Abstracts
Résumé
Le vieux Marx a consacré certaines des plus belles pages du Capital (1867) au contrat de travail. Rédigées dans un style dramatique, voire théâtral — on y suit un ouvrier rétif, qui passe un contrat avec un bourgeois en odeur de sainteté —, ces pages entraînantes, que l’on a peu lues et peu commentées jusqu’à présent, permettent aujourd’hui de mieux comprendre l’idée que Marx se faisait finalement du droit. Car si l’on s’est beaucoup intéressé aux remarques métajuridiques que Marx a glissées ici et là dans ses manuscrits, fussent-ils achevés ou non, outre que l’on s’est penché sur sa critique juvénile de la philosophie hégélienne du droit, on s’est nettement moins attaché à la place que tient le contrat de travail dans Le capital. Comme le montre pourtant Marx, c’est par le respect du contrat que le capitaliste exploite l’ouvrier, et non par sa violation.
Abstract
Although Marx dedicated some of the finest pages of Das Kapital (1867) to the employment contract, there has been little discussion or awareness of these passages. Yet, through the tale of a reluctant worker and his contract with an elite, these lively pages allow us a deeper understanding of Marx’s conception of right in his later years. While much attention has been paid to Marx’s metajuridical remarks and his youthful critique of Hegel’s philosophy of law, very little has been paid to this later exploration of the employment contract, where he explains that capitalist exploitation of workers relies on observance, rather than breach, of the employment agreement.
Resumen
El viejo Marx consagró algunas de las páginas más bellas en El capital (1867) al contrato de trabajo. Estas han sido redactadas con un estilo dramático, incluso teatral — en las que un obrero reticente celebra un contrato con un burgués admirado por los demás. Estas páginas alentadoras que poco han sido leídas y han sido poco comentadas, permiten hoy día comprender mejor la idea de que Marx, finalmente, formaba el derecho. Puesto que se le ha prestado atención a los comentarios metajurídicos que Marx ha hecho aquí y allá en sus manuscritos, independientemente de que hayan sido terminados o no, además de interesarse en su crítica juvenil de la filosofía hegeliana del derecho, se le ha prestado mucho menos atención al lugar que ocupa el contrato de trabajo en El capital. Sin embargo, como lo demuestra Marx, es por respeto al contrato que el capitalista explota al obrero, no por su violación.
Article body
Il y a une « conception idéologique du droit et c’est d’elle qu’on est dupe en général lorsqu’on déclare que le droit est une idéologie, lorsque, croyant définir son objet, on le réduit, par une sorte de réduction juridique consistant dans la mise hors jeu de tout ce qui n’est pas lui, à un ensemble de représentations idéales et de concepts juridiques, à ce qu’on appelle un code[1] ». C’est cette conception-là du droit que le vieux Marx condamne dans Le capital.
Le développement historique du droit, concède néanmoins Marx, a fortiori celui des rapports de propriété (Eigentumsverhältnissen), apparaît, à première vue, comme l’autoréalisation (Selbstverwirklichung) du concept de droit (Begriff des Rechts). Cependant, les apparences sont trompeuses. En réalité — selon Marx, toujours —, le droit reflète sur le plan de l’idéalité les régulations pratiques de la production économique. Les rapports de propriété — esclavagisme, servage, salariat, etc. — ne se créent pas par eux-mêmes ni sous l’effet d’une évolution générale de l’esprit humain, qui prendrait peu à peu conscience de lui-même ; non, insiste Marx, ce sont au contraire les rapports sociaux de production (Produktionsverhältnissen) qui s’étendent et qui revêtent au cours de l’histoire différentes formes juridiques dans l’esprit de l’être humain (subjektive Geist) et dans ses institutions (objektive Geist)[2].
La forme sous laquelle une classe extorque légalement du surtravail (Mehrarbeit) à une autre classe change ainsi dans le temps, mais le fond, lui, reste toujours le même — libre ou servile, le producteur immédiat doit assumer sa propre subsistance et celle du maître qui possède les moyens de production[3]. Au sein des sociétés où régnait autrefois le mode de production asiatique, antique ou féodal, l’extorsion de surtravail passait par la coercition. De nos jours, elle passe plutôt par le contrat de travail dans les sociétés où règne le mode de production capitaliste. Dans ces sociétés — on le verra —, le surtravail extorqué aux ouvriers est converti en plus-value (Mehrwert) que se partagent ensuite, sous diverses formes phénoménologiques (Erscheinungsform), ceux qui possèdent les moyens de production (rente foncière, profit industriel, profit commercial, etc.). Ce qu’une classe perçoit en trop, dit Marx, elle le prend nécessairement à une autre. Et elle le fait toujours avec l’approbation des juristes, qui ont tour à tour codifié l’esclavage, le servage et le salariat. Les êtres humains ont aujourd’hui la conviction d’être libres et égaux en droit — ils ne l’ont pas toujours eue, tant s’en faut — mais, à l’instar de tout droit, le droit bourgeois a, en fait, l’inégalité des classes pour fondement (« es ist daher ein Recht der Ungleichheit, seinem Inhalt nach, wie alles Recht[4] »).
La théorie de la plus-value est déjà bien connue, objectera-t-on peut-être, tout comme l’idée que Marx se faisait in fine du droit bourgeois. Or, ainsi que se plaisait à le répéter Hegel, « ce qui est bien connu est en général, pour cette raison qu’il est bien connu, non connu. C’est la façon la plus ordinaire de se faire illusion à soi-même comme de faire illusion à d’autres[5] ». On a ainsi consacré tant d’efforts à colliger les remarques métajuridiques que Marx a inscrites dans ses manuscrits, que l’on en est venu à oublier ce qu’il espérait finalement démontrer dans Le capital, à savoir l’extorsion légale de surtravail dans les sociétés de classes. Ce sera donc à cette monstration que nous nous intéresserons ici, de manière à expliciter le rapport qui existerait, selon le vieux Marx, entre l’économie (Basis) et le droit (Überbau).
1 L’être et le devoir-être
Sous l’aspect mystique (mystificirten Form) que lui a d’abord donné Hegel, la dialectique semblait glorifier les choses existantes, dit Marx, mais sous son aspect rationnel (rationellen Gestalt), c’est-à-dire matérialiste, la dialectique est un véritable scandale pour les classes dirigeantes et ses doctrinaires — philosophes, juristes, économistes, etc. — puisque, dans la « conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire[6] ». Si Hegel a prématurément mis fin à la dialectique de l’histoire, consacrant ainsi la légitimité éternelle de la bourgeoisie, il a en revanche très bien compris que c’est commettre une « grosse erreur que de représenter le système qu’on veut réfuter comme étant faux d’un bout à l’autre, et comme s’il s’agissait seulement d’opposer le vrai système au faux[7] ». La vraie réfutation d’un système, explique-t-il, ne doit pas venir du dehors, c’est-à-dire de « prémisses extérieures au système à réfuter, ne correspondant pas à ce système. On peut se contenter de ne pas reconnaître ces prémisses ; un défaut n’est un défaut que pour celui-là seul qui formule des exigences et des besoins fondés sur elles[8] ». En d’autres termes, la vraie réfutation est celle qui « tient compte de cette force de l’adversaire et se maintient dans les limites de cette force ; l’attaquer par l’extérieur, s’en prendre à lui là où il n’est pas, c’est se livrer à des efforts inutiles[9] ».
