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L’ordre du monde change substantiellement. Il est toujours difficile, le nez collé à la vitre de notre époque, d’assurer que ce n’est pas un soubresaut plus fort, mais un réagencement d’ampleur; néanmoins après que de nombreux repères aient significativement changé, la modification de l’état des tensions, des politiques et des rapports de forces militaires après le 11 septembre 2001 ouvre un contexte nouveau. L’essai de Frédéric Lasserre et Emmanuel Gonon arrive à point nommé. Il rend sensible l’actualité tant de la réflexion critique que de la mise en perspective d’une géopolitique dans l’histoire du siècle qui vient de se finir.
L’intention des auteurs est de désacraliser la géopolitique en tant qu’explication simple et mécaniquement déterministe. Ils s’y emploient tant en critiquant les effets de mode contemporains autour de la géopolitique qu’en discutant les postulats des différents courants de pensée qui l’on progressivement constituée ou en proposant à leur tour une approche mise en oeuvre dans l’étude de différents territoires.
Le lecteur trouvera ainsi un panorama rapide, mais pédagogique et intéressant, des apports de Ratzel, Kjellen, Mahan, Mackinder, Spykman, Haushofer, puis de leur réutilisation par des contemporains. Pour quiconque veut se repérer dans le paysage des idées, il trouvera là filiations, résurgences et réinterprétations. On pourra parfois regretter que la concision nécessaire au genre conduise parfois à une réduction et une simplification trop importante et que seuls quelques aspects de la pensée de ces auteurs soient mis en évidence. Dans ce vaste tour d’horizon de l’héritage de la géographie politique, F. Lasserre souligne les postulats des systèmes d’idée inspirés par Ratzel, Mackinder, Haushofer et se livre à une critique roborative.
Le fond de ce débat est la prise en compte du politique au sens large dans la réflexion sur les territoires. F. Lasserre et E. Gonon montrent les multiples postures que cette question a prise dans les corporations scientifiques, dans les écoles nationales, particulièrement celles de la géographie française, dans les rapports aux gouvernements. Ils plaident pour une approche géographique multiscalaire où le niveau des États n’est pas le prisme unique, combinée aux lectures de l’économie, de la sociologie et des sciences politiques. Ils y voient les conditions d’existence d’une géopolitique non réductrice.
Ils expérimentent cette approche dans une série d’intéressantes études portant justement sur des espaces d’échelles et de types très différents : le Triangle d’or, l’Afghanistan (interrogé comme une version moderne du Grand Jeu), la mer de Chine du Sud, le conflit Inde-Chine, la représentation du Pacifique et l’éventualité du déport d’une centralité mondiale, la Terre-Québec, mais également des espaces nettement plus petits tels les villes clôturées américaines ou les espaces urbains mis en coupe par des bandes. On regrettera cette série d’études si on attendait un essai théorique allant crescendo vers une systématisation plus développée ou au contraire on l’appréciera si on recherchait une illustration diversifiée de la géopolitique critique préconisée.
Un ouvrage utile, qui suscite la discussion et la réflexion à un moment où sa nécessité s’impose avec force.