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Le droit dans les sociétés africaines est ontologiquement d’essence culturelle[1], c’est-à-dire que, au-delà des références coutumières qui caractérisent formellement sa source, le droit africain s’est formalisé par la consécration normative des us et des pratiques coutumières irrigués conformément aux déterminants socioculturels et économiques mis en contexte[2]. La diversité des sociétés africaines reflète alors incontestablement une pluralité culturelle, dont un projet d’assimilation à l’aune du prétexte d’une harmonisation du droit en Afrique, impose de remettre en question l’identité et l’incidence sociales de la norme dérivée[3]. En effet, le traité de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA)[4], signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis, ambitionne d’harmoniser le droit des affaires dans les États membres par l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies[5]. Cependant, l’ambition s’est curieusement matérialisée par une uniformisation des règles normatives des affaires, lesquelles ont été élaborées indifféremment des réalités culturelles et identitaires au sein des sociétés africaines signataires du traité.

Pour sa part, Guy Rocher définit la culture comme « un ensemble lié des manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte[6] ». La culture renvoie alors aux traits identitaires et aux valeurs particulières, qui structurent la manière d’agir conformément aux aspirations d’un peuple. À l’image d’un corps biologique, la culture constitue ainsi le socle granitique de l’identité et de la cohérence d’une société, sa modification ou des adaptations ex nihilo pouvant entraîner des effets pervers sur l’ensemble. En cela, la culture n’est pas donnée, figée ou transposée, mais « elle se construit dans un processus interactif entre deux pôles actifs : un système symbolique et l’individu[7] ». La Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’Unesco publiée en 2001 précise à ce sujet que la culture peut aujourd’hui être considérée « comme l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances[8] ».

Si la société est avant tout un fait de culture et non un assemblage d’individus, les sociétés africaines désignent profondément les valeurs identitaires particulières des peuples originaires de l’Afrique. Elles font aussi littéralement référence dans notre texte aux États membres signataires du traité de l’OHADA, lequel matérialise ipso facto un pluralisme culturel[9] sur son espace. Or, précisément, selon Jean Tardif, « [l]a culture, c’est le système symbolique qui permet à un groupe humain de se définir, de se reconnaître et d’agir, grâce à un ensemble de valeurs, de pratiques, de codes, de représentations et d’institutions qui le caractérisent, le différencient des autres et lui permettent en même temps de définir les conditions de ses rapports avec son environnement et avec les autres groupes humains[10] ». La culture s’impose naturellement comme le substrat normatif de l’objectivation des habitudes sociales. De plus, parlant du droit naturel, François Gény soutient « qu’il ne s’agit pas de chercher à prouver que le droit naturel existe, mais qu’il doit exister. Avant d’être une réalité, le droit naturel est un besoin, en raison de son utilité, de sa valeur opératoire pour l’interprète[11] ».

Entendu comme l’ensemble des règles dont l’objet est d’organiser la conduite de l’individu en société[12], le droit exprime de façon normative les habitudes culturelles d’un peuple[13]. Et parce que, à travers le prisme de la coutume, le droit est le miroir culturel de chaque société, il ne saurait être un instrument contraignant les moeurs, mais le socle objectif de l’affirmation d’une identité des membres. La coutume est, d’après Hans Kelsen, « le fait créateur du droit[14] ». Or, la coutume exprime, en effet, un usage, une répétition, une tradition et donc une culture. En tant que civilisation[15], la culture traduit la phase achevée de la coutume. Pour Jean Carbonnier, « la coutume se crée obligatoire par elle-même. Elle est le peuple souverain […] C’est une force de la nature[16] ». La maxime ubi societas, ibi jus ne renseigne-t-elle pas précisément sur la parenté singulière entre la culture et le droit ? Cependant, au regard du mécanisme de l’uniformisation pratiqué par le traité de l’OHADA, les normes dérivées contrastent avec les réalités culturelles et économiques des sociétés africaines. L’application d’une certaine harmonisation par l’uniformisation du droit des affaires à travers cet espace emporte dénégation de leur inspiration culturelle locale. Or, comme le rappelle le professeur Carbonnier, « le droit est trop humain pour prétendre à l’absolu de la ligne droite[17] ». Il faudrait peut-être s’interroger, à l’instar du professeur Philippe Malaurie, sur la question suivante : le droit de l’OHADA est-il inspiré des sociétés africaines[18] ?

L’une des motivations en faveur de la mise en place de l’OHADA, selon les hautes parties contractantes, était d’adopter des conditions propres à garantir la sécurité juridique des activités économiques, et ce, pour favoriser l’essor de celles-ci et encourager l’investissement[19]. Si la satisfaction livresque de cet objectif est réelle[20], il reste prégnant d’apprécier l’effectivité de l’impératif de la sécurité juridique des activités économiques en se basant sur des assimilations culturelles locales et l’amélioration de l’investissement dans les sociétés africaines.

En ce qui concerne la sécurité juridique, celle-ci s’avère un impératif du droit au même titre que l’efficacité. Elle est axiomatique de la normativité parce qu’elle est le reflet naturel des valeurs acceptées par les coutumes locales. La sécurité juridique serait liée à la cohérence entre la norme et le sujet. Or, une partie importante de la doctrine et de la société civile africaine tancent les origines occidentales du droit de l’OHADA[21]. Pour d’autres, c’est une stratégie de domination économique et de la colonisation par le droit[22]. Si de telles objections révèlent les fondements non africains du droit de l’OHADA, celui-ci paraît vraisemblablement désarticulé des identités culturelles des sociétés africaines. En cela, il faut s’inquiéter de l’effectivité de la fonction sécuritaire, consubstantielle à la normativité du droit.

Pour ce qui est de l’amélioration de l’investissement, la santé des économies des sociétés africaines de l’espace de l’OHADA n’est pas satisfaisante[23]. Si le marché commun prévu dans le traité est demeuré un projet, il apparaît moins évident et plus éloigné avec l’engagement des économies nationales de cet espace dans un programme de libre-échange à travers un accord de partenariat économique signé avec l’Union européenne[24]. Cette option inconciliable avec les réalités sociétales africaines est une des sources de la détérioration de l’investissement local et de la désintégration profonde des adjuvants économiques de son espace. Le climat des affaires sur l’espace de l’OHADA demeure préoccupant[25]. De fait, un rapport 2019 de l’Institut national de la statistique du Cameroun relève les faillites de l’ordre de 36 % des entreprises pendant la période 2009-2016[26]. Interroger les faillites en cascade suppose donc d’évaluer la compatibilité du modèle juridique appliqué. C’est dire que le fondement culturel demeure un référent de l’efficacité de la norme juridique. Or, le constat est que le droit issu de l’OHADA reflète quasiment une culture internationale des affaires, une coutume forgée par une pratique des affaires à l’initiative des pionniers du commerce international[27], parmi lesquels ne figurent pas les sociétés africaines de l’OHADA[28].

Toutefois, si le droit de l’OHADA constitue un parfait ouvrage de coopération culturelle, la mondialisation du droit en prenant pour référence certaines pratiques communes offre-t-elle de transposer substantiellement des autres systèmes juridiques, au mépris des réalités culturelles locales ? Se pose ainsi le phénomène de l’acculturation juridique qui, en soi, n’est d’aucune gêne, autant que les finalités sociales recherchées par le droit sont réalisées[29]. Malheureusement, les attentes socioéconomiques envisagées par le droit de l’OHADA sur son espace tardent à se concrétiser. Dans la perspective d’apprécier sa compatibilité, il convient d’interroger la réceptivité de ce droit par les sociétés africaines membres de l’OHADA. La problématique est donc celle de l’opportunité du droit issu de l’OHADA pour les sociétés africaines de son espace. Qu’est-ce qui peut justifier l’identité africaine du droit de l’OHADA aussi longtemps qu’il sera qualifié de droit des affaires en Afrique ? Selon la réponse à cette question, on pourrait considérer sa fonction ancillaire[30] pour se demander si le droit de l’OHADA peut servir les intérêts sociétaux des peuples visés.

Il faut relever l’enthousiasme qu’a suscité l’OHADA au cours des dernières années en tant qu’organisation de promotion de l’intégration juridique en Afrique. Son apport à la formalisation d’une culture juridique donnée des affaires dans son espace s’avère incontestable. L’OHADA a le mérite de servir comme vecteur d’une coopération culturelle entre les sociétés africaines et celles d’ailleurs. Ses pratiques s’intègrent allègrement dans la mondialisation des échanges et la collaboration des modèles économiques, afin de raffermir sa portée au profit des sociétés africaines. Toutefois, le modèle juridique de l’OHADA représente désormais la matrice politique et culturelle des activités économiques dans son espace. Il faut relever sa distance des réalités sociales, au regard de son mécanisme législatif et des stratégies de politique économique promues dans cet espace, en vue du développement socioéconomique des populations et de l’industrialisation espérée.

La réalité est que l’application du droit de l’OHADA parmi les États membres pose encore un problème d’identité culturelle insusceptible de garantir l’efficacité sociale. Il se présente comme un droit des affaires reçu, soit un droit à l’usage des Africains et non un droit africain des affaires. Cela dit, le phénomène d’importation culturelle, comme l’illustre le droit issu de l’OHADA, porte déjà en soi les germes d’un dysfonctionnement en raison de son indifférence aux cultures locales (partie 1) et aux préoccupations sociétales (partie 2) au sein de son espace.

