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La question du développement durable dans les petites îles s’impose comme une priorité depuis les années 1990, tant sur la scène internationale que sur la scène européenne. À cette époque, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement reconnut que les petits États insulaires constituaient un cas particulier des points de vue de l’environnement et du développement (ONU, 1992). Ceci mena à la Conférence mondiale sur le développement durable des petits États insulaires en développement et à l’adoption du Programme d’action de la Barbade (ONU, 1994 ; 2005). D’autre part, les petites îles européennes de l’outre-mer étaient également considérées comme des cas particuliers à l’égard du développement, alors que se précisaient les statuts de régions ultra-périphériques (RUP) et de pays et territoires d’outre-mer (PTOM) ainsi que leurs relations avec la Communauté européenne (ERUP ; Europa 2005).

Cette reconnaissance de la particularité des petites îles, États ou territoires, se fonde essentiellement sur deux postulats. D’abord, cumulant les contraintes liées à l’insularité et la petitesse [1], les petits États ou territoires insulaires (PETI) constituent des espaces spécifiques particulièrement désavantagés sur le plan du développement et sont grandement vulnérables en raison notamment de leur environnement fragile, de leur base de ressources limitée de même que de leur économie modeste et trop spécialisée. Ensuite, considérant l’importance des contraintes au développement qui les affligent, leurs besoins énormes en matière de développement durable et leurs faibles ressources propres, les PETI doivent par conséquent faire l’objet d’un soutien spécifique de la part de la communauté internationale pour les petits États insulaires en développement (PEID) et de l’Union européenne pour les RUP et les PTOM.

Face au succès obtenu par les insulaires qui défendaient l’idée de leur spécificité et revendiquaient une assistance particulière, le géographe peut légitimement s’interroger sur la nature de la spécificité insulaire et des petits espaces insulaires, sur la particularité des îles en termes d’environnement et de développement ainsi que sur leur vulnérabilité sociale, environnementale et économique. S’il n’est pas question de mettre en doute que les PETI partagent à des degrés divers de nombreuses contraintes et qu’ils sont vulnérables à maints égards, il faut cependant relativiser leur situation au plan du développement (Bouchard, 2004). Par exemple, les PETI qui possèdent un faible niveau de développement humain (IDH < 0,500) sont exceptionnels, tandis que l’indice dépasse les 0,800 pour la majorité.

Pour trouver des réponses à ces interrogations, le choix des petites îles du sud-ouest de l’océan Indien apparaît fort justifié puisque les situations de développement y sont variées et étant donné qu’un véritable bilan du développement reste largement à faire à l’échelle régionale. Avant de présenter les recherches que nous menons à cet égard, les concepts de développement et de petits États ou de territoires insulaires doivent être discutés. Cette étape préliminaire accomplie, nous analyserons les situations et les trajectoires de développement selon une approche croisée par île et par thème.

Le développement

Le développement n’est pas un état qui s’étudie uniquement de façon statique à travers un ensemble d’indicateurs composites plus ou moins complexes. Nous estimons pour notre part que, envisagé en tant que processus à finalité sociale et non pas économique, le développement devrait alors se traduire par l’amélioration des conditions et de la qualité de vie des populations ainsi que par l’édification de systèmes socioéconomiques robustes et capables de générer une telle amélioration. Par définition, le but est de produire des améliorations pérennes, ce qu’évoque le concept de développement durable qui appelle un développement socialement équitable, économiquement responsable et respectueux sur le plan environnemental (Bouchard, 2006). Fondamentalement, il s’agit donc d’un phénomène dynamique qui mène à un plus grand bien-être de la société ; bien-être qu’il serait possible d’évaluer d’abord en termes de santé et d’espérance de vie, bien que d’autres dimensions puissent également être considérées. Cependant, une société peut tout aussi bien progresser ou régresser, voire stagner, sur la voie du développement.

