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Ce nouvel ouvrage, au titre original et évocateur, que nous livre le professeur Louis-Edmond Hamelin sur son cheminement personnel et intellectuel, constitue une contribution exceptionnelle de grande valeur à plusieurs points de vue. Je rappellerai les plus importants. Disons, en premier lieu, que c’est une ode à la liberté de la vie universitaire mais aussi aux nombreuses responsabilités que celle-ci impose. Louis-Edmond Hamelin s’y sent bien à l’aise car, sur les deux plans, il s’est distingué et en reconstitue une image exemplaire.
La première observation que j’énonce est relative à la transdisciplinarité de l’auteur, c’est-à-dire aux champs d’étude dans lesquels il a excellé par l’originalité et la diversité des sujets d’étude (ou objets d’étude, c’est selon) disciplinaires qu’il entreprend. Toutes ces études aménagent harmonieusement types de regard sur la réalité observée (perspective holiste), méthodes d’observation employées dans la collecte des données de base (méthode conséquente par l’utilisation des techniques et outils requis), concepts anciens comme inventés (entités vocabulairiques) pour bien représenter les données retenues pour l’analyse, catégorisation et classification minutieuses de celles-ci pour construire des schémas ou modèles d’analyse appropriés (et parfois novateurs) et, enfin, interprétations rigoureuses des résultats ainsi que des types de démarche qu’elles suggèrent pour enclencher des travaux ultérieurs susceptibles d’assurer une connaissance plus complète des sujets d’étude. Pour chacun des projets d’étude, il en publie les résultats sous forme d’articles, d’ouvrages et parfois même de banques de données de sa conception.
Une deuxième observation générale se rapporte au profil de sa carrière que les administrateurs universitaires (dont il a été, à titre de recteur de l’Université du Québec à Trois-Rivières) aimeraient considérer comme un profil-type du professeur d’université. Louis-Edmond Hamelin a exercé chacune des fonctions professorales avec brio, à savoir : enseignement, recherche, direction d’étudiants, publication dans les revues avec comités de lecture, production d’ouvrages, administration et participation à des comités dans l’unité académique où il siège, engagement dans les associations professionnelles et présentation de travaux à l’occasion des assemblées annuelles de celles-ci, animation de groupes de recherche et rayonnement dans la communauté. Il a accompli tout cela avec une régularité sans faille, une responsabilité hors du commun par rapport à ses obligations et avec un dynamisme qui se propage à tous ceux qui l’accompagnent dans ses fonctions ou qui en sont les premiers bénéficiaires. Il m’est inutile d’ajouter que tous ses étudiants l’apprécient. Il a d’ailleurs reçu de précieux prix et distinctions qui ont justement reconnu et mis en évidence ses nombreux talents et l’excellence de ses contributions scientifiques. Celles-ci ont largement débordé le champ traditionnel de la géographie physique et humaine. Ses champs privilégiés de recherche se retrouvent, selon un large éventail, tout autant dans le champ des sciences sociales, dans ceux des sciences humaines que dans ceux des sciences naturelles. Il s’y sent très à l’aise et il utilise comme données spécifiques celles qu’il a recueillies par observation directe ou participante ou encore par le biais de données d’archives et de celles qui proviennent d’écrits récents. Il faut ajouter que Lous-Edmond Hamelin profite de toutes les occasions dans lesquelles il participe pour consigner les faits qu’il observe et effectuer des commentaires sur ceux-ci utiles à des analyses éventuelles.
L’âme de la terre démontre, s’il était encore nécessaire, que le professeur Hamelin est une sommité du monde universitaire canadien qui fait honneur non seulement aux géographes et aux universités québécoises et étrangères où il a oeuvré, mais aussi aux professeurs-chercheurs qui sont devenus, comme lui, des pionniers et qui, par la qualité de leurs travaux et tâches accomplis, ont acquis une réputation internationale. Qui plus est, Louis-Edmon Hamelin n’a pas déposé son coffre à outils au moment de sa retraite de l’enseignement en 1985. Il en a profité pour utiliser ses nouvelles disponibilités pour obtenir une maîtrise en linguistique à l’Université Laval et pour diffuser ses travaux les plus récents. Ses nombreux travaux sur le Nord et sur les Autochtones du Canada ont été amorcés très tôt dans sa carrière (il a fondé le Centre d’études nordiques en 1962) et ont permis de mieux faire connaître les peuples autochtones ainsi que les difficiles conditions de vie des populations qui vivent dans des milieux éloignés des grands centres urbains. De plus, au moment d’une planification mieux définie et plus extensive à notre université, les travaux d’Hamelin ainsi que ceux de ses collègues, membres du CIERA, ont permis d’établir à la Faculté des sciences sociales la Chaire de recherche Louis-Edmond Hamelin. Celle-ci favorise les travaux des nouvelles générations de chercheurs dans les champs de l’autochtonie et des études nordiques.
Ma troisième observation, comme l’annonce lui-même l’auteur dans l’introduction de son ouvrage, a trait à la construction et au produit fini de son parcours. Incontestablement, c’est un discours sur la méthode qui fournit de nouveaux paramètres à celui de Descartes. Cependant, l’auteur de ce cheminement moderne ne le présente pas comme étant un modèle à reproduire par les chercheurs universitaires. « Bien humblement, dira-t-il, j’essaie de suivre l’énoncé de Descartes […] : mon dessein n’est pas d’enseigner la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai tâché de conduire la mienne » (p. 1). Comme on le constate, les intentions d’Hamelin sont plus modestes. En effet, sa trajectoire de chercheur est unique et elle a été conçue et appliquée par le chercheur lui-même tenant compte de sa formation, de ses intérêts, des fonctions officielles qu’il a exercées, des voyages de recherche qu’il a effectués et des conditions sociohistoriques dans lesquelles son itinéraire personnel a été construit. Un compte rendu plus complet, car le mien comporte une limite, pourrait le démontrer en analysant les quatre tranches de l’ouvrage d’Hamelin. Celles-ci sont présentées par des thématiques générales à l’intérieur desquelles se trouvent leurs éléments déterminants, c’est-à-dire les facteurs qui ont influencé la naissance de chacune de ces configurations à l’intérieur d’une période historique particulière.
