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Introduction

La dynamique spatioéconomique, au Québec, s’inscrit actuellement dans un contexte mondial en mutation économique et sociale tirée par l’ouverture accentuée des marchés, les nouvelles technologies informationnelles et l’intégration sectorielle des activités économiques par les géants financiers. S’avèrent en jeu aussi d’autres facteurs importants tels l’émergence de nouveaux pays (Chine, Inde, Brésil, Irlande), l’effondrement des régimes de l’Europe de l’Est ainsi que l’affirmation nouvelle de certaines zones multipolaires comme l’arc asiatique, la 3e Italie, le centre-sud des États-Unis, la Sunbelt anglaise, le triangle brésilien, l’arc méditerranéen.

En réalité, l’économie devenue plus globale dans ses marchés n’est aucunement uniforme dans l’espace en affirmant des particularités territoriales (Fujita et al., 2001). Nous assistons, à l’évidence, à un changement de décor (Morvan, 2004) mis en scène par une nouvelle organisation économique de l’espace (Carroué, 2002 ; Brunet, 2004) associée à de nouvelles forces, notamment les axes, les noeuds et les moyens de communication (Castel, 1996 ; Claval, 2003) à l’égard desquels les divers territoires urbains, ruraux, métropolitains et périphériques de la planète se positionnent tant bien que mal grâce à leur capacité de combinaison endogène de ressources autour de spécificités et de spécialisations (Veltz, 1996 ; Porter, 2001). De fait, la nouvelle concurrence globalisée tend à redonner aux divers territoires un rôle économique sensiblement plus actif qu’auparavant (Markussen, 2000 ; Scott, 2002 ; Courlet, 2002).

Pour le continent sur lequel repose le Québec, la dynamique spatiale est d’abord illustrée par le lent déplacement de la population et des activités à partir des historiques régions nord-est vers les régions sud-ouest (Tellier et Vertefeuille, 1995 ; Tellier, 1996, 2003 ; Pack, 2002). Selon de nombreux observateurs, les zones centrales truffées de pôles émergents s’affirment progressivement sur ce continent vers un nouvel équilibre spatial. Il s’agit d’un phénomène connu de gravité spatiale déjà stabilisé au centre de la vieille Europe, avec la dorsale Londres-Turin souvent appelée la « banane bleue », qui représente en fait la mégapole européenne. Dans la dynamique spatiale nord-américaine, cette forte affirmation actuelle des régions centrales (Denver, Albuquerque, Houston, Phoenix, Juarez, etc.) génère à l’évidence des effets de drainage à degrés divers dans les périphéries continentales (Rappaport, 2003). Des ruptures s’expriment assez clairement à cet effet (Tellier, 1996 ; Coffey, 1998). Elles conditionnent notamment de nombreux repositionnements récents de lieux et de milieux et aussi certains renversements spatiaux tels celui de Montréal au profit de Toronto depuis les années 1950 et ceux du Mexique qui profitent à Ciudad Juarez, Tijuana et Monterrey. En réalité, l’espace nord-américain, encore jeune sous l’angle de l’occupation territoriale, affirme sa dynamique centripète.

Mise à part cette tendance reliée à la gravité spatiale qui modifie les conditions nord-américaines globales des grands marchés polarisateurs en accentuant notamment le caractère périphérique du Québec sur son propre continent, trois autres forces spatiales s’avèrent importantes actuellement, selon notre lecture. D’abord, l’explosion récente des échanges nord-sud, accompagnée de la stagnation des échanges canadiens est-ouest qui, depuis la signature de l’ALENA, rendent les territoires québécois limitrophes de la frontière américaine beaucoup plus attrayants pour les entreprises qu’auparavant. Deuxièmement, stimulée par la nécessaire capitalisation dans les technologies et par la concurrence de plus en plus vive, la croissante intégration sectorielle des activités économiques, qui affecte désormais tous les secteurs, génère aussi de nouvelles logiques de localisation des mégas-usines établies, des sièges sociaux érigés ainsi que des succursales déconcentrées des grandes chaînes de distribution. Ces nouvelles logiques de localisation des unités de production, de gestion et de distribution s’avèrent elles-mêmes influencées par une troisième force spatiale contemporaine, soit la croissante mobilité des travailleurs, des consommateurs et des marchandises par l’entremise de réseaux de transport plus fluides et de véhicules plus fiables qui réduisent le fardeau de la distance.

Plus marginalement, d’autres forces secondaires jouent en outre sur l’espace québécois en modifiant les tendances dans l’usage du sol (Proulx, 2007a). Signalons notamment l’attractivité des bassins nordiques de ressources naturelles. Soulignons aussi le déterminisme spatial du fleuve Saint-Laurent et de ses affluents. La forte démographie des collectivités autochtones sises en des lieux et des milieux généralement périphériques représente également une force à prendre en considération. Enfin, les nouvelles exigences des consommateurs, la gestion à distance des opérations grâce aux nouvelles technologies informationnelles, l’appropriation territoriale de certains leviers de développement, la demande sociale de la qualité environnementale et le nomadisme mondial croissant des investissements s’inscrivent comme des forces spatiales non négligeables.

Le défi de la modélisation

Ces forces et tendances se déploient actuellement sur un héritage spatial considérable au Québec, en matière d’occupation des territoires. Notre lecture historique postcolombienne nous permet d’identifier six modèles spatioéconomiques successifs, complémentaires et souvent concomitants, qui concourent à dessiner des formes territoriales au sein de la vaste superficie. Après une description succincte, le tableau 1 permet de classer les modèles en fonction de deux attributs, soit la finalité principale et l’année initiale de mise en oeuvre.

