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« Trajectoire pionnière, renouvellement exemplaire et rupture symbolique », ces quelques mots de l’auteur résument remarquablement la singularité du littoral narbonnais, les modalités de sa mise en valeur et l’engagement des acteurs qui construisent cette « expérience » audoise.
Organisé en trois temps, le livre de Vincent Andreu-Bossut étudie successivement les étapes de la construction de cette région touristique (« de l’aventure à la crise »), les nouvelles modalités de gestion des ressources du littoral, qui s’imposent à partir des années 1990 et aboutiront à la création du Parc naturel régional de la Narbonnaise, puis les difficultés de concilier les pratiques, entre usages récréatifs, projets patrimoniaux et préservation des espaces de nature dans une perspective de développement durable. Confrontant les logiques et les enjeux de la valorisation touristique aux impératifs de développement durable du littoral, cette étude, très dense et composée de données de terrain d’une grande précision, contribue à la réflexion sur la Gestion intégrée des zones côtières.
Le littoral narbonnais appartient au vaste littoral languedocien qui s’étire sur 200 kilomètres de côtes, depuis le delta du Rhône jusqu’au massif des Albères, à la frontière franco-espagnole. Il partage les caractéristiques physiques de cet immense lido frangé de marais, ponctué de quelques points rocheux, et, comme l’ensemble de ce secteur, il a fait l’objet d’un aménagement planifié par l’État dans les années 1970. Néanmoins, la place de la nature et la spécificité des actions collectives menées sur cette portion de côte, incluse dans le département de l’Aude, font toute la richesse de cette expérience qui s’impose comme un cas d’école.
L’un des premiers mérites de ce livre est de poser clairement les étapes, méconnues, de la mise en tourisme du littoral languedocien dont l’histoire débute à tort – dans nombre de travaux –, avec le programme de la Mission interministérielle pour l’aménagement touristique du Languedoc-Roussillon [1]. L’auteur réhabilite les inventeurs de la villégiature balnéaire sur la côte languedocienne qui pratiquaient le bain de mer, en Méditerranée, à la fin du XIXe siècle. Sur ce littoral enclavé, loin des artistes et des élites – qui feront la notoriété des lieux touristiques – se développe un tourisme régional autour des plaisirs de la mer, dans une relative mixité sociale qui contraste avec les rivages mondains de l’époque.
L’auteur dégage trois phases dans la temporalité du tourisme languedocien dont la première, du milieu du XIXe siècle aux années 1960, se caractérise par un processus de « cabanisation » qui se matérialise par l’installation des premiers cafés et restaurants puis par la construction progressive de villas et de cabanes pour accueillir les premiers villégiateurs. C’est dans ce contexte que l’État impulse la deuxième étape, à partir des années 1960, avec l’intervention de la Mission Racine. Celle-ci met un terme au mitage du littoral au profit d’un vaste programme de développement touristique, structuré à partir de stations intégrées et d’un rigoureux zonage, qui doit donner une nouvelle impulsion à l’économie du Languedoc. La valorisation touristique est désormais sous le contrôle d’un système d’acteurs extérieur, hiérarchisé et dominé par l’État.
La troisième phase touristique du littoral languedocien se dessine au seuil des années 1990, à la faveur d’une nouvelle prise en compte de l’environnement, tant de la part des vacanciers (qui n’ont plus le même intérêt pour les massives stations du bord de mer symbolisant la modernité des années 1970) que des acteurs locaux, dépossédés du littoral, préoccupés par l’accélération des extensions urbaines incontrôlées. L’émergence d’un nouveau système d’acteurs territorialisés, intégré horizontalement, aboutit à l’élaboration d’un modèle de gestion du littoral inédit dans le cadre du Parc naturel régional de la Narbonnaise [2], créé en 2003. L’engagement de ces acteurs en matière de protection de l’environnement est consacré en 2005 avec le classement de l’ensemble lagunaire comme zone humide d’importance internationale, au titre de la Convention de Ramsar.
L’auteur insiste sur la complexité des choix politiques en matière environnementale lorsqu’il s’agit d’accorder la conservation des espaces de nature, leur utilisation en tant qu’objets de support touristique et le processus de patrimonialisation, fruit d’une construction sociale. Les enquêtes de terrain mettent en évidence des perturbations diverses qui nécessitent d’organiser et de réguler l’aménagement de l’espace littoral régional en tenant compte de la préservation des paysages.
En résumé, cet ouvrage, tiré d’une thèse de géographie [3], offre une somme d’informations qui comblera la curiosité de chercheurs se consacrant à l’aménagement des littoraux. Il convient également d’insister sur la qualité des illustrations qui saisissent remarquablement les processus-clés. On ne peut que suggérer à l’auteur d’étendre son champ d’investigation à l’ensemble du littoral languedocien et de saisir les différents comportements des acteurs des secteurs littoraux des départements voisins. Cette démarche permettrait de mieux dégager l’originalité de l’« expérience » menée dans l’Aude et d’identifier les conditions nécessaires pour une collaboration régionale étendue et les modalités de transfert de ces innovations.
Appendices
Notes
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[1]
Mission communément appelée « Mission Racine », du nom de son président, Pierre Racine, resté à sa tête pendant 20 ans.
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[2]
Le Parc naturel régional (PNR) ne doit pas être confondu avec le Parc national (véritable sanctuaire naturel). Le PNR est un territoire habité qui fait la promotion de projets de développement endogène, entre protection de l’environnement et développement économique.
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[3]
Ce travail a été récompensé par le Prix de Thèse Roland Paskoff 2006 de la Fondation Procter & Gamble pour la protection du littoral et l’EUCC France.