Comme je l’ai plus tôt mentionné, l’auteur de l’ouvrage n’effectue pas de démarcation particulière entre sa vie d’universitaire et sa vie familiale et sociale. Cette perspective nous permet de connaître des éléments biographiques qui facilitent la compréhension de la naissance du parcours et comment il a été construit et a évolué dans le temps selon une dynamique intrinsèque et extrinsèque. Il s’agit d’un Québécois né en 1923 à Saint-Didace, « un pays de concessions » dans les Laurentides à un moment où l’exploitation d’une ferme familiale traverse une période difficile (1920-1950). En conséquence, les exploitants de cette génération, et en particulier les parents de l’auteur, ont été amenés à développer une philosophie de la vie où les travaux de tous les jours sont essentiels, car ils assurent à peine les besoins de la famille et où la prudence dans les comportements économiques est la norme à respecter. Dans la réalité, le travail de la terre suscite un rapprochement bénéfique à la nature mais s’accompagne aussi de l’acceptation régulière de petits sacrifices qui acquièrent une signification religieuse valorisante et fournissent l’espoir d’un avenir meilleur. L’ardeur et la constance dans le travail de l’auteur s’inspirent, à n’en pas douter, des souvenirs de cette période et des enseignements parentaux qu’elle comporte. Les rapports harmonieux à l’environnement sont aussi d’intérêt pour expliquer, dans une certaine mesure, son attrait pour l’autochtonie et les causes autochtones. On pourrait puiser d’autres exemples dans son parcours qui illustreraient que les décisions qu’il a prises, les choix d’orientation qu’il a faits sont à la fois reliés à sa formation scientifique plurielle et aux conditions institutionnelles et sociales qui ont inspiré et nourri son parcours de pionnier. Ce cheminement de l’auteur et l’ensemble des travaux qu’il a produits révèlent la fonction éminente qu’il a jouée jusqu’à aujourd’hui dans le milieu universitaire québécois et canadien en tant que professeur-chercheur et en tant que recteur, l’influence qu’il a exercée auprès des ministères québécois et canadiens (le siège qu’il a occupé au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, entre autres) dans les champs de l’autochtonie et des études nordiques (son oeuvre majeure relative à la nordicité) ainsi que celui des entités vocabulairiques.
Il serait intéressant d’analyser en profondeur l’ouvrage dans ses composantes particulières, mais là n’est pas le but de ce compte rendu qui doit être limité dans sa longueur. Toutefois, je me permets d’en fournir la structure de base pour le bénéfice de ceux qui n’ont pas l’ouvrage à la portée de la main. Précédé d’une introduction, le volume est divisé en quatre parties : 1) Le temps des choses ; 2) Les métiers ; 3) Valeurs ; 4) Jalons historiques. Ces parties sont suivies d’une postface et d’un index comportant environ 3000 entrées. La quatrième partie sur les jalons historiques présente un aperçu des activités par ordre chronologique, les sources et des illustrations.
Sans entrer dans les détails, je puis affirmer que ces divisions en sections ne voilent pas les multiples relations qu’elles entretiennent entre elles. L’auteur les conserve pour obéir aux exigences d’une présentation analytique à caractère historique, tout en prenant le soin de multiplier çà et là les références dans le texte ou encore dans les renvois à l’index pour bien souligner les ensemblances. Somme toute, comme l’affirme Louis-Edmond Hamelin, « cet ouvrage traite de deux sujets, à savoir d’un géographe et de la conception plurielle du territoire. Ce rapprochement est naturel tant sur le plan de la science que sur celui de l’émotion, tellement l’auteur semble s’être traduit dans ses travaux » (p. 1). Cette citation donne le ton à l’ouvrage et reflète les intentions de l’auteur quant à l’angle sous lequel le parcours sera reconstruit. L’auteur est modeste dans ses intentions mais les sujets qu’il traite sont analysés avec une telle conscience intime qu’il ne manque pas d’ajouter aux connaissances déjà acquises sur le géographe de même que celles sur les propriétés plurielles du territoire. Il analyse les territoires excentriques ainsi que les habitants qui y vivent. Dans les deux cas, ses réflexions scientifiques sont à la fine pointe de la réalité. Depuis que l’auteur s’intéresse à ce champ d’étude, il a toujours été sur la première ligne pour observer et y enregistrer les faits nouveaux et en exposer la signification à ses étudiants, à ses collègues et à ses lecteurs.
On remarquera à la lecture de ce compte rendu que cet ouvrage représente une contribution majeure à la manière qu’un parcours d’excellence peut être construit. L’auteur ne le présente pas comme un modèle à tous celles et ceux qui oeuvrent dans les sciences sociales et humaines mais bon nombre de perspectives présentées et plusieurs approches méthodologiques utilisées sont des pièces qui parlent par elles-mêmes et, en tant que telles, elles deviennent des sources d’enseignements utiles tout autant à ceux dont la carrière de recherche est bien engagée qu’aux apprentis dans les domaines d’études ci-haut mentionnés.