Évoquer en quelques pages la place de Pierre George dans l’évolution des études urbaines en France est difficile. Son rôle en ce domaine ne se limite pas à son apport à la connaissance des villes contemporaines. Voyageur et lecteur infatigable, il a consacré à des villes de tous les types, situées dans des pays les plus divers, de multiples monographies, brèves ou détaillées, dont beaucoup resteront précieuses pour les historiens. Il a, plus encore, réalisé de grands précis et manuels, immédiatement devenus des classiques, par leur clarté, l’exhaustivité, la densité des synthèses, mais aussi la fréquente nouveauté des questions abordées et des idées développées. Ce fut le cas, avant tout, de La ville. Le fait urbain à travers le monde (1952), ouvrage à bien des égards sans précédent. Cependant, le rayonnement de Pierre George, dès le début des années 1950, tient aussi à ses nombreux écrits de statut varié (ouvrages dans d’autres champs de la géographie humaine ou en géographie régionale, articles sur des questions spécifiques, simples notes, etc.), ainsi qu’à ses enseignements oraux, tout aussi divers, à ses conférences, ses interventions dans des colloques, ses directions de recherche, etc. Résumer son oeuvre en géographie urbaine ne donnerait donc qu’une vue très incomplète de son influence intellectuelle. Aussi, loin de chercher à en rendre compte fidèlement, ne ferai-je ici que formuler quelques remarques et hypothèses sur la signification de l’aura dont il a bénéficié dans les débuts de sa carrière, et esquisser quelques questions sur les raisons du reflux ultérieur de son prestige et de son autorité universitaire. Les raisons qui ont valu à Pierre George sa réputation en géographie urbaine sont multiples. Certaines sont d’ordre conjoncturel. Ainsi, bien que la géographie ait été en avance sur d’autres disciplines dans la décentralisation du pouvoir scolaire, le statut de professeur à la Sorbonne confère encore, au tournant des décennies 1940 et 1950, un statut éminent dans l’université française. De plus, il se trouve alors que, parmi les géographes les plus connus en France, il y a peu de spécialistes des villes. Cette situation reflète, assurément, la place traditionnellement réduite des questions urbaines parmi les centres d’intérêt des géographes français, et il s’en faut peu que Pierre George soit déjà perçu lui-même comme un spécialiste. Effectivement, tout géographe ambitieux se doit, longtemps après la Seconde Guerre mondiale, de publier en géographie rurale et dans d’autres domaines, plus ou moins étendus. Reste, – pour ne citer que trois auteurs considérés comme faisant partie des pionniers des études urbaines – que Raoul Blanchard est plus connu, vers le début des années 1950, pour ses ouvrages sur les Alpes et les montagnes, Max Sorre pour ses écrits sur la biogéographie et les genres de vie ; George Chabot, malgré ses travaux sur les aires d’influence et les réseaux urbains, semble s’investir surtout dans la géographie régionale . Pierre George, inversement, du simple fait qu’il délaisse assez vite la géographie physique, apparaît d’autant plus apte à approfondir l’étude de la géographie humaine. Il se fait d’abord connaître dans les domaines de la géographie économique puis de la géographie de la population, mais il a, très tôt, l’originalité de coupler systématiquement le social à l’économique . Ceci joue indubitablement en faveur de son image de novateur en géographie urbaine. Ses compétences en démographie y contribuent également : elles introduisent dans la compréhension du développement d’une ville, de l’urbanisation d’une nation, ou d’une région, la garantie d’une analyse précise des structures de la population, de l’accroissement naturel et des mouvements migratoires. Ce souci de rigueur est présent dans d’autres textes de Pierre George, mais en particulier dans ceux …
Pierre George, un précurseur dans les études urbaines ?[Record]
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Jacques Brun
Université de Paris 1
Jbrun@univ-paris1.fr