1 L’indifférence du droit de l’OHADA aux sources culturelles des sociétés africaines

L’indifférence du droit de l’OHADA aux sources culturelles des sociétés africaines signifie concrètement que le droit des affaires issu de l’OHADA ne s’inspire pas fondamentalement des coutumes des peuples africains qui l’appliquent. Il apparaît ne pas être l’expression normative profonde des cultures immanentes[31]. Il ne pourrait dès lors, mutatis mutandis, être fondamentalement serviable avec les défis locaux. D’ailleurs, le sigle « OHADA » n’est-il pas assez précis quant à une certaine harmonisation du droit des affaires en Afrique, à la place d’une harmonisation du droit des affaires africain ? Il était audacieux d’espérer surmonter la diversité culturelle et l’oralité des droits africains[32] pour en sortir un corpus de normes dites modernes[33] réservées aux affaires. Malheureusement, le constat est celui d’une importation dans l’espace de l’OHADA des cultures des affaires d’origines diverses, à l’effet de contraindre les moeurs par la norme.

En réalité, l’affirmation de l’essence culturelle des normes juridiques ne fait plus débat. Elles sont la consécration savante des pratiques coutumières d’un peuple conformément à son environnement[34]. Ainsi, procédant de la norme, le droit s’avère le produit des aspirations profondes d’un peuple. Il est la réponse à une demande sociale, laquelle se détermine à partir des réalités structurelles et matérielles locales dans sa mise en oeuvre. L’efficacité de la norme se trouve dès lors tributaire de son articulation avec les moeurs et les coutumes locales. C’est pourquoi l’indifférence du droit de l’OHADA aux cultures des peuples de son espace révèle précisément une infirmité ontologique. Il est, en effet, demeuré depuis son adoption un simple « outil technique[35] », c’est-à-dire un support, voire un guide, pour faire des affaires en Afrique, a contrario d’une certaine culture africaine des affaires.

Cette lacune de la politique conceptuelle de l’OHADA soulève alors les griefs de son fondement culturel. En vérité, l’OHADA draine des intérêts multiformes et contradictoires[36], son espace géographique constituant avant tout un réservoir de matières brutes convoitées par les pays développés[37]. L’exploitation et la commercialisation de ses minerais vont justifier l’importation à la fois des modèles économiques, des théories économiques et des modèles juridiques occidentaux. À l’appui des réalités historiques, le mécanisme du droit de l’OHADA démontre que la culture des affaires promue est excessivement d’inspiration non africaine. D’ailleurs, sous le prétexte de vouloir attirer les investisseurs étrangers[38], les précurseurs de l’OHADA y ont consacré un droit des affaires internationalement acculturé (1.1) et finalement contreproductif pour les entrepreneurs locaux (1.2).

1.1 Un droit des affaires internationalement acculturé

L’acculturation juridique s’entend comme l’ensemble des processus suivant lesquels les systèmes des normes juridiques, les comportements des acteurs et leurs représentations sont construits et modifiés par les contacts de même que les interpénétrations entre cultures et sociétés[39]. En 1993, des sociétés africaines ont entendu se donner un droit des affaires moderne, simple et adapté à leur situation économique. Celles-ci ont réalisé cette volonté à travers la signature du traité de l’OHADA. Toutefois, si ce dernier sublime le développement économique et social des sociétés membres, le moyen de l’acculturation, emprunté pour l’accomplir, demeure problématique, car le nouveau droit des affaires qui en découle s’est construit en marge des références culturelles de ses composantes sociétaires. Il s’est improvisé comme un instrument pour « appâter les investisseurs étrangers[40] ». Cela explique son acculturation internationale, au profit des potentiels investisseurs étrangers, et la transposition d’une certaine culture occidentale[41] des affaires dans l’espace de l’OHADA[42].

Le droit de l’OHADA reflète conséquemment la normativité d’une culture internationale des affaires, laquelle y puise à son tour ses pratiques de sources diverses et vraisemblablement intéressées. C’est l’agencement de ces pratiques internationales peu soucieuses des réalités locales immanentes aux sociétés africaines de l’espace de l’OHADA en matière d’affaires qui constitue dorénavant leur droit des affaires. Si l’acculturation internationale du droit de l’OHADA, en raison de ses sources géoculturelles (1.1.1), participe de la mondialisation des cultures[43] en matière d’affaires, il pose néanmoins la problématique de l’identité culturelle de ce droit désormais attribué aux peuples africains (1.1.2).

1.1.1 Les sources géoculturelles du droit des affaires issu de l’OHADA

La réalité structurelle du droit de l’OHADA laisse entrevoir ses sources géoculturelles[44]. Autrement dit, ce droit est le produit d’un dialogue des cultures de plusieurs zones géographiques de la planète, voire de quelques pionniers du commerce international notamment. Voilà un avantage qui exprime son ouverture et non la modernité. En effet, l’OHADA en tant qu’organisation internationale s’est donné la mission d’harmoniser un droit des affaires à l’usage de l’Afrique. La volonté de ses précurseurs semble avoir été motivée, dit-on, par la vétusté du cadre juridique des affaires en Afrique et l’idéal de renforcer l’attractivité économique de son espace en faveur des investissements étrangers. La solution aisée sera de transposer les pratiques des modèles juridiques du commerce international à l’initiative de l’Occident dans l’espace économique de l’OHADA. Or, si la mondialisation ne se réduit pas à l’intégration planétaire des échanges économiques[45], la dimension culturelle, qui est ignorée la plupart du temps, constitue le rideau irréductible de la protection des intérêts locaux et les valeurs identitaires d’une communauté.

Le droit des affaires « importé » de l’OHADA applicable dans certaines sociétés africaines comporte dès lors des valeurs intensives concurrentes des recettes coutumières africaines. Les modes de vie dont les différences irréductibles deviennent immédiatement perceptibles acquièrent une portée stratégique quant à la domination culturelle ou alors suscitent un conflit. À vrai dire, la pratique quotidienne émet des réserves sur l’identité culturelle africaine du droit des affaires de l’OHADA. Si l’histoire peut justifier les pesanteurs actuelles, l’effet de son enracinement occidental n’est pas moins nocif pour son efficacité en Afrique.

Le droit des affaires issu de l’OHADA et la culture juridique occidentale partagent des liens historiques forts. Le droit des affaires de l’OHADA renvoie à l’ensemble des règles juridiques issues du traité et des actes uniformes en vue d’encadrer l’exercice des activités économiques sur le territoire des États membres. C’est un droit des activités économiques[46], applicable dans l’espace des sociétés africaines signataires du traité, lesquelles historiquement constituaient pour l’essentiel d’anciennes colonies françaises et belges appartenant à la zone franc. Ce sont donc d’anciens territoires abritant des intérêts géostratégiques français, voire européens. Une partie de la doctrine affirme d’ailleurs que, « pour les États de la zone franc, héritant au moment des indépendances d’un système de droit étroitement dérivé de celui de l’ancien pays colonisateur, l’unification du droit des affaires devait constituer une priorité[47] ». Autant dire que l’indépendance politique n’emportait pas l’indépendance culturelle[48]. Pour d’autres, le droit de l’OHADA est essentiellement d’inspiration occidentale[49] ; pour d’autres encore, ce serait une pâle copie du droit français des affaires[50]. Ainsi, à l’opposé de la maxime juridique ubi societas, ibi jus[51] chère aux romanistes, le droit des affaires issu de l’OHADA serait d’essence culturelle importée, quand il est appelé à régir les comportements socioculturels des peuples destinataires[52].

En effet, le droit des affaires issu de l’OHADA destiné à contribuer au développement économique en Afrique se manifeste comme le produit d’un mimétisme culturel occidental[53]. En dépit des bonnes intentions considérées par les objectifs du traité fondateur[54], l’histoire de l’OHADA offre fondamentalement à constater qu’il est l’enjeu de plusieurs intérêts internationaux[55] justifiant ses traits occidentaux. En réalité, 25 années après son adoption et son implémentation, les résultats en faveur de l’amélioration de l’investissement économique, de l’industrialisation et de la croissance au sein des États membres ne sont pas satisfaisants. À notre avis, il y a lieu de s’inquiéter de la compatibilité culturelle des normes juridiques encadrant la pratique des activités économiques dans cet espace. A priori, il faut indexer l’option du législateur de l’OHADA de procéder par une simple transposition du modèle occidental de la pratique juridique des activités économiques en guise de stratégie pour la conquête des investissements étrangers. À l’évidence, la greffe normative ne tient pas, les sociétés africaines réceptrices manifestant des réserves liées à l’assimilation idéologique de ce droit importé[56].

