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Instrument normatif non étatique souvent associé à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), la certification équitable Fairtrade International (FI)[1] poursuit, depuis ses débuts, l’objectif de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Le commerce équitable est défini, par ses principaux acteurs, comme un « partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect […] contribu[ant] au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés[2] ». De façon plus précise quant aux travailleurs, la certification FI se veut un outil de capacitation, d’amélioration de leurs conditions de travail (salaire, santé et sécurité, etc.) et de lutte contre la pauvreté.

La certification équitable FI repose sur un ensemble de normes qui se trouvent dans des documents appelés « standards ». Ces normes portent sur plusieurs thèmes : droit du travail, protection de l’environnement, prime et prix équitables, financement des récoltes, capacitation des producteurs et des travailleurs, participation des travailleurs à la prise de décision, etc. Pour les producteurs, ces standards se divisent en deux grandes catégories : les standards génériques et les standards spécifiques. Les premiers sont, comme leur nom l’indique, des standards applicables à tous sans égard au type de produits cultivés et peu importe leur pays de production. Pour pouvoir intégrer le régime FI, les producteurs doivent se trouver dans un pays faisant partie de la liste qui figure dans les standards. En 2017, au sein du régime FI, on dénombre 137 pays producteurs. À noter que les membres de l’Union européenne ainsi que du G8 sont exclus. Les pays producteurs sont considérés comme admissibles par FI sur la base de trois critères : 1) des indicateurs économiques et sociaux (fondés sur la liste des bénéficiaires d’aide publique au développement établie par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’indice de Gini de la Banque mondiale et l’indice de développement humain) ; 2) l’impact à long terme sur les producteurs de l’ajout ou du retrait d’un pays des listes ; et 3) la disponibilité de soutien aux producteurs dans le pays[3]. Les standards se distinguent toutefois selon le type d’entreprise ou d’organisation productrice. Ainsi, il existe trois types : 1) ceux qui sont destinés à une organisation de petits producteurs organisée[4] ; 2) ceux qui sont applicables à une organisation de petits producteurs non encore organisée démocratiquement[5] ; et 3) ceux qui sont prévus pour une entreprise dépendant d’une main-d’oeuvre salariée[6]. Aux standards génériques s’ajoutent des standards spécifiques des produits. Ceux-ci se divisent également selon les mêmes catégories que les standards génériques[7].

Le régime de FI est le régime de certification équitable le plus répandu et connu partout au monde. En 2015, le nombre de producteurs et de travailleurs faisant partie du système FI était de 1,6 million répartis dans 75 pays. Les ventes de produits certifiés équitables étaient évaluées en 2014 à 7,3 milliards d’euros[8]. On dénombre aujourd’hui plus de 20 catégories de produits[9] pour lesquels il est possible d’obtenir une certification FI.

La certification équitable FI ne comptait, jusqu’en 2004, qu’une seule entité, soit la Fairtrade Labelling Organizations International (FLO). Elle est maintenant formée de deux, soit FLO e.V., organisation sans but lucratif responsable des fonctions d’élaboration des standards et de promotion du logo équitable, et FLO-CERT société à responsabilité limitée dont les actions sont détenues par FLO e.V., chargée de la certification au sein du régime.

La certification équitable pourrait être qualifiée d’« O.J.N.I. », c’est-à-dire un objet juridique/normatif non ou mal identifié[10]. Quoi qu’il en soit, elle entretient des rapports avec le droit d’origine étatique, interne et international[11]. Ces relations constituent un exemple excellent d’internormativité. En effet, la certification équitable cultive une relation à la fois d’autonomie et d’hétéronomie à l’égard des ordres juridiques étatiques. Ainsi, certains éléments de la certification équitable contribuent à lui conférer une autonomie par rapport au droit étatique. C’est le cas de ses dispositions inédites par rapport au droit étatique, national et international[12] et de ses structures internes[13].

D’autres éléments nous amènent en revanche à conclure que la certification équitable nourrit des rapports d’hétéronomie avec le droit interne et international. En reprenant textuellement des dispositions de lois nationales et de conventions internationales ou en les traduisant dans un langage plus accessible et adapté au contexte des producteurs du Sud global, la certification établit un rapport d’hétéronomie avec le droit étatique, car elle réitère le droit en vigueur plutôt que de s’y opposer. Son principal attrait réside dans le fait qu’elle ne se limite pas à le répéter, mais qu’elle tend à faciliter sa connaissance et sa mise en oeuvre par des mesures concrètes[14].

Sur d’autres aspects, le rapport d’hétéronomie s’inverse. Un recours au droit étatique des pays du Nord global, par les acteurs du commerce équitable, poursuit un double objectif qui consiste à sécuriser et à solidifier le régime équitable. Les relations entre les producteurs et l’organisme de certification sont soumises au droit allemand par l’entremise de contrats de certification. Le recours au droit de la consommation des pays consommateurs de produits équitables ou au droit du travail des pays producteurs peut également être utilisé pour s’assurer du respect des normes du régime FI.

C’est à ces rapports d’hétéronomie que nous avons choisi de nous intéresser dans notre texte. Nous nous pencherons de façon spécifique sur deux exemples à cet égard, soit les rapports qu’entretient la certification avec le droit international ainsi qu’avec le droit interne des pays producteurs (partie 1)[15] et les relations entre l’organisme de certification et les producteurs, relations qui sont soumises au droit allemand (partie 2).

