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En 2008, la professeure Julie Desrosiers de la Faculté de droit de l’Université Laval signait un ouvrage intitulé L’agression sexuelle en droit canadien. À l’occasion de la seconde édition, elle s’est adjoint une coauteure, la doctorante Geneviève Beausoleil-Allard. Faut-il rappeler que l’édition parue au début des années 2000 était l’un des premiers textes de droit positif publié depuis la réforme du droit criminel de 1983 ? Aujourd’hui encore, il existe peu de doctrine sur l’agression sexuelle en droit canadien, d’autant plus si l’on privilégie les publications francophones. La nécessité d’une mise à jour de l’ouvrage prend alors tout son sens.
Dans cette nouvelle édition, les deux signataires proposent une fois de plus un tour d’horizon complet des questions relatives aux règles appliquées au Canada en matière de poursuite pour agression sexuelle. Cependant, elles ne se limitent pas à les expliquer : elles poussent davantage leur analyse. Elles offrent, en effet, un outil qui cherche « à percer les valeurs sur lesquelles les règles juridiques se construisent » (p. 2). Aussi s’attachent-elles à montrer les préjugés sexistes de la société, lesquels modèlent encore le droit des agressions sexuelles.
Cet ouvrage de référence bien documenté se révèle accessible à tous. Le style en est simple et le droit, bien vulgarisé. Sa facture n’a pas changé depuis la première édition. En plus d’un chapitre sur le contexte sociohistorique, les auteures consacrent également un chapitre entier aux éléments constitutifs de l’agression sexuelle et à ses différentes modalités, aux moyens de défense, à la preuve et à la procédure, de même qu’aux sanctions. Afin de soutenir leurs propos, elles ont veillé à étudier tous les jugements pertinents de la Cour suprême du Canada sans égard à leur année de publication et l’ensemble des jugements de la totalité des cours d’appel du pays depuis 2000.
Mentionnons que les deux auteures ont effectué une recherche colossale et se sont assurées d’inclure dans leur ouvrage des statistiques ainsi que des informations provenant de rapports et de documents scientifiques. Ces informations, pourtant très pertinentes en vue de saisir tous les enjeux qui entourent la poursuite des agressions sexuelles, notamment dans le cas des victimes en ce qui concerne la dénonciation et la double victimisation, sont malheureusement souvent éludées dans les ouvrages de droit criminel. Dans les faits, les agressions sexuelles s’inscrivent toujours dans un contexte particulier que les auteures s’assurent de bien faire ressortir.
Particulièrement intéressant, le premier chapitre de l’ouvrage met en contexte l’évolution législative des crimes sexuels. Le tableau que les auteures peignent permet de mieux saisir les mythes tenaces qui continuent à nuire aux victimes d’une agression sexuelle, au cours d’un procès criminel. Elles y décrivent les trois perspectives théoriques qui ont influé sur l’appareil judiciaire : le conservatisme, le libéralisme et, enfin, le féminisme. Parmi les sujets traités se trouvent l’évolution législative de la définition du viol, l’exception maritale, le critère de résistance et celui de la plainte spontanée, la corroboration par un autre élément de preuve et la preuve du passé sexuel de la victime.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’« un tableau exhaustif des différentes dispositions et amendements législatifs » (p. 7), selon l’aveu même des auteures, ce chapitre est essentiel à une bonne compréhension des enjeux entourant la judiciarisation des agressions sexuelles. Prenons l’exemple du critère de résistance issu de la common law. D’après ce critère, une femme ne pouvait avoir subi une agression sexuelle qu’en présence d’une preuve qu’elle s’était défendue physiquement. Ainsi, « la passivité (ne pas se débattre, ne pas crier, obéir) soulevait un doute raisonnable quant à l’absence de consentement » (p. 68). La Cour suprême a mis un terme à l’application de ce courant jurisprudentiel à la fin des années 90. Et pourtant, comme les auteures le soulignent, ce mythe persiste encore dans certaines décisions (voir notamment l’affaire R. c. Adepoju[1].
Dans les chapitres suivants, Julie Desrosiers et Geneviève Beausoleil-Allard n’hésitent pas à soulever des critiques portant sur le système de justice canadien, plus précisément sur les règles législatives qui touchent les agressions sexuelles, tout en y ajoutant à l’occasion les leurs. Elles soulignent, par exemple, dans le chapitre sur les éléments constitutifs de l’agression sexuelle, le caractère discutable du recours à l’infraction d’agression sexuelle lors d’une omission de divulguer le VIH « au regard des avancées scientifiques relatives au traitement du VIH/sida » (p. 100). Une fois de plus, dans le chapitre sur les éléments constitutifs de l’agression sexuelle, les auteures répondent, entre autres choses, aux critiques formulées à l’égard de l’inégalité découlant de la définition différente du consentement dans le contexte de l’actus reus et de la mens rea. Selon elles, il n’y aurait pas d’inégalité. Pour preuve, au stade de l’actus reus, le tribunal doit examiner les faits en vue de déterminer si l’affirmation de la plaignante qu’elle n’avait pas consenti à l’activité sexuelle est crédible, tandis qu’au stade de la mens rea il doit tout autant étudier les faits pour établir si l’affirmation de l’accusé, à savoir qu’il avait cru que la plaignante consentait, est avérée.
Dans le chapitre sur les moyens de défense, les auteures passent en revue la défense de consentement, la défense d’erreur de fait relative à la communication du consentement, l’erreur de fait quant à l’âge et la défense d’intoxication volontaire. Cette dernière section se révèle profitable puisque, même s’il ne s’agit pas d’une défense recevable, l’intoxication fait souvent partie du contexte qui entoure l’agression sexuelle. De plus, « le degré d’intoxication des protagonistes [peut] influer sur le dénouement du procès ou sur la détermination de la peine » (p. 167).
À noter que l’ouvrage n’est pas centré uniquement sur la victime. Les auteures se sont également penchées sur les conséquences sociales et personnelles d’une condamnation de l’accusé dans le chapitre sur la sanction. Dans le contexte actuel où la présomption d’innocence est parfois remise en question et où certaines personnes demandent un renversement du fardeau de preuve, l’ouvrage y gagnerait en force s’il précisait le rôle de la présomption d’innocence. En revanche, le chapitre a été bonifié par l’ajout d’une section sur le casier judiciaire.
Dans la foulée du mouvement #moiaussi, qui a entraîné son lot de remises en question, dont la pertinence de la présomption d’innocence dans les cas d’agression sexuelle, cet ouvrage se révèle un bon outil pédagogique accessible non seulement aux avocats et aux juges eux-mêmes, mais encore aux intervenants qui gravitent autour de victimes d’agression sexuelle et à toute autre personne qui se pose des questions relatives au consentement. Si la première édition répondait à un manque criant, soit celui de rassembler les changements apportés au droit positif depuis la réforme du droit criminel de 1983, la seconde, pour sa part, offre une mise à jour jurisprudentielle fort opportune. Une fois encore, l’ouvrage soulève, grâce à l’exhaustivité de la recherche proposée par les auteures, les bons coups et les ratés du système de justice criminel canadien. Un ouvrage à conseiller à toute personne qui s’intéresse à l’efficacité du système de justice pénale en matière d’agression sexuelle et, de surcroît, cherche à développer une opinion éclairée.
Appendices
Note
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[1]
R. v. Adepoju, [2014] A.J. No. 246 (Alta CA).