Le droit des affaires issu de l’OHADA prend matériellement racine aux confins de diverses pratiques des affaires sédimentées à partir des sources culturelles étrangères, lesquelles forment le droit du commerce international[57]. Mentionnons parmi les sources prioritaires un ensemble d’instruments juridiques internationaux, dont l’enracinement coutumier échappe cruellement aux peuples africains. Il est d’ailleurs avéré, de l’avis de certains experts, que les valeurs culturelles distillées par des actes uniformes de l’OHADA ne pourraient s’articuler avec les intérêts du commerce local parmi les sociétés africaines, par exemple :

  • la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises[58], communément appelée « Convention de Vienne » : adoptée en 1980, venue remplacer les lois uniformes de 1964[59], au moment où les sociétés africaines retrouvaient leur indépendance. Cependant, cette convention sature le droit de l’OHADA. Ses traces sont majoritairement présentes dans le droit de la vente de l’Acte uniforme OHADA portant sur le droit commercial général[60]. Faut-il en déduire l’inexistence d’une telle pratique traditionnelle africaine ou l’incapacité des Africains à formaliser les normes en matière de transactions commerciales pouvant assimiler leur réalité actuelle ? La vérité est que la transposition des normes culturelles internationales permettait de satisfaire la volonté des investisseurs occidentaux[61] au détriment du tissu économique interne, qui s’en trouve moins considéré ;

  • la Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route[62] : cet instrument a entièrement inspiré l’Acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route[63]. La pratique de cet acte uniforme rend compte des difficultés liées à son application au contrat interne de transport de marchandises par route. À la lecture de son article premier, lequel définit le champ d’application[64], il en ressort une contradiction, le texte limitant son application au transport de certaines marchandises. Il exclut celles qui sont qualifiées de dangereuses, le transport funéraire et le déménagement. Or, le transporteur routier étant un commerçant, qui exploite son activité professionnelle, en quoi l’objet transporté doit-il constituer une condition de validité de son exploitation ? Toutefois, les sociétés africaines de l’OHADA connaissaient des règles relatives au transport routier qui auraient dû subir une cure de jouvence[65] ;

  • les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international[66] : établis et publiés depuis 1994 par l’Institut international pour l’unification du droit privé, ces principes sont eux-mêmes inspirés des travaux sur les retraitements (restatements) américains[67]. Or, ces derniers ont justement été construits pour être appliqués dans les États américains comme le droit contractuel en vigueur[68]. La transposition de telles normes dans le contexte interne des sociétés africaines est-elle de nature à satisfaire les attentes sur le plan local ? Les Principes d’UNIDROIT ont inspiré l’avant-projet d’acte uniforme relatif au droit des contrats comme celui sur les sûretés en dépit de leur nature à régir exclusivement les contrats du commerce international[69]. Un auteur prophétise d’ailleurs à ce sujet qu’« il faut dire que construire le droit africain des contrats sur la base des Principes est tout de même une opportunité pour UNIDROIT qui pourrait par ce seul projet affirmer définitivement la vocation des [Principes d’UNIDROIT] à régir la partie générale des contrats en droit interne[70] ». C’est donc pratiquement un droit inopérant qui est institué dans ces sociétés africaines au regard du déphasage ontologique avec son environnement d’application. Il s’agit réellement d’un déni de la source culturelle du droit pour les sujets devant l’appliquer.

Au-delà d’un potentiel avantage lié au dialogue interculturel, le professeur Paul-Gérard Pougoué regrette la fâcheuse tendance à l’importation occidentale du droit des affaires issu de l’OHADA. Celle-ci favorise la probabilité de son ineffectivité à s’appliquer au milieu africain au moment où les perspectives de conjurer l’insécurité juridique et le sous-développement sont préoccupantes. Il fait ainsi observer que, « [m]alheureusement, l’on observe une certaine tendance à s’inspirer presque exclusivement des règles ou des principes imaginés pour le commerce international. Les Actes uniformes adoptés dans cet esprit risquent d’être inadaptés à la vie juridique et économique interne[71] ». À cet effet, le forçage culturel inhérent au droit de l’OHADA par son acculturation servile étale profondément la problématique sécuritaire liée à son identité compte tenu des coutumes africaines de son espace.

1.1.2 La problématique de l’identité culturelle du droit des affaires issu de l’OHADA

La question de la détermination de l’identité culturelle du droit des affaires issu de l’OHADA demeure prégnante. En d’autres termes, est-ce un droit des affaires africain[72] ou un droit des affaires en Afrique ? La première hypothèse renvoie à un droit africain des affaires, c’est-à-dire un droit dérivé des coutumes locales et formellement consacré par les Africains eux-mêmes. La seconde hypothèse fait référence à un droit conçu, par des étrangers, à partir des réalités exogènes et en usage sur le continent africain. Toutefois, la mondialisation du droit n’a pas réussi à dissoudre le phénomène culturel qui caractérise les normes appelées à régir la diversité des comportements ou les modes de vie. Les particularités culturelles immanentes à chaque société méritent d’être véritablement protégées soit pour reconnaître les réalités sociales liées à leur singularité, soit pour garantir la cohérence structurelle de la norme consacrée à son environnement donné. Si une société se reconnaît à des valeurs particulières, c’est que la culture est évidemment ce qui constitue une société. Par conséquent, son organisation sociale et juridique devrait s’y identifier.

Se pose dès lors la problématique de la paternité culturelle du droit des affaires originaire de l’OHADA en vigueur en Afrique. À partir du constat de sa diversité géoculturelle, peut-on réellement affirmer son identité culturelle à l’effet d’envisager son incidence social et sécuritaire au sein des sociétés africaines ? Cette question rhétorique renseigne sur les difficultés permanentes pour un droit importé à satisfaire les attentes sociales conformément aux réalités locales auxquelles il ne peut s’identifier. La difficulté ontologique du droit de l’OHADA découle donc avant tout de ses lacunes de nature conceptuelle et structurelle.

Dès l’origine, le droit des affaires de l’OHADA a été conçu comme un « instrument juridique au profit des économies africaines[73] ». Une telle conception instrumentale laisse entrevoir des faiblesses inquiétantes[74]. C’est en quelque sorte reconnaître sa nature de législation d’emprunt, de spécimen de laboratoire, lorsque le droit saisit par sa formalisation les pratiques culturelles propres. En outre, le législateur de l’OHADA ne fait aucune distinction entre les procédés de l’harmonisation et de l’uniformisation du droit[75]. Ce manquement entrave considérablement la sincérité du mécanisme adopté et contribue à faire douter de la prise en considération des pratiques et des coutumes locales des sociétés africaines dans la confection de leur droit des affaires.

L’harmonisation consiste effectivement à gommer les différences entre les législations en les rapprochant, alors que l’uniformisation est une méthode plus radicale consistant à écrire et à appliquer les textes dans les mêmes termes et selon des conditions identiques d’un pays à l’autre[76]. Cela apparaît comme une oeuvre titanesque au regard de la diversité des fonds culturels visés, ajoutée à la diversité des structures économiques propres à chaque société[77]. Malheureusement, l’évidence des faits renseigne sur l’option du législateur de l’OHADA en faveur du procédé de l’uniformisation. Quoi qu’il fût plus adapté et même retenu par le traité, le procédé de l’harmonisation a simplement été abandonné. Il faut alors interroger la sincérité et la réalité d’une telle pratique d’assimilation culturelle et économique de plusieurs sociétés africaines dans un domaine aussi concurrentiel que l’activité économique. Devrait-on logiquement appliquer, au regard de leur structure économique, un modèle juridique unique au Cameroun et à la Guinée équatoriale[78] ? La solidarité légendaire, chère aux peuples africains, se serait mieux exprimée dans une certaine harmonisation des pratiques coutumières dans le dessein de consacrer un droit applicable aux affaires et, ce faisant, de protéger les valeurs fondamentales de chaque société.

Cependant, la technique de l’harmonisation initialement considérée n’a pas totalement disparu avec l’option en faveur de l’uniformisation[79]. Les deux techniques ont plutôt été mises à contribution pour étouffer une véritable âme africaine du droit de l’OHADA. L’uniformisation empruntée à travers la confection des actes uniformes a stratégiquement rendu incertaine l’assimilation des valeurs et des cultures locales des sociétés africaines, d’une part, mais globalement elle a réalisé leur harmonisation avec les modèles économiques et juridiques provenant des sociétés occidentales, d’autre part.

L’affirmation d’une identité culturelle du droit des affaires de l’OHADA demeure vigoureusement un casse-tête chinois. Sur le plan horizontal, on note une assimilation draconienne, par un forçage de valeurs, parfois contradictoires entre les sociétés africaines, d’un côté ; et la réalité d’une convergence intensive sur le plan vertical d’une certaine harmonisation du droit de l’OHADA avec les cultures juridiques occidentales, de l’autre côté. En conséquence, l’harmonisation envisagée du droit des affaires de l’OHADA s’est formellement réalisée avec les cultures juridiques occidentales dans l’intérêt supposé d’assurer l’attractivité du marché africain pour les investissements étrangers. Les déterminants culturels et psychologiques, ainsi que les réalités sociales et économiques des sociétés africaines, seront alors marginalisés dans l’élaboration de ce droit, sous réserver de heurter sa structure.

Il est admis que la règle de droit devrait, par essence, exprimer juridiquement le phénomène culturel actuel, c’est-à-dire la prise en considération des aspirations populaires, notamment le cas des peuples de l’espace de l’OHADA, destinataires des normes édictées. Ces derniers constituent en effet le vecteur par excellence d’enracinement culturel des normes aux réalités du lieu d’application.

Toutefois, dans sa structure, le droit uniforme de l’OHADA traîne une béquille. Imparfaitement, il semble n’avoir été conçu qu’à l’image d’un « outil technique » au service d’une cause. Cette réalité s’apprécie de la distance, voire de l’inadaptation du phénomène culturel des peuples de l’OHADA dans l’élaboration des normes juridiques destinées à régir leur régime social et leur structure économique. Si l’on peut admettre que le secteur des affaires ne saurait s’accommoder d’une quelconque hiérarchisation culturelle, il faut dire que le développement économique des sociétés africaines de son espace, envisagé par le droit de l’OHADA, devrait obligatoirement s’appuyer sur les déterminants culturels du discours juridique, ainsi que sur les réalités sociologiques ambiantes. Or, certains actes uniformes comportent des valeurs culturelles d’application prospective, ou simplement en inadéquation avec le contexte. C’est le cas, par exemple, de l’organisation intense des sociétés commerciales d’envergure, notamment la société anonyme faisant appel public à l’épargne[80] : celle-ci doit absolument avoir recours au marché boursier, au moment où la culture du marché de la Bourse est presque inexistante dans la plupart des sociétés africaines visées. Qui plus est, 90 % des structures économiques de l’espace de l’OHADA sont en fonction dans le secteur informel[81].

