Chronique bibliographique

Ivan Tchotourian et Margaux Morteo, avec la collaboration de Karine Morin, L’entreprise à mission sociétale. Analyse critique et comparative du modèle, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018, 320 p., ISBN 978-2-89730-487-4[Record]

  • Alexis Langenfeld

…more information

  • Alexis Langenfeld
    Université Laval

Les EMS s’appuient sur une structure « hybride » (p. 14 et 17) combinant la finalité sociétale des organisations à but non lucratif (OBNL) avec le moule de l’entreprise commerciale traditionnelle : la société par actions. De ce fait, les EMS sont partie intégrante du mouvement de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). L’ouvrage, qui compte 195 pages, est le premier à proposer une analyse comparée des EMS qui existent en Europe et en Amérique du Nord. L’approche comparée est souvent complétée et renforcée par une approche interdisciplinaire tenant compte des considérations économiques et des gestionnaires. L’ouvrage de Tchotourian et Morteo constitue donc une contribution de qualité à la littérature traitant des « entreprises à mission ». L’EMS est présentée comme une véritable innovation dans le domaine du droit des sociétés. En effet, cette nouvelle forme juridique rejette (du moins théoriquement) « [l]a conception classique de l’entreprise définie par sa finalité strictement et exclusivement financière (la maximisation du profit) » (p. 8). Cependant, le concept d’EMS a été créé dans les faits par des entrepreneurs novateurs et désireux d’être plus socialement responsables. L’ouvrage relève ainsi à de nombreuses reprises le rôle particulier joué par l’organisme B Lab, lequel a milité pour que les législateurs américains consacrent l’EMS dans les droits des États fédérés. B Lab délivrait également le label B Corp à des entreprises menant à bien une mission sociétale. La référence aux initiatives privées permet aux auteurs de souligner que l’EMS peut exister malgré l’absence d’une structure juridique sociétaire taillée sur mesure pour elle (p. 190). Toujours est-il que, « [a]vec l’édiction de législations spécifiques aux sociétés hybrides, les pouvoirs publics régulent un espace de “non-droit” » (p. 110). Tout le défi pour les législateurs est donc de se saisir de la pratique des affaires pour permettre aux EMS de prospérer grâce au droit. Les législations présentées dans l’ouvrage ont toutes pour base commune l’inscription d’une mission sociétale dans les statuts des EMS : « Cette inscription statutaire constitue la pierre angulaire de ces formes d’entreprise » (p. 164). Les objectifs sociétaux qu’il est possible de poursuivre sont entendus très largement : ils vont de l’intérêt global (l’environnement, l’économie, etc.) à l’intérêt spécifique (les arts, la littérature, etc.). Dès lors, l’EMS consacre la théorie des parties prenantes au détriment de la primauté actionnariale. Les objectifs pouvant être consacrés en mission sociétale sont toutefois laissés de côté dans l’ouvrage puisqu’« à bon droit » les auteurs ont préféré se concentrer sur l’étude des dispositions juridiques mises en place pour garantir le respect de la mission sociétale choisie par les entrepreneurs et fixée dans les statuts de l’entreprise. Ainsi, la question, demeurée implicite, qui guide les critiques contenues dans les développements de l’ouvrage, est celle de savoir si les législations commentées réussiront à pérenniser l’entreprise hybride et à faire en sorte que des missions sociétales soient effectivement menées par ce type d’entreprise. Préalablement, les auteurs laissent entendre que, pour être considérée comme une réussite, une nouvelle législation en matière de RSE doit faire mieux que les normes édictées par les acteurs du marché eux-mêmes et que le droit en vigueur préexistant aux réformes (p. 112 et suiv.). Cependant, Tchotourian et Morteo n’apportent pas de réponse tranchée en la matière, à savoir si les législations actuelles sur les EMS remplissent ces deux conditions. Au lecteur de se faire une idée sur la question… Les auteurs affirment que, grâce à l’inscription statutaire susnommée, la RSE devient l’« ADN » (p. 12) de l’EMS. Filer cette métaphore permet de relever qu’un « gène RSE » serait introduit dans le « génome » des sociétés …

Appendices