Cette perspective critique est bien sûr celle qu’adopte lui-même Marx dans Le capital. Et le système qu’il cherche méthodiquement à y réfuter, c’est l’économie politique vulgaire (Vulgärökonomie), à savoir l’économie post-ricardienne, dont les principaux représentants — Roscher, Say, McCulloch, Sismondi, Bastiat, etc. — se bornaient, au fond, à « ériger pédantesquement en système et à proclamer comme vérités éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui, le meilleur des mondes possibles[10] ». Vulgaires ou non, scientifiques ou pas, les catégories de l’économie politique bourgeoise, s’empresse toutefois d’ajouter Marx, sont des « formes de l’intellect qui ont une vérité objective, en tant qu’elles reflètent des rapports sociaux réels, mais ces rapports n’appartiennent qu’à cette époque historique déterminée, où la production marchande est le mode de production social. Si donc nous envisageons d’autres formes de production, nous verrons disparaître aussitôt tout ce mysticisme[11] ». Cela vaut également, mutatis mutandis, pour les catégories de la jurisprudence bourgeoise, dont Marx clame sur tous les tons qu’elles sont enracinées dans l’histoire[12].
À la différence de Proudhon, son plus grand rival intellectuel et politique, Marx n’oppose pas extérieurement au droit bourgeois l’idée particulière qu’il se fait lui-même du droit, de son être (Sein) ou de son devoir-être (Sollein). Là encore, Hegel l’avait très bien compris : seul un idiot peut s’imaginer que le monde l’a attendu pour apprendre comment il doit être mais n’est pas ; après tout, ironise Hegel, qui ne serait pas assez avisé pour voir dans ce qui l’entoure beaucoup de choses qui ne sont pas comme elles devraient supposément être[13] ? C’est ainsi que Marx lui-même reprochait à Proudhon de s’être naïvement fabriqué un idéal transhistorique ou non historique de la justice (« Proudhon schöpft erst sein Ideal der Gerechtigkeit, der justice éternelle ») à partir des rapports de propriétés bourgeois qu’il prétendait critiquer[14]. Or, même si l’on supposait — sans l’admettre — que lesdits rapports présentaient des imperfections ou des défauts, il serait impossible, selon Marx, de les corriger en jonglant avec des concepts juridiques : mais voilà, ces rapports ne présentent aucune imperfection. La propriété n’est pas le vol, quoi qu’en dise Proudhon[15]. De fait, c’est l’étude scientifique des lois immanentes de la production, telle que la loi de la baisse tendancielle du taux de profit (Gesetz des tendenziellen Falls der Profitrate), par exemple, qui conduit Marx à prononcer dans Le capital la condamnation à mort in futuro du mode de production capitaliste, et non l’attachement romantique qu’il aurait éprouvé, dit-on, envers la tradition jusnaturaliste[16]. Marx s’abstient de formuler ce qu’il nomme lui-même, par dérision, des « recettes pour les marmites de l’avenir[17] ». Il accepte au contraire les prémisses du système qu’il cherche à réfuter et, comme Hegel, il suppose modestement que le monde est bel et bien tel qu’il doit être[18]. C’est dans cet esprit qu’il convient de lire Le capital, à commencer par les pages que Marx consacre au contrat de travail.
2 Le contrat de travail
On ne signe pas un contrat de travail avec un esclave ou avec un serf dont on ne reconnaît pas pleinement la dignité. Le contrat présuppose, d’après Hegel, que les « contractants se reconnaissent comme personnes et comme propriétaires[19] ». Celui qui cherche à embaucher un ouvrier pour quelques écus se reconnaît lui-même dans cet autre homme qui, quant à lui, veut vendre sa force de travail (Arbeitskraft). En fait, la sphère de circulation des marchandises — le libre marché, s’entend —, qui se constitue peu à peu, à compter de la fin du Moyen Âge, place uniquement en rapport des hommes libres et égaux en droits, disposés à échanger leurs propriétés respectives. Nouvellement apparus sur la scène de l’histoire, ces hommes n’entretiennent aucun autre rapport entre eux, ni déférence ni révérence.
La force de travail, on la vend et on l’achète comme n’importe quelle autre marchandise sur le marché : « L’acheteur donne une certaine somme d’argent, le vendeur un article qui diffère de l’argent. Au point de vue du droit, on ne reconnaît donc dans le contrat de travail d’autre différence d’avec tout autre genre de contrat que celle contenue dans les formules juridiquement équivalentes : Do ut des, do ut facias, facio ut des et facio ut facias[20] ». Si Marx souligne ici le caractère synallagmatique du contrat de travail, il ne propose pas pour autant de typologie des contrats dans Le capital. Il ne s’intéresse pas vraiment dans cet ouvrage aux différents types de contrats que les êtres humains peuvent passer entre eux, puisque c’est la fiction du libre contrat qu’il y critique. Cela dit, on ne peut pas manquer d’observer qu’il utilise les catégories de la vente et de l’achat pour caractériser ce que le Code civil français, dans la lignée d’une culture juridique romaniste, désignait alors comme un contrat de louage[21]. Marx confond-il la location (locatio conductio) et le contrat de travail, de salaire ou de service (location operae) ? Non. Comme l’avait observé Hegel, si la durée du contrat de travail était illimitée, le travailleur libre se ferait lui-même esclave[22]. C’est là un point décisif, dont il sera question plus tard. Pour l’heure, il faut surtout retenir ici que Marx ne fonde aucun argument sur des phénomènes contingents tels que les prix usuraires, les restrictions de production, les manoeuvres frauduleuses sur les marchés, les vols, les erreurs ou les tromperies[23]. Il suppose plutôt que les transactions sont justes, ainsi que le font autrement ses adversaires bourgeois. Cependant, comment s’assurer qu’elles le sont effectivement ? Certainement pas en se tournant vers une hypothétique norme transcendantale (Grundnorm) qui n’existe pas, on le sait très bien, et qui n’appartient pas au droit positif[24]. Certainement pas non plus en répétant, à l’image de Proudhon, que la « notion du droit est éternelle et innée dans l’humanité[25] ». Selon Marx, les transactions entre les contractants sont équitables pour autant qu’elles résultent des rapports de production eux-mêmes. Les formes juridiques dans lesquelles ces transactions économiques apparaissent comme des actes délibérés des parties, telle l’expression de leur volonté commune et à titre de contrats ayant force légale à l’égard des contractants, ne peuvent pas déterminer le contenu lui-même. Elles ne font que le refléter ou l’exprimer. Ce contenu est juste dès lors qu’il correspond au mode de production ; injuste, lorsqu’il contraste avec lui. C’est uniquement sur la base du mode de production capitaliste que l’esclavage, par exemple, paraît injuste, ou qu’une transaction donnée semble juste ou non[26]. Le contrat de travail dont parle Marx dans Le capital n’est pas un contrat inique, conclu sous la contrainte. C’est un contrat en bonne et due forme, ratifié et tamponné.