Si l’on peut mettre en cause cette approche qui lie développement et amélioration des conditions de vie, force est d’admettre qu’il existe bel et bien à l’échelle de l’histoire de l’humanité un cheminement général vers une survie de mieux en mieux assurée. Le problème n’est vraisemblablement pas tant dans l’acceptation du processus comme dynamique fondamentale du monde que dans l’incertitude des modèles de développement qui sont aujourd’hui proposés. Le défi réside en fait dans l’établissement de voies qui permettront à tous de progresser sur le plan du développement en même temps que se réduirait progressivement, mais assurément, l’écart de développement entre ceux qui bénéficient des meilleures conditions et ceux qui subissent les pires situations. À cet égard, le concept de développement durable est intéressant puisqu’il prône un monde tout à la fois vivable, viable et équitable.

Mais le développement durable demeure avant tout un projet qui n’est pas sans susciter quelques interrogations quant à sa mise en application dans différents contextes locaux et quant à ses chances de réduire les écarts entre espaces riches et pauvres de la planète. Le développement et son évolution, ce qu’on peut appeler la trajectoire du développement, ne peuvent certainement pas être compris en considérant uniquement les principes et objectifs du développement durable (figure 1). Parler de développement permet d’aborder la question de manière plus large en prenant en compte le progrès économique, la justice sociale et la préservation de l’environnement (les trois piliers du développement durable).

Figure 1

La géographie et le développement

La géographie et le développement

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Le développement étant abordé ici comme un processus, il s’agit de ne pas négliger la dimension temporelle, car une situation de développement peut être envisagée comme la résultante à un moment donné des relations complexes entre la société et son milieu (au sens large et non pas restreint à la dimension physique). Pour bien saisir une situation de développement, il faut donc considérer les enjeux, les contraintes, les atouts, les acteurs, les stratégies et les actions dans le temps, comprendre les permanences et les évolutions, articuler des causes avec des effets à l’échelle des problèmes particuliers ainsi que des actions avec des rétroactions à différentes échelles spatiales, mesurer le niveau de développement atteint, identifier les défis actuels et les possibilités d’évolution. La comparaison entre différents systèmes devrait permettre, d’une part, d’affiner les analyses thématiques (problèmes particuliers) et, d’autre part, de témoigner de la variété des contextes et des voies suivies. Dans le cas des petites îles, cela peut notamment se faire à l’échelle internationale (petits États ou territoires insulaires) ou encore à l’échelle d’une communauté régionale (Antilles, sud-ouest de l’océan Indien, Pacifique, Méditerranée, etc.).

Petits États ou territoires insulaires (PETI)

Les petits États ou territoires insulaires, soit les régions dites ultrapériphériques [2], comme les pays et territoires d’outre-mer et quelques autres territoires insulaires (américains notamment), sont un objet géographique à définir. Une telle définition n’est pas simple à formuler car les PETI ne sont spécifiques ni par leur insularité (toutes les entités insulaires n’étant pas de petite superficie), ni par leur taille (les petits territoires, les petites populations et les petites économies n’étant pas exclusivement insulaires), ni même par la relation taille-insularité (toutes les petites îles ne pouvant certainement pas prétendre constituer de véritables PETI).

Pour lever cette difficulté, on évoque alors généralement la combinaison de ces facteurs pour identifier un groupe d’espaces particuliers à l’échelle mondiale. Ainsi, par petits États ou territoires insulaires (PETI), on entend des entités insulaires (Bouchard, 2004, pp. 18-19) :

  • constituées d’une ou de plusieurs îles ou archipels, ou encore d’une partie seulement d’une île (exemple du Timor-Leste) ; ce qui exclut tout État ou territoire qui n’est que partiellement insulaire ;

  • dont le territoire terrestre total n’excède pas les 30 000 km2 ; ce qui permet de prendre en compte Haïti (27 560 km2) et les îles Salomon (27 540 km2) alors que tous les autres PETI font moins de 20 000 km2 ;

  • qui sont habitées par une population permanente, et donc caractérisées par une véritable société insulaire ; ce qui exclut les territoires insulaires inhabités dans lesquels les enjeux de développement ne sont pas déterminés par une société locale ;

  • qui forment des entités politiques particulières qui sont soit totalement souveraines et indépendantes, soit souveraines mais librement associées à une grande puissance régionale ou internationale, ou encore non souveraines, totalement ou partiellement intégrées à une métropole (cas des petits territoires) ; ce qui exclut toute sous-entité politique des petits États et des petits territoires insulaires (exemple de l’île Rodrigues qui est rattachée à la République de Maurice) ;

et finalement, qui sont, lorsqu’il s’agit de petits territoires, éloignés de leur métropole ; ce dernier critère nécessitant au minimum une discontinuité entre les zones économiques exclusives (ZEE) du territoire et de sa métropole ; ce qui exclut les îles et archipels côtiers ou proches [3].