Tableau 1

Les modèles spatioéconomiques du Québec

Date

Finalités

Occupation extensive

Occupation intensive

Cohérence globale

1534

Conquête territoriale

 

 

1610

 

Colonisation

 

1805

Extraction de ressources

 

 

1855

 

Urbanisation

 

1968

 

 

Hiérarchie urbaine

1979

 

 

Mariage urbain-rural

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Mentionnons d’abord le modèle fondateur de la conquête territoriale qui a dessiné des corridors de pénétration continentale ancrés sur des avant-postes (Trois-Rivières, Chicoutimi, Niagara, Sault-Sainte-Marie, Saint-Louis, etc.) bien établis en des lieux stratégiques. Les fonctions exercées par ces avant-postes typiquement américains (Vance, 1970 ; Claval, 1989), sont bien connues depuis les comptoirs phéniciens et grecs de l’Antiquité. Illustration claire de la relation déséquilibrée centre-périphérie, comme en Afrique et en Amérique du Sud, cette pénétration territoriale nord-américaine a permis de maîtriser jadis une très vaste superficie dite « Nouvelle-France » au bénéfice de la métropole européenne.

Dans une deuxième phase, l’occupation territoriale par la colonisation s’est affirmée sous l’encadrement des régimes seigneurial, paroissial et ensuite cantonal (Bérubé, 1993). Beaucoup plus limité dans son extension, ce mode spatioéconomique qui, en réalité, a défini la ruralité québécoise a connu une dernière vague dans les années 1930 avec le Plan Vautrin par lequel l’écoumène québécois a atteint son étendue maximale, avant de régresser depuis (Dugas, 1986). Si la colonisation ne progresse plus, la ruralité québécoise, quant à elle, se transforme en devenant davantage multi-fonctionnelle (Jean, 1997, 2008).

La collecte ou extraction de ressources naturelles a également modelé l’espace québécois, dans le passé. Cette fonction économique s’affirme encore aujourd’hui par le ciblage de bassins et de gisements à exploiter grâce à l’aménagement de moyens d’accès pour attirer des investissements. Des lieux ont ainsi émergé au Québec, souvent au milieu de nulle part (Fréchette et Vézina, 1985). Ils s’avèrent généralement vivaces, tant que les réserves justifiant leur ancrage en assurent la prospérité.

L’urbanisation a marqué fortement l’espace du Québec à partir du début du XIXe siècle, en s’accélérant au cours du XXe (Baccigalupo, 1984). Sur des points localisés en fonction de la centralité, de la rupture spatiale, de la proximité des réserves ou, moins souvent, de la volonté du Prince, villages et villes ont prospéré de manière inégale grâce aux activités commerciales et industrielles qui ont fait permuter le ratio rural-urbain québécois de 80%-20% à 20%-80%. Au fil de cette évolution, l’armature urbaine s’est modifiée (La Haye, 1968), notamment par le renversement spatial entre Québec et Montréal.

L’armature urbaine de plus en plus établie a permis d’asseoir, au fil du temps, le modèle hiérarchique du système urbain dans un esprit de cohérence globale de l’espace Québec (Bruneau, 2000). Avec chacun leur aire de rayonnement réciproque, les pôles primaires, secondaires, tertiaires et quaternaires ont été identifiés pour établir la répartition de plusieurs entités territoriales reliées à l’éducation, l’industrie, la santé, la culture. Malgré cet ordonnancement régulateur sur la base de la taille de la population, la hiérarchie urbaine demeure encore perturbée aujourd’hui (Proulx, 2002) par certaines performances économiques fortes (Victoriaville, Saint-Georges, Rivière-du-Loup) et certaines contre-performances (Shawinigan, Baie-Comeau, Lachute).

L’urbanisation rapide, inégale et diffuse comme modalité dominante d’utilisation du sol a aussi conduit le Québec à mettre en place un mécanisme de régulation et de cohérence dans le style « mariage urbain-rural » afin de mieux concilier ces deux vocations complémentaires en chevauchements croissants (Fortin et Parent, 1983). L’adoption de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, en 1979, a permis de consommer ce mariage en offrant un cadre formel à la planification territoriale à cette échelle (Tellier, 1983).

Considérant ces six modèles spatioéconomiques au Québec, la modélisation des mouvements contemporains en matière d’occupation des territoires n’est pas simple à effectuer même si la théorie offre un cadre scientifique pertinent (Polèse et Roy, 1999 ; Proulx, 2006). Car la forte distance entre les centres urbains discontinus rend difficile l’application des modèles classiques (Dugas, 1981), notamment en périphérie où les aires de rayonnement des centres urbains ne se touchent pas (Bruneau, 1989). Signalons notamment que la dispersion des établissements rend difficile l’application du modèle auréolaire, par couronnes successives autour des centres, même si cette approche demeure très valable en périphérie immédiate (Polèse et Shearmur, 2002). En outre, l’ouverture internationale des territoires périphériques rend difficile l’application québécoise parfaite du modèle centre-périphérie (Côté, 1996 ; Veltz, 2002).