Les contractants que décrit ironiquement Marx dans Le capital se conforment tous deux aux « lois éternelles de l’échange des marchandises[27] ». L’homme aux écus (Geldbesitzer) est honnête, c’est même un bourgeois modèle, membre de la société protectrice des animaux et en odeur de sainteté. L’ouvrier — un tisserand, par exemple — est un homme honnête, lui aussi, et il est prêt à travailler pour une journée de travail d’une durée normale. Il a volontairement vendu sa force de travail à l’homme aux écus « sans qu’il fût lésé d’un centime du juste prix de sa marchandise[28] ». Chère aux sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste, la logique contractualiste a été scrupuleusement observée. Prudent, le tisserand compte tout de même sur ses doigts, afin de s’assurer qu’il a vraiment perçu les 3 shillings, disons, dont il a besoin pour acheter les marchandises qu’il consomme chaque jour — nourriture, vêtements, chauffage, habitation, etc. — et auxquelles l’histoire l’a habitué[29]. Que ces besoins aient pour origine « l’estomac ou la fantaisie[30] » ne change d’ailleurs rien à l’affaire, l’ouvrier doit les satisfaire.
Le compte y est, la force de travail a été achetée à sa juste valeur. Le tisserand est satisfait ; l’homme aux écus, aussi. Les deux échangent un sourire, l’air amical.
Tandis que le tisserand compte sur ses doigts, en s’interrogeant sur l’origine de la plus-value, l’homme aux écus, lui, complète calmement ses achats. Il achète à leur juste valeur les différents moyens de production (Produktionsmittel) dont il a besoin pour produire des draps de coton. Ces draps, il espère un jour les vendre à leur juste valeur sur le marché, afin d’encaisser la plus-value qu’il convoite plus ou moins secrètement : car telle est la véritable raison qui l’amène à acheter toutes ces marchandises sur le marché. L’homme aux écus aime peut-être les draps que tissent pour lui les tisserands qu’il embauche jour après jour, mais ce n’est certainement pas par amour des draps qu’il s’est lancé en affaires. À vrai dire, l’homme aux écus espère d’abord transformer son argent en capital[31]. Il veut s’enrichir. C’est son droit, et Marx ne le conteste pas. La transformation de l’argent en capital doit toutefois être expliquée en prenant pour base les lois immanentes de la circulation des marchandises, prévient-il, de telle sorte que l’échange d’équivalents serve de point de départ. L’homme aux écus, qui n’est encore capitaliste qu’à l’état de chrysalide, doit d’abord acheter des marchandises à leur juste valeur, puis les revendre à leur juste valeur et, cependant, à la fin retirer plus de valeur qu’il n’en a avancé. En somme, la « métamorphose de l’homme aux écus en capitaliste doit se passer dans la sphère de la circulation et en même temps doit ne point s’y passer. Telles sont les conditions du problème. Hic Rhodus, hic salta[32] ! »
Qu’est-ce à dire ?
Conformément aux lois éternelles de l’échange, l’homme aux écus utilise son argent (A) afin d’acheter les marchandises (M) dont il a besoin pour produire les marchandises qu’il prévoit éventuellement échanger pour de l’argent (A). Toutes ces marchandises sont vendues ou achetées, ou les deux à la fois, à leur juste prix (A → M → A). Cependant, l’homme aux écus doit aussi réaliser un profit, c’est-à-dire retirer de la vente de ses marchandises une quantité d’argent plus grande (D) que celle qu’il a d’abord lancée dans la sphère de circulation des marchandises (A). C’est ce mouvement (A → M → AΔ) qui explique la transformation de l’argent en capital[33]. C’est en jouant le rôle de support conscient de ce mouvement que l’homme aux écus devient lui-même capitaliste. Sa personne, ou plutôt sa bourse, est le point de départ de l’argent et son point de retour : « Le contenu objectif de la circulation des marchandises, c’est-à-dire la plus-value qu’enfante la valeur, tel est son but subjectif, intime. Ce n’est qu’autant que l’appropriation toujours croissante de la richesse abstraite est le seul motif déterminant de ses opérations, qu’il fonctionne comme capitaliste ou, si l’on veut, comme capital personnifié, doué de conscience et de volonté[34]. » Quoi qu’il en soit, la transformation de l’argent en capital ne peut pas être expliquée par un écart entre la valeur des marchandises et leurs prix. « Si ceux-ci diffèrent de celle-là, il faut les y ramener, affirme Marx, et faire abstraction de cette circonstance comme de quelque chose de purement accidentel[35]. »
Toutefois, ne dit-on pas d’ordinaire que le commerce a pour loi, non pas d’échanger des équivalents, mais d’acheter à bon compte pour vendre plus cher ? Soit, répond Marx, qui aime se gausser des lieux communs que rumine l’économie vulgaire :
Admettons maintenant que, par on ne sait quel privilège mystérieux, il soit donné au vendeur de vendre sa marchandise au-dessus de sa valeur, 110 par exemple quand elle ne vaut que 100, c’est-à-dire avec un enchérissement de 10 p. 100. Le vendeur encaisse donc une plus-value de 10. Mais après avoir été vendeur il devient acheteur. Un troisième échangiste se présente à lui comme vendeur et jouit à son tour du privilège de vendre la marchandise 10 p. 100 trop cher. Notre homme a donc gagné 10 d’un côté pour perdre 10 de l’autre. Le résultat définitif est en réalité que tous les échangistes se vendent réciproquement leurs marchandises 10 p. 100 au-dessus de leur valeur, ce qui est la même chose que s’ils les vendaient à leur valeur réelle[36].