Il importe de se rendre à l’évidence qu’au xxie siècle les sociétés africaines appartenant à l’espace de l’OHADA sont condamnées à appliquer un droit des affaires qui n’est pas l’émanation de leur propre aspiration à la fois volontaire et empirique. Dans ces conditions, elles doivent continuer à s’adapter et à renouveler leur pratique afin de conjurer les façons de faire importées, lesquelles peuvent très souvent entrer en conflit avec des valeurs locales ou des aspirations factuelles. Un tel conflit d’identité dans l’expression de la norme devant régir les rapports humains est susceptible de distraire la portée sociale du droit. En conséquence, le droit des affaires de l’OHADA demeure excessivement un droit d’inspiration occidentale. C’est pratiquement un droit international des affaires en Afrique tant il est compatible avec les intérêts du contexte international des affaires, d’où son acculturation internationale au détriment des cultures locales des sociétés africaines de son espace.

1.2 Un droit des affaires spatialement déculturé

Le droit des affaires issu de l’OHADA en vigueur dans l’espace de certaines sociétés africaines ne constitue pas matériellement le produit de la volonté des peuples visés. Ce serait plutôt un droit légal, en lieu et place d’un droit légitime[82], en raison de ce que la validité formelle instituée du droit de l’OHADA ne repose ni sur les déterminants culturels locaux ni sur l’expression des populations de son espace. Ce n’est donc pas, pour ainsi dire, un véritable droit africain des affaires, mais un droit des affaires en Afrique, eu égard à ses sources primaires, ces dernières témoignant d’une aversion à l’égard des sources culturelles africaines.

Parlant du droit africain, la doctrine désigne très souvent les coutumes précoloniales ayant régi les sociétés africaines[83]. Si l’on ne doit pas en faire abstraction, il faut tout de même relever que les modes de vie et les pratiques culturelles fondés sur les déterminants socioéconomiques traduisent fondamentalement l’essence du droit africain. Il est alors question de l’ensemble des pratiques lointaines de même que des normes orales et écrites qui organisent les rapports individuels et collectifs dans les sociétés africaines. Ces normes procèdent d’une construction coutumière, pour révéler leur enracinement social et économique. De plus, à l’image du symbole de l’agora dans la Grèce antique, la construction du droit africain appelle la participation active des peuples visés, car seule la croyance commune lui confère le caractère obligatoire. Or, la réalité du mécanisme du droit de l’OHADA révèle une extrême déculturation spatiale eu égard à la marginalisation des populations. Par conséquent, la diversité culturelle immanente à son espace semble avoir été déconsidérée dans la formation du droit des affaires (1.2.2), successivement à l’exclusion des populations de son processus d’élaboration (1.2.1).

1.2.1 L’exclusion des sociétés africaines au moment de l’élaboration du droit de l’OHADA

L’exclusion des sociétés africaines appartenant à l’espace de l’OHADA a participé à la confection du droit de l’OHADA se manifeste par l’impossibilité objective des populations à être associées aux discussions et de voter ces textes, le cas échéant. Seule une partie de l’élite membre des commissions nationales[84] peut être consultée[85]. Il apparaît outrageusement que le droit des affaires issu de l’OHADA demeure un droit des experts, voire l’oeuvre de l’élite gouvernante. L’article 6 du traité précise par ailleurs que les actes uniformes sont du ressort du Secrétariat permanent et du Conseil des ministres de l’OHADA, ce qui exclut ainsi les populations de son élaboration. Les actes uniformes sont en quelque sorte leur chasse gardée[86]. Le droit de l’OHADA est aussi un droit « pris en otage » par une ingénierie juridique étrangère[87]. L’élite politique et administrative des États membres interviendrait simplement pour consolider le texte en la forme légale. C’est pour cela qu’un auteur qualifiait le droit des affaires de l’OHADA comme « un droit maîtrisable » à l’avance par des potentiels investisseurs étrangers qui ne peuvent être dépaysés à son contact[88], au détriment des potentiels entrepreneurs locaux qui s’y adaptent progressivement.

Selon Emmanuel Kant, « le respect de la norme que l’on s’est donnée est liberté[89] ». Cette philosophie sublime la loi comme l’expression de la volonté ou encore comme le produit des moeurs. Chaque individu sera donc enclin au respect d’une norme qu’il a préalablement contribué à façonner. Il faut alors déplorer le mécanisme du droit de l’OHADA qui exclut[90] la participation populaire à l’activité normative dans ses institutions au profit d’une certaine élite politico-administrative. Cette exclusion ne confirme-t-elle pas dans l’absolu l’inculturation africaine du droit des affaires de l’OHADA ? En effet, les constitutions nationales des sociétés africaines de son espace reconnaissent le pouvoir aux peuples de faire les lois[91]. Celles-ci sont débattues, consenties et adoptées conformément aux aspirations et aux réalités culturelles, sociales et environnementales[92] de chaque société.

Il faut relever que le mécanisme excluant les populations de son élaboration est susceptible de délégitimer le droit des affaires issu de l’OHADA à porter la réalité de leurs aspirations. Bien entendu, les attentes sociales qui correspondent aux solutions pratiques dégagées à partir des données physiques, civilisationnelles, ainsi que les contraintes de la vie courante doivent s’exprimer dans les normes juridiques. Certes, ce qui importe pour le droit n’est pas impérativement son origine normative. C’est également son devenir en tant que capture du phénomène social[93]. Relevant du domaine de la loi, la participation populaire constituerait un atout d’enracinement culturel du droit de l’OHADA. Sur ce point, le droit des affaires issu de l’OHADA gagnerait à se construire à partir des couches sociales populaires. Le législateur communautaire pourrait favoriser la légalisation des comportements locaux. Cette manoeuvre réaliserait automatiquement une nationalisation par les sociétés africaines du droit de l’OHADA, actuellement dompté par un mécanisme surréaliste imposé par le traité fondateur[94].

Sur la question du champ d’application des actes uniformes, le professeur Pougoué affirme que « chaque État partie doit être doté de cette législation qui revêt les caractères d’une législation interne[95] ». Or, revêtir les caractères d’une législation interne ne confère pas la légitimité d’une législation nationale. Le mécanisme de la supranationalité du droit de l’OHADA prévue par l’article 10 du traité éponyme ne rassure pas sur l’enracinement de la norme de l’OHADA en vigueur. D’ailleurs, son exploitation au niveau national demeure difficile, d’où la recommandation d’une certaine nationalisation du droit de l’OHADA.

La nationalisation du droit de l’OHADA désigne en pratique un mécanisme par lequel les sujets de la nation de l’OHADA se soumettent librement au partage des valeurs culturelles consacrées par la norme et conformément aux objectifs communs. Il conviendrait effectivement de reconnaître à chaque État le droit de ne pas heurter ses valeurs identitaires à la faveur d’un idéal économique. Puisqu’il est concevable que les peuples doivent prendre part à l’élaboration des normes juridiques, afin d’assurer leur réceptivité matérielle, la nationalisation du droit de l’OHADA participerait du processus d’enracinement culturel des actes uniformes pour plus d’efficacité sociale. Ce processus pourrait se réaliser de plusieurs manières.

L’enracinement culturel national des normes de l’OHADA s’entend précisément de l’obligation morale d’amener les peuples de cet espace à contribuer à la construction du modèle juridique qui les concerne. Leur participation à la confection desdites normes aura certainement le mérite de les engager minimalement à leur suivi. Ainsi, l’éclosion d’un sentiment psychologique de son obligatoriété locale pourrait avoir lieu de deux manières.

D’une part, de manière verticale, on pourrait procéder par l’internalisation référendaire de la réception des actes uniformes dans chaque État membre. En conséquence, il serait nécessaire de revenir sur le principe de la supranationalité contenu à l’article 10 du traité de l’OHADA. L’internalisation référendaire du droit de l’OHADA permettrait aux peuples de cet espace de se soumettre à cette législation à la suite de son quitus référendaire.

D’autre part, de manière horizontale, on pourrait revenir sur la procédure d’élaboration des projets d’actes uniformes. Dès lors, il serait possible de simplement assimiler et synthétiser les normes coutumières nationales portant sur les activités économiques, sous la coordination du Secrétariat permanent de l’OHADA, ou encore il pourrait y avoir restauration du verrou constitutionnel[96] de la ratification[97] des traités et des conventions à l’échelle internationale conformément aux constitutions nationales, et ce, dans l’intérêt d’une meilleure harmonisation des normes[98] à l’effet d’accentuer leur compatibilité sociale[99], voire régionale.

Une véritable nationalisation du droit de l’OHADA traduirait ainsi la matérialisation d’une volonté des organes politiques de l’organisation de faire participer les peuples de l’espace de l’OHADA à l’élaboration ou à l’adoption des actes uniformes. Ce mécanisme contribuerait profondément à l’enracinement juridique des réalités économiques, sociologiques, psychologiques et culturelles des peuples de cet espace[100]. De plus, en l’état actuel de la pratique du droit de l’OHADA, l’inefficacité à satisfaire les conditions d’un marché commun et l’amélioration de la croissance économique des sociétés membres s’expliquent par l’implémentation interne des modèles économiques et juridiques importés et, par conséquent, difficilement assimilable avec la diversité des structures économiques des États membres de son espace. Le désintéressement des peuples de l’espace de l’OHADA à l’égard de l’élaboration des actes uniformes constitue aussi une lacune sérieuse, ajoutée au mépris du multiculturalisme inhérent aux sociétés africaines de cet espace.