Tant et si bien que la saisie de la réalité spatioéconomique du Québec cause inévitablement des surprises (Gagnon, 2008 ; Polèse, 2008 ; Beaudet, 2008). Des régularités sont confrontées, souvent sans anticipation. Des équilibres nouveaux apparaissent. Des formes territoriales inédites telles que des corridors, des arcs, des couronnes, s’imposent face à d’autres déjà anciennes comme le chapelet de lieux de la côte gaspésienne, la quadricentrie abitibienne, les deux couronnes (urbaine et rurale) du Lac-Saint-Jean. S’expriment clairement aussi de nouvelles explosions urbaines, des centres en déclin relatif ou radical, des friches rurales et urbaines accomplies, des rebondissements ou des repositionnements territoriaux en cours. Plusieurs tendances sont ainsi réellement marquées, en particulier l’urbanisation diffuse, l’exode rural, l’émergence de zones et de lieux spécialisés. Bref, la dichotomie centre-périphérie et la dualité urbaine-rurale, qui furent les objets de la régulation territoriale du passé récent par les gouvernements supérieurs, semblent laisser préséance à une dynamique spatioéconomique moins binaire et plus complexe.

Notre analyse nous conduit à avancer que la modélisation de la périphérie nord-américaine que représente le Québec doit nécessairement être éclairée par les actuels mouvements spatioéconomiques relativement prononcés. S’ils s’inscrivent bel et bien sur des territoires déjà structurés et organisés, notre hypothèse est à l’effet que ces mouvements les dépassent tout à fait dans leurs frontières en faisant émerger de nouvelles formes territoriales.

Deux modèles spatioéconomiques distincts

Dans la vaste vallée du fleuve Saint-Laurent, l’établissement des activités économiques dessine des formes territoriales qui épousent assez bien, globalement, le modèle classique du système urbain enseigné dans nos manuels (Auray et al., 1994 ; Camagni, 1996 ; Proulx, 2002). Nous constatons en effet, à l’observation, une répartition spatiale des activités entre différents centres de dimensions inégales, hiérarchisés selon les principales fonctions urbaines exercées. D’après ce modèle général basé sur la centralité, les flux économiques circulent entre les centres de différentes dimensions, en passant par des centres intermédiaires grâce à un ensemble d’effets d’attraction et de diffusion appelés forces centripètes et centrifuges. Les cartes routières du Québec montrent bien cette répartition en illustrant clairement un ensemble de centres urbains de tailles diverses autour desquels se définissent des alvéoles correspondant chacune à l’aire de rayonnement urbain dans la périphérie (figure 1).

Cette modalité spatioéconomique classique couvre toute la vallée du Saint-Laurent, avec Montréal, Québec et Ottawa-Gatineau comme principaux pôles, accompagnés de nombreux pôles secondaires, tertiaires et quaternaires qui rayonnent chacun dans leur hinterland réciproque. Le manque d’uniformité et de symétrie dans le système urbain québécois s’explique largement par la forte distance entre les lieux, certes, mais aussi par l’origine initiale de nombreux centres urbains émergés non pas à partir d’une place centrale, mais bien sur un point de rupture spatiale (navigabilité des rivières, accessibilité routière, croisements de transport) ou d’un point d’ancrage sur un bassin de ressources tel qu’Asbestos ou Thetford Mines.

Figure 1

Système urbain de la plaine du fleuve Saint-Laurent, Québec

Système urbain de la plaine du fleuve Saint-Laurent, Québec
Source : BDTQ

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Si le modèle théorique se trouve plus ou moins confirmé dans cette zone sud-est du Québec, et aussi dans certaines autres vallées comme le Saguenay et la Matapédia, le reste du vaste espace québécois illustre une forme générale bien différente. Pourquoi ? La cause réside surtout dans la faible présence en périphérie des forces centripètes et centrifuges qui structurent généralement l’espace autour des centres urbains. Ainsi, la centralité et la hiérarchie s’imposent peu. L’attractivité entre les divers centres de la périphérie du Québec ne joue pas très fortement en réalité, les plus petits exerçant même quelquefois des fonctions urbaines supérieures qui leur offrent un rayonnement sur de très vastes superficies. Les cas de Chibougamau, Radisson, Amqui, Fermont, Carleton et Havre-Saint-Pierre sont patents à cet égard.

En réalité, les forces qui imposent l’établissement de lieux et de milieux en périphérie québécoise résident principalement dans l’accessibilité aux bassins et aux gisements de ressources naturelles. Ces bassins représentent le véritable facteur explicatif initial de la structure de peuplement. Nous y reviendrons. Leur accessibilité dessine, sur les territoires périphériques du Québec, des formes territoriales distinctes, originales et particulières. Voyons cela pour la périphérie nordique.

Un arc nordique de pôles secondaires

Le phénomène spatioéconomique majeur qui marque et détermine la structure de peuplement en périphérie québécoise est influencé par la présence d’avant-postes établis pour favoriser l’accès aux ressources et, en conséquence, l’occupation territoriale. C’est à partir de ces lieux que s’effectuent l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles inscrites sur les territoires (figure 2). Rimouski en représente un exemple parfait pour la périphérie gaspésienne.

Il s’agit généralement de points de rupture spatiale (embouchures de rivières ; croisements ou terminaux de transport) qui deviennent des pôles par l’entremise de la localisation de différentes activités reliées, certes, au transbordement et au transit de marchandise, mais aussi à la desserte de services de santé, d’éducation, de sports, de finances, de commerces, de génie, d’architecture, de comptabilité et autres spécialités.

Les principaux avant-postes nordiques qui polarisent l’économie (transformation des ressources, services spécialisés, commerces de gros et de détail, sièges sociaux, etc.) sont en réalité Sept-Îles, Baie-Comeau, Saguenay, Rouyn et Amos (figure 2). Dans leur périphérie nordique de rayonnement, ces pôles, secondaires par rapport à Montréal, Québec et Gatineau, forment ensemble un arc qui s’inscrit comme une forme territoriale originale. La spécificité de cet arc concerne davantage la vocation nordique commune de ses composantes urbaines que leurs interrelations socioéconomiques, existantes certes mais encore peu développées. Ces relations et échanges horizontaux entre pôles secondaires restent à intensifier dans un esprit de complémentarité et d’interdépendance face à l’enjeu de l’appropriation collective de leur destin nordique commun.