« La formation d’une plus-value et conséquemment la transformation de l’argent en capital ne peuvent donc provenir ni de ce que les vendeurs vendent les marchandises au-dessus de ce qu’elles ne valent, ni de ce que les acheteurs les achètent au-dessous[37]. » Ceux qui s’entêtent à répéter que la plus-value provient d’une surélévation nominale des prix, d’une tromperie ou du privilège qu’aurait supposément le vendeur de vendre trop cher sa marchandise, ces gens-là disent, selon Marx, qu’il existe « une classe qui achète toujours et ne vend jamais, ou qui consomme sans produire[38] ». Nul ne saurait toutefois soutenir une idée aussi saugrenue — l’homme aux écus est tour à tour vendeur et acheteur, nous l’avons vu. De toute évidence, certaines marchandises sont parfois vendues à des prix qui s’écartent de leur valeur, mais cet écart apparaît, justement, comme une « infraction de la loi de l’échange[39] ». Dans sa forme pure, l’échange des marchandises est un échange d’équivalents, et ne peut être par conséquent un moyen d’encaisser une plus-value. On peut retourner les choses de différentes manières, réitère Marx, la circulation des marchandises ne crée tout simplement pas de valeur : « Échange-t-on des équivalents ? Il ne se produit point de plus-value ; il ne s’en produit pas non plus si on échange des non-équivalents[40]. »
La circulation des marchandises fait passer l’argent de main en main, rien de plus. À moins, bien entendu, que l’homme aux écus ait la bonne fortune de trouver sur le marché une marchandise spéciale, susceptible de produire davantage de valeur qu’elle n’en contient elle-même — la force de travail[41]. Il faut pourtant pour cela que diverses conditions soient historiquement remplies : « la force de travail ne peut se présenter sur le marché comme marchandise que si elle est offerte ou vendue par son propre possesseur. Celui-ci doit par conséquent pouvoir en disposer, c’est-à-dire être libre propriétaire de sa puissance de travail, de sa propre personne[42]. » La transformation de l’argent en capital exige en effet que l’homme aux écus trouve sur le marché le travailleur libre, ironise une nouvelle fois Marx, et libre à un double point de vue : d’une part, ce « travailleur doit être une personne libre, disposant à son gré de sa force de travail comme de sa marchandise à lui » ; d’autre part, « il doit n’avoir pas d’autre marchandise à vendre ; être, pour ainsi dire, libre de tout, complètement dépourvu des choses nécessaires à la réalisation de sa puissance » de travail[43]. Et l’homme aux écus, lui, d’où tire-t-il sa richesse ? « Du travail de ses illustres aïeux », répondent d’une seule voix les représentants de l’économie vulgaire. Cette réponse est d’ailleurs la « seule conforme aux lois de la production marchande[44] ». Cependant, encore fallait-il que l’homme aux écus trouvât sur le marché des hommes libres, eux aussi, mais néanmoins contraints de vendre leur force de travail, parce que d’autres choses à vendre ils n’en ont miette[45]. Ces hommes, ce sont nos aïeux à nous. Inconnus ou oubliés, ou les deux à la fois, ils étaient autrefois des paysans et de petits artisans, mais le législateur a aboli la protection que leur avait longtemps offert l’ordre ancien — le droit coutumier —, alors même que l’on redéfinissait la propriété elle-même à la fin du Moyen Âge[46]. Ainsi que le souligne Marx, les traités savants prétendent souvent — pas toujours, mais souvent — qu’il n’y a jamais eu « d’autres moyens d’enrichissement que le travail et le droit[47] ». Ces traités béats font ainsi l’impasse sur les violences infligées à ceux qui ont été dépouillés des moyens de production (terres, bestiaux, outils, etc.). Pourtant, c’est par l’expropriation et l’expulsion, par secousses toujours renouvelées, des populations rurales que l’on a historiquement fourni à « l’industrie des villes, des masses de prolétaires[48] ». On n’a pas à spéculer ni à conjecturer, s’emporte Marx, puisque l’histoire de cette dépossession est écrite dans les annales de l’humanité en « lettres de sang et de feu indélébiles[49] ». Toutefois, rien n’oblige les juristes à lire ces annales — il y a peut-être déjà eu de l’histoire, mais il n’y en a plus. C’est parce qu’on fait l’impasse sur l’histoire, dit Marx, que le libre marché apparaît comme un véritable Éden des droits naturels de l’individu et du citoyen :
Ce qui y règne seul, c’est Liberté, Égalité, Propriété et Bentham. Liberté ! car ni l’acheteur ni le vendeur d’une marchandise, n’agissent par contrainte ; au contraire ils ne sont déterminés que par leur libre arbitre. Ils passent contrat ensemble en qualité de personnes libres et possédant les mêmes droits. Le contrat est le libre produit dans lequel leurs volontés se donnent une expression juridique commune. Égalité ! car ils n’entrent en rapport l’un avec l’autre qu’à titre de possesseurs de marchandise, et ils échangent équivalent contre équivalent. Propriété ! car chacun ne dispose que de ce qui lui appartient. Bentham ! car pour chacun d’eux il ne s’agit que de lui-même. La seule force qui les mette en présence et en rapport est celle de leur égoïsme, de leur profit particulier, de leurs intérêts privés. Chacun ne pense qu’à lui, personne ne s’inquiète de l’autre, et c’est précisément pour cela qu’en vertu d’une harmonie préétablie des choses, ou sous les auspices d’une providence tout ingénieuse, travaillant chacun pour soi, chacun chez soi, ils travaillent du même coup à l’utilité générale, à l’intérêt commun[50].
Contrairement à ses contemporains, Marx ne s’intéresse pas au principe des nationalités (Nationalitätenprinzip) ni à l’esprit des nations (Volksgeist) ou à la providence tout ingénieuse qui veillerait supposément à la destinée de ces nations (Prästabilierte Harmonie) et à leurs richesses. Sa conception précisément ricardienne de la prédominance de l’économie sur le droit l’amène plutôt à démontrer de l’intérêt pour les classes sociales et l’opposition nécessaire de leurs intérêts[51]. Aussi invite-t-il les lecteurs du Capital à quitter la sphère de circulation des marchandises, où les hommes passent entre eux des contrats, pour discrètement suivre l’homme aux écus et le tisserand dans le « laboratoire secret de la production, sur le seuil duquel il est écrit : No admittance except on business[52] ». Là, murmure Marx, on verra la manière dont le capital produit réellement, mais encore comment il est lui-même produit. La production de la plus-value, ce « grand secret[53] » de la société bourgeoise, se dévoilera enfin. On peut ici entrapercevoir les personnages du drame changer d’air sous nos yeux (« verwandelt sich, so scheint es, schon in etwas die Physiognomie unsrer dramatis personae[54] »). L’homme aux écus ne sourit plus. Il prend plutôt les devants, l’air important et affairé ; le tisserand le suit, l’air « timide, hésitant, rétif, comme quelqu’un qui a porté sa propre peau au marché, et ne peut plus s’attendre qu’à une chose : à être tanné[55] ». L’origine de la plus-value commence à lui apparaître plus clairement.
3 La production de la plus-value
Marx accepte dans Le capital la « fiction du libre contrat[56] ». Il fait ironiquement siennes les prémisses du système qu’il cherche à y réfuter, tandis qu’il décrit la passation d’un contrat entre deux individus singuliers, un capitaliste et un ouvrier. Le libre marché, dit-il, fournit à l’économie vulgaire ses « notions, ses idées, sa manière de voir et le criterium de son jugement sur le capital et le salariat[57] ». Les choses se présentent sous un tout autre jour si l’on considère la production capitaliste dans le mouvement continu de sa rénovation et que l’on substitue aux capitalistes et aux ouvriers individuels la bourgeoisie et le prolétariat, poursuit Marx, mais ce serait là appliquer une « mesure tout à fait étrangère à la production marchande[, qui] ne place vis-à-vis que des vendeurs et des acheteurs, indépendants les uns des autres et entre qui tout rapport cesse à l’échéance du terme stipulé par leur contrat[58] ». Si la transaction se répète par la suite, c’est grâce à un nouveau contrat de travail. Celui-ci est si peu lié avec le précédent que c’est un pur hasard si l’ouvrier revend sa force de travail au même capitaliste plutôt qu’à un autre : « Pour juger la production marchande d’après ses propres lois économiques, il faut donc prendre chaque transaction isolément, et non dans son enchaînement, ni avec celle qui la précède, ni avec celle qui la suit. De plus, comme ventes et achats se font toujours d’individu à individu, il n’y faut pas chercher des rapports de classe à classe[59]. »
Pourquoi l’ouvrier vend-il sa force de travail sur le marché ? C’est là une question qui n’intéresse guère l’homme aux écus, nous l’avons dit. Elle ne suscite guère d’intérêt d’ailleurs chez les économistes et les juristes, qui préfèrent s’en tenir aux faits qu’on leur met sous les yeux. À quoi bon ressasser le passé, maintenant que l’esclavage et le servage ont été abolis et que l’on ne trouve plus que des propriétaires privés dans la société civile (bürgerliche Gesellschaft) ? Au xixe siècle, la propriété était déjà définie comme le seul droit véritablement inné, ou naturel de l’individu[60]. Vouloir la personne, prétendait-on alors, c’est vouloir la propriété qui en est la manifestation extérieure. Or, Marx le signale, « la nature ne produit pas d’un côté des possesseurs d’argent ou de marchandises et de l’autre des possesseurs de leurs seules propres forces de travail[61] ». Le salariat n’a pas plus de fondement naturel que l’esclavage ou le servage, et ce n’est pas non plus un rapport social commun à toutes les périodes de l’histoire humaine. Le salariat est au contraire le « résultat d’un développement historique préliminaire, le produit d’un grand nombre de révolutions économiques, issu de la destruction de toute une série de vieilles formes de production sociale[62] ». De fait, l’histoire sens dessus dessous, ou sens devant derrière, que racontent les théoriciens du contrat social — Hobbes, Locke, Rousseau, etc. —, a pour point de départ ce qui vient tout juste de se produire historiquement, c’est-à-dire l’apparition d’êtres libres et égaux en droit capables de passer entre eux des contrats[63]. Le droit se pare d’un caractère objectif qui donne, à tort, l’impression qu’il détermine le mode production, alors même que c’est lui qui est déterminé (« Die Illusion, daß er bestimmt, wo er bestimmt wird[64] »). La formulation de la théorie du contrat social (Vertragstheorie) et de ses différentes itérations en dit d’ailleurs long sur la manière dont le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Cela étant, l’homme aux écus et l’ouvrier — ici, le tisserand — se reconnaissent mutuellement en tant que propriétaires privés, faut-il le répéter, et ce « rapport juridique, qui a pour forme le contrat, légalement développé ou non, n’est que le rapport des volontés dans lequel se reflète le rapport économique. Son contenu est donné par le rapport économique lui-même[65] ».
