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Cet ouvrage constitue une oeuvre majeure de géographie historique. L’auteur, Serge Courville, l’un des grands spécialistes de cette discipline au Canada, professeur à l’Université Laval (Québec), publie une volumineuse et remar-quable étude intitulée Immigration, colonisation et propagande, du rêve américain au rêve colonial.
D’une part, cette ambitieuse recherche, soutenue par le Conseil des Arts du Canada, la British Academy et l’Emmanuel College de Cambridge, conduit à s’interroger sur un sujet rarement approfondi. L’auteur s’intéresse à la perception des « Terres neuves » d’Amérique du Nord dans les discours des principales nations participant au phénomène migratoire (Angleterre, États-Unis, Canada) au XIXe siècle et au début du XXe. Tout l’intérêt de cette étude porte sur les discours de la colonisation, des mythes et des réalités du peuplement occidental, des images et des écrits véhiculés au fil des époques sur cette « terre de liberté ». L’ouvrage témoigne ainsi de l’existence d’une géographie historique culturelle qui intègre toutes les formes de représentations spatiales du continent.
D’autre part, la rigueur de l’étude conduit à des conclusions forts intéressantes. À partir de documents divers (brochures, affiches, circulaires, conférences, descriptions topographiques, documents cartographiques, articles de journaux, etc.) parus en Angleterre, aux États-Unis et au Canada, Serge Courville insiste sur le contenu des discours de peuplement et des représentations collectives du territoire à la fois dans le temps et dans l’espace. Il montre ainsi la permanence d’un discours de peuplement composé de trois grandes idées qui incitent à quitter l’Europe. Il apparaît d’abord que l’immigration est un « rouage de l’économie marchande » permettant d’assurer les besoins en main-d’oeuvre, de résoudre les problèmes des pays d’immigration et d’améliorer le sort des émigrants. Un deuxième type de discours montre qu’elle est un moyen d’étendre l’influence d’une communauté sur des territoires nouvellement colonisés et destinés à devenir à leur tour des bases de colonisation. Enfin, un dernier et troisième type montre que l’immigration facilite le renouvellement d’une société menacée par les contraintes du capitalisme, de l’urbanisation et de l’industrialisation. Ce discours d’encouragement de l’immigration se rencontre d’abord en Grande-Bretagne. Il s’étend ensuite à d’autres relais que sont les États-Unis, puis le Canada qui entretiennent des relations particulières avec la Puissance coloniale et, enfin, les terres australes anglophones. Chacun de ces arguments présente une spécificité plus ou moins accentuée selon les régions et les époques. Malgré cette diversité thématique et géographique du discours incitant à l’immigration, l’image du territoire nord-américain (États-Unis et Canada) conduit finalement à la même idée de quête du bonheur, d’un même idéal de « Terre promise » et de « paradis », de recherche du progrès matériel et industriel, du respect des croyances. Cette démonstration s’articule en dix chapitres : « l’âge de l’immigration, les formes de soutien, théories et propagande, un discours invitant, la colonisation systématique, le relais colonial, peupler l’Ouest, la colonisation dirigée, la variante québécoise, le matériel de promotion ».
Serge Courville aborde la question de la colonisation et du peuplement de l’Amérique du Nord par une démarche originale, dans un style alerte, enrichie par une abondante documentation littéraire. Il montre ainsi les différentes perceptions du territoire selon l’origine culturelle des immigrants, au travers de diverses sources écrites comme les brochures de propagande. Cet ouvrage, comme l’indique l’auteur, se veut aussi une base de réflexion actuelle sur le discours québécois de colonisation. Loin d’être replié sur lui-même, celui-ci se serait fortement inspiré des différentes influences culturelles passées qui, véhiculant un message constructif, ont caractérisé ce processus de peuplement de l’Amérique du Nord depuis le XIXe siècle.