1.2.2 L’ironie du multiculturel des sociétés africaines dans la formation du droit de l’OHADA

La culture est l’identité d’une société. En conséquence, l’évidence du multiculturel des sociétés africaines de l’espace de l’OHADA est une lapalissade. Cependant, la formation du droit de l’OHADA laisse apparaître des incongruités qui permettent encore d’objecter l’africanité de ses sources. En effet, les lacunes conceptuelles sont parvenues à diluer les richesses culturelles identitaires des peuples africains de cette communauté[101]. Ces derniers représentent plusieurs aires culturelles pour autant de langues[102]. Cependant, le traité de l’ODAHA en retiendra quatre exclusivement : le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais[103]. Il faut rappeler que certaines aires culturelles avaient été volontairement abandonnées dans la version initiale dudit traité, pour plus tard faire l’objet d’un mépris inquiétant.

D’une part, dans le texte du traité de 1993, si le législateur avait pris le soin d’indiquer les aires culturelles qui composent l’espace de l’OHADA[104], il avait procédé de manière regrettable à leur hiérarchisation. La langue française, à cet effet, avait été consacrée comme l’unique langue de travail de l’OHADA et celle qui ferait foi. L’article 42 du traité issu de sa rédaction de 1993 disposait clairement ceci : « Le français est la langue de travail de l’OHADA. »

Cette disposition pourrait s’expliquer, comme le relèvent des auteurs, par l’appartenance de la plupart des États membres de l’OHADA à la zone franc[105]. Toutefois, devrait-on s’en accommoder au regard des conséquences sur l’objectif d’intégration juridique des peuples de l’espace de l’OHADA ? Le principe du monolinguisme du droit de l’OHADA posé à l’article 42 du traité avait longtemps été l’usage avant sa révision[106]. La consécration de la langue française comme l’unique langue de travail de l’OHADA ne cesse pas de susciter des interrogations : la langue de travail d’une organisation n’est-elle pas son moyen d’expression courant ? N’est-elle pas son support de fonctionnement ? Celle qui est d’usage par principe avec les autres organisations ou simplement avec les particuliers ? Dans ce cas, le traité de l’OHADA n’imposait-il pas l’usage de la langue française dans un espace communautaire multiculturel ? Le législateur communautaire n’opérait-il pas une discrimination culturelle en imposant la langue française[107] aux ressortissants non francophones de l’espace communautaire ? Ainsi, la consécration officielle du monolinguisme a contribué à ruiner l’enracinement culturel normatif du droit de l’OHADA à travers ses composantes sociologiques.

Il faut dire que, malgré l’adoption de l’anglais, de l’espagnol et du portugais comme autres langues de travail de l’organisation[108], le français est curieusement demeuré la première langue[109]. Il prime les autres langues et fait foi en cas de conflit d’interprétation[110]. Par conséquent, le législateur de l’OHADA laisse percevoir que l’espagnol, le portugais et l’anglais seraient des fonds culturels secondaires, dont les valeurs ne seraient pas égales ni transposables à la culture française[111]. C’est là précisément un phénomène d’exclusion, lorsqu’il est admis que la langue constitue de nos jours un vecteur culturel indispensable dans les conventions internationales et surtout en matière d’affaires[112].

D’autre part, l’expérience du droit de l’OHADA laisse entrevoir un mépris certain à l’égard des autres aires culturelles de la communauté. Cette lacune contribue à freiner son enracinement local. En effet, on aurait pu se réjouir de la consécration des langues secondaires de l’organisation, au statut de langue de travail. Malheureusement, plus d’une décennie après, elles semblent ne pas être mises en mouvement au profit des populations[113]. Des peuples de la communauté continuent de ce fait d’être privés de l’accès au droit. Or, l’article 42 nouveau du traité révisé à Québec le 17 octobre 2008 dispose désormais ce qui suit : « Les langues de travail de l’OHADA sont : le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais. Avant traduction dans les autres langues, les documents déjà publiés en français produisent tous leurs effets. En cas de divergence entre les différentes traductions, la version française fait foi[114]. »

La prise en considération de toutes les aires culturelles de l’espace du traité a été une décision politique forte, comme rappelle le professeur Maurice Kamto, dans l’optique d’intéresser tous les peuples de l’OHADA à la culture de cette organisation[115]. Cependant, les traductions officielles du traité et les actes uniformes en langue espagnole et portugaise[116] tardent encore[117]. Par ailleurs, la question de l’applicabilité du droit des affaires de l’OHADA dans la partie anglophone du Cameroun demeure une préoccupation doctrinale[118]. Cette question semble pourtant recevoir une réponse pertinente de l’article 42 nouveau du traité[119], ainsi que l’effectivité des traductions attendues. Toutefois, celles-ci révèlent encore des obstacles à l’intelligibilité des textes, en vue de réaliser l’emprise sociale des normes au regard de certaines lacunes.

Rappelons que la traduction du texte du traité et des actes uniformes de l’OHADA en langue anglaise date de 2016 à la suite d’un mouvement d’humeur des avocats anglophones du Cameroun. À la lecture, on observe des disparités entre les textes en français et ceux qui sont rédigés en anglais, notamment la densité des articles au sein des actes uniformes relatifs au droit des sociétés commerciales[120], au droit commercial général[121] ou encore au droit des sûretés[122]. En outre, les articles ne renvoient pas aux mêmes informations dans les différentes versions d’un texte donné, à telle enseigne que des litigants de cultures distinctes peuvent chacun utiliser indistinctement le texte en français et en anglais[123]. La notion d’entreprenant, connue en droit commercial général et consacrée en 2010 pour tenter une adaptation locale du droit à son environnement, reste méconnue par la version anglaise du même texte[124]. C’est aussi le cas de la société par actions simplifiées dans le droit des sociétés commerciales. Ces exemples révèlent le malaise du droit de l’OHADA à s’enraciner dans la culture des peuples de son espace à la faveur de l’efficacité des objectifs du traité.

La consécration par le traité révisé de la langue anglaise comme ne pouvant faire foi dans des cas particuliers heurte frontalement les constitutions de certaines sociétés africaines. Telle est la situation de la République du Cameroun qui reconnaît le français et l’anglais comme langues officielles « d’égale valeur[125] ». Il faut aussi relever l’inconstitutionnalité de l’article 42 du traité de l’OHADA dans le contexte des Comores, de la Guinée équatoriale[126] ou du Cameroun[127]. Cet état du droit peut permettre de conclure à un maintien déguisé de l’exclusivisme linguistique dans le traité, lequel participe à retarder l’enracinement d’une potentielle culture juridique de l’OHADA à l’effet de soutenir le développement des économies de son espace. Ainsi, on peut en déduire une réelle indifférence du droit de l’OHADA à l’idée de saisir les préoccupations existentielles des peuples de son espace.

2 L’indifférence du droit de l’OHADA aux préoccupations sociétales africaines

L’indifférence du droit de l’OHADA aux sources culturelles des sociétés africaines a consacré une pratique des affaires en marge des enjeux sociaux et culturels, lesquels délégitiment la norme en vue d’atteindre les objectifs attendus. La volonté manifestée dans le traité fondateur de favoriser le développement demeure imparfaite en raison non seulement de la contrariété des intérêts entre la norme et le corps social, mais aussi de l’application des politiques inappropriées.

Un quart de siècle d’expérimentation du droit de l’OHADA a révélé de nombreuses contradictions en ce qui concerne les attentes sociétales dans les sociétés africaines de son espace. Les préoccupations sociétales désignent les aspirations profondes des peuples de l’OHADA relativement à leur bien-être social, à la suppression de la pauvreté, à l’intégration économique et monétaire de même qu’à l’accélération des politiques nationales de développement. Ces préoccupations ne sauraient être implémentées en marge des politiques économiques, dont les déterminants demeurent les réalités physiques, psychiques et culturelles des sociétés africaines. Or, la déculturation africaine excessive de l’OHADA l’empêche d’opérationnaliser les politiques économiques susceptibles de concilier les attentes sociétales.

À vrai dire, les défis en faveur de la promotion de l’essor social et du développement économique devraient matériellement s’exprimer dans les politiques économiques implémentées par les Africains. Cependant, en 25 années d’application de la politique économique irriguée par le droit de l’OHADA, on observe un réel malaise du développement, objectif du traité (2.1). De plus, ces contradictions montrent qu’il faut désormais noter la volonté manifestée par des sociétés membres de la communauté de se réapproprier certaines valeurs culturelles, sous réserve de soulever des conflits culturels (2.2) susceptibles d’entamer la valeur ancillaire du droit.

2.1 Le malaise du développement socioéconomique dans les sociétés africaines

L’objectif du développement reste en apparence une préoccupation centrale dans les discours politiques et les réformes économiques concernant les sociétés africaines[128]. C’est d’ailleurs la mode à l’heure actuelle, y compris parmi les organisations éponymes à l’échelle internationale où le développement de l’Afrique constitue le plat de résistance des discussions, mais hélas toujours en marge des Africains eux-mêmes. La recette miracle du développement à travers une pratique d’un modèle culturel importé par l’OHADA n’a pas su éviter ce cliché[129]. En effet, après deux décennies d’expérimentation de ce modèle juridique au sein des sociétés africaines, les résultats ne sont pas satisfaisants[130], et les espoirs s’amenuisent.