Des corridors de pôles tertiaires

Selon cette modélisation spatioéconomique, l’accès aux bassins de ressources nordiques ainsi que la distribution élargie de biens et services déterminent d’abord des formes territoriales linéaires, dites axes ou corridors de pénétration territoriale. Il s’agit actuellement des corridors Rouyn–Amos–Radisson, Saguenay–Chibougamau–Némiscau, Baie-Comeau–Manic–Fermont–Labrador City, Sept-Îles–Shefferville, et Sept-Îles–Havre-Saint-Pierre–Natashquan.

À partir des avant-postes de l’arc nordique, ces corridors se structurent par l’établissement de relais plus avancés qui deviennent des pôles tertiaires et quaternaires localisés à des points précis déterminés généralement– mais pas toujours–, par les modalités de transport favorisant la localisation de commerces, de services et d’activités d’extraction des ressources naturelles. D’autres corridors de pénétration territoriale peuvent être anticipés, notamment celui sur la côte de la baie d’Hudson afin de connecter les villages inuits, celui pour relier le lac Mistassini et Caniapiscau, et un autre encore entre Natashquan et Blanc-Sablon dont un tronçon sera bientôt réalisé jusqu’à La Romaine. Un jour, peut-être rapproché, sera établi le corridor entre Caniapiscau et Kuujjuaq.

Figure 2

Avant-postes et corridors de pénétration de la périphérie nordique

Avant-postes et corridors de pénétration de la périphérie nordique
Source : Alain Roch, UQAC, 2005

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Des couronnes nordiques

De ces corridors verticaux qui pointent vers le nord pour pénétrer la périphérie, des couronnes horizontales ou transversales se forment afin de permettre un accès à de vastes zones enclavées. Existent déjà la couronne Chibougamau–Némiscau sur la route de la baie James ainsi que la couronne Labrador City–Goose Bay qui se construit actuellement vers Blanc-Sablon au Labrador. Ces corridors s’ajoutent à une couronne beaucoup plus ancienne en Gaspésie, soit Rimouski–Gaspé–Bonaventure–Matapédia.

Deux autres couronnes périphériques sont anticipées dans le futur rapproché (figure 2). Il s’agit du lien routier qui sera éventuellement construit entre le lac Mistassini et le réservoir Manicougan ainsi que celui qu’on tissera entre Caniapiscau et Labrador City.

Un semis de petits lieux

De ces pôles tertiaires et quaternaires tels Amos, Chibougamau, Havre-Saint-Pierre, Val-d’Or, Saint-Félicien et Blanc-Sablon, pointent des voies de transport et de rayonnement vers l’intérieur de la périphérie, truffée de petits lieux et milieux dispersés sur de vastes surfaces et localisés en fonction de la dotation territoriale en ressources. Plusieurs de ces établissements humains, notamment des collectivités autochtones, ne sont pas reliés au système routier principal, mais sont desservis par les transports maritimes et aériens.

Ce semis de lieux représente le cinquième phénomène territorial particulier à la périphérie nordique du Québec. Des dizaines de petits centres ont ainsi émergé, souvent très rapidement, généralement au milieu de nulle part. Certains sont devenus une petite ville, comme Matagami, Lebel-sur-Quévillon, Lac-Bouchette, Milot, Sacré-Coeur, Labrador City, Natasquan et Malartic, pour répondre aux besoins de main-d’oeuvre, de services, de fournitures et de qualité de vie générés par l’activité économique principale d’extraction de la ressource. Quelques-uns de ces pôles quaternaires directement ancrés sur le bassin ou le gisement sont heureusement alimentés par d’autres activités à rayonnement plus large, comme des commerces plus imposants, des services spécialisés ou des administrations gouvernementales.

L’accessibilité

Historiquement très efficace pour le commerce des fourrures, le modèle spatioéconomique illustré ici s’est confirmé au fil du temps en périphérie du Québec afin de répondre à la demande (bois, fromage, cuivre, fer, etc.) des marchés continental et mondial. Il est très fortement influencé par l’accessibilité aux bassins de ressources en périphérie nordique. À cet égard, le réseau de transport multimodal a été déterminant et le demeurera. Avantagés par leur localisation stratégique entre les bassins de ressources et le marché mondial, certains pôles secondaires et tertiaires ont concentré davantage d’activités économiques, devenant ainsi de véritables relais pour l’exploration et l’exploitation de vastes zones périphériques. Si la croissance de ces pôles bénéficie des effets de diffusion (technologie, demande d’intrants, services supérieurs) issue des grands centres urbains tels que Montréal et Québec, elle s’avère en réalité largement alimentée par la richesse créée dans les petits lieux et milieux de leur vaste zone de rayonnement, grâce à des investissements exogènes.

