Thème 4 - La géographie face au défi du vivre-ensemble

La pertinence géographique et sociale d’un projet de paysageErrements et suffisances de notre habiter[Record]

  • Mario Bédard

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Depuis son apparition, la société humaine est allée de crises en crises qui ont tant marqué son évolution qu’elles en ont bien souvent été le moteur. La crise actuelle se distingue toutefois en ceci que, prenant sa source dans nos modes de vie de plus en plus homogènes et insatiables, elle met en cause notre raison d’être et la pérennité de nos milieux de vie. Nous en voulons pour preuve la déroute environnementale, l’épuisement des ressources, puis la déshérence qui affectent un nombre sans cesse croissant de gens et de communautés. Autant de problèmes qui émaneraient principalement de l’érosion de la médialité de l’habiter entre le lieu et l’être (Berque, 2000 ; Massey, 2004), puis de la dissociation éthique entre les habitants et leur habitat, soit autant de conditions favorables à une perte de sens (Nancy, 1993), et donc à un mal-être de plus en plus répandu (Castoriadis, 1996). Depuis la fin des années 1980, on cherche à contrer cette érosion et cette dissociation au moyen d’une critique radicale des idées de croissance, de richesse et de déterritorialisation (Augé, 1992 ; Badie, 1995) associées à la mondialisation et au mode de vie qu’elle convoie (Cary, 2003). C’est sans doute ce qui explique la forte demande sociale à l’égard du paysage alors que se pose de plus en plus la question du sentiment d’appartenance à un lieu pour nourrir notre identité. Quel acteur social peut aujourd’hui soumettre quelque aménagement d’un lieu sans faire valoir sa qualité paysagère pour appuyer sa démarche ? Le paysage n’est-il pas de toutes les rhétoriques et stratégies en matière d’aménagement du territoire et de protection des biens culturels ? Pour louable et juste que soit cette quête du paysage, elle demeure indéfinie. En attestent les conflits d’usage entre environnementalistes, institutions gouvernementales, promoteurs économiques et simples citoyens. Citons à titre d’exemples, au Québec, le cas de la zone d’exploitation contrôlée (ZEC) du Triton en Haute-Mauricie, où on n’arrive pas à s’entendre sur le rôle de sa forêt (développement versus préservation, modernité versus nature ou tradition), de la ligne à haute tension d’Hydro-Québec passant par le Val Saint-François en Estrie, du réaménagement de la côte aux Éboulements dans Charlevoix ou de la rue Notre-Dame à Montréal. Autant de controverses directement associées aux lectures divergentes qui sont faites du paysage, ses différents acteurs habitant un même lieu à défaut d’un même paysage. Il s’agit là d’une difficulté qui, selon nous, dépend de notre incapacité à nous défaire du paradigme cognitif et logique qui prévaut actuellement. Véritable onto-cosmologie (Berque, 2000) de l’Occident et de la Modernité depuis Descartes et Newton, ce paradigme propose en effet un mode de penser où le rapport Humanité/Nature, notamment, est tenu pour un rapport d’opposition. Des rapports de force antagoniques qu’encouragent l’individualisme et le matérialisme qui, portés au pinacle par le triomphe du libéralisme économique, nous obligent à détruire peu à peu le milieu naturel et le tissu social (Beck, 2001 ; Sen, 2003). Cela étant, notre mode de penser n’est-il pas en train de nous aliéner en valorisant le gain maximal, la consommation pour seul moyen de satisfaction ? Comment pourrait-il en être autrement alors que notre existence et notre sens reposent, à la base, sur une compréhension intéressée de notre place et obtuse de notre rôle, d’où les nombreux problèmes qui aujourd’hui nous assaillent (Appadurai, 1996). L’actuelle quête paysagère nous semble manquer de lucidité vis-à-vis de l’ampleur de la métamorphose à accomplir, de cohérence vis-à-vis de la complexité de tous les phénomènes que cette dernière incorpore, puis de souffle vis-à-vis de toute la charge de sens qu’elle interpelle. Trop souvent instrumentalisé au profit …

Appendices