Ce contenu, le voici,
L’homme aux écus a acquis à leur juste prix toutes les marchan- dises dont il avait besoin, il les a choisies en « connaisseur et en homme avisé[66] ». Il peut maintenant les consommer, à commencer par la force de travail du tisserand, qui se retrousse justement les manches, en prenant place devant un métier à tisser. La force de travail, explique Marx, c’est l’ensemble des « facultés physiques et intellectuelles qui existent dans le corps d’un homme, dans sa personnalité vivante, et qu’il doit mettre en mouvement pour produire des choses utiles[67] ». À titre de marchandise, la force de travail est identique aux autres marchandises, en ce que sa valeur se trouve déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire (gesellschaftlich notwendige arbeit) pour produire les marchandises indispensables à sa production[68].
Supposons, poursuit Marx, que la quantité moyenne des marchandises nécessaires à la vie d’un tisserand exige pour leur production 6 heures de travail. Posons comme hypothèse, en outre, que 6 heures de travail moyen soient réalisées dans une quantité d’or égale à 3 shillings. Ceux-ci seraient alors le prix, ou l’expression monétaire de la valeur quotidienne de la force de travail du tisserand. S’il travaillait 6 heures par jour, il produirait alors chaque jour une valeur suffisante pour acheter les marchandises nécessaires à son quotidien. Cependant, ce tisserand est un ouvrier salarié, et non un artisan qui vend le produit de son travail. Il lui faut plutôt vendre sa force de travail au capitaliste. Et s’il la vend 3 shillings par jour, il la propose alors à sa valeur. S’il travaille 6 heures par jour, il ajoutera chaque jour au coton une valeur de 3 shillings. Cette valeur constituerait l’équivalent exact de son salaire, c’est-à-dire du prix qu’il touche quotidiennement pour sa force de travail. Toutefois, dans ce cas, il ne reviendrait aucune plus-value au capitaliste.
En achetant la force de travail de l’ouvrier et en la payant à sa juste valeur, l’homme aux écus, à l’égal de tout autre acheteur, a dûment acquis le droit de consommer la marchandise qu’il a achetée et d’en user normalement. Par l’achat de la valeur journalière ou hebdomadaire de la force de travail du tisserand, l’homme aux écus a donc acquis le droit de se servir de cette force, de la faire travailler pendant toute la journée ou à longueur de semaine. La valeur de la force de travail est déterminée par la quantité de travail nécessaire à son entretien, mais l’usage de cette force de travail n’est limité que par la force physique de l’ouvrier. La valeur journalière de la force de travail se révèle tout à fait différente de l’exercice journalier de cette force, tout comme la nourriture dont un cheval a besoin et le temps qu’il peut porter son cavalier sont deux choses distinctes, la quantité de travail qui limite la valeur de la force de travail de l’ouvrier ne constituant en aucun cas la limite de la quantité de travail que peut exécuter sa propre force de travail. Pour renouveler chaque jour cette force, le tisserand doit produire une valeur journalière de 3 shillings, ce qu’il réalise par son travail journalier de 6 heures. Cependant, cela ne le rend pas incapable de travailler chaque jour de 10 à 12 heures, ou plus encore. En payant la juste valeur journalière ou hebdomadaire de la force de travail du tisserand, l’homme aux écus a dûment acquis le droit de se servir de celle-ci pendant toute la journée ou à longueur de semaine. Il le fera donc travailler 12 heures par jour. En sus et au surplus des 6 heures nécessaires pour produire l’équivalent de son salaire, c’est-à-dire de la valeur de sa force de travail, le tisserand devra ainsi rester 6 heures de plus devant son métier à tisser. Ce sera au cours de cette période de surtravail que se réalisera la plus-value.
Si le tisserand, par exemple, au moyen de son travail journalier de 6 heures, ajoute au coton une valeur de 3 shillings qui forme l’équivalent exact de son salaire, il additionnera au coton en 12 heures une valeur de 6 shillings et tissera un surplus correspondant de draps. Comme il a vendu sa force de travail à l’homme aux écus, la valeur totale, c’est-à-dire le produit qu’il a créé, appartient au capitaliste qui est, pour un temps déterminé, propriétaire de sa force de travail. En déboursant 3 shillings, l’homme aux écus va donc réaliser une valeur de 3 shillings puisque, en déboursant la valeur dans laquelle sont cristallisées 6 heures de travail, il recevra, en retour, une valeur dans laquelle sont cristallisées 12 heures de travail. S’il répète chaque jour ce processus, le capitaliste déboursera quotidiennement 3 shillings et il en empochera 6, dont une moitié sera de nouveau employée à payer de nouveaux salaires et dont l’autre moitié formera la plus-value pour laquelle le capitaliste ne paie tout simplement aucun équivalent[69]. La plus-value, ou le profit, c’est donc cet excédent de la valeur de la marchandise sur son coût de production, c’est-à-dire l’excédent du travail total contenu dans la marchandise sur le travail payé qu’elle renferme[70].
Le taux de plus-value, toutes circonstances égales d’ailleurs, dépend donc du rapport entre la partie de la journée de travail, qui est nécessaire pour renouveler la valeur de la force de travail, et le surtravail ou temps employé en plus pour le capitaliste ; il reposera, par conséquent, sur la proportion dans laquelle la journée de travail est prolongée au-delà du temps pendant lequel le tisserand ne ferait que reproduire la valeur de sa force de travail, c’est-à-dire fournir l’équivalent de son salaire. En 6 heures (= travail), le tisserand crée un produit qui couvre les frais de son entretien ; pendant les 6 autres heures (= surtravail), il conçoit un produit supplémentaire, non rétribué. Le taux de la plus-value est ainsi « l’expression exacte du degré d’exploitation de la force de travail par le capital ou du travailleur par le capitaliste[71] ». Dans le cas du malheureux tisserand que l’on a suivi dans le laboratoire secret de la production, ce taux atteint donc 6/6, ou 100 p. 100. L’homme aux écus est désormais un capitaliste de pied en cap : il réalise un profit en vendant quelque chose qu’il n’a pas rétribué du tout, c’est-à-dire le produit du surtravail du tisserand.