On ajoutera enfin que, dans l’ensemble, les PETI possèdent également une population limitée (inférieure à 2 millions d’habitants), une économie de petite taille (PIB inférieur à 5 milliards $US) et une gamme limitée de ressources naturelles. Sur la base de la définition proposée, il y aurait 74 PETI, soit 36 petits États [4] et 38 petits territoires [5], répartis dans la Caraïbe, l’Atlantique, la Méditerranée, l’océan Indien, le golfe Persique, la mer de Chine méridionale et le Pacifique.

Le développement dans les PETI du sud-ouest de l’océan Indien

Les recherches que nous menons portent sur les Comores, Maurice (incluant l’île Rodrigues), Mayotte (collectivité départementale française), la Réunion (département d’outre-mer français) et les Seychelles (figure 2 et tableau 1). Bien qu’ils partagent certains traits communs tels que l’insularité, la petitesse, une forte densité de population et l’usage du français, ces PETI possèdent chacun une personnalité bien affirmée en raison de la diversité et de la combinaison unique de leurs contextes environnementaux, sociaux, économiques et politiques. Sur le plan socioéconomique, l’ensemble se partage nettement en deux groupes qui opposent les îles swahilies de l’archipel comorien (Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte) aux îles créoles des Mascareignes (Maurice et Réunion) [6] et des Seychelles.

Figure 2

Les petits États et les territoires insulaires du sud-ouest de l’océan Indien

Les petits États et les territoires insulaires du sud-ouest de l’océan Indien

- Sans population permanente, Bassas da India, Europa, Les Glorieuses, Juan de Nova et Tromelin sont administrées par la France et regroupées sous le nom d'îles éparses.

- L'île de Mayotte est revendiquée par l'Union des Comores.

- L'île Tromelin est revendiquée par la République de Maurice, qui revendique également l'archipel des Chagos, actuellement administré par le Royaume-Uni sous le nom de Territoire britannique de l'océan Indien.

- Bassas da India, Europa, Les Glorieuses et Juan de Nova sont revendiquées par Madagascar.

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Les premières possèdent une population très jeune et à croissance rapide, des économies sous-développées ainsi qu’un indice de développement humain assez faible [7]. Les secondes possèdent une population moins jeune et à la croissance plus modérée, des économies plus modernes et diversifiées ainsi qu’un indice de développement humain assez élevé [8].

Tableau 1

Données élémentaires pour les petits États et les territoires insulaires du sud-ouest de l’océan Indien

 

Géologie

Superficie terrestre (km2)

Population mi-2005 (habitants)

Densité de population (hab./km2)

PIB 2003 (milliards PPA-US$)

PIB/hab. 2003 (PPA-US$)

IDH (2003)

Comores (Union des)

Îles volcaniques

2 170

671 247

309

1,0

1 714

0,547

Maurice (République de)

Îles volcaniques

2 030

1 230 602

606

13,8

11 287

0,791

Mayotte (France)

Îles volcaniques

374

193 633

518

[0,5]

[2 600]

[0,600]

Réunion (France)

Îles volcaniques

2 507

776 948

310

[9,4]

[12 400]

[0,850]

Seychelles (République de)

Îles granitiques ou coralliennes

455

81 188

178

0,8(a)

10 232

0,821

(a) : en fonction du PIB/hab. [entre crochets] : PIB et PIB/hab. estimés pour Mayotte et la Réunion. Produit intérieur brut (PIB) en milliards de dollars américains selon la méthode de la parité de pouvoir d’achat (PPA). Sources principales : CIA, The World Factbook 2005 ; PNUD : Rapport mondial sur le développement humain 2005.

