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Comment évolue l’Asie du Sud-Est, pour elle-même, dans un contexte de mondialisation, et à la suite de la crise de 1997? Telles sont les prémisses qui sous-tendent cet intéressant ouvrage, qui se penche donc sur les transformations contemporaines de la région. L’Asie du Sud-Est, avec une population de 520 millions d’habitants, reste une région caractérisée par une forte fragmentation politique, une grande diversité sociale et d’importants conflits internes, en dépit des expériences institutionnelles de l’ASEAN. La région, depuis la crise financière de 1997, n’est plus un pôle de rapide croissance économique, ce qui renforce les clivages sociaux et complique les ajustements structuraux par lesquels doivent passer ces sociétés en transformation rapide. Ce livre réunit les points de vue variés de spécialistes qui ont travaillé et ont vécu dans la région, sur le thème du changement des sociétés et de la dynamique régionale.

Graeme Hugo propose une analyse rigoureuse des phénomènes démographiques: diversité actuelle des phases de la transition démographique; incidence des pandémies mondiales, comme le sida; diversité des politiques nationales en matière d’encouragement à la natalité; conséquences de ces dynamiques, une grande diversité des structures démographiques émerge, certains pays affichant encore des pyramides typiques des pays en développement (Laos, Cambodge) alors que d’autres, comme Singapour, ont désormais une dynamique comparable à celle des pays dits développés.

Le chapitre sur l’agriculture intègre bien les multiples dimensions de la question: au-delà des structures agraires, dont les évolutions constituent en elles-mêmes un aspect intéressant, Rodolphe de Koninck souligne avec justesse les enjeux géopolitiques de la mise en valeur des nouveaux espaces agricoles: intégration des espaces périphériques, dans le cadre de l’appropriation du concept occidental de territoire défini par une frontière linéaire; et intégration des populations minoritaires sur ces mêmes espaces périphériques.

Le phénomène de l’urbanisation est également traité de façon fort intéressante. Philip Kelly et Terry McGee soulignent la variabilité des dynamiques urbaines au sein de la région, laquelle dessine peu à peu une hiérarchie des pôles urbains au sein de la région, parallèlement à l’établissement de tels réseaux dans chaque pays. Cette urbanisation croissante, accélérée par l’émergence des secteurs manufacturiers et des services, profite des investissements étrangers tout en favorisant l’intégration de ces pays aux circuits mondiaux de l’économie: là encore, les phénomènes étudiés sont abordés, de façon très pertinente, à diverses échelles, nationale, régionale et globale.

D’autres chapitres laissent une impression de catalogue peu structuré. Ainsi, celui sur l’environnement, sans parvenir à cerner les tendances très contemporaines, ne fait qu’effleurer les questions des activités des multinationales, de la réglementation en matière de protection de l’environnement, des conflits entre États et des tensions sociales issues de l’exploitation des ressources. De même, le premier chapitre, sur les frontières, extrêmement ambitieux, reste de fait trop général: le portrait qu’il dresse évoque la formation des territoires des États actuels; dresse la liste des dyades communes entre États; aborde le rôle de l’ASEAN et de la ZOPFAN; aborde succinctement l’héritage des frontières coloniales (improprement qualifiées par l’auteur d’«artificielles» (p. 49) – un concept fort contestable qui permet d’évacuer la question des causes contemporaines des conflits frontaliers); pour se pencher sur un certain nombre d’exemples de frontières conflictuelles et les questions de migration. Aucune problématique de fond n’est sérieusement proposée pour guider la réflexion, alors que, justement, le processus d’appropriation du concept de frontière linéaire, introduit par les puissances coloniales dans une région où dominait la conception concentrique des territoires des États, aurait pu fournir une intéressante trame d’étude. On peut s’interroger aussi sur la signification de l’affirmation selon laquelle on peut observer une «importante corrélation entre la géographie (sic) et les États indépendants des années 1990» (p. 55).

On regrettera l’absence d’analyse des dynamiques socio-politiques domestiques dans la région: comment la mondialisation, l’urbanisation, la crise de 1997 et l’émergence d’une classe moyenne, phénomènes que l’on observe en de nombreux autres points de l’Asie orientale et de l’Asie du Sud, affectent-elles la légitimité du gouvernement et ses relations avec la société? Des éléments de cette problématique sont abordés çà et là, mais pas de façon systématique.

L’ouvrage pèche aussi un peu par un certain conformisme dans sa définition de l’Asie du Sud-Est: les contributeurs ont manifestement beaucoup de difficulté à se départir du paradigme anglo-saxon selon lequel la région se définirait par sa «diversité». Il aurait été apprécié, dans un ouvrage qui se propose de faire le tour des réflexions actuelles sur la dynamique spatiale en Asie du Sud-Est, que l’on revienne sur ce concept qui ne définit rien et fige une approche en vase clos de la région. Celui-ci est en réalité d’origine purement militaire – le South-East Command de 1943, puis la logique de la Guerre froide entérina le nom par le biais de l’OTASE, l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est. L’ouvrage n’aborde que très succinctement cet aspect; il aurait été utile d’en discuter plus à fond afin de souligner les très grandes limites d’une définition fondée sur la seule diversité – il existe de nombreuses autres régions qui affichent une grande diversité, y compris religieuse, sociale, ethnique, même en Chine et dans le sous-continent indien, les deux grands mondes qui bordent l’Asie du Sud-Est et dont les influences culturelles sont à la base d’une autre définition courante de la région, creuset multiforme des influences chinoise et indienne.