Marx se congratule de sa démonstration, faite précisément là où se trouve son adversaire, en tenant compte de sa force et en se maintenant dans les limites de cette dernière : « Le problème est résolu dans tous ses termes. La loi des échanges a été rigoureusement observée, équivalent contre équivalent[72]. » L’homme aux écus a acheté à sa juste valeur chaque marchandise, y compris la force de travail du tisserand, mais il est néanmoins parvenu à transformer son argent en capital. Cette transformation s’est passée, et ne s’est pas passée dans la sphère de la circulation des marchandises. La circulation sert d’intermédiaire ou de moyen vers une fin : « C’est là sur le marché, que se vend la force de travail, pour être exploitée dans la sphère de la production, où elle devient source de plus-value, et tout est ainsi pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles[73]. »
Le capital n’a évidemment pas inventé le surtravail. Dès lors que les membres d’une classe possèdent le monopole des moyens de production, le travailleur, fût-il libre ou servile, est logiquement contraint d’ajouter au temps de travail nécessaire à son propre entretien un surtravail destiné à produire la subsistance du possesseur des moyens de production : « Que ce propriétaire soit καλ´ός κ´άγαθ´ός athénien, théocrate étrusque, citoyen romain, baron normand, maitre d’esclaves américain, boyard valaque, seigneur foncier ou capitaliste moderne, peu importe[74]. » Peu importe, en effet, puisque le droit reflète à chaque époque la rationalité des rapports de productions existants — l’économie, c’est le fons et origo du droit. Le droit antique, par exemple, sanctionnait jadis l’exploitation des esclaves ; le droit bourgeois, quant à lui, entérine l’exploitation des ouvriers[75]. Dans le système esclavagiste, la partie même de la journée où l’esclave ne fait que remplacer la valeur de ses subsistances, où il travaille en fait pour lui-même, ne semble être que du travail pour son propriétaire. Tout son travail revêt l’apparence de travail non payé. C’est exactement l’inverse dans le travail salarié, alors que le surtravail non payé prend l’aspect du travail payé. C’est sur la base de cette apparence, affirme Marx, que l’on distingue le travail salarié de l’esclavagisme et du servage. Le salariat donne au travail impayé l’apparence du travail payé. Dans le cas de l’esclave, au contraire, même la part du travail qui est bel et bien payée apparaît comme ne l’étant pas. De toute évidence, l’esclave de l’Antiquité devait travailler pour vivre, et une partie de sa journée de travail était nécessairement consacrée à remplacer la valeur de son entretien. Toutefois, puisqu’il n’y a pas de contrat passé entre lui et son maître, pas d’acte d’achat ni de vente entre les deux parties, la totalité de son travail paraît abandonnée pour rien du tout. Au Moyen Âge, le serf travaillait quelques jours pour lui-même chaque semaine ; les autres jours, il effectuait un travail obligatoire, gratuitement sur le domaine du seigneur — la corvée. C’était là séparer de façon bien visible dans le temps et dans l’espace les parties payées et non payées du travail. On bouille aujourd’hui d’indignation devant l’idée de faire travailler une personne pour rien. Or, qu’un paysan travaille 3 jours à son compte sur son propre champ, et 3 jours pour rien sur les terres de son seigneur, ou qu’un ouvrier travaille à la fabrique ou à l’atelier 6 heures pour lui-même et 6 pour son employeur, cela revient exactement au même, encore que, dans le second cas, les parties payées et impayées du travail soient plus difficiles à distinguer. Dans un cas, le travail gratuit semble être donné de plein gré ; dans l’autre, il apparaît forcé, contraint — voilà l’unique différence[76].
On comprend maintenant l’importance que possède dans la pratique ce changement de forme qui fait superficiellement apparaître le prix de la force de travail comme prix de sa fonction : « Cette forme, qui n’exprime que les fausses apparences du travail salarié, rend invisible le rapport réel entre capital et travail et en montre précisément le contraire ; c’est d’elle que dérivent toutes les notions juridiques du salarié et du capitaliste[77]. » La véritable nature de l’opération — l’extorsion de surtravail — est masquée par l’intervention du contrat de travail[78]. La durée de ce dernier est limitée, nous l’avons vu, et l’ouvrier doit (re)vendre plus ou moins régulièrement sa force de force à capitaliste. De fait, sa « servitude économique[79] » est dissimulée par le renouvellement périodique de l’acte de vente, par la fiction du libre contrat, par le changement des maîtres individuels et par les oscillations des prix de marché du travail. L’augmentation du salaire versé aux ouvriers laisse d’ailleurs parfaitement inchangée la logique de la production capitaliste[80]. Elle n’indique qu’une diminution relative de la partie impayée du travail, baisse qui « ne peut jamais aller assez loin pour porter préjudice au système capitaliste[81] ».
L’enchaînement des contrats de travail sur le marché entraîne toutefois la collision des droits : d’un côté, l’homme aux écus soutient son droit en sa qualité d’acheteur lorsqu’il cherche à prolonger la journée de travail aussi longtemps que possible et à faire 3 jours d’un ; de l’autre, la nature particulière de la marchandise vendue — la force de travail — exige que sa consommation par l’acheteur ne soit pas illimitée, et le tisserand soutient son droit comme vendeur quand il cherche à restreindre la journée de travail à une durée normalement déterminée[82]. Le tisserand réalise bientôt que l’homme aux écus l’a trompé. Celui-ci l’a payé 3 shillings ? Le compte n’y est pas du tout. Le tisserand quitte le métier à tisser devant lequel il se trouvait jusqu’alors et il interpelle l’homme aux écus :
Tu payes une force de travail d’un jour quand tu en uses une de trois. Tu violes notre contrat et la loi des échanges. Je demande donc une journée de travail de durée normale, et je la demande sans faire appel à ton coeur, car, dans les affaires, il n’y a pas de place pour le sentiment. Tu peux être un bourgeois modèle, peut-être membre de la société protectrice des animaux, et, par-dessus le marché, en odeur de sainteté ; peu importe. La chose que tu représentes vis-à-vis de moi n’a rien dans la poitrine ; ce qui semble y palpiter, ce sont les battements de mon propre coeur. J’exige la journée de travail normale parce que je veux la valeur de ma marchandise, comme tout autre vendeur[83].
Il y a une contradiction, droit contre droit, tous deux portant le sceau de la loi qui règle l’échange des marchandises. Entre deux droits égaux, qui décide ? La force, répond Marx, sans hésiter, et pas simplement celle d’un concept ou d’une idée juridique[84]. Témoin et acteur des violentes luttes ouvrières de son temps, Marx affirme que la réglementation de la journée de travail se présente dans l’histoire de la production capitaliste telle une « lutte séculaire pour les limites de la journée de travail, lutte entre le capitaliste, c’est-à-dire la classe capitaliste, et le travailleur, c’est-à-dire la classe ouvrière[85] ». La lutte des classes n’oppose pas les riches aux pauvres, comme le croient d’ordinaire ceux qui réclament une meilleure répartition de la richesse sans pour autant comprendre que cette dernière est entièrement produite par le surtravail non payé des ouvriers ; en vérité, cette lutte oppose les producteurs immédiats et les précepteurs plus-value, l’homme libre et l’esclave, le patricien et le plébéien, le baron et le serf, le maître de jurande et le compagnon, le bourgeois et le prolétaire, etc.
