Abstracts
Résumé
Le 13 avril 2019, « un (nouveau) Code civil » est né. Le législateur belge a en effet décidé de réformer son droit civil en profondeur et, depuis le 1er novembre 2020, le Code civil du 21 mars 1804 (le Code Napoléon) est devenu, pour les Belges, l’« ancien Code civil ». À travers une mise en perspective textuelle et conceptuelle du livre 3 « Les Biens », entré en vigueur en 2021, cette étude propose de saisir les théories générales qui structurent le droit des biens belge et d’évaluer la modernité de notre propre vision du droit des biens québécois, qui – comptant désormais 30 années de vie – arrive à un tournant existentiel.
Abstract
On 13 April 2019 “a (new) Civil Code” was born. The Belgian legislator decided to reform its civil law in depth and, since 1 November 2020, the Civil Code of 21 March 1804 (the Napoleonic Code) has become, for Belgians, the “old Civil Code.” Through a textual and conceptual perspective of “Book 3 Property,” which came into force in 2021, this study proposes to grasp the general theories that structure Belgian property law and to assess the modernity of our own vision of property law, which, now thirty years old, has reached an existential turning point.
Resumen
El día 13 de abril de 2019 nació « un (nuevo) Código Civil ». El legislador belga decidió efectivamente realizar una profunda reforma del derecho civil. El Código Civil del 21 de marzo de 1804 (el Código de Napoleón) se convirtió para los belgas en el « antiguo Código Civil » desde el primero de noviembre de 2020. A través de una puesta en perspectiva textual y conceptual del « Libro 3 – Bienes » que entró en vigencia en 2021, este estudio plantea abordar las teorías generales que estructuran el derecho de propiedad belga y evaluar la modernidad de nuestra propia visión del derecho de propiedad, el cual cuenta con treinta años de existencia y que ha alcanzado un hito existencial.
Article body
Le 13 avril 2019, « un (nouveau) Code civil » est né[1]. Le législateur belge a en effet décidé de réformer son droit civil en profondeur et, depuis le 1er novembre 2020, le Code civil du 21 mars 1804 (le Code Napoléon) est devenu, pour les Belges, l’« ancien Code civil[2] ». Ce geste, qui confère une autonomie et une identité propre au droit civil belge[3], résonne avec la réforme du Code civil du Québec de 1991[4]. Les ressemblances entre les deux codes sont frappantes. Leur forme matérielle est quasi identique : division en dix livres[5] et bilinguisme[6] ; ouverture au droit comparé assumée[7]. Cependant, les processus de réforme et d’adoption diffèrent. Alors que le processus québécois s’est étalé tranquillement sur plusieurs décennies, de l’adoption de l’Office de révision du Code civil en 1955[8] à la promulgation intégrale du Code civil du Québec en 1991, le législateur belge a fait le choix d’une procédure rapide, sectorisée et fractionnée, confiant à des commissions différentes la charge de réformer chacun des livres de manière autonome. Le livre 8 « La Preuve » a lancé le processus d’adoption de ce (nouveau) code civil[9], suivi du livre 3 « Les Biens », publié au Moniteur belge le 17 mars 2020 et entré en vigueur le 1er septembre 2021[10]. Ce dernier est l’objet de notre étude[11].
Le livre 3 « Les Biens » a sa propre histoire. Le ministre fédéral de la Justice belge d’alors, Koen Geens, « avocat, professeur de droit des entreprises et de droit financier à la KU Leuven et cofondateur du cabinet d’avocats Eubelius, le plus grand cabinet indépendant de Belgique[12] », a chargé les professeurs de droit privé Pascale Lecocq, de l’Université de Liège et de l’Université libre de Bruxelles, et Vincent Sagaert, de la KU Leuven, de la rédaction de ce livre. Réunissant les « deux solitudes[13] » belges, écrit à quatre mains dans deux langues « officielles », soit le français et le néerlandais[14], sa rédaction et son adoption furent ardentes[15]. Soutenu par un exposé des motifs aussi riche que détaillé, le livre 3 « Les Biens » a connu trois versions avant son adoption définitive[16]. Les motifs mettent en avant quatre objectifs qui irriguent les huit titres adoptés[17] :
La partie introductive des motifs ajoute aux objectifs précédents l’apport essentiel du droit comparé :
-
[La] méthode employée part d’une approche comparative qui s’inspire, notamment, du Code civil néerlandais, du Code civil du Québec, de l’Avant-Projet de réforme du droit des biens en France. Il s’agit de trois lois ou avant-projets de loi récents d’inspirations diverses : une approche romaniste approfondie dans l’avant-projet français, des influences plus germaniques dans les textes de loi néerlandais et certains accents de common law dans le Code civil du Québec[18].
Si le droit québécois constitue une source importante d’inspiration, et que les rédacteurs belges ont opté pour une vision fonctionnelle du droit des biens, derrière l’architecture et les concepts choisis se tisse une vision belge du droit des biens qui mérite d’être relevée. Notre mise en perspective, purement textuelle et conceptuelle, est l’occasion à la fois de dévoiler la ou les théories générales qui structurent le droit des biens belge et d’évaluer la modernité du droit des biens québécois qui, comptant désormais 30 années de vie, arrive à un tournant existentiel.
Les choix récents du législateur belge, par le truchement de définitions et de dispositions générales, laissent entrevoir des positions théoriques plus ou moins assumées. La notion de « biens » est symptomatique : l’absence de définition du mot « bien » en droit québécois, alors même que le législateur innovait par l’introduction de ce vocable dans sa définition de la propriété[19], contraste avec la définition autonome et impérative donnée par le législateur belge[20]. Plus encore, l’apparition dans la version définitive « des générations futures » dans le régime des choses communes relève la prise en considération de préoccupations environnementales et sociales, qui ouvrent la voie à une analyse plus générale des transformations du droit privé. D’ailleurs, l’article belge qui a le plus agité l’opinion publique[21] est celui qui autorise l’accès au terrain de ses voisins[22]. Le dernier paragraphe de cet article, qui offre sur un terrain privé non bâti, non cultivé, non clôturé, un libre accès à tous, se révèle d’autant plus fascinant qu’il est complètement absent du droit québécois[23]. Ces innovations, qui déclôturent l’orthodoxie propriétariste du droit des biens, restent pourtant prisonnières de la tradition : le maintien ferme d’un numerus clausus des droits réels en est la manifestation la plus éclatante[24].
La tension entre volonté d’ouverture et désir de cloisonner « les composantes inhérentes[25] » du droit des biens parcourt toute la réforme belge. Elle offre, à ce titre, la possibilité de questionner à la fois la nouvelle architecture du droit des biens belge, le droit québécois et leurs modernités. Afin de mieux circonscrire les théories sous-jacentes à ces codes, deux textes seront nécessaires. L’objectif de notre premier texte est ici d’exposer les particularités du droit des biens belge à travers une étude textuelle et conceptuelle, à partir de laquelle nous dessinerons notre propre vision du droit des biens belge[26]. Il sera suivi d’un second texte (à paraître) proposant une relecture du droit des biens québécois à l’aune du droit des biens belge.
Dans ce premier acte, nous procéderons à une autopsie réaliste[27] du nouveau livre 3 « Les Biens ». Le législateur belge, dès le premier article, oscille entre « clôturer » et « déclôturer » le droit des biens. Le recours à des dispositions générales et à des définitions impératives marque en effet l’intention du législateur de constituer un « droit supplétif [28] » à titre de droit commun, instaurant ainsi un ordre public des biens (partie 1). Il offre cependant du même souffle une souplesse juridique ayant pour objet l’« instrumentalisation (“fonctionnalisation”)[29] » des mécanismes du droit des biens, nouvelle assise d’un droit sur-réel belge (partie 2).
1 Clôturer : « Les biens »
Forme – Le choix législatif et politique de codifier livre par livre la réforme du droit civil belge a eu un effet important sur le droit substantiel des biens[30]. Tous les articles touchant le droit des biens ont ainsi été relocalisés dans le livre 3[31]. Inspiré par le droit allemand, ce livre est construit autour d’intitulés à valeur législative[32], de dispositions générales et de définitions qui innervent chacun de ses titres.