Signalons que plusieurs de ces pôles nordiques ont bénéficié jadis d’un véritable décollage industriel autour d’usines de première transformation des ressources (papier, minerai, bois d’oeuvre, poissons, aluminium, etc.) en formant ainsi des poches industrielles sur l’espace québécois. Peu de ces poches périphériques ont cependant atteint la phase de la maturité économique associée à la diversification dans un contexte de croissance continue, si ce n’est la zone industrielle Alma–La Baie, diversifiée selon un degré relativement limité cependant. En général, ces pôles nordiques illustrent plutôt une trajectoire économique qui fluctue par grands cycles (bonds en avant, stagnations, reculs, rebondissements) (Proulx, 2007b) associés aux conditions externes telles que les fluctuations de la demande internationale, mais aussi à des facteurs structurels internes comme l’état réel des réserves de ressources, la capacité d‘attraction des grandes entreprises, les conditions environnementales et la technologie utilisée. Concernant les conditions internes ou endogènes, la volonté collective d’appropriation de leviers de développement s’avère cruciale.

L’appropriation territoriale

Les deux modalités spatioéconomiques distinctes illustrées dans ce texte ont occasionné la création au Québec de centres (lieux) et d’aires (milieux) que le gouvernement du Québec a reconnus et soutenus comme collectivités territoriales en créant des institutions appropriées relevant des responsabilités publiques. Ces collectivités territoriales québécoises épousent les quatre formes institutionnelles classiques bien connues dans la documentation scientifique, notamment sous les angles de leur production d’effets externes positifs et de leur gestion publique dans un esprit de régulation territoriale (Proulx, 2004, 2008a) (tableau 2).

La cité

Bien que trois villes initiales aient existé au Québec, soit Québec, Montréal et Trois-Rivières (Bérubé, 1993), le modèle de la cité fut institué formellement au milieu du XIXe siècle avec la mise en place officielle du régime municipal (Proulx, 2002). La Loi des cités et villes (1903), le code municipal (1916) et désormais beaucoup d’autres lois, décrets et normes encadrent l’appropriation de responsabilités publiques dans ce champ municipal, par ailleurs en lente réforme progressive par étapes depuis 50 ans. Le Québec compte aujourd’hui 47 agglomérations urbaines de petite dimension (5 000 à 10 000 habitants) ainsi que 34 autres de dimension plus importante (plus de 10 000 habitants) dont les métropoles de Québec et de Montréal. Il compte en outre près de 1 000 petits lieux et milieux de moins de 5 000 habitants. Cette échelle locale de la cité sert surtout d’assise pour répondre convenablement aux besoins différenciés des citoyens par la gestion publique territoriale de biens et services collectifs dits de base (Baccigalupo, 1984). Elle sied aussi à la production d’économies d’agglomération dont bénéficient les citoyens, les travailleurs et les entreprises.

La région

Le Québec s’est inspiré du concept de région pour découper formellement, en 1968, ses régions administratives sur la base des travaux précurseurs des géographes et des économistes (Brouillette, 1959 ; Parenteau, 1964 ; Minville, 1979). On a alors assisté à un large mouvement de construction institutionnelle régionale (Brochu et Proulx, 1995) par l’établissement de conseils sectoriels et de directions des ministères qui ont occupé les différents champs régionaux comme la santé, la culture, le transport, le tourisme, l’environnement et le développement, dans un esprit de responsabilisation. À divers degrés selon les époques, le régionalisme s’est ainsi clairement affirmé. Ces diverses et multiples instances à l’échelle des régions administratives du Québec servent surtout désormais à arbitrer les choix d’investissements publics et à moduler certains programmes selon la réalité des besoins territoriaux dans un esprit de régulation des relations centre-périphérie.

La communauté

En 1979, le gouvernement du Québec a créé officiellement 95 collectivités territoriales, les municipalités régionales de comté (MRC), en s’inspirant d’abord du concept de communauté et aussi de la tradition québécoise de concertation et de coopération à cette échelle supralocale (Baccigalupo, 1984). On anticipait alors une nouvelle force de solidarité et de cohésion (mariage) urbaine-rurale. Un mouvement de construction institutionnelle fut ainsi amorcé lentement au cours de la décennie 1980. Il s’est accéléré dans plusieurs secteurs pendant la décennie suivante, pour atteindre actuellement un degré plus ou moins élevé d’organisation territoriale dans plusieurs champs d’activités publiques généralement liées aux services supérieurs (aménagement, communautaire, transport, sécurité, emplois, planification des affaires, etc.) offerts à la population, aux travailleurs et aux entreprises (Proulx et Jean, 2001).

Tableau 2

Domaines principaux et effets externes des quatre formes institutionnelles classiques de collectivités territoriales en contexte québécois

La cité

 

Offre de services de base

Économies d'agglomération

La région

 

Arbitrages

Régionalisme

Solidarité urbaine - rurale

Offre de services supérieurs

 

La communauté

Économies de proximité

Prospection/incubation

 

Le district

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Le district

Le districtLe district ne représente pas, au Québec, un échelon territorial distinct comme en Scandinavie et en Grande-Bretagne. Mais le concept de district sert de plus en plus pour reconnaître officiellement des zones de spécialisations économiques (Cooke, 2001) qui s’affirment dans le style technopoles, complexes d’activités, grappes industrielles, créneaux d’excellence ou systèmes territoriaux d’innovation et de production. On y régule les relations entre les acteurs dans un esprit d’innovation grâce, notamment, à la production d’économies de proximité. Au contraire des trois autres collectivités territoriales officielles, les districts québécois formalisés sont très peu occupés par des institutions publiques (Proulx, 2006). Encore relativement floues dans leurs formes réelles, ces entités territoriales s’avèrent surtout concernées par la prospection industrielle et l’incubation de nouvelles entreprises, de nouveaux produits, de nouvelles méthodes et de nouveaux services.