L’extraction de la plus-value — la durée de la corvée féodale, notamment — a longtemps été régulée par le droit coutumier, par exemple, que les producteurs immédiats ont opposé pendant un long moment aux prétentions déraisonnables de leurs maîtres, ainsi que par des luttes locales ou régionales. L’adoption de la loi de 1833 au Royaume-Uni, de la loi de 1839 en Prusse ou de la loi Guizot de 1841 en France constitue ainsi, selon Marx, la « première réaction consciente et méthodique de la société contre son propre organisme tel que l’a fait le mouvement spontané de la production capitaliste[86] ». Ces lois, qui limitent officiellement la durée de la journée normale de travail et qui interdisent le travail des jeunes enfants, ont toutes été arrachées à des législateurs qui craignaient alors la colère de la classe ouvrière. Un spectre hantait après tout l’Europe à cette époque, soit le spectre du communisme.
Les vicissitudes historiques du droit positif, qui se montre plus ou moins répressif, selon les époques, ne doivent toutefois pas faire oublier que le droit est toujours le droit du plus fort. Le contrat de travail recouvre simplement du manteau juridique l’exploitation du travail par le capital[87]. C’est précisément là où Marx en vient finalement dans Le capital. D’après le penseur, en effet, la forme économique spécifique dans laquelle du surtravail non-payé est extorqué aux producteurs directs détermine le système de domination et de servitude (das Herrschafts- und Knechtschaftsverhältniß), et le droit repose sur ce fondement. Les rapports immédiats entre les propriétaires des conditions de production et les producteurs directs contiennent toujours le secret le plus intime (innerste Geheimniß) de toute la structure sociale, ainsi que de la forme politique des rapports de souveraineté et de dépendance (und daher auch der politischen Form des Souveränitäts- und Abhängigkeitsverhältnisses), bref de la forme de l’État à une époque historique donnée[88].
Conclusion
Étudiant en droit à l’Université de Berlin en 1836-1837, le jeune Marx assiste à l’enseignement de Friedrich Carl von Savigny, ainsi qu’à celui d’Eduard Gans. S’il se détourne ensuite rapidement du droit pour l’économie politique, cette fréquentation précoce des problèmes juridiques a été « déterminante pour l’ensemble de son évolution intellectuelle[89] ». Le droit irrigue toute sa pensée, en effet. Cependant, Marx a toujours refusé d’accorder au droit l’importance que les juristes lui accordent. Il l’a au contraire désacralisé.
Marx disqualifie la description du droit imposé par une classe dominante à une classe dominée en tant que système de normes, déplore ainsi Kelsen, en caractérisant cette description comme une simple idéologie qui falsifie la réalité dans l’intérêt de la classe dominante : « Pour une considération non-idéologique, le droit ne serait pas un système de normes, mais un agrégat de relations économiques où se réalise l’exploitation des dominés par la classe dominante. En tant que système d’exploitation, le droit devrait être uni de façon essentielle avec l’appareil de contrainte de l’État. La société sans classe du communisme, d’où l’exploitation serait absente, serait par suite une société sans État et sans droit[90]. » Ce que l’histoire a fait, elle peut le défaire. Et de l’histoire, il y en aura encore. Le droit bourgeois est lui aussi appelé à être un jour nié par la dialectique de l’histoire, ainsi que le droit antique et le droit féodal l’ont tous deux été. Ce jour-là, les juristes disparaîtront eux aussi.
La théorie marxienne de la plus-value continue entretemps de soulever l’indignation de certains juristes. Marx cherche à faire croire que le profit est une forme phénoménale de la plus-value, donc de l’exploitation de l’ouvrier, sans égard aux choix et aux décisions éclairées de l’entrepreneur, peste l’un d’eux. Il faut le dire tout net, renchérit-il, la théorie marxienne de la plus-value n’est qu’un assemblage de mots dénués de sens, une pure logomachie : « C’est donc une vision mensongère de l’économie que donne Marx en présentant l’ouvrier comme la source de l’accumulation du capital. Non pas simple erreur d’analyse, mais mensonge prémédité[91]. » Ce que cherche Marx, conclut le juriste, n’est pas d’analyser les faits économiques pour en donner une description objective ; il veut plutôt, en inventant les « notions vides de sens de moitié de travail non-payée et de plus-value […] démontrer la validité de l’idée préconçue qu’il se fait d’une économie dans laquelle, quelles que soient les situations réelles, des capitalistes s’enrichissent par l’exploitation des ouvriers[92] ». On s’étonne devant pareille véhémence. Cependant, il est vrai que Marx oblige les lecteurs du Capital à s’interroger sur le rôle que tient véritablement le droit dans les sociétés de classes[93]. Lorsqu’on lit Le capital, gémit un critique du xixe siècle — Émile de Laveleye, économiste —, on se « sent enserré dans les engrenages de sa logique d’acier, on est comme en proie au cauchemar, parce qu’étant admises les prémisses […] on ne sait comment échapper aux conséquences[94] ». Marx est en effet parvenu à expliquer l’origine du profit, tout en respectant la logique contractualiste chère aux sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste. L’extorsion de surtravail — l’exploitation — dépend du respect du contrat de travail, et non de sa violation. L’homme aux écus ne s’enrichit pas en versant des salaires médiocres aux travailleurs ou en trichant. Il s’enrichit parce qu’il peut légalement vendre des marchandises qu’il n’a pas payées du tout. C’est cependant là une chose qu’aucun juriste ne pourra jamais admettre.
Appendices
Notes
-
[1]
Michel Henry, Marx, t. 1 « Une philosophie de la réalité », Paris, Gallimard, 1991, p. 436.
-
[2]
Karl Marx, « Zur Kritik der politischen Ökonomie », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II.2, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 100 et 101.
-
[3]
Cf. Leo Strauss et Joseph Cropsey, Histoire de la philosophie politique, Paris, Presses universitaires de France, 2013, p. 895.
-
[4]
Karl Marx, « Kritik des Gothaer Programms », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. I.25, Berlin, Dietz Verlag, 1875, p. 10.
-
[5]
Georg W.F. Hegel, La phénoménologie de l’esprit, trad. par Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 2006, p. 79.
-
[6]
Karl Marx, « Le capital », trad. par Joseph Roy, dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II.7, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 696.
-
[7]
Georg W.F. Hegel, Science de la logique, t. 2, Paris, Aubier, 1947, p. 247.
-
[8]
Id., p. 248.
-
[9]
Id.
-
[10]
K. Marx, préc., note 6, p. 52.
-
[11]
Id., p. 57.
-
[12]
Cf. Karl Marx et Friedrich Engels, « Die deutsche Ideologie », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. I.5, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 15.
-
[13]
Georg W.F. Hegel, Concept préliminaire de l’Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, t. 1, trad. par Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 1994, p. 168 et 169.
-
[14]
K. Marx, préc., note 6, p. 64.
-
[15]
Cf. Pierre-Joseph Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ?, Paris, Prévot, 1841, p. 2 et 3.