Ordre public des biens – Ce formalisme apparent relève une volonté législative bivalente partagée entre flexibilisation et sécurité juridique. L’article 3.1, qui lance le livre 3 « Les Biens », donne le ton. Intitulé « Droit supplétif », il pose comme principe le pouvoir des parties de déroger à la loi. Bien qu’il semble ouvrir le droit des biens à la volonté des parties, évitant « que l’ensemble du droit des biens soit considéré comme étant d’ordre public ou impératif [33] », le législateur belge a fait le choix d’encadrer cette ouverture par des définitions impératives[34]. Ce cloisonnement définitionnel impose un nombre important de « figures juridiques qui sont impératives dans leur ensemble et auxquelles les parties ne peuvent donc pas déroger[35] », renversant l’ordonnance initiale. Ainsi, le costume contractuel semble cousu de fils d’ordre public.
Numerus clausus – La manifestation la plus patente de cet ordre public des biens se trouve dans le maintien du numerus clausus des droits réels, alors même que plusieurs États y ont renoncé soit dans leur ordre législatif (par exemple, le Québec[36]), soit dans leur droit prétorien (par exemple, la France[37]). Ce « [s]ystème fermé des droits réels » est consacré par l’article 3.3 qui énonce que « seul le législateur peut créer des droits réels ». Et cet article va plus loin. Nommant expressément le droit de propriété comme un droit réel, il embrasse la théorie classique de la tradition civiliste française[38], renonçant à faire du droit de propriété un droit subjectif de nature particulière[39] qui se distinguerait des autres droits réels, toujours exercés sur la chose d’autrui. Ici, droit de propriété, copropriétés, droits réels d’usage (servitude, usufruit, emphytéose et superficie) et sûretés réelles[40] sont mis sur le même plan[41]. Exit les modalités et les démembrements de la propriété ; exit la volonté des parties comme source de droits réels innommés ; exit a priori la flexibilité annoncée du droit des biens[42].
Fiducie – L’abandon par le législateur de l’intégration d’un modèle fiduciaire dans le livre 3 « Les Biens » est un autre signe de cette fermeture juridique. Bien qu’initialement prévue[43], la fiducie n’a finalement pas trouvé sa place dans ce nouvel agencement de droits réels fermés. Plus encore, cette occasion manquée a figé la théorie du patrimoine dans la théorie classique d’Aubry et Rau[44].
Théorie classique du patrimoine – L’article 3.35, d’ordre public, lie résolument le patrimoine à la personne. Défini classiquement comme une « universalité de droit[45] comprenant l’ensemble de ses biens et obligations, présents et à venir », le patrimoine belge intègre de manière explicite les trois principes élaborés par Aubry et Rau[46]. Du coup, le législateur belge embrasse la possibilité de diviser son patrimoine, comme le concède l’article 3.37 sur les comptes tiers, et ainsi que le prévoyaient déjà les illustres auteurs[47]. Pas de quoi ébranler la théorie classique du patrimoine qui structure le droit privé[48]. Aucune incorporation de la théorie moderne du patrimoine d’affectation dans ce (nouveau) code qui, pourtant, « vise à moderniser le droit des biens[49] ». Le contraste avec le Code civil du Québec, qui a intégré le concept d’affectation dans son droit privé[50], est frappant. Le rapatriement du « droit de gage général » des créanciers dans la section sur le patrimoine du livre 3 « Les Biens » est encore plus éloquent[51]. En officialisant la théorie personnaliste du patrimoine, le législateur belge décentre le droit privé de la personne pour le concentrer sur les droits patrimoniaux[52].
Les ou des biens ? – Dans le livre 3 « Les Biens », ce n’est pas que le patrimoine qui se voit accorder une définition législative. Souvent laissés pour compte[53], les biens y trouvent une définition impérative mais « élargie ». L’article 3.41 énonce ceci : « Les biens, au sens le plus large, sont toutes les choses susceptibles d’appropriation, y compris les droits patrimoniaux. » Pour ne pas « heurter les convictions conceptuelles des uns et des autres[54] », les rédacteurs ont adopté de manière explicite une définition pragmatique leur évitant de se positionner dans les débats doctrinaux. Pour autant, cette définition XXL, qui a vocation à s’appliquer à « tous les droits patrimoniaux et non point [aux] seuls droits réels et personnels, en incluant par là les prérogatives patrimoniales des droits intellectuels[55] », dépasse le compromis annoncé et laisse transparaître une vision économique du droit, des droits, qui valorise la valeur patrimoniale comme objet autonome de l’appropriation des biens[56].
Le parallèle avec le Québec s’avère intéressant. Le législateur québécois a fait le choix de ne pas définir les biens, laissant ouvertes les diverses acceptions de la notion. La doctrine et la jurisprudence oscillent, de manière implicite ou pragmatique, entre diverses positions qui ne sont pas toujours compatibles, mais qui offrent la malléabilité nécessaire à l’épanouissement des figures juridiques des biens. Ainsi, les biens au Québec peuvent être : 1) des choses corporelles[57] ; 2) des choses corporelles et incorporelles[58] ; 3) des choses corporelles et des droits, qui sont des choses incorporelles et des droits personnels, réels ou intellectuels[59] ; 4) des droits patrimoniaux au sens large, ce qui réduit toutes les notions du bien à sa valeur économique[60].
Cette dernière acception phagocyte l’objet du droit de propriété jusqu’à l’assimiler : tout bien est droit. Sur le plan juridique, la métamorphose devient fondamentale. D’une équation ternaire « Personne – Droit – Objet », l’objet étant lié à la personne par le droit, on passe à une équation binaire « Personne – Droit ». Le droit et l’objet du droit disparaissent pour ne laisser subsister que le droit patrimonial, qui les absorbe. La relation ainsi réduite cristallise la notion de « bien-droit[61] ». Ainsi, peu importe la nature (mobilière ou immobilière) ou la source (droit immobilier, droit de créance[62], droit intellectuel) de l’objet de droit, qui était l’élément central de la relation ternaire. Selon la logique binaire, seule la valeur économique du « bien-droit » compte réellement. La valeur économique, archétype du « bien-droit », devient l’élément fondamental de tous rapports juridiques, qu’ils soient personnels, réels, législatifs ou même fiduciaires[63].
La définition élargie adoptée par le législateur belge des biens englobe toutes « les convictions conceptuelles[64] » dans cette dernière acception, enfermant les biens, « choses susceptibles d’appropriation, y compris les droits patrimoniaux[65] », dans le carcan économique du « bien-droit », figure paradigmatique du (nouveau) droit des biens belge. Ici, la chose et le bien s’effacent au profit d’un droit patrimonial uniformisant les relations juridiques.
Épouser une telle définition, c’est nécessairement adopter une position théorique qui a des répercussions sur les figures du droit des biens. Il suffit de penser à la possession. En effet, comment appréhender la présence d’un corpus possessoire d’un « bien-droit » ? Si l’on prend au sérieux la logique impérative des définitions du Code civil belge, et sa nouvelle figure paradigmatique des biens, force est de constater que la possession des droits doit exister en droit belge. Et, en effet, le législateur belge l’admet à l’article 3.22 qui dispose que « le possesseur est de bonne foi s’il peut légitimement se croire titulaire du droit qu’il possède » (l’italique est de nous). Par comparaison, l’article 932 du Code civil du Québec[66] ne parle pas de la possession d’un droit, mais seulement de son exercice. S’il est facile de conceptualiser l’exercice d’un droit, fait qui comprend un contrôle physique et un contrôle juridique du bien[67], la détention et la possession d’un droit (articles 3.18 et 3.22) ne peuvent être que juridiques. Ici, exit le contrôle physique de la chose ou du bien, exit la matérialité de la possession.
Ce qui était une métonymie, parler du droit pour parler du bien, est devenu une réalité juridique. Le droit a pris le dessus sur le bien, poussant même un cran plus loin la métamorphose opérée. Le « bien-droit », qui laissait encore dans l’imaginaire du juriste une place au bien entendu comme chose au sens large[68], glisse vers le « droit-bien », ce qui efface définitivement la chose[69].
Ces biens, « droits-biens », ont ainsi acquis une existence propre, qu’exacerbe encore leur dissociation définitionnelle des autres objets de droits.