Bref, ces quatre types de collectivités reconnues au Québec fixent des formes territoriales et offrent des assises formelles aux organisations publiques et collectives pour établir des responsabilités et s’approprier des leviers de développement. Par les frontières imposées aux phénomènes identitaires, ces collectivités engendrent ainsi une certaine stabilité spatioéconomique, ne serait-ce que par les réflexes solidaires, la cohésion dans les décisions collectives et la protection des intérêts territoriaux. Aussi, offrent-elles des assises à géométrie variable pour relever de nouveaux enjeux, de nouvelles responsabilités et de nouveaux leviers de développement. Ces champs investis par les acteurs renouvellent les impulsions en matière d’appropriation de responsabilités et de leviers qui, tel que démontré par ailleurs (Proulx, 2008a), possèdent cependant d’évidentes limites sur les territoires institutionnalisés du Québec.

La nouvelle division spatioéconomique

Si les territoires institutionnalisés du Québec offrent des aires fixes et stables pour l’appropriation de responsabilités et de leviers, certaines logiques spatioéconomiques s’avèrent puissantes et déterminent considérablement la localisation des activités dans l’espace, sans nécessairement respecter les frontières formelles. Selon notre analyse des forces et des tendances, quatre de ces logiques soutiennent la spécialisation progressive de certaines zones au Québec. En réalité, nous assistons actuellement à l’affirmation d’une nouvelle division spatiale des activités économiques qui différencie les territoires autour de quatre grandes vocations spécifiques (Proulx, 2007a). Il s’agit des quatre logiques spatioéconomiques liées à l’extraction, la consommation, la production et l’innovation. Voyons de quoi il s’agit.

L’extraction

Même si elle ne se présente plus de la même manière qu’autrefois, l’extraction ou la collecte de ressources naturelles demeure encore aujourd’hui une logique spatio-économique très importante au Québec. Telle que modélisée ci-dessus, elle est basée sur le principe d’accessibilité. Signalons que, globalement, les ressources naturelles extraites et leur valorisation par une première transformation participent à près du tiers du produit intérieur brut (PIB) du Québec. Dessinant des aires spécifiques d’exploitation minérale, agricole, hydroélectrique, forestière, maritime et maintenant éolienne, les divers bassins et gisements de ressources attirent encore aujourd’hui de substantiels investissements technologiques et techniques. Sont ainsi alimentées des activités économiques nouvelles, ou déjà anciennes, qui éliminent par contre souvent de nombreuses installations obsolètes, en retour d’une production croissante.

En réalité, le Québec exploite des bassins de ressources de plus en plus éloignés en périphérie, en n’érigeant cependant que très peu de nouveaux établissements humains. Dans un grand nombre d’établissements actuels, l’érosion s’avère difficile à endiguer même si ces établissements sont en pleine activité. Car l’extraction des ressources naturelles s’effectue de plus en plus avec de la technologie, en utilisant une main-d’oeuvre qui se déplace par migration alternante, souvent sur de longues distances, pour effectuer son horaire de travail (Proulx, 2007b). Les nouvelles extractions de ressources se poursuivent dans un esprit de création de richesses, tout en respectant de plus en plus les normes environnementales ainsi que les droits des autochtones.

La consommation

Les activités économiques liées à la consommation de biens et services ont subi, au cours des dernières décennies, des bouleversements importants dans leur inscription territoriale. Le Québec assiste en réalité à un phénomène de « décentration » des facteurs de localisation des activités de consommation vers l’anneau périurbain s’étalant plus ou moins autour de chacune des agglomérations (Bruneau, 2000). À cet effet, quatre tendances mercantiles interreliées expliquent la structuration de ces couronnes périurbaines plus ou moins étendues en périphérie immédiate des centres urbains importants bien positionnés sur le territoire pour attirer les consommateurs devenus plus mobiles et plus difficiles à satisfaire.

Signalons que les activités de consommation ont d’abord subi les effets de l’arrivée des centres commerciaux au cours des années 1960 et 1970. Cette nouveauté a provoqué un véritable choc qui s’est matérialisé par la perte de la vitalité des traditionnelles rues commerçantes, jadis prospères au coeur des centres urbains. Ensuite, l’explosion de la restauration rapide a participé à l’accélération du drainage des consommateurs hors des zones centrales des villes, au cours d’une deuxième phase distincte, pendant les années 1980. Cette phase a été caractérisée en outre par l’émergence de bâtiments et complexes de services spécialisés localisés stratégiquement sur les boulevards périurbains qui, du coup, ont considérablement limité la capacité de différenciation et de repositionnement des zones centrales désormais en dévitalisation commerciale accentuée. Finalement, la construction récente et actuelle des mégacarrefours dits power centers, composés de géants de la distribution (grandes surfaces), accentue encore davantage le mouvement de dévitalisation des zones centrales des agglomérations urbaines ainsi que des autres petits lieux et milieux limitrophes et plus éloignés.

Les répercussions de cette nouvelle logique spatioéconomique qui s’est imposée au Québec et ailleurs dans le contexte de la tertiarisation contemporaine de l’économie sont considérables (Binet, 2004). À l’intérieur de ces larges couronnes périurbaines d’activités de consommation bien distinctes des banlieues établies dans les années 1940, 1950 et 1960, on trouve aussi des poches d’habitat de différentes gammes, des aires de services spécialisés (loisirs, villégiature, éducation, santé, entreposage, etc.), des parcs industriels ou technologiques, des complexes récréotouristiques ainsi que d’autres zones spécialisées qui s’insèrent dans les plus anciennes villes satellites, dont la plupart connaissent un taux de croissance supérieur aux zones centrales historiques de l’agglomération et aux pôles en périphérie plus éloignée.