-
[16]
Cf. Hans Kelsen, The Communist Theory Of Law, Buffalo, Rothman, 1988, p. 20-23.
-
[17]
K. Marx, préc., note 6, p. 694.
-
[18]
Cf. Georg W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Vrin, 1994, p. 58.
-
[19]
Id., p. 124.
-
[20]
K. Marx, préc., note 6, p. 466.
-
[21]
Clotilde Nouët, « Marx et la “critique du droit” : Retour sur la critique de la propriété dans le livre I du Capital », Droit et philosophie, no 10, 2018.
-
[22]
Cf. G.W.F. Hegel, préc., note 18, p. 120-132.
-
[23]
« L’exploitation au sens marxiste est compatible avec la concurrence parfaite puisqu’elle est le résultat d’une certaine structure des rapports de propriété » : John Rawls, Théorie de la justice, Paris, Points, 2009, p. 373.
-
[24]
Cf. Michel Troper, La philosophie du droit, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 48.
-
[25]
Pierre-Joseph Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l’Église, t. 1, Paris, Garnier frères, 1858, p. 86.
-
[26]
Karl Marx, « Das Kapital. Kritik der politischen Oekonomie. Dritter Band », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II.15, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 331.
-
[27]
K. Marx, préc., note 6, p. 159.
-
[28]
Id., p. 508.
-
[29]
Id., p. 138-141.
-
[30]
Id., p. 19.
-
[31]
« Le profit est la clé de voûte, l’alpha et l’oméga du système économique capitaliste. C’est afin de réaliser du profit que l’on crée des entreprises, et c’est pour en engranger davantage qu’on les développe… ou qu’on les démantèle. Faute de profit, ou même de profit insuffisant, une production sera abandonnée, une usine fermée » : Christophe Darmangeat, Le profit déchiffré, Paris, La Ville Brûle, 2016, p. 10 et 11.
-
[32]
K. Marx, préc., note 6, p. 134.
-
[33]
Id., p. 121.
-
[34]
Id., p. 123.
-
[35]
Id., p. 134.
-
[36]
Id., p. 129 et 130.
-
[37]
Id., p. 130.
-
[38]
Id., p. 131.
-
[39]
Id., p. 128.
-
[40]
Id., p. 132.
-
[41]
Id., p. 135.
-
[42]
Id., p. 135 et 136.
-
[43]
Id., p. 137.
-
[44]
Id., p. 505.
-
[45]
Id., p. 495.
-
[46]
Cf. Jean-Marie Carbasse, Histoire du droit, Paris, Presses universitaires de France, 2008, p. 50-63.
-
[47]
K. Marx, préc., note 6, p. 632.
-
[48]
Id., p. 662.
-
[49]
Id., p. 633.
-
[50]
Id., p. 143.
-
[51]
Bruno Carrier, L’analyse économique des conflits, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993, p. 45-65.
-
[52]
K. Marx, préc., note 6, p. 143.
-
[53]
Id., p. 143.
-
[54]
Karl Marx, « Das Kapital. Kritik der Politischen Öknomie (Erster band) », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II.6, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 191.
-
[55]
K. Marx, préc., note 6, p. 144.
-
[56]
Id., p. 502.
-
[57]
Id., p. 143 et 144.
-
[58]
Id., p. 508.
-
[59]
Id., p. 509.
-
[60]
Cf. Mikhail Xifaras, « Marx, justice et jurisprudence : une lecture des “vols de bois” », Revue française d’histoire des idées politiques, no 15, 2002, p. 63.
-
[61]
K. Marx, préc., note 6, p. 137.
-
[62]
Id., p. 137.
-
[63]
Karl Marx, « Ökonomische Manuskripte 1857/58. Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II.1.1, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 21 et 22.
-
[64]
Karl Marx, « Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. I.2, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 109.
-
[65]
K. Marx, préc., note 6, p. 64.
-
[66]
Id., p. 152.
-
[67]
Id., p. 135.
-
[68]
Id., p. 139.
-
[69]
Karl Marx, « Ökonomische Manuskripte 1863-67, Teil 1 », dans Marx-Engels-Gesamtausgabe, vol. II.4.1, Berlin, Dietz Verlag, 1989, p. 413 et suiv.
-
[70]
K. Marx, préc., note 26, p. 35.
-
[71]
K. Marx, préc., note 6, p. 179 (l’italique est de nous).
-
[72]
Id., p. 160.
-
[73]
Id.
-
[74]
Id., p. 194.
-
[75]
« Le droit est la fiction qui neutralise toute cette complexité de rapports et cette réalité sociale fondamental, laquelle est celle du conflit, un conflit qui organise la société en classes ayant des intérêts divergents, au profit de la fiction d’une égalité abstraite d’individus transparents, sans marquage social particulier, qui entreraient pour ainsi dire de l’extérieur dans des rapports de libre coopération, en dénégation de leur situation réelle d’inégalité » : Jocelyn Benoist, « Marx Karl (1818-1883) », dans Olivier Cayla et Jean-Louis Halpérin (dir.), Dictionnaire des grandes oeuvres juridiques, Paris, Dalloz, 2008, p. 392.
-
[76]
K. Marx, préc., note 69, p. 415 et 416.
-
[77]
K. Marx, préc., note 6, p. 466.
-
[78]
« Le rapport juridique entre les sujets n’est que l’envers du rapport entre les produits du travail devenus marchandises » : Evgeny B. Pasukanis, La théorie générale du droit et le marxisme, Paris, EDI, 1976, p. 75.
-
[79]
K. Marx, préc., note 6, p. 502.
-
[80]
Id., p. 538 et 539.
-
[81]
Id., p. 540.
-
[82]
Id., p. 194.
-
[83]
Id., p. 193.
-
[84]
« La justice absolue est un idéal irrationnel. Du point de vue de la connaissance rationnelle, il n’y a que des humains et, par conséquent, que des conflits d’intérêt. Nous ne disposons que de deux voies pour les résoudre ; soit on satisfait les intérêts de l’un au détriment de l’autre, soit on parvient à un compromis entre les deux parties » : Hans Kelsen, Qu’est-ce que la justice ?, Genève, Édition Markus Haller, 2012, p. 92.
-
[85]
K. Marx, préc., note 6, p. 194.
-
[86]
Id., p. 417.
-
[87]
Cf. Paul Davis et Mark Freedland, Kahn-Freund’s Labour and the Law, 3e éd., Melbourne, Stevens & Sons Ltd., 1983, p. 17 et 18.
-
[88]
K. Marx, préc., note 26, p. 766 et 767.
-
[89]
Emmanuel Renault, « Marxistes (Doctrines du droit) », dans Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 1000.
-
[90]
Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2e éd., Bruxelles, Éditions Bruylant, 1999, p. 111.
-
[91]
Francis-Paul Bénoit, De Hegel à Marx, Paris, Dalloz, 2009, p. 357.
-
[92]
Id., p. 357.
-
[93]
Cf. Alan Hunt, « Marxist Theory of Law », dans Dennis Patterson (dir.), A Companion to Philosophy of Law and Legal Theory, New York, Blackwell, 2004, p. 350.
-
[94]
Émile de Laveleye, « Le socialisme contemporain en Allemagne », Revue des Deux Mondes, vol. 17, 1876, p. 121, à la page 143.