Autres objets de droits – Pour arriver à cette définition des biens, le législateur belge, dans le sous-titre « Catégories générales » du titre 2 « Classifications des biens », définit les objets de droits que sont les choses, naturelles ou artificielles, corporelles et incorporelles, les animaux, les biens, les fruits et les produits. Ainsi, l’article 3.38 énonce que les choses se distinguent des animaux, et que les choses et les animaux se différencient des personnes. Notons que le législateur belge, suivant l’air du temps, casse la summa divisio classique des personnes et des choses pour introduire une « troisième catégorie, celle des animaux[70] ». Contrairement à l’article 898.1 du Code civil du Québec, qui définit les animaux comme des êtres doués de sensibilité, soumis au régime du droit des biens, le législateur belge, à l’article 3.39, se contente de souligner la sensibilité et les besoins biologiques des animaux sans les qualifier d’êtres, et de les soumettre au régime strict des choses corporelles. Cela implique plusieurs choses. Premièrement, les animaux ne sont ni des êtres ni des choses. Deuxièmement, les choses corporelles bénéficient d’un régime spécifique dans le royaume belge des biens. La distinction « chose/bien » demeure donc primordiale en droit belge. De surcroît, elle semble supplanter la summa divisio classique « chose/personne ».
L’importance de ces distinctions en droit belge est complexifiée par l’absence de concordance exacte entre les versions française et néerlandaise du Code pour désigner les objets de droits. À quatre concepts (« objets de droits », « choses », « biens » et « droits »), que l’on trouve dans la version française, correspondent trois concepts flamands (voorwerpen, goederen et zaken), donnant très certainement aux rédacteurs bilingues du fil à retordre. Ainsi, le mot « chose » au sens large, assimilé à l’objet de droits, se dit voorwerp, comme l’indiquent les intitulés des articles 3.38 sur les choses ou 3.139 sur l’objet d’un usufruit. Le « bien » au sens large, entendu comme chose susceptible d’appropriation et droit patrimonial est goed. Par exemple, l’article 3.41, qui définit les biens, rappelle que les goederen sont toutes les choses appropriables au sens de voorwerpen. L’article 3.43 donne une autre illustration de la distinction entre voorwerp et goed : les « choses communes », non appropriables, sont des gemene voorwerpen, et les « choses sans maîtres », appropriables, des goederen zonder eigenaar. Quant au mot zaak, le législateur belge le privilégie lorsqu’il est question d’encadrer une chose corporelle dont le corpus physique a une incidence sur le régime juridique en jeu. On le trouve à l’article 3.58 dans le cas des « choses corporelles trouvées » (gevonden zaken) et à l’article 3.60 pour ce qui est des « choses non enlevées » (niet-opgehaalde zaken)[71].
Ces dissonances linguistiques rappellent qu’une notion unique de bien, même élargie, ne suffit pas à saisir la complexité des relations réelles entre la personne et son objet de droit. Le législateur belge continue à cloisonner le régime des choses corporelles mobilières. La définition élargie du bien prend le large pour que la chose (cachée)[72] retrouve sa place dans l’architecture du droit privé, autre manifestation de ce phénomène.
L’effort de conceptualisation des objets de droits qu’une définition élargie des biens avait vocation à rassembler cache un éventail de réalités que cette notion ne peut seule appréhender. La définition de la propriété de l’article 3.50 clôt cette ouverture : le droit de propriété ne confère pas de droit sur la chose, ni sur le bien, ni sur le droit, mais sur « ce qui fait l’objet de son droit ». Pourquoi avoir recours à un tel euphémisme après avoir (im)posé des définitions notionnelles des objets de droits et une définition « élargie » des biens ? Si tout objet soumis au rapport d’appropriation est bien, le bien devrait être l’assise de la définition de la propriété. Force est de constater que les biens élargis, même définis, restent à l’écart.
Composante inhérente – La difficulté de mise en pratique de la définition des biens élargie ressort également dans le principe de « spécialité et unité des droits réels » de l’article 3.8, principe inconnu en droit québécois. Resserrant la notion de bien autour de sa « composante inhérente », le législateur belge semble ici « recantonner » le bien. En effet, tout élément intrinsèque d’un « bien » en est une « composante inhérente », et « ne peut en être séparé sans porter atteinte à la substance physique ou fonctionnelle de ce bien ». Ici le bien n’est pas entendu au sens large de droit mais de chose. En effet, la composante inhérente est une facette de l’immobilisation par incorporation (art. 3.47) et de l’accession (art. 3.55) des choses corporelles comme incorporelles (volumes non bâtis : art. 3.177). Il est intéressant de noter que la composante inhérente se distingue par ailleurs de l’accessoire (art. 3.9) qui permet de qualifier les biens immobilisés par destination (art. 3.47).
Tout en élargissant les biens, le droit belge dispose donc d’instruments pour en délimiter les contours physiques ou fonctionnels. La chose, objet de droits, refait irrésistiblement surface.
La part des choses – La copropriété fait son entrée dans le Code civil belge où elle occupe une part importante du livre 3 « Les Biens ». À l’instar du législateur québécois, le législateur belge a choisi de donner une définition commune aux copropriétés. Toutefois, la comparaison s’arrête là. L’article 3.68 définit non pas deux mais trois figures juridiques de la copropriété, qui se déploient en fonction de la manière dont elles sont nées. La copropriété peut ainsi être fortuite, volontaire ou forcée. Selon cette logique des sources, la copropriété indivise québécoise se trouve à la fois dans la copropriété fortuite (art. 3.69 et suiv.), mais aussi dans la copropriété volontaire (art. 3.76 et 3.77), mais encore dans la copropriété forcée, au contraire de la copropriété divise qui, elle, ne se trouve que dans un type particulier de copropriété forcée, celle des immeubles bâtis (art. 3.84 et suiv.). La copropriété forcée est « toute forme de copropriété où le bien indivis doit être en copropriété en raison de sa fonction ou de sa destination » (art. 3.78). Elle comprend tant les indivisions successorales du droit civil québécois que les « indivisions forcées » de l’article 1030 du Code civil du Québec sur les biens affectés à un but durable[73], dont sont exclus les biens mitoyens. Deux différences notables peuvent d’ores et déjà être mentionnées : le législateur belge a fait le choix de la destination plutôt que de l’affectation, et il a prévu un régime explicitement impératif (art. 3.78 al. 3).
Ce qui étonne plus encore est l’« objet des droits » de ces trois formes de copropriétés. Pas un mot sur la nature de l’objet de droits de la copropriété volontaire, qui donc, de facto, porte sur un bien au sens large, comme cela est prévu par la définition générale de l’article 3.68 du Code belge. On y parle d’une « part » pour la copropriété fortuite et d’une « quote-part » pour la copropriété forcée, ce qui laisse entendre que la part n’est pas une quote-part, et serait donc un autre « autre objet de droits ». Cet autre objet de droits, la « part indivise » (art. 3.69), se distingue par ailleurs du « bien indivis » (art. 3.73) qui, dans le régime de la copropriété fortuite, semble plutôt s’apparenter à une chose indivise. Nous observons la même multiplication de l’objet indivis dans la copropriété forcée qui distingue la « quote-part » du « bien privatif » (art. 3.80), qui se rapproche a priori de ce que le législateur québécois nomme « partie privative » (art. 1042 C.c.Q.). Est-ce à dire que, à côté des « biens privatifs », le droit des biens belge connaîtrait aussi des « biens communs » ? Non pas[74], mais les copropriétaires connaissent la « déchéance de leurs droits[75] ». En effet, l’article 3.82 sanctionne la contravention au régime impératif des travaux de modification de la copropriété forcée par la déchéance. Cette dernière ne remet pas en question les objets des droits sur le bien privatif et sur la quote-part, mais la nature de la relation juridique avec ces objets. La copropriété forcée serait-elle donc une quasi-propriété qui correspondrait en réalité à un droit réel sur la chose d’autrui pour lequel le législateur belge a prévu un régime général de déchéance (art. 3.16 (4)) ? Le droit belge consacrerait-il un droit des biens solidaires[76] ?