L’une des causes fondamentales serait probablement l’inadaptation, voire la contradiction des structures économiques nationales de la communauté par rapport au modèle juridique de l’OHADA. C’est d’ailleurs un aperçu général du rapport 2017 de la Banque mondiale relatif aux performances économiques qui mentionne ceci :

La fragilité économique et politique de certaines économies de l’OHADA est également un important défi. Huit des 35 économies figurant sur la liste des économies fragiles de la Banque mondiale en 2017 sont membres du groupe OHADA. Des données probantes confirment que dans de telles économies la productivité est réduite, l’emploi et l’entrepreneuriat font défaut. Toutefois, des lois adéquates privilégiant l’esprit d’entreprise contribuent à la création d’emplois et à la participation économique, notamment dans les économies fragiles et à faible revenu, favorisant ainsi l’égalité et la stabilité[131].

La recommandation en faveur des lois pertinentes en visant l’encouragement de l’entreprise et la création de l’emploi augure d’une contrariété locale relativement aux objectifs des normes du droit de l’OHADA.

Cette incohérence se justifie par le défaut d’enracinement culturel africain du droit des affaires de l’OHADA[132]. À cet égard, le modèle juridique de l’OHADA apparaît trop extraverti. Il a d’ailleurs été présenté comme un instrument juridique de facilitation des investissements économiques étrangers en Afrique, alors que l’on aurait cru, de prime abord, à un joyau culturel favorable à la construction d’un leadership économique africain. Pour ce faire, le droit de l’OHADA se serait appesanti, par exemple, sur les modalités de financement de l’économie sociale et les unités informelles de production[133] qui constituent le miroir des structures économiques des sociétés africaines dans le but d’articuler la norme aux faits[134].

Soulignons que, comme organisation politique, l’OHADA peine à démontrer une vision politique concertée indispensable pour rassurer sur l’objectif du développement. La nature monolithique de l’organisation ne constitue pas non plus un atout pour conjurer les désaccords. L’inertie caractérisée ou encore les querelles quant à l’opportunité d’engager les économies membres de l’espace de l’OHADA dans certains programmes, comme les accords de partenariat économique, démontrent l’apparence d’un destin communautaire. Ces lacunes consolident l’apparence d’une véritable politique commune de protection de l’entreprise (2.1.1). Le droit de l’OHADA devrait surtout tirer sa substance de la sociologie des structures économiques locales pour soutenir la protection des petites unités de production, le développement des petites et moyennes entreprises ainsi que la création des fonds communautaires pour le financement de l’entrepreneuriat[135], associé à l’établissement d’un véritable marché communautaire (2.1.2).

2.1.1 L’inexistence d’une politique commune de protection de l’entrepreneuriat dans les sociétés africaines de l’espace de l’OHADA

L’une des préoccupations majeures actuelles des sociétés africaines est l’amélioration du climat des affaires à travers la promotion de mesures susceptibles de favoriser l’entrepreneuriat économique et l’industrialisation. Cette aspiration profonde soulevée par la pratique semble en revanche être contrariée par l’implémentation dans la communauté de certaines politiques économiques défavorables[136]. Or, l’encouragement des investissements et leur protection par des normes contextuelles modernes et adaptées sont bel et bien le credo de l’OHADA[137]. Si l’on peut s’offusquer de l’inexistence de telles mesures en faveur de la protection de l’entrepreneuriat et de l’économie sociale dans l’espace de l’OHADA, il faut dire que le droit en vigueur ne rassure pas davantage par ses résultats. En effet, le rapport Doing Business 2019 de la Banque mondiale, faisant le point sur le classement des économies subsahariennes pour la facilité à faire des affaires, félicite leur nature dorénavant réformiste[138]. Cette dernière s’avère indispensable pour dynamiser une économie. Toutefois, le contrepoids de la protection de l’entrepreneuriat dans les sociétés africaines s’illustre aussi par l’incidence nocive de l’Accord de partenariat économique (APE) convenu avec l’Union européenne, par ailleurs, véritable précurseur de l’OHADA[139].

L’APE désigne un accord économique de libre-échange vicié par nature liant les États de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l’Union européenne, y compris ses États membres. La conséquence à court terme de l’APE comme politique économique est de décourager l’investissement industriel local et la recherche scientifique par une concurrence acerbe de l’Occident. Signé au Bénin, le 23 juin 2000, l’APE autorise l’accès réciproque des parties au marché européen et celui des ACP en franchise de droits de douanes et de quotas pour des produits particuliers. On peut s’interroger sur la nature, la quantité et la qualité des produits susceptibles d’être fournis par les unités de productions artisanales[140] en vue d’inonder le marché européen en contrepartie de la perte des devises douanières[141]. Dans les faits, c’est une convention lésionnaire, qui favorise la submersion des sociétés africaines en produits manufacturés avec l’effet, en prime, de décourager la consommation locale manifestement de moindre qualité. En outre, à la place d’une convention entre le groupe ACP et l’Union européenne, cette dernière a choisi de faire signer singulièrement chaque État de la communauté. Cette option renseigne sur la volonté occidentale de contrecarrer les lueurs d’une industrialisation au sein de ces sociétés et d’affaiblir la communauté. Les nouveaux accords commerciaux imposés à certaines sociétés africaines pourraient désormais entrer en conflit avec le projet panafricain de création d’une zone de libre-échange économique entre les États membres de l’Union africaine[142], ce qui laisse entrevoir un conflit latent entre les institutions de l’Union africaine et celles de l’OHADA, mais surtout démontre l’incapacité du modèle de l’OHADA ou plutôt l’absence de volonté des précurseurs de cette organisation pour développer véritablement les économies des sociétés de son espace.

Une lecture transversale de certains actes uniformes démontre qu’ils sont le reflet de pratiques sociales imposées, n’ayant en réalité aucune correspondance avec le vécu des populations de l’espace de l’OHADA[143]. Ainsi, la contrariété d’intérêt entre la norme consacrée et les déterminants sociaux se révèle de nature à compromettre toute initiative d’entreprise locale.

Au regard de l’extraversion de ses sources, le droit des affaires de l’OHADA, initialement, ne s’est pas préoccupé de l’organisation saine des économies locales pour le développement de l’Afrique. Il s’est plutôt concentré sur des mesures en vue de permettre à l’Occident de s’approprier aisément le marché africain. En ce sens, la promotion de l’entrepreneuriat économique par la facilitation de l’industrialisation en Afrique à travers un climat des affaires favorable a été volontairement abandonnée. En voici quelques exemples :

  • L’encadrement de certaines formes sociales permettant l’exploitation commerciale était extrêmement dissuasif pour les entrepreneurs, au regard de la compatibilité des conditions administratives et financières[144] avec le milieu d’application. Ce type d’organisation renseigne bien sur la culture occidentale des entreprises de l’indice boursier de la cotation assistée en continu (CAC 40[145]). Or, si des auteurs ont justifié la prise en considération par le droit de l’OHADA de l’analphabétisation[146] pour témoigner de sa compatibilité par rapport aux cultures africaines, il faut simplement dire que ce modèle d’organisation sociale apparaissait inadapté à son nouveau contexte ;

  • Les réformes engagées depuis une décennie par l’OHADA ont maintenant pour objet un meilleur ancrage culturel national des actes uniformes. Quelques dispositions réformées permettent actuellement une véritable emprise locale. Par conséquent, le capital social minimal exigé par l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales pour la constitution de la société à responsabilité limitée tout comme le recours au notaire sont devenus hétérogènes dans l’espace communautaire, pendant que son encadrement sécuritaire reste soumis au droit supranational ;

  • Le statut de l’entreprenant entré en vigueur en 2010 avec la réforme de l’AUDCG est diversement apprécié et apparaît supplétif dans l’organisation des activités économiques au niveau national.

Ces exemples laissent voir une légère cacophonie dans la démarche de l’OHADA. Il convient toutefois d’apprécier la volonté d’intégration culturelle régionale qui se fait progressivement ressentir.

Les politiques communautaires d’industrialisation, de financement et de promotion de la recherche, de l’innovation et de l’investissement mutualisé sont presque inexistantes entre les membres de la communauté. Or, l’intégration juridique entraîne de manière irréversible l’intégration culturelle et, d’une manière logique, la communauté de destins. De tels projets intégrateurs permettraient de percevoir en filigrane les traits d’une réelle communautarisation des sociétés africaines de l’espace de l’OHADA. Cependant, celles-ci sont en permanence en situation d’ajustement structurel en fonction des institutions internationales et vivent de la taxation et de l’imposition à outrance des jeunes entrepreneurs locaux. À remarquer que ces derniers sont très souvent contraints à la faillite en raison de l’absence d’un marché adapté à la consommation de leur production[147].

2.1.2 L’inexistence d’un marché commun entre les sociétés africaines de l’espace de l’OHADA

L’inexistence d’un véritable marché communautaire intégré de l’espace de l’OHADA susceptible de densifier les échanges commerciaux entre les membres est une réalité. Or, c’est un objectif primaire du traité, qui n’est pas réalisé à ce jour[148]. A contrario, les échanges commerciaux verticaux au profit des sociétés occidentales ont été encouragés au détriment des échanges commerciaux horizontaux entre les sociétés africaines. Il faudrait alors interroger l’abandon du projet de facilitation de la mise en place d’un marché commun de l’espace de l’OHADA au profit de la signature de l’APE avec l’Union européenne et, qui plus est, en rang dispersé.

