utilisent aussi le terme de fragmentation pour faire référence plus spécifiquement au phénomène de désolidarisation qui peut prendre différentes formes comme la fragmentation fiscale qui agit comme frein ou barrière à la redistribution de la richesse produite socialement dans l’ensemble de la métropole vers les quartiers ou municipalités qui concentrent les populations les plus défavorisées (Bénit-Gbaffou 2007). La ville fragmentée ne fonctionne donc pas en tant que système unifié, mais prend la forme d’une mosaïque de fragments non coordonnés qui se juxtaposent les uns aux autres et qui bénéficient de niveaux de ressources collectives très différenciés sur les plans de la quantité et de la qualité (Donzelot, 1999 ; Paquot, 2002). S’intéressant plus particulièrement à l’espace résidentiel, des auteurs comme Donzelot (1999) évoquent les dynamiques de fragmentation qui prennent la forme d’une atomisation résidentielle tant régulée que non régulée à des échelles fines. Celle-ci est basée sur la recherche d’affinités partagées au niveau du milieu résidentiel, la volonté de s’assurer un accès exclusif à des équipements (par exemple sportifs) ou la recherche d’un « entre soi ». La notion de fragmentation s’oppose ainsi à celle d’intégration (sociale et territoriale) urbaine qui évoque le maintien de liens de solidarité et d’interdépendance entre les parties de l’ensemble métropolitain contribuant ainsi à son fonctionnement plus unifié et permettant à ses habitants de « faire société » (Paquot, 2002). Des auteurs posent toutefois un regard critique sur la notion de fragmentation. Ainsi, Paquot (2002 : 113) écrit : « [d]ire qu’une ville est fragmentée sous-entend qu’elle formait un tout homogène et que, dorénavant, elle est constituée de différents territoires, comme autant …
Appendices
Bibliographie
- ANDERSEN, Hans Thor et Van KEMPEN, Ronald (2001) Governing European Cities : Social Fragmentation, Social Exclusion and Urban Governance. Aldershot, Ashgate.
- BÉNIT-GBAFFOU, Claire (2007) Unbundled security services and urban fragmentation in post-apartheid Johannesburg. Geoforum, vol. 39, no 6, p. 1933-1950.
- DONZELOT, Jacques (1999) La nouvelle question urbaine. Esprit, novembre, p. 87-114.
- GENESTIER, Philippe (2002) La rhétorique de la ville fragmentée, ou quand l’idéal holiste est délégué à l’échelon local. Dans Françoise Navez-Bouchanine (dir.) La fragmentation en question : des villes entre fragmentation spatiale et fragmentation sociale ? Paris, L’Harmattan, p. 119-137.
- JAGLIN, Sylvy (2001) Villes disloquées ? Ségrégations et fragmentation urbaine en Afrique australe. Annales de géographie, no 619, p. 243-265.
- JAGLIN, Sylvy (2002) Ségrégation, fragmentation, archipellisation en Afrique australe (Johannesburg, Lusaka, Windhoek). Dans Françoise Navez-Bouchanine (dir.) La fragmentation en question : des villes entre fragmentation spatiale et fragmentation sociale ? Paris, L’Harmattan, p. 331-345.
- MacKILLOP, Fionn et BOUDREAU, Julie-Anne (2008) Water and power networks and urban fragmentation in Los Angeles : rethinking assumed mechanisms. Geoforum, vol. 39, no 6, p. 1833-1842.
- McKENZIE, Evan (2005) Planning through residential clubs : Homeowners’ associations. IEA Economic Affairs, décembre, p. 28-31.
- NAVEZ-BOUCHANINE, Françoise (dir.) (2002) La fragmentation en question : des villes entre fragmentation spatiale et fragmentation sociale ? Paris, L’Harmattan.
- PAQUOT, Thierry (2002) Ville fragmentée ou urbain éparpillé ? Dans Françoise Navez-Bouchanine (dir.) La fragmentation en question : des villes entre fragmentation spatiale et fragmentation sociale ? Paris, L’Harmattan, p. 113-118.