Déchéance – Insérée dans le titre premier, « Dispositions générales », la déchéance devient une cause d’extinction de droit commun des « droits réels » qui sanctionne les abus de droit de leur titulaire. L’article 3.15 dresse une liste des modes d’extinction ayant vocation à embrasser tous les droits réels : extinction du droit d’un des auteurs du titulaire, disparition de l’objet, anéantissement du titre, expropriation, renonciation. L’article 3.16, au contraire, réserve d’autres modes d’extinction aux seuls droits réels d’usage : l’expiration du délai légal ou contractuel, la prescription extinctive, la confusion et la déchéance. De cet allotissement, nous déduisons que la propriété et la copropriété sont des droits réels, mais lorsque les droits réels portent sur le bien d’autrui, ces droits réels d’usage ont une nature particulière, celle d’être précaire. Ainsi, l’usufruitier, l’emphytéote et le superficiaire sont, par nature, des titulaires précaires soumis à la déchéance, tout comme l’est le titulaire d’une servitude. Par ailleurs, le Code civil belge donne aux titulaires de ces droits réels d’usage des « droits sur le droit[77] ». Ces droits sur le droit réel d’usage permettent à leurs titulaires d’aliéner leur droit réel et de constituer un droit réel ou une sûreté réelle sur leur propre droit réel, qui porte, rappelons-le-nous, sur la chose d’autrui. Ces prérogatives à saveur propriétariste, une propriété XXS pourrions-nous dire, transforment le droit réel d’usage en « objet de droit » à part entière. Pourtant, l’article 3.16 prévoit explicitement que ces quasi-propriétaires peuvent, dans certaines circonstances, perdre leur droit réel d’usage par déchéance. Or le droit-bien issu des « droits sur le droit » est inhérent au droit réel d’usage. Ainsi, la déchéance du droit réel d’usage entraîne la perte de ce nouvel objet de droit et du droit (de propriété ?) dont il était l’objet. Ce qui pose la question suivante : la propriété belge serait-elle soumise à la déchéance ? Le droit belge accepte en tout cas la déchéance de ce type particulier d’appropriation, qui entraîne – en plus de la perte du droit – la disparition de l’objet sur lequel porte le droit, donc la perte du bien selon l’article 3.15. La déchéance est totale. Le droit des biens belge offre un avant-goût d’une déchéance qui sanctionnerait un abus de droit.
L’abus de droit, consacré dans le livre 1 « Dispositions générales[78] » à l’article 1.10, trouverait ici une application singulière puisque celui qui « abuse de manière manifeste de l’usage et de la jouissance du bien » (art. 3.16) perd son droit, alors que la sanction classique de l’abus de droit « consiste en la réduction du droit à son usage normal, sans préjudice de la réparation du dommage que l’abus a causé » (art. 1.10). La déchéance comme sanction rappelle la particularité du droit réel stricto sensu, qui n’inclut pas la propriété et ses modalités, et qui confère un droit direct sur la chose d’autrui. Cet autrui balise la nature de la relation entre le titulaire du droit réel et l’objet de son droit. Ainsi, la relation du titulaire du droit réel à la chose est nécessairement subordonnée à cet autrui, propriétaire de la chose, et à son lien direct dans la chose[79]. Autrui a préséance.
Voisins – Comme c’est le cas en droit québécois, le législateur belge a consacré un titre aux « relations de voisinage » afin d’encadrer les relations avec les tiers. Troubles de voisinage, clôtures mitoyennes et servitudes limitent, sans déchoir, la plénitude des prérogatives du propriétaire immobilier. Le régime juridique des troubles « anormaux » de voisinage est balisé par deux articles détaillés. Les clôtures mitoyennes, archétype de l’indivision forcée (art. 3.103), se voient bannies du titre sur les copropriétés pour être rapatriées dans celui sur les relations de voisinage, comme si toute copropriété n’en était pas une. Cette ligne séparative est marquée par un régime sur la mitoyenneté très détaillée et à cheval sur ses critères de détermination. Quant aux servitudes, pourtant incluses dans le numerus clausus des droits réels (art. 3.3), elles se voient aussi attribuer une place singulière dans ce titre sur les relations de voisinage, alors que les autres droits réels d’usage ont chacun un titre autonome[80]. Si les « servitudes légales » se situent naturellement dans les limites de la propriété immobilière (eaux, distance, enclave), les « servitudes du fait de l’homme » auraient pu, comme au Québec, au même titre que l’usufruit, l’emphytéose ou la superficie, avoir un titre propre, leur source volontaire substituant autrui au « voisin-tiers ».
La prescription acquisitive de la servitude (art. 3.26 et 3.27) étonne d’autant plus que le législateur belge a fait le choix de définir la servitude comme « une charge grevant un immeuble, dit fonds servant, pour l’usage et l’utilité d’un immeuble appartenant à autrui, dit fonds dominant ». S’il est possible de posséder un droit réel d’usage, soit un « bien-droit », pour le prescrire acquisitivement, comment prescrire par possession utile une charge ? L’article 3.118 le permet pourtant, vivifiant ainsi les fantômes de la féodalité dans le droit des biens, le propriétaire du fonds dominant imposant par son fait prescriptif une charge à autrui[81].
Clôtures – S’il est possible de prescrire une charge, envisagée comme un bien au sens large, force est de constater que les biens belges englobent une multitude d’objets de droits, hétéroclites, voire hétérodoxes, qui débordent la ligne définitionnelle établie. Les choses, les choses corporelles, les choses incorporelles, les biens au sens le plus large, les biens indivis, les biens privatifs, les droits patrimoniaux, les droits personnels, les droits intellectuels, les droits réels, les droits, les objets de droits, ce qui fait l’objet de son droit, les parts, les quotes-parts et les charges[82] font désormais partie de l’imaginaire juridique belge, et « ceci n’est pas une pipe[83] ».
Si les biens ne sont pas des biens, n’est-il pas illusoire de vouloir les clôturer ? Les définitions impératives et le numerus clausus qui clôturent le droit des biens belge coexistent avec une volonté de le déclôturer. L’exemple ultime de cette bivalence réside dans le paragraphe 3 de l’article 3.67 du livre 3 « Les Biens ». Alors que, comme dans le droit québécois, tout propriétaire peut clôturer sa parcelle[84], les terrains privés non bâtis, non cultivés et non clôturés sont désormais ouverts à autrui en droit belge[85].
Cette ouverture montre qu’il est toujours possible de contourner, voire d’escalader les clôtures. Au-delà de ses définitions et de ses régimes impératifs, au-delà de son ordre public et son numerus clausus, le droit des biens belge laisse apparaître des figures juridiques libérées, déclôturées.
2 Déclôturer : « Les droits »
La volonté déclarée des rédacteurs d’offrir une vision moderne d’un droit des biens qui « doit être fonctionnel et non pas seulement conceptuel[86] » se manifeste clairement dans les définitions qui, bien qu’impératives, ont pour but de simplifier la mise en oeuvre des régimes mis en place[87]. Ainsi, les définitions des droits réels d’usage n’ont pas pour effet d’emprisonner ces droits réels dans une logique dogmatique. La consécration des « droits sur le droit » en est une manifestation prodromique. Les droits sont-ils devenus la « réalité supérieure » du droit des biens belge[88] ?
Droits – L’article 3.6, qui définit le pouvoir de disposition, dispose que « le titulaire d’un droit réel peut disposer de son droit ». Les dés sont jetés. Le droit belge consacre les droits, des droits qui sont des biens (art. 3.41), objets de droits, objets de propriété. Ainsi, « sans nécessairement trancher et aller jusqu’à l’affirmation que tout est propriété [89] », le législateur belge a admis a minima que tout est droit. Tout est sur-droit.
Droits sur droit – La possibilité expressément prévue par le législateur belge dans les titres consacrés aux droits réels d’usage, pour un titulaire, de disposer de ses droits réels est symptomatique d’un changement paradigmatique du droit des biens. La propriété, bien qu’elle ne soit pas tout, se trouve partout, y compris là où on ne l’attendait pas. Elle peut découler des prérogatives des titulaires d’un droit réel d’usage (art. 3.140, 3.168 et 3.178), dans la limite de leurs droits, mais aussi des droits sur l’objet du droit (art. 3.142, 3.171 et 3.183).
En effet, le titulaire d’un droit réel d’usage peut créer, dans la limite de son droit, un droit réel d’usage sur son droit réel d’usage. Par exemple, un emphytéote peut constituer une superficie ou une emphytéose sur le sous-sol du bien d’autrui. Cette dérogation contractuelle prévue par le législateur belge met à nu le propriétaire du bien principal sur-grevé de droits sur son droit (et son sous-sol !). Amoindri, son abusus amoindrit le numerus clausus pourtant annoncé et menace la sécurité juridique néanmoins désirée[90]. Cette multiplication de droits, à texture propriétariste, rappelle l’ouverture choisie, même si ces droits XXS restent limités.