Le marché commun constitue un espace organisé dans lequel il y a libre circulation des personnes, des services et des marchandises ainsi que rapprochement des législations sociales et fiscales, sans oublier les politiques économiques communes et de développement. Cet espace réglementé du libre-échange intracommunautaire a été prévu dans le traité pour réaliser l’intégration économique des États membres. Pourtant, cet objectif s’est révélé difficilement atteignable. Toutefois, l’Union africaine a adopté en 2018 l’Accord pour la création d’une zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)[149] qui présente des objectifs précis pour l’Afrique[150]. Le Secrétariat permanent de l’OHADA émet déjà le voeu d’y jouer un rôle important[151].

En effet, le projet de création d’un marché communautaire en vue de densifier les échanges commerciaux entre les États membres de l’OHADA au profit des économies de la communauté est à l’heure actuelle pratiquement battu en brèche par les promoteurs de l’OHADA en faveur de l’APE. En réalité, l’option pour l’Union européenne d’imposer la formule des APE, à la fois singulièrement et autoritairement, aux États membres de l’OHADA entre en contradiction avec les objectifs du développement social et de l’intégration économique proclamés par le traité de l’OHADA.

L’Union européenne d’office, s’est garantie simplement par l’effet de la force du droit un marché potentiel pour ses débouchés commerciaux[152]. Les rapports présentent un taux très faible d’échanges commerciaux entre les États membres de l’OHADA. Les importations de la zone de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) pour l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) sont inférieures à 3 %, alors que l’inverse n’atteint que 2 %. Si l’option en faveur d’un marché communautaire n’est pas une utopie, il faut croire à l’évidence qu’elle ne pourrait se réaliser dans les conditions actuelles dictées par les convoitises occidentales.

La réalité laisse voir que la majeure partie de l’économie des sociétés africaines membres de l’OHADA est essentiellement artisanale. Les activités économiques se réalisent prioritairement dans les secteurs primaire et tertiaire. Le secteur secondaire, qui représente les activités de transformation, est vraisemblablement inexistant, notamment en raison d’une carence réelle de l’industrialisation dans ces pays. Or, cette volonté est bien considérée par le traité de l’OHADA, mais un quart de siècle d’application dudit traité n’a pas permis de rassurer les États membres quant à l’atteinte de cet objectif. En revanche, les lueurs d’une industrialisation se font plutôt ressentir avec l’encouragement des délocalisations des entreprises occidentales dans les sociétés africaines. Dans ces conditions, les échanges commerciaux entre les États membres en vue d’améliorer le produit intérieur brut (PIB) des États se révèle totalement insatisfaisant, la nature artisanale de leur économie constituant visiblement un frein majeur. Or, le droit de l’OHADA a considéré et promu un droit des industriels par l’encouragement des investissements étrangers[153]. Les entreprises locales ont, dès lors, été rapidement oubliées, voire essentiellement exploitées, et l’intérêt d’entrepreneurs locaux s’est trouvé sous-estimé.

Le droit de l’OHADA étant un droit des industriels, il apparaît inadapté aux structures économiques essentiellement artisanales de son espace. Il est nécessaire de l’articuler avec les réalités locales et culturelles des sociétés africaines. Pour le moment, l’organisation d’un réel circuit des échanges commerciaux relatifs aux matières premières de même qu’aux produits semi-manufacturés et manufacturés s’impose pour rendre viable un marché de l’offre et de la demande sur l’espace communautaire. Cela favorisera également l’entrepreneuriat à travers des politiques de financement et de refinancement des secteurs clés de l’économie qui permettent des avancées vers l’industrialisation et le partage des bonnes pratiques en vue de relever le niveau de vie des populations des États membres. Cependant, cette vocation irréversible à l’autonomisation culturelle des peuples africains ne s’accomplira pas sans heurts.

2.2 La résurgence des conflits culturels dans les sociétés africaines

La réception et l’application du droit des affaires de l’OHADA à l’intérieur des sociétés africaines de son espace laissent entrevoir des conflits culturels certains. Autant son mécanisme et sa structure actuelle prédisposent le droit de l’OHADA à la résurgence des contradictions conflictuelles.

Le mécanisme de l’OHADA prétend procéder à l’harmonisation des droits africains relatifs aux affaires sur un espace, alors qu’il est plutôt question d’une uniformisation virtuelle des coutumes de plusieurs sociétés africaines par le truchement d’un instrument juridique importé, d’une part. Mécanisme, auquel il faut ajouter la nature aléatoire du champ d’application dudit instrument importé, d’autre part[154]. Notons que l’article 2 du traité portant création de l’OHADA mentionne de manière large le champ d’application des actes uniformes (2.2.1), pour éventuellement justifier des incursions de l’OHADA en matière de droit du travail au mépris des réalités culturelles et factuelles de chaque société africaine. Toutefois, sauf à convenir de l’importance facultative des normes juridiques, le fondement culturel du droit demeure déterminant pour garantir son intelligibilité, son applicabilité et son efficacité. En ce qui concerne la greffe culturelle du droit de l’OHADA parmi les peuples de la communauté, les conflits culturels sont illustrés par la montée de la clandestinité des potentiels entrepreneurs[155], ainsi que par la remise en cause de certaines valeurs acquises par la culture juridique africaine (2.2.2).

2.2.1 Le cas du domaine d’application des actes uniformes issus de l’OHADA

Le droit matériel issu de l’OHADA aurait par principe comme domaine d’application le droit des affaires conformément à l’article 2 du traité fondateur[156]. Cette disposition précise un ensemble de matières pour lesquelles l’assimilation culturelle des sociétés africaines constitue désormais une réalité. Il traduit conséquemment l’expression d’un forçage culturel par la normativité, voire une obstruction aux valeurs coutumières à travers des normes localement déculturées. En réalité, la pratique correspond à un dépassement du cadre du droit des affaires, pour investir des champs culturels particuliers et fondés sur la spécificité, voire la singularité locale. On peut interroger l’opportunité d’intégrer le droit du travail dans le droit des affaires : serait-ce parce que pour mener une entreprise on aurait besoin d’une main-d’oeuvre ? En quoi les législations nationales en matière sociale et du travail étaient-elles inconvenables ? Ce questionnement permet d’apprécier l’inconsistance de quelques fondements conceptuels de l’OHADA, dont l’objectif fondamental apparaît souvent incompatible avec les procédés adoptés.

Il faut relever que le droit des affaires de l’OHADA s’est limité à l’élaboration des normes matérielles destinées à la régulation de la pratique des affaires en Afrique. Cependant, il s’est aussi intéressé, à défaut d’être exhaustif, à l’élaboration des normes procédurales. Celles-ci ont parfois eu pour conséquence un réaménagement de l’organe juridictionnel au sein des sociétés africaines, sous réserve d’atteindre la sécurité juridique. En effet, la variété des cultures des sociétés africaines avait logiquement entretenu une diversité des organes judiciaires et des règles procédurales pour ester en justice. L’adoption des règles communes de procédure par certains actes uniformes contribue à modifier fondamentalement les habitudes culturelles des populations de l’espace communautaire. L’organe politique de l’OHADA qu’est le Conseil des ministres s’est d’ailleurs réservé le pouvoir d’inclure toute autre matière pour étendre le domaine du droit des affaires. À ce sujet, il faut déplorer, à notre avis, l’inclusion du droit du travail dans le champ de l’OHADA, lequel participe au renforcement des conflits culturels.

Le droit du travail se définit comme l’ensemble des règles qui encadrent les rapports individuels et collectifs de travail. C’est en fait un domaine normatif en prise directe avec les réalités sociales et culturelles d’un espace donné[157]. Dès lors, il est normal que sa rédaction et plus tard son implémentation en viennent à poser d’énormes difficultés. Ce serait d’ailleurs l’un des motifs du défaut d’un consensus minimal préalable à son entrée en vigueur. C’est également le cas en ce qui concerne le projet d’acte uniforme portant droit des contrats, qui est apparu comme une oeuvre de transposition culturelle incompatible[158].

Ainsi, au regard des modes de vie et des valeurs culturelles composant l’espace de l’OHADA, il aurait fallu intéresser les sujets directs à la base et non imposer des normes à partir du sommet, comme c’est le cas pour les autres actes uniformes. Parlant des carences relatives au projet de la norme sociale communautaire, un auteur écrit ceci :

Il convient, en effet, de trouver un compromis entre les positions des employeurs, des salariés et celles des États. L’élaboration de ce droit nécessite donc une collaboration tripartite États, organisations syndicales représentatives des salariés et organisations professionnelles ou syndicales représentatives des employeurs sur le modèle adopté par l’Organisation Internationale du Travail. Cependant, un tel mécanisme d’élaboration alourdit la procédure et rend très difficile, voire impossible, un consensus total ou large sur des textes[159].

Le maintien du droit du travail dans la famille du droit des affaires de l’OHADA est vecteur de conflits culturels latents, que les sociétés africaines peuvent éviter, comme c’est le cas de certaines valeurs acquises par la culture juridique africaine.

2.2.2 La remise en cause de certaines valeurs acquises par la culture juridique africaine

Sur le plan pratique, la consolidation de la culture juridique africaine, notamment en matière d’affaires, se heurte aux interprétations nouvelles de concepts bien familiers. La jurisprudence, dont le rôle consiste à entériner le droit positif[160], devrait effectivement se préoccuper de rendre la justice par l’actualisation des normes juridiques et coutumières selon les cas[161]. Pour sa part, Jean-Étienne-Marie Portalis rappelait déjà que la science du législateur est différente de celle du magistrat[162], ce dernier étant interpelé au regard de la casuistique à interpréter et à appliquer les normes conformément aux déterminants sociaux. C’est à cette pratique que le juge de l’OHADA dans sa jurisprudence est requis pour interpréter les normes dans l’intérêt de consolider la psychologie culturelle au sein des sociétés africaines[163]. Cependant, la jurisprudence de l’OHADA laisse encore voir des atermoiements relatifs aux conflits d’interprétations liées à certaines notions ou valeurs acquises par la culture juridique dans les sociétés africaines.