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Désormais, les situations de développement s’évaluent tout autant à travers les enjeux sociaux et environnementaux que par les enjeux économiques et politiques. Quel que soit le PETI étudié, plus riche ou plus pauvre, la question du développement en général et du développement durable en particulier est devenu un enjeu de société fondamental. Il s’agit donc maintenant d’analyser ces petits systèmes spatiaux en considérant notamment les héritages, les faits culturels, les besoins, les moyens et les actions, sans oublier leur vulnérabilité et leur résilience. L’analyse doit aussi être en partie prospective, car les solutions proposées aux problèmes actuels doivent servir de levier, et non pas représenter des contraintes pour le développement à long terme. Face à la complexité de l’objet d’étude, nous proposons une approche à double entrée, c’est-à-dire l’analyse détaillée de problèmes particuliers (énergie, eau, démographie, pauvreté, récifs, tourisme, risques naturels, etc.) et l’étude comparative des situations globales de développement de chaque PETI à l’échelle du sud-ouest de l’océan Indien (Bouchard, 2005a, 2005b et 2005c).

Enfin, le défi du développement dans les PETI étudiés réside largement dans l’articulation entre des évolutions favorables au niveau local et une intégration réussie à l’économie monde. À cet égard, on notera que ce sont les îles les plus ouvertes sur l’extérieur, chacune selon son propre modèle, qui ont le plus progressé sur la voie du développement dans les décennies 1960 à 1990 (Maurice, Réunion, Seychelles). Mais les piliers économiques traditionnels sont désormais remis en cause (industrie sucrière, tourisme, fabrication textile, rente administrative), alors que d’autres secteurs prennent la relève (opérations bancaires extraterritoriales, pêche hauturière, NTIC, etc.). Pour sa part, le processus de modernisation qui accompagne l’ouverture sur le monde bouleverse les équilibres démographiques, les cultures locales, les structures sociales et les relations de pouvoir. D’autre part, l’environnement des îles est désormais soumis à des pressions locales énormes (exploitation, pollution, destruction), si bien que l’on s’attend à ce qu’il soit particulièrement affecté au cours du XXIe siècle par les changements climatiques (hausse du niveau marin, plus faible résistance des récifs coralliens, tempêtes de plus forte intensité, etc.). Dans ces conditions, le repli sur soi et l’immobilisme sont à éviter ; le développement implique l’action au niveau local, l’adaptation aux nouvelles conditions et l’intégration aux systèmes spatiaux de niveaux supérieurs (région, monde). Il faut trouver des voies qui permettent d’accroître à la fois l’intégration au monde extérieur et la résilience du système local. Reste finalement la question fondamentale des moyens, notamment financiers et humains, qui par leur insuffisance, limitent trop souvent les possibilités.

Conclusion

Les petits États et les territoires insulaires constituent, à n’en pas douter, un type d’espaces particulier. Bien que les contraintes liées à l’insularité et à la petitesse ne leur sont finalement pas spécifiques, ces espaces sont malgré tout globalement affectés par un certain cumul de contraintes liées à l’insularité et à la petitesse. La spécificité des PETI serait là, c’est-à-dire dans le cumul des contraintes liées à l’isolement insulaire et à la fragmentation territoriale (dans le cas des espaces formés de plusieurs îles) ainsi qu’au fait de posséder une petite superficie, une petite population et une petite économie. Mais cette spécificité n’est pas suffisante pour expliquer ni les situations et les trajectoires de développement, ni les personnalités variées des PETI.

Quant aux petites îles du sud-ouest de l’océan Indien, elles forment un terrain d’intérêt pour étudier le développement des petits États ou des territoires insulaires. On y retrouve des situations et des trajectoires de développement fort contrastées qui ne peuvent s’expliquer que par une approche globale qui considère tout à la fois le social, l’environnement, l’économique et le politique d’une part, les enjeux locaux, nationaux, régionaux et globaux d’autre part. Il faut désormais aller au-delà de l’état des lieux et de son explication, ce qui n’est déjà pas une mince affaire. La question qui se pose aujourd’hui avec tant d’insistance dans toutes les îles étudiées est donc celle de l’avenir, c’est-à-dire des actions à entreprendre ou à poursuivre qui permettront de progresser sur la voie du développement.