Par ailleurs, la vocation générale de l’article 3.6, qui permet à tout titulaire de droit réel de disposer de son droit, ne laisse planer aucun doute : les droits sur le droit consacrent la propriété des droits réels (« au sens le plus large »). Le droit belge ouvre donc la possibilité d’être un propriétaire XXS, soit, mais surtout XXL, ce qui favorise tant la multiplication des objets de son droit que du droit lui-même[91].
En ce sens, les rédacteurs belges ont emboîté le pas au législateur québécois qui, plus ou moins consciemment, par la propriété des biens[92], par les droits réels innommés perpétuels[93], par les modalités innommées de la propriété[94], avait ouvert la voie. L’ouverture québécoise est cependant timide. L’article 3.50, qui définit la propriété belge, ne porte pas sur un bien comme dans le Code civil du Québec, ni même sur une chose comme dans l’ancien code belge, mais il « confère directement au propriétaire le droit d’user de ce qui fait l’objet de son droit, d’en avoir la jouissance et d’en disposer » (l’italique est de nous). Si le droit belge a conservé l’équation ternaire classique, qui met en relation une personne et un objet par le truchement du droit propriété (« Personne – Droit – Objet »), cet objet, « objet juridique non identifié[95] », qui n’est pas dénommé « bien », semble à nouveau disparaître derrière le ou les droits. Si tout droit patrimonial est bien et que tout bien est droits, tout droit est donc droits.
À titre d’exemple, l’emphytéote belge est titulaire d’un droit réel d’usage sur la chose d’autrui et peut disposer de ce qui est l’objet de son droit. Ainsi, il peut « céder et hypothéquer son droit d’emphytéose » (art. 3.171), qui constitue un premier bien. Cependant, il a aussi « l’usage et la jouissance, matériels et juridiques, de l’immeuble sur lequel porte son droit » (art. 3.172), ce qui constitue un second bien. Si tout droit réel offre à son titulaire une panoplie de prérogatives, allant de l’usage à la disposition de son bien sur lequel porte son droit, encore faut-il s’entendre sur ce sur quoi porte le droit : le droit ou la chose ? Or ici, on assiste à un dédoublement des objets sur lesquels porte son droit, et donc un dédoublement des droits, prérogatives et biens. Les droits-biens se doublent de droits-prérogatives.
Le même phénomène s’obverse pour l’usufruit, et ce, de manière encore plus patente. L’article 3.142, intitulé « Droits sur le droit », permet à l’usufruitier belge d’« aliéner son droit d’usufruit, [de] constituer sur celui-ci un usufruit, [de] le mettre en gage […] ou [de] “l’hypothéquer” (objet 1) ». Selon l’article 3.143, il a également « l’usage du bien grevé pour autant qu’il agisse de manière prudente et raisonnable et qu’il respecte la destination dudit bien » (objet 2). On voit clairement que les prérogatives propriétaires sur son droit d’usufruit, objet autonome de droits, diffèrent des prérogatives conférées sur l’objet sur lequel porte son droit.
La superficie reprend le même schéma. L’article 3.183, « Droits sur le droit », permet au superficiaire belge de céder et d’hypothéquer son droit réel d’usage (objet 1) ; l’article 3.184, « Droits sur les volumes », l’autorise à exercer « sur son volume toutes les prérogatives de propriétaire, dans les limites des droits du constituant du droit de superficie » (objet 2). La multiplication des droits est ici évidente. Et ce phénomène ne se limite pas aux droits réels d’usage, puisque le copropriétaire fortuit peut également exercer des prérogatives propriétaires sur sa part (art. 3.70 ; objet 1) et sur le bien indivis (art. 3.71 et 3.73 ; objet 2), même si ses prérogatives sont concurrencées par les droits de propriété des autres indivisaires.
Droits sur les droits du droit – L’indivisaire fortuit a donc un droit sur sa part, qui est la conséquence de son droit sur le bien indivis. Dit ainsi, son droit indivis devrait être indivisible, tout comme l’objet de l’indivision. Pourtant, le droit sur sa part, droits sur un droit, lui confère un droit de propriété exclusif sur sa part et un droit de propriété indivis sur le bien commun, comme s’il y avait toujours deux droits dans sa propriété indivise. Cette schizophrénie prend sa source dans l’emploi du mot « droit » qui épouse les choses, les biens et les droits et perd ainsi sa spécificité : le droit n’est plus ce que l’on peut faire, mais ce que l’on a, ou ce que l’on peut faire et ce que l’on a. Contrairement au tableau de Magritte, la reproduction n’est pas interdite[96], et elle jette une ombre sur la distinction entre les prérogatives qui découlent du droit et l’objet (« bien au sens le plus large ») sur lequel porte le droit.
Cette surréalité juridique des droits sur les droits du droit, qui innerve toutes les figures du droit des biens belge, a pour conséquence d’augmenter la réalité juridique.
Droit des biens augmenté – Le volume belge dit tout. Consacrés par l’article 3.47, les volumes composent, avec les fonds de terre, les immeubles par nature « déterminés en trois dimensions ». Immeuble incorporel, le volume ainsi réifié participe à la multiplication des biens, qui ne sont pas uniquement XXL, mais aussi en 3D. D’ailleurs, l’article 3.177 définit le droit de superficie, droit réel d’usage, comme conférant « la propriété de volumes, bâtis ou non, en tout ou en partie, sur, au-dessus ou en dessous du fonds d’autrui ». Si le volume semble ici avoir une nature autonome, et que le droit de superficie confère un droit de propriété sur cet immeuble, le droit de superficie, qui par ailleurs peut être perpétuel (art. 3.180), est-il réellement cloisonné dans la catégorie des droits réels d’usage ? Les droits sur le droit n’expliquent pas tout, mais tout n’est-il pas propriété[97] ? Le droit de superficie est-il un droit réel d’usage sur la chose d’autrui augmenté ou un droit de propriété limité ? S’il est les deux, exit le numerus clausus. La clôture saute.
Par ailleurs, le droit de superficie belge se double d’une institution inconnue du droit québécois : la superficie-conséquence. Il est en effet spécifiquement prévu à l’article 3.182 que « le droit de superficie peut aussi naître comme la conséquence d’un droit d’usage sur un immeuble qui confère le pouvoir d’y réaliser des ouvrages ou plantations ». La « superficie-conséquence » permet à l’usufruitier, à l’emphytéote et même au superficiaire d’acquérir la propriété d’un troisième objet : le volume bâti. Ainsi, le titulaire du droit réel d’usage qui acquiert une « superficie-conséquence » augmente à nouveau ses biens et ses droits. S’il est manifeste qu’il exerce un droit d’usage sur l’immeuble d’autrui, s’il est désormais établi qu’il est titulaire d’un droit de propriété sur son droit réel, envisagé comme un droit patrimonial, le législateur belge lui reconnaît également « un droit de superficie-conséquence et la propriété des ouvrages et plantations en découlant » (art. 3.182 ; l’italique est de nous). Le droit découlant du droit de superficie-conséquence se dédouble, offrant des droits sur le droit et un droit de propriété sur la chose corporelle bâtie, tous deux limités par le régime juridique du droit dont il découle.
La servitude belge connaît elle aussi sa part de dédoublement. D’abord, le volume étant qualifié d’immeuble par nature, une servitude peut être constituée en faveur ou à charge d’un volume ou d’un bâtiment situé au-dessus ou en dessous d’un sol appartenant à une autre personne. Par ailleurs, tout titulaire d’un droit réel d’usage peut également constituer une servitude dans les limites de son droit (art. 3.117 al. 2). Ainsi, le titulaire d’une servitude pourrait constituer une servitude sur le fonds de sa servitude, un droit sur les droits d’un droit au fond(s). Les rédacteurs belges n’étaient pas dupes de cette démultiplication et de ses conséquences. Ainsi peut-on lire ce qui suit dans l’exposé des motifs : « Vue cette multiplication de droits réels, seraient-ils temporaires, sur les différentes parties d’un fonds, il a fallu prévoir qu’une servitude peut être constituée entre deux immeubles appartenant à la même personne si l’un d’eux est grevé d’un droit réel au profit d’un tiers[98] ». Cette possibilité d’identité de propriétaire, a priori incompatible avec la logique de la servitude, est d’ailleurs étendue aux copropriétaires (art. 3.114, 2°). Si, au Québec[99] comme en Belgique[100], la servitude par destination du propriétaire permet de constituer une servitude en latence sur son propre immeuble (qui ne naît qu’au moment de la division des immeubles et de la multiplication des propriétaires), la situation prévue par le législateur belge dans l’article 3.114 va plus loin. Une même personne peut être propriétaire du fonds servant et du fonds dominant, en même temps, s’obligeant alors envers elle-même[101]. Cette incongruité semble être la conséquence non seulement d’une multiplication des droits réels, mais d’une multiplication des droits réels vus comme biens. Cette multiplication des objets met en lumière une désincarnation des biens, ici les fonds. La servitude paraît porter bien plus sur le droit d’autrui que sur son fonds, ce qui s’apparente alors à une servitude personnelle, autrement appelée « droit réel de jouissance innommé ». Le numerus clausus a-t-il encore un avenir ?