2.2.2.1 Les atermoiements de la Cour commune de justice et d’arbitrage

Le droit de l’OHADA apparaît encore plus déraciné des cultures juridiques africaines en raison de l’importance des notions juridiques qu’il comporte et dont la compréhension demeure mal aisée ou traduit une contrariété de valeurs, ce qui engendre parfois des conflits d’interprétation. Il en est ainsi de la périphrase « à bref délai », contenue dans l’alinéa 3 de l’article 133 de l’AUDCG, pour laquelle la jurisprudence de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) ne consolide guère l’enracinement culturel préacquis.

Dans plusieurs arrêts[164], la CCJA a clarifié l’interprétation qu’elle faisait de la notion « à bref délai ». Pour cette haute juridiction, « la périphrase “à bref délai” contenue dans l’article 133, en son alinéa 3, ne renvoie pas ipso facto à la notion de référé et […] la juridiction présidentielle peut statuer en la forme des référés ou comme en matière de référé sans être pour autant juge des référés mais bien en tant que juge du fond, en abrégeant les délais habituels de citation[165] ». Cette interprétation de la CCJA innove certes, avec l’introduction d’une dose de célérité dans le traitement des procédures d’expulsion désormais engagées devant le juge du fond.

Cependant, était-il nécessaire d’exprimer ainsi cette innovation ? Le législateur ne pouvait-il pas se contenter, à partir d’une règle de procédure, de circonscrire le délai de traitement en pareille matière ? Selon nous, l’interprétation de la CCJA relativement à la notion de « bref délai », bien connue parmi les législations nationales, fait naître un conflit d’interprétation. Cette situation manifeste réellement un conflit culturel résultant de l’appropriation de la notion en question dans les législations des sociétés africaines. De manière courante, elle désigne pratiquement la juridiction de référé, exclusivement compétente pour connaître des causes urgentes, c’est-à-dire au regard du préjudice ou du péril enduré[166]. En conséquence, elle est qualifiée de juridiction de l’urgence et elle est saisie par voie de requête. Donc, la volonté du législateur communautaire de commander la brièveté des délais avait logiquement fait penser au juge des référés dont le bref délai est une condition de la saisine. Or, la CCJA, dans une récente décision en matière de bail à usage professionnel[167], a convoqué la notion de « bref délai » pour désigner une juridiction ordinaire devant simplement statuer dans un délai abrégé, ce qui a eu pour conséquence de ruiner la consolidation culturelle de la notion en pratique.

L’interprétation judiciaire des dispositions du droit de l’OHADA devrait, à cet effet, considérer l’état des cultures juridiques nationales afin de garantir son enracinement et la cohérence culturelle recherchée. L’idée n’est pas d’innover par l’esthétique, mais par utilité pratique. Cette interprétation, pour acceptable qu’elle soit, aurait pu être exprimée autrement pour éviter de créer une distance entre les concepts et les conflits d’interprétation.

2.2.2.2 La détermination du juge du contentieux de l’exécution

La détermination du juge du contentieux quant à l’exécution des décisions de justice pose également une difficulté, voire un conflit de culture juridique, notamment entre le droit camerounais et le droit de l’OHADA. En effet, l’alinéa 1 de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dispose que « [l]a juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui[168] ». Une interprétation littérale, permet de retenir que le législateur de l’OHADA désigne ainsi, pour connaître des matières visées, le président de la juridiction compétente en matière d’urgence. Il laisse par conséquent la désignation formelle de ce juge aux législations nationales de son espace. Est-il question du président du tribunal de première instance ou de celui qu’il délègue[169], qui aurait compétence exclusive pour le contentieux de l’exécution des décisions rendues par l’ensemble des juridictions nationales ? Est-ce une compétence judiciaire partagée, conformément à l’autonomie de l’organisation judiciaire nationale[170]. À noter que l’application des dispositions de l’article 49 suscité a été contrariée dans la société camerounaise par une loi instituant des juges du contentieux de l’exécution[171], ce qui peut augurer de la préoccupation de protéger en particulier des valeurs culturelles nationales.

La loi camerounaise de 2007 désigne le président de chaque juridiction comme juge du contentieux de l’exécution de ses propres décisions[172]. Cette loi révèle en soi la protection de valeurs chères à la société africaine[173]. Elle a également le mérite de consolider un certain nombre de valeurs acquises par les cultures juridiques nationales, notamment la garantie d’une bonne et cohérente administration de la justice, en ce que le juge ayant eu connaissance d’une affaire au fond et parfois assuré des mesures de transport judiciaire est susceptible d’offrir un meilleur traitement, plus rapide et efficace, du contentieux de l’exécution de sa propre décision. De surcroît, il n’était pas souhaitable que le président du tribunal de première instance, juge des référés par excellence, selon la haute juridiction[174], puisse remettre en cause les décisions des juridictions nationales supérieures.

En dépit de la protection de plusieurs valeurs nationales, la loi camerounaise de 2007 fait l’objet de critique doctrinale parce que, dit-elle, le juge désigné « n’est pas forcément celui auquel renvoie l’article 49[175] ». L’une des critiques relevées est que, par la désignation de plusieurs juges du contentieux de l’exécution des décisions, la loi camerounaise atteint le principe du double degré de juridiction. L’alinéa 3 de l’article 49 dispose ceci : « Le délai d’appel comme l’exercice de cette voie de recours n’ont pas un caractère suspensif, sauf décision contraire spécialement motivée du président de la juridiction compétente. » En désignant chaque juge comme compétent pour connaître du contentieux de ses propres décisions, la loi camerounaise profane le principe du double degré de juridiction[176].

Le principe du double degré de juridiction permet au justiciable de saisir la juridiction directement supérieure s’il n’est pas satisfait de la décision rendue au degré inférieur. Dans un même ordre d’idées, on peut logiquement considérer ici un manquement de la loi camerounaise. Toutefois, pour éviter un tel conflit culturel, la collaboration de l’OHADA avec les droits africains s’avère indispensable en vue de servir effectivement ses finalités. C’est pourquoi la densification africaine des sources du droit de l’OHADA s’impose pour éviter de telles fractures[177].

L’appropriation nationale des sources d’interprétation exige également de s’empêcher d’implanter des solutions judiciaires occidentales à titre de droit dans le contentieux concernant les actes uniformes au niveau national. C’est une mise en garde fondamentale dans la mesure où la tentation est grande pour les juges, en raison des sources occidentales du droit de l’OHADA, de transposer le raisonnement et les solutions admises dans ces traditions judiciaires à l’intérieur de l’ordre judiciaire des sociétés africaines[178]. Si une partie de la doctrine opte pour cette manière de faire, il faut relever que les modèles et les méthodes issus des sociétés occidentales ne peuvent absolument pas s’assimiler avec le milieu culturel de l’espace de l’OHADA. Par conséquent, il serait louable pour les juges de cet espace de faire oeuvre utile à partir de cette législation afin de promouvoir la réactivation des déterminants culturels nationaux susceptibles d’enraciner la compréhension et l’application des normes légales de l’OHADA.

Conclusion

Des sociétés africaines, incontestablement pluriculturelles, appliquent depuis 1993 le droit des affaires originaire du traité de l’OHADA. Cette organisation internationale s’est donnée pour mission d’harmoniser par des règles communes simples, modernes et adaptées la pratique des affaires dans les différents États membres en vue de réaliser le développement socioéconomique par l’intégration juridique. Cependant, l’entreprise s’est réalisée en marge des réalités sociologiques, psychologiques, culturelles et identitaires des peuples de l’espace de l’OHADA, d’où notre question relative à l’opportunité du droit de l’OHADA pour les sociétés africaines de son espace.

L’affirmation d’une quotité identitaire desdites sociétés dans le droit de l’OHADA est demeurée vaine, à l’instar de la capacité de cet instrument de politique économique régionale à améliorer les résultats économiques et le cadre social d’existence des populations de la communauté. On est alors à s’interroger sur la serviabilité du droit de l’OHADA pour l’Afrique. Il est d’ailleurs vite apparu soit tel un simple outil technique, soit comme une stratégie de domination économique et de recolonisation par le droit, en raison de sa déconnection des identités culturelles des sociétés africaines. En cela, il fallait craindre l’ineffectivité de son objet, au regard de ses méthodes.

L’intégration par le marché commun envisagée par le traité demeure en projet, au moment où le climat des affaires sur l’espace de l’OHADA laisse apparaître des failles en cascade. Le constat d’un dosage normatif important d’origine occidentale et internationale dans le droit de l’OHADA ne facilite guère l’appropriation de cette culture juridique au sein des sociétés africaines de son espace. La récente modification du traité et de certains actes uniformes devait permettre de conjurer cette lacune pour s’appuyer sur des réalités sociologiques et culturelles locales. De plus, l’option des dirigeants politiques africains en faveur de l’APE a contribué à l’aggravation structurelle de la situation économique et nié l’espoir véritable d’un marché communautaire. Il est urgent à cet effet de s’interroger sur les modèles et les modalités nécessaires de la refondation culturelle du droit de l’OHADA pour garantir l’objectif du développement de l’Afrique.