La production

À l’instar des activités de consommation, signalons que les activités de production subissent, au Québec comme ailleurs, les effets de l’intégration sectorielle par les géants financiers dans l’agroalimentaire, le textile, la forêt, etc. En réalité, les petites unités de production disparaissent largement, mais pas totalement, au profit de plus grandes et de très grandes, généralement plus utilisatrices de technologies et souvent de propriété transnationale.

Si les petites entreprises manufacturières sont intégrées par achats ou faillites, autant dans les petites villes que dans les plus grandes, signalons que les grandes unités de production consolidées se localisent rarement, elles, dans les petites villes très éloignées des grands marchés urbains. Plusieurs pôles secondaires demeurent cependant des milieux industriels dynamiques, notamment Rivière-du-Loup, Saguenay, Trois-Rivières et Sherbrooke. Les unités géantes ne s’établissent pas non plus au coeur des grandes agglomérations urbaines, qui offrent des conditions d’implantation peu attrayantes en regard notamment du prix du sol et de la congestion routière. Désormais libérées d’une nécessaire localisation à proximité de la gare ou du port dans le centre des villes, les grandes unités manufacturières contemporaines s’établissent maintenant, en général, hors des agglomérations par la nécessité d’espace physique et de branchements sur le réseau routier. Au Québec, elles bénéficient à cet égard de plusieurs choix de localisation accessibles sur de vastes zones de faible densité dans la frange urbaine et en périphérie plus ou moins éloignée. Au sein de ces nouvelles zones attrayantes de la plaine du Saint-Laurent, des poches de production plus denses se forment ici et là.

Nos observations sur la répartition des activités manufacturières (Proulx, 2006) permettent de saisir, au Québec, cette nouvelle logique spatioéconomique de production qui se concrétise largement dans la vaste zone sud-est, formant ainsi un croissant manufacturier à cheval sur l’axe des Appalaches (figure 3). Cette zone de production non uniforme commence dans les Basses-Laurentides et en Outaouais, traverse la couronne industrielle périurbaine de Montréal, s’étire en s’élargissant en Montérégie vers l’Estrie, les Bois-Francs et ensuite la Beauce, avant de remonter vers Lévis, Montmagny et désormais encore plus loin dans le Bas-Saint-Laurent grâce notamment à certains milieux dynamiques comme La Pocatière. Bien localisé à proximité de la frontière américaine et sis au coeur du réseau routier québécois, ce vaste croissant polycentrique, truffé de poches à densité industrielle variable, contient statistiquement la majeure partie de la production manufacturière du Québec.

Figure 3

Le croissant manufacturier

Le croissant manufacturier
Source : Alain Roch, UQAC, 2004

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Les villes de Victoriaville, Drummondville, Saint-Georges, Valcourt, Lévis, Sherbrooke, Saint-Jean, Saint-Laurent et Mirabel voient leur économie locale largement profiter de cette nouvelle logique de production déconcentrée.

L’innovation

À degrés divers, les impulsions mercantiles et technologiques de l’innovation sont captées et valorisées dans les produits, les services, les procédés de production et les méthodes de mise en marché. Au-delà de la demande révélée massivement sur le marché et de l’offre des équipements, machineries et instruments standardisés qui se diffusent rapidement et uniformément, la fertilisation de l’innovation s’effectue inégalement sur les territoires. En effet, les processus de création et de conception sont fort variables dans l’espace (Markussen, 2000), issus de la combinaison appropriée de différents intrants, notamment ceux de la recherche et du développement (R&D), des savoir-faire, de la formation professionnelle, des services de transport et des organismes de financement. À l’égard de cette combinaison de facteurs, il est maintenant statué scientifiquement que certains territoires possèdent de meilleures conditions institutionnelles que d’autres pour soutenir la créativité et l’innovation.

Au Québec, il n’y a pas de Silicone Valley, de milieux innovateurs, nouveaux districts industriels et autres hot spots comme on en trouve dans les pays fortement industrialisés. Néanmoins, la logique spatioéconomique de l’innovation différencie clairement certains lieux et certaines zones spécifiques de production qui sont désignées formellement pour établir les conditions appropriées. Plusieurs de ces territoires ciblés sont situés à l’intérieur des villes, comme la cité du multimédia de Montréal, le technoparc de Gatineau, la technopole agroalimentaire de Saint-Hyacinthe, la cité de l’optique-photonique de Québec, la technopole Laval. D’autres territoires désignés pour fertiliser l’innovation épousent plutôt une localisation périphérique comme la technopole Vallée du Saint-Maurice, la technopole maritime de Rimouski ou la vallée de l’aluminium au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Moins connus parce que non désignés formellement, certains territoires s’avèrent néanmoins des milieux très dynamiques sous l’angle de l’innovation. Mentionnons des milieux comme La Pocatière, Baie-Saint-Paul, Maskinongé, Valcourt, Bromont, Granby, Sainte-Agathe ainsi que bien d’autres territoires où sont présentes des conditions institutionnelles optimales, généralement facilitées par un mécanisme approprié tel un centre de transfert technologique, une société de développement, un catalyseur de créativité.

Nouvelles formes territoriales émergentes

Ainsi, le Québec contemporain se retrouve avec de nombreux territoires qui se distinguent par leur spécialisation économique. Ces zones économiques épousent des formes diverses et constituent, par leur contenu, des composantes importantes de la dynamique spatioéconomique contemporaine, surtout si elles sont innovantes. Malgré les chevauchements, nous les avons classifiées ici selon le domaine économique dominant, soit les activités primaires, secondaires, tertiaires et quaternaires (tableau 3).