Futurs – Derrière le numerus clausus belge transparaît une vision moderne des biens, soucieuse de proposer des outils adaptés aux transformations sociales actuelles et futures. L’exemple le plus emblématique est l’apparition des générations futures comme faisant partie intégrante de l’intérêt général qui caractérise l’usage des choses communes (art. 3.43). La consécration des générations futures, comme affectant l’usage commun des dernières choses qui résistent à l’appropriation et à la multiplication des biens, ouvre des territoires encore inexplorés et marque un tournant aussi nécessaire qu’enviable. Cependant, la mise en oeuvre de cette prise en considération demeure entière, d’autant que les choses communes ne sont protégées de l’appropriation que « dans leur globalité ». Partitionnée, la protection de ces choses communes, alors appropriables, relève-t-elle toujours de l’intérêt des générations futures ? L’avenir nous confirmera si cet intérêt novateur, aux frontières encore indéfinies, apportera un nouvel équilibre aux relations privées.
Dans les « relations de voisinage », la notion d’équilibre entre voisins et entre immeubles résonne également. Les troubles de voisinage reposent entièrement sur cette dernière. Non seulement l’anormalité du trouble est caractérisée par une rupture d’équilibre dans l’exercice des droits des propriétaires voisins (art. 3.101)[102] mais, plus encore, une action préventive en vue de préserver l’avenir peut être intentée en cas de rupture d’équilibre entre des deux biens immeubles, si l’un d’entre eux cause « des risques graves et manifestes en matière de sécurité, de santé ou de pollution ». La protection de cet équilibre objectivé participe à la prise en considération d’un écosystème qui intègre implicitement, par les intérêts en jeu, les générations futures. Ici, les rédacteurs belges marquent une nouvelle rupture avec la logique individualiste du droit privé. La déclôture belge interpelle.
***
Belgitude – Tel le peintre qui regarde l’oeuf et peint le pigeon, la « clairvoyance[103] » des rédacteurs ancre le droit des biens belge dans l’avenir. Les quelques figures que nous avons choisi de présenter, loin de se contenter de « mettre un terme au bric-à-brac du droit des biens[104] », dévoilent une véritable révolution qui s’accorde parfaitement avec les couleurs du temps. Le (nouveau) livre 3, sous couvert de continuité[105], offre un arsenal conceptuel dont la malléabilité féconde permet de repenser la notion d’objet, d’élargir la notion de biens, de multiplier les droits, d’étendre l’emprise de la propriété, bref de déclôturer les clôtures. Comme toute oeuvre surréaliste, la nouvelle réalité juridique belge est bien évidemment laissée à la libre interprétation de ses spectatrices. La nôtre, empreinte d’une certaine québécitude, n’a pas pour fin de clôturer ce nouveau terrain non bâti, bien au contraire. L’idée est plutôt de mettre au jour sa modernité. L’avenir nous dira si, au moment de l’arrimage de tous les livres, composantes inhérentes du (nouveau) Code, la révolution surréaliste belge sera agitée ou tranquille[106]. Une chose est sûre, une révolution a lieu.
Appendices
Remerciements
Les autrices remercient la Chambre des notaires pour son indéfectible soutien, Thomas Windish et Sébastien Brault pour leur aide précieuse, ainsi que Pascale Lecocq et Vincent Sagaert pour leur générosité.
Notes
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[1]
Loi du 13 avril 2019 portant création d’un Code civil et y insérant le livre 8 « La Preuve », M. B., 14 mai 2019, [En ligne], [www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body.pl?language=fr&caller=summary&pub_date=19-05-14&numac=2019012168] (25 octobre 2022) (ci-après « Loi du 13 avril 2019 »). L’ambiguïté de la nouveauté de la situation est totale, car c’est en réalité le premier code civil belge.
-
[2]
Justice, « Réforme du Code civil », Service public fédéral belge, [En ligne], [https://justice.belgium.be/fr/bwcc] (25 octobre 2022).
-
[3]
Sur la notion de codification émancipatrice, voir Frédéric Zenati-Castaing, « La recodification du droit belge », dans Michelle Cumyn et Alexandra Popovici (dir.), La culture juridique québécoise. Mélanges offerts à Sylvio Normand, Québec, Presses de l’Université Laval, [à paraître].
-
[4]
Paul-André Crépeau, La réforme du droit civil canadien : une certaine conception de la recodification, 1965-1977, Montréal, Éditions Thémis, 2003.
-
[5]
Mathieu Devinat et Marie-France Bureau (dir.), Les livres du Code civil du Québec, Sherbrooke, Éditions Revue de Droit Université de Sherbrooke, 2014.
-
[6]
Le livre 3 « Les Biens » a été rédigé en français et en néerlandais. La règle belge sur l’interprétation des lois quant à la formulation multilingue et à leurs valeurs se révèle très différente de celle qui existe en droit québécois : voir, par exemple, Jacques Herbots, « L’interprétation des lois à formulation multilingue en Belgique », (1984) 25-4 C. de D. 959. Au Québec, les textes juridiques sont bilingues, et les versions anglaise et française ont la même valeur juridique. Cependant, depuis 2022, en cas de divergence entre les versions, c’est le texte français qui prévaut : Charte de la langue française, RLRQ, c. C-11, art. 7 et 7.1.
-
[7]
Proposition de loi portant insertion du livre 3 « Les Biens » dans le nouveau code civil, 1re sess., 55e lég., Chambre des représentants de Belgique, 2019, no 0173/001, p. 8, [En ligne], [www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/0173/55K0173001.pdf] (24 juillet 2023), (ci-après « Exposé des motifs »).
-
[8]
Pour avoir accès aux archives de l’Office de la révision du Code civil du Québec, consulter : « Archives de l’Office de révision du Code civil du Québec », Bibliothèque de l’Université McGill, [En ligne], [digital.library.mcgill.ca/ccro/index.php?language=fr] (11 février 2022).
-
[9]
Loi du 13 avril 2019, préc., note 1. Cette loi prévoyait à son article 2 la création d’un code civil composé de neuf livres. Le livre sur les obligations a été scindé en deux et un livre sur la responsabilité extracontractuelle a été ajouté, ce qui a porté le total des livres du Code civil belge à dix.
-
[10]
Loi du 4 février 2020 portant le livre 3 « Les Biens » du Code civil, M. B., 17 mars 2020, art. 2, [En ligne], [www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body.pl?language=fr&caller=summary&pub_date=20-03-17&numac=2020020347] (24 juillet 2023) : « Le livre 3 du Code civil, créé par l’article 2 de la loi du 13 avril 2019 portant création d’un Code civil et y insérant un livre 8 “La preuve”, comprend les dispositions suivantes : “Livre 3. Les biens”. »
-
[11]
Pour avoir accès au texte officiel du livre 3 « Les Biens », consulter : Législation consolidée, livre 3 « Les Biens » Justel, [En ligne], [www.ejustice.just.fgov.be/eli/loi/2020/02/04/2020A20347/justel] (11 février 2023).
-
[12]
Wikipedia, « Koen Geens », (dernière modification le 26 juillet 2021), [En ligne], [fr.wikipedia.org/wiki/Koen_Geens] (25 octobre 2022).
-
[13]
L’expression est tirée du roman de Hugh MacLennan, Two Solitudes, Toronto, Macmillan Company of Canada, 1945. Depuis, cette expression fait partie de l’imaginaire canadien pour évoquer les difficiles relations entre les francophones et les anglophones. Même les juges y ont recours : Beverley McLachlin, « L’incidence des arrêts de la Cour suprême du Canada sur le bilinguisme et le biculturalisme », Constitutional Law Week Speaker Series, allocution présentée à l’Université McGill, 6 février 2008, [En ligne], [www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/bm-2008-02-06-fra.aspx] (21 février 2023).
-
[14]
J. Herbots, préc., note 6. Sur la publication des textes officiels et des langues employées, voir Centre de recherche et d’information socio-politiques, « Moniteur belge. Journal officiel de l’État belge », Vocabulaire politique, [En ligne], [www.vocabulairepolitique.be/moniteur-belge/] (18 juillet 2023). Pour un lecteur québécois, la réalité linguistique belge reste complexe. Voir, par exemple, Wikipedia, « Loi du 18 avril 1898 relative à l’emploi de la langue flamande dans les publications officielles », (dernière modification le 10 avril 2023), [En ligne], [fr.m.wikipedia.org/wiki/Loi_du_18_avril_1898_relative_à_l%27emploi_de_la_langue_flamande_dans_les_publications_officielles] (7 janvier 2023).
-
[15]
Certains reconnaîtront ce clin d’oeil à la ville de Liège, surnommée la « Cité ardente ».
-
[16]
La première version contenait des dispositions relatives à la fiducie, qui n’a pas été retenue dans la version définitive. La non-concordance des articles entre l’exposé des motifs et la version adoptée en est un témoignage probant.
-
[17]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 3.
-
[18]
Id., p. 9.
-
[19]
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 947 (ci-après « C.c.Q »).
-
[20]
Code civil belge, art. 3.41. Le livre 3 « Les Biens » est établi par la Loi du 4 février 2020, art. 2. (M.B. 17.III.2020), vig. 1er septembre 2021 (art 39).
-
[21]
Voir, à titre d’exemple, l’article de journal suivant : La rédaction (avec BELGA) « Le nouveau “droit de propriété” entre en vigueur en Belgique : votre jardin sera aussi un peu celui de votre voisin », La Libre, 24 août 2021, [En ligne], [www.lalibre.be/economie/immo/2021/08/24/le-nouveau-droit-de-propriete-surrealiste-entre-en-vigueur-en-belgique-vous-pourrez-placer-une-grue-chez-le-voisin-pour-construire-quelque-chose-sur-votre-terrain-CPDIAAIH3NABDFUB5QKSCGCIDA/] (18 juillet 2023).
-
[22]
Code civil belge, art. 3.67.
-
[23]
Id., art. 3.67 (3).
-
[24]
L’article 3.3 du Code civil belge s’intitule « Système fermé des droits réels ». La différence avec le titre 4 « Des démembrements du droit de propriété », est patente.
-
[25]
Code civil belge, art. 3.8 (2).
-
[26]
Nous tenons à souligner que l’emploi du « nous » dans notre texte représente notre pensée subjective. Sur la subjectivité assumée en doctrine, voir Alicia Mazouz, « Les “je” interdits dans les écrits universitaires en droit », [à paraître].
-
[27]
Le terme « réaliste » est employé par référence au terme « réel » (res : « chose »). Voir Jean-Pierre Baud, L’affaire de la main volée : une histoire juridique du corps, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 13.
-
[28]
Code civil belge, art. 3.1.
-
[29]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 6.
-
[30]
Chacun des livres du code belge est autonome. Ceci est matérialisé par la forme des articles, qui portent tous l’empreinte du livre auquel ils appartiennent. Ainsi les articles portant sur le livre 3 « Les Biens » sont les articles 3.1 à 3.188. Notons que le Livre 4 – « Des biens » du C.c.Q compte près de 500 articles (art 898.1 à 1370 C.c.Q.).
-
[31]
La superficie et le droit d’emphytéose, qui avaient leur propre loi, Loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie, M. B. 3 juin 2009, et Loi du 10 janvier 1824 sur le droit d’emphytéose, M. B. 3 juin 2009, ont intégré le livre 3 « Les Biens ».
-
[32]
Contrairement au droit québécois, les intitulés des articles du Code civil belge ont force de loi, à l’image du Code civil allemand depuis la grande réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Voir Claude Witz, « Pourquoi la réforme et pourquoi s’y intéresser en France ? » (2002) 4 R.I.D.C. 935, 939.
-
[33]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 8.
-
[34]
Pour la professeure Pascale Lecocq, Manuel du droit des biens, t. 2 « Droits réels principaux démembrés », coll. « Faculté de droit de l’Université de Liège », Bruxelles, Éditions Larcier, 2016, p. 27, les définitions légales ne sont pas impératives à proprement parler, mais contraignantes et surtout immuables. Voir aussi Mathieu Devinat, « Les définitions dans les codes civils », (2005) 46 C. de D. 519. Pour une discussion récente sur la portée des définitions, voir Frédéric Rouvière, Argumentation juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2023.
-
[35]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 12.
-
[36]
C.c.Q, art. 1119 ; Yaëll Emerich, « Regard comparatif sur le numerus clausus des droits réels : une perspective canadienne », (2020) 5 Tribonien 58.
-
[37]
Maison de poésie, Civ. 3e, 31 octobre 2012, n° 11-16.304, Bulletin 2012, III, n° 159.
-
[38]
Pour une analyse synthétique des conceptions théoriques classique et rénovée de la propriété, voir Sarah Vanuxem, « Les choses saisies par la propriété. De la chose-objet aux choses-milieux », (2010) 64 Revue interdisciplinaire d’études juridiques 123.
-
[39]
Frédéric Zenati, Essai sur la nature juridique du droit de la propriété, thèse de doctorat, Lyon, Faculté de droit, Université Jean Moulin Lyon III, 1981.
-
[40]
L’article 3.3 (4) du Code civil belge souligne que « [l]es sûretés réelles, au sens du présent Livre, sont les privilèges spéciaux, le gage, l’hypothèque et le droit de rétention », ce qui signifie que l’expression pourrait avoir une portée différente dans les autres livres.
-
[41]
Pourtant, comme nous le verrons plus loin, le législateur belge n’a pas hésité à reconnaître l’existence de « droits sur le droit » lorsqu’il encadre les actes de disposition du titulaire d’un droit réel sur la chose d’autrui. En admettant implicitement un droit de propriété, là où classiquement il n’y a qu’un droit réel limité sur la chose d’autrui, le législateur atténue sa position initiale.
-
[42]
La fermeture des droits réels est renforcée par le principe de spécialité et d’unité des droits réels prévu par l’article 3.8 du Code civil belge.
-
[43]
Exposé des motifs, préc., note 7, art. 3.38-3.51.
-
[44]
Charles Aubry et Charles Frédéric Rau, Cours de droit civil français : d’après la méthode de Zachariae, 4e éd., t. 6, Paris, Marchal et Billard, 1873. Sur les conséquences politiques de leur théorie, voir notamment Laurence Ricard, « La philosophie politique et le Code civil du Québec : l’exemple de la notion de patrimoine », (2016) 61-3 R.D. McGill 667.
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[45]
Ici, il nous semble que le mot « droit » devrait être au pluriel, dans la mesure où il désigne bien plus les biens fongibles composant l’universalité que l’objet unitaire rassemblant des biens.
-
[46]
Charles Aubry et Charles Frédéric Rau, Cours de droit civil français : d’après la méthode de Zachariae, 5e éd., t. 9, Paris, Marchal et Billard, 1917, p. 336 : « Que les personnes physiques ou morales peuvent seules avoir un patrimoine ; Que toute personne a nécessairement un patrimoine, alors même qu’elle ne posséderait actuellement aucun bien ; Que la même personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, dans le sens propre du mot. »
-
[47]
Id.
-
[48]
Sur sa valeur, voir Frédérique Cohet-Cordey, « La valeur explicative de la théorie du patrimoine en droit positif français », (1996) 4 R.T.D. civ. 819.
-
[49]
Voir le résumé de l’Exposé des motifs, préc., note 7.
-
[50]
Voir le dossier spécial : Alexandra Popovici et Lionel Smith, « Colloque du Centre Paul-André Crépeau de McGill portant réflexions sur l’affectation », (2014) 48 RJTUM 531.
-
[51]
Code civil belge, art. 3.36 (4) « Droit de gage général ».
-
[52]
Alexandra Popovici, « Trusting Patrimonies », dans Remus Valsan (dir.), Trust and Patrimonies, Édimbourg, Presses de l’Université d’Édimbourg, 2015, 199.
-
[53]
Madeleine Cantin-Cumyn et Michelle Cumyn, « La notion de biens », dans Sylvio Normand (dir.), Études portant sur le droit patrimonial, Mélanges offerts au professeur François Frenette, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006, p. 127.