Ces zones économiques sont en réalité des territoires en émergence (Proulx, 2008b), souvent encore flous, et peu institutionnalisés si ce n’est pas la présence de comités de coordination. Cette émergence de territoires spécialisés se révèle du reste très souhaitable puisqu’elle permet la création de « champs nouveaux » tout à fait bienvenue pour le jeu des acteurs du développement qui, souvent, se retrouvent à l’étroit dans les institutions relativement sédimentées des territoires institutionnalisés de la gestion publique comme les municipalités, les MRC et les régions administratives.

Déjà, plusieurs de ces territoires émergents ont été désignés « créneaux d’excellence » par Québec afin d’optimiser, par l’innovation, la structuration économique dans un esprit de grappe ou de filière de production. D’autres territoires deviennent éligibles pour la promotion de leur vocation spécifique, notamment le corridor des Laurentides, la Boréalie, le croissant manufacturier et les couronnes périurbaines. Aussi, des cibles pour une politique publique sont envisageables. À cet égard, on peut se demander quelles fonctions stratégiques seront éventuellement exercées sur ces territoires émergents afin d’assurer le jeu des relations entre les acteurs, dans un esprit de développement.

Tableau

3 Quatre types de zones économiques émergentes

Primaire

 

Bassins hydrographiques

Forêts boréales, méridionales

Mines d'amiante, fer, tourbe...

Spécialités agricoles, maritimes,

agroalimentaires

Gisements éoliens

Secondaire

 

Technopole agroalimentaire

Corridor de la Beauce

Vallée de l'aluminium

Technopole Vallée du Saint-Maurice

Croissant manufacturier

Technopoles Gatineau, Laval...

Tertiaire

 

Mégacarrefours périurbains

Places de services spécialisés

Rues principales revitalisées

Boulevards d'accès aux centres

Complexes périurbains

Quaternaire

 

Cité du multimédia

Cité de l'optique-phonique

Biosphère de Charlevoix

Carrefours de la nouvelle économie

Corridor des Laurentides

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Notre analyse des quatre dernières décennies de planification territoriale au Québec à la lumière de la théorie (Proulx, 2008c) apporte une réponse. Nous avons proposé, par ailleurs, la mise en oeuvre d’une procédure de planification suffisamment vigoureuse pour favoriser, de manière innovatrice, l’appropriation de nouveaux leviers de développement. Selon notre propre expérimentation, une telle planification doit bien sûr permettre la régulation territoriale, mais aussi et surtout occasionner, par une pluralité de stratégies corporatives, l’appropriation collective réelle de responsabilités publiques et de leviers de développement par les acteurs dans des contextes institutionnels territoriaux très éclatés. Une vision commune des enjeux territoriaux devient essentielle à cet effet (Proulx, 2007b).

Conclusion

L’analyse livrée dans ce texte se veut une contribution à la modélisation de la dynamique spatioéconomique contemporaine du Québec. Nous avons constaté que le modèle classique basé sur le principe de la centralité demeure très utile dans la vallée du Saint-Laurent, en illustrant un système urbain relativement bien intégré malgré la distance entre les lieux. Cette zone polycentrique prend progressivement la forme d’un archipel que d’aucuns désignent comme « métapole ». Dans la périphérie, par contre, notre lecture spatioéconomique du Québec nous a permis de bien démontrer la domination du principe de l’accessibilité en présentant un mode d’occupation des territoires bien spécifique et distinct.

La dynamique spatioéconomique du Québec fait en outre apparaître, à l’analyse, de nouvelles formes territoriales qui illustrent en substance une nouvelle division spatiale des activités économiques entre les activités d’extraction des ressources, de consommation de biens et services, de production de biens et d’innovation. Parmi les nouveaux territoires qui s’affirment, on distingue les technopoles et technoparcs, bien sûr, mais aussi un croissant manufacturier, des corridors de développement centraux et périphériques, un arc nordique, des pôles ruraux de rétention de l’érosion, des complexes d’activités spécialisées et des zones économiques désignées. L’isolement des enjeux autour de ces formes émergentes appelle inévitablement le gouvernement du Québec à pointer des cibles inédites pour soutenir le développement. Ces cibles se présentent actuellement de manière similaire à celles qui furent jadis utilisées concrètement, notamment pour asseoir la réforme des agglomérations urbaines au tournant du siècle, pour effectuer le découpage des régions administratives au milieu de la décennie 1960 ou, encore, pour dessiner les MRC au tout début de la décennie 1980.

L’émergence de nouvelles formes territoriales pertinentes génère certes des possibilités pour l’organisation des territoires par les acteurs, notamment en matière d’appropriation et de développement. Elle illustre, par contre, une nouvelle source de conflits entre les deux types de territoires présents et émergents au Québec. Ainsi, aux équilibres centre-périphérie et urbain-rural qui furent jadis au coeur de la politique territoriale du gouvernement, se superpose actuellement une nouvelle dualité conflictuelle à équilibrer entre territoires de gestion et territoires émergents.

Cela signifie qu’aussi valables et utiles qu’ils soient, les nouveaux territoires sont confrontés, dans leur émergence et leur émancipation, aux territoires officiels de gestion tels que les régions administratives, les MRC et les municipalités, bien reconnus pour la gestion publique de biens, services et programmes (Proulx, 2008a). En réalité, aux dualités centre-périphérie et urbaine-rurale qui ont permis la création des régions administratives et des MRC, se superpose une nouvelle opposition et, en conséquence, un nouvel équilibre spatioéconomique à rechercher.