-
[54]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 104.
-
[55]
Id.
-
[56]
Gaële Gidrol-Mistral, « Les gamètes, libre-propos sur la valeur des biens », dans Arnaud Tellier-Marcil (dir.) et autres, Les prochains défis de la pensée civiliste. Les conceptions classiques soumises à l’épreuve du temps, Montréal, Éditions Thémis, 2020, p. 163.
-
[57]
M. Cantin-Cumyn et M. Cumyn, préc., note 53.
-
[58]
Voir notamment Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2020.
-
[59]
Thierry Revet et Frédéric Zenati-Castaing, Les biens, 3e éd., Paris, Presses universitaires de France, 2008.
-
[60]
Yaëll Emerich, La propriété des créances : approche comparative, t. 469, coll. « Bibliothèque de droit privé », Paris, L.G.D.J., 2008.
-
[61]
Gaële Gidrol-Mistral, « Les biens immatériels en quête d’identité », (2016) 46 R.D.U.S 67, 95.
-
[62]
L’article 3.10 du Code civil belge sur la subrogation réelle consacre explicitement la nature réelle de la créance.
-
[63]
A. Popovici, préc., note 52.
-
[64]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 104.
-
[65]
Code civil belge, art. 3.41
-
[66]
C.c.Q, art. 932 : « Le possesseur est de bonne foi si, au début de sa possession, il est justifié de se croire titulaire du droit réel qu’il exerce » (l’italique est de nous).
-
[67]
La possession juridique est reconnue par la possession corpore alieno. C.c.Q, art. 921(1).
-
[68]
Pourtant, textuellement, la chose demeure l’objet unique sur lequel portent les droits. En effet, l’article 3.41 du Code civil belge définit les biens comme « toutes les choses susceptibles d’appropriation, y compris les droits patrimoniaux ». Le syllogisme classique conduirait à reconnaître que non seulement les biens sont des choses, mais plus encore que les droits patrimoniaux sont des choses.
-
[69]
G. Gidrol-Mistral, préc., note 61, p. 95.
-
[70]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 97.
-
[71]
Notons que, pour la possession, le mot employé est goed, ce qui montre que la possession belge est désincarnée en français comme en flamand.
-
[72]
Code civil belge, art. 3.59 (3).
-
[73]
S. Normand, préc., note 58, p. 200 ; Gaële Gidrol-Mistral, « L’affectation à un but durable, vers une nouvelle forme d’appropriation des biens communs ? Réflexions autour de l’article 1030 du Code civil du Québec », (2016) 46 R.G.D. 95.
-
[74]
Il est intéressant de noter la disparition de la notion de biens communaux du code civil. La notion était pourtant présente à l’art 542 du code napoléon qui gouvernait le droit civil belge jusqu’alors, et elle est toujours présente dans la pratique belge sous la forme de sarts ou essarts communaux et de droits d’aisance.
-
[75]
L’article 3.82 du Code civil belge étonne : en effet, l’article 3.16 ne prévoit que la déchéance des droits d’usage, or ici il s’agit d’un droit de propriété.
-
[76]
Pascale Lecocq, « Le droit des biens au 21ème siècle : vers une approche plus solidaire ? », 25e Conférence Albert-Mayrand, Université de Montréal, 23 février 2023.
-
[77]
Voir le Code civil belge : art. 3.142 (usufruit) ; art. 3.171 (emphytéose) ; art. 3.183 (superficie).
-
[78]
Le livre 1 est en vigueur depuis 2023.
-
[79]
Sur la distinction entre avoir « un droit dans » et « un droit sur », voir Gaële Gidrol-Mistral, « Ensemble mais concurremment : l’indivision dans le Code civil du Québec – Variation sur le collectif et le pluriel », dans Gabriel-Arnaud Berthold et Brigitte Lefebvre (dir.), Mélanges en l’honneur du professeur Pierre-Claude Lafond, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2023, p. 581.
-
[80]
La place de la servitude dans l’architecture du droit des biens belge, qui ne se voit accorder qu’un sous-titre (sous-titre 3 du titre 5), mérite d’être relevée. Comprise structurellement comme une limite au droit de propriété plutôt que comme un droit réel d’usage autonome, la servitude belge assume sa différence. Elle est charge foncière. Sa perpétuité est tenue pour acquise, et n’a même pas été énoncée. Comprendre la servitude comme l’a fait le législateur belge évite de voir la servitude foncière à titre d’exception au régime commun des droits réels d’usage.
-
[81]
Si l’appellation « servitude du fait de l’homme » prend tout son sens juridique à travers la prescription acquisitive, la formulation détonne, tant le vocable « homme » paraît suranné.
-
[82]
Ajoutons à la liste la « propriété intellectuelle » (art. 3.166) et, de manière encore plus étonnante, la « propriété » (art. 3.185 (2).
-
[83]
René Magritte, La trahison des images, [Huile sur toile, 1929], Los Angeles, Musée d’art du comté de Los Angeles.
-
[84]
L’article 3.61 du Code civil belge autorise en effet, comme c’est le cas dans le droit québécois, tout propriétaire à clore son terrain.
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[85]
Cette liberté d’autrui n’incitera-t-elle pas, paradoxalement, les propriétaires à user (abuser ?) de leur droit de clore leur terrain pour éviter l’application de cet article emblématique de la réforme du droit des biens belge ?
-
[86]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 6.
-
[87]
Id.
-
[88]
André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, 1985, p. 13.
-
[89]
Exposé des motifs, préc., note 7, p.101.
-
[90]
Cette fissure du numerus clausus fait entrer le droit des obligations dans le droit des biens qu’il soumet à l’aléa du nemo plus juris (« nul ne peut céder plus de droit qu’il n’en a »).
-
[91]
Évidemment, on peut aussi interpréter les articles 3.142, 3.171 et 3.183 du Code civil belge, qui prévoient explicitement les « droits sur le droit » comme se limitant à décrire les prérogatives spécifiques des titulaires de ces différents droits réels. Cependant, selon l’article 3.6, le titulaire d’un droit réel (droit de propriété, copropriété, droits réels d’usage et sûretés réelles) a le pouvoir de disposer de son droit. Sur la distinction entre « titularité » et « propriété », voir Jean Dabin, Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 2007.
-
[92]
C.c.Q, art. 947, qui dispose que « la propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien » (l’italique est de nous).
-
[93]
Id., art. 1119, qui dispose que « l’usufruit, l’usage, la servitude et l’emphytéose sont des démembrements du droit de propriété et constitue des droits réels » (l’italique est de nous).
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[94]
Id., art. 1009, qui parle des « principales modalités de la propriété » (l’italique est de nous).
-
[95]
L’expression n’est pas nouvelle : voir notamment Valérie Amiraux et David Koussens, « La religion, objet juridique non identifié ? Approches comparées des opérations de droit et de ses effets sur le religieux », Sciences religieuses, vol. 45, no 2, 2016, p. 103.
-
[96]
René Magritte, La reproduction interdite, [Huile sur toile, 1937], Rotterdam, Musée Boijmans Van Beuningen.
-
[97]
Exposé des motifs, préc., note 7, p.101.
-
[98]
Id., p. 212.
-
[99]
C.c.Q, art. 1183.
-
[100]
Code civil belge, art. 3.119.
-
[101]
Au Québec, s’il n’est pas possible de s’obliger envers soi-même, le législateur reconnaît tout de même l’existence de droit de jouissance au profit d’une personne que l’on nomme parfois « servitude personnelle » : S. Normand, préc., note 58, p. 354.
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[102]
Au Québec, la jurisprudence reconnaît que les troubles de voisinage de l’article 976 du C.c.Q s’étendent à toute personne qui jouit personnellement ou réellement d’un immeuble. Voir l’affaire Ciment du Saint‑Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392.
-
[103]
René Magritte, La clairvoyance, [Huile sur toile, 1936], collection privée de M. Wilbur Ross.
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[104]
Exposé des motifs, préc., note 7, p. 41.
-
[105]
Le législateur québécois a utilisé le même procédé : Roderick A. Macdonald, « Reconceiving the Symbols of Property : Universalities, Interests and Other Heresies », (1994) 39 R.D. McGill 761.
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[106]
Martin Pâquet et Stéphane Savard, Brève histoire de la Révolution tranquille. Situer, vivre, se souvenir : un essai-synthèse sur une période charnière de notre histoire, Montréal, Éditions du Boréal, 2021.