1 La certification équitable au service du droit étatique

Comparativement à de nombreux instruments qui existent dans le secteur de la RSE, le régime équitable se distingue par son impressionnante quantité de normes. Alors que plusieurs instruments de RSE se limitent à quelques lignes ou pages[16], le régime équitable en contient des centaines. La majorité des normes de la certification équitable ne sont cependant pas inédites. Cette caractéristique n’est pas propre à la certification équitable. En effet, de nombreux instruments de RSE font référence aux normes étatiques, les empruntent textuellement, les reformulent ou s’en inspirent[17].

À la lecture des standards de la certification équitable, nous constatons qu’ils sont parsemés de références expresses aux normes et aux instruments juridiques étatiques internationaux (1.1) et nationaux (1.2). Ces références peuvent, de prime abord, étonner si l’on se rappelle l’un des objectifs premiers de la certification équitable, à savoir celui de pallier les lacunes du droit étatique, mais elles ne sont pas pour autant inusitées. De fait, des rapports d’interpénétration entre des ordres normatifs distincts sont très fréquents[18]. Si l’ordre normatif d’accueil est souvent l’ordre étatique[19], nous constaterons, dans le cas de la certification équitable FI, qu’il s’agit ici, au contraire, majoritairement du régime équitable.

1.1 Recours au droit international

La référence aux instruments du droit international public, principalement du droit international du travail, n’est pas l’apanage de la certification FI. Au contraire, bon nombre de certifications ou de systèmes de commerce équitable s’y reportent[20]. Les standards l’énoncent d’ailleurs dès leur introduction : « Pour fixer ses Standards, Fairtrade International (FI) suit certains standards et conventions internationalement reconnus, plus particulièrement ceux de l’Organisation Internationale du Travail (OIT)[21] ». Le recours à ces conventions sert généralement à instaurer un dénominateur commun au sein du régime équitable, quel que soit le pays de production.

Dans le régime FI, le recours aux instruments juridiques internationaux prend différentes formes. On mentionne, dans des sections, adhérer aux principes de certaines conventions internationales auxquelles on fait explicitement référence[22]. Des extraits des conventions sont d’ailleurs repris textuellement en y ajoutant des explications sous une forme vulgarisée. C’est le cas de l’une des dispositions sur le travail forcé qui cite mot à mot la définition de la Convention no 29 sur le travail forcé de l’OIT, mais on y insère des exemples et d’autres explications telles que la suivante : « L’esclavage, l’usage inapproprié de la main-d’oeuvre carcérale, le recrutement forcé, la servitude pour dettes, la traite des personnes pour le travail forcé et/ou de l’exploitation sexuelle sont des exemples de travail forcé[23]. » Dans de nombreux cas, le contenu des conventions mentionnées est directement transformé en langage clair. Certaines dispositions transposent les principes généraux des instruments internationaux en moyens de mise en oeuvre très concrets. L’une des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail en donne un bon exemple : « Votre entreprise fournit à proximité des toilettes propres équipées de dispositifs de lavage de main, des vestiaires pour tous les travailleurs et des douches propres pour les travailleurs qui manipulent les pesticides[24]. » Dans d’autres cas, la lecture attentive des standards nous permet de conclure qu’ils sont très largement inspirés des instruments internationaux sans qu’il en soit fait mention de façon explicite[25].

Bien que des conventions de l’OIT constituent une référence de longue date pour les organisations de commerce équitable, l’intégration du droit international au sein des standards de FI s’est faite de façon graduelle. Une analyse des standards sur une période de dix ans (2007-2017) montre que ceux-ci ont évolué au fil des mises à jour. La comparaison des différentes versions nous amène à constater qu’il y a eu non seulement une évolution en ce qui concerne le nombre d’instruments juridiques internationaux auxquels il est fait référence, mais également une amélioration des standards sur le plan de la substance.

D’entrée de jeu, il faut préciser que les standards font l’objet d’une modification relativement fréquente. Il est d’ailleurs prévu qu’une révision des standards ait lieu au plus tard tous les cinq ans[26]. Dans le cas du Standard générique DMS par exemple, des modifications, plus ou moins substantielles selon le cas, ont été apportées à au moins six reprises entre le 1er janvier 2007[27] et le 1er janvier 2017. L’adaptation relativement rapide des cahiers des charges des certifications privées est d’ailleurs l’un de leurs grands avantages par rapport aux systèmes étatiques[28]. D’une version à l’autre, des dispositions disparaissent, tandis que certaines sont modifiées ou que de nouvelles sont ajoutées. Une comparaison attentive du libellé des dispositions montre aussi des changements fréquents dans les formulations employées. Dans certains cas, on pourra croire que cela changera quelque peu la substance de la disposition, alors que dans la majorité des cas cela relèvera davantage de la forme. Les dispositions relatives au travail forcé illustrent bien ce cas. Dans le Standard de 2007, il est écrit que « le travail forcé inclut le travail effectué par une personne sous la menace de quelque sanction et pour lequel ladite personne n’a pas offert ses services de manière volontaire[29] », alors que dans le Standard en vigueur en 2017 on précise que ce terme désigne « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré[30] ».

Des changements dans l’ordre de présentation des articles et des sections caractérisent de même les révisions des standards FI. Ces modifications sont susceptibles d’étonner le juriste habitué au droit d’origine étatique. Elles peuvent notamment amener à s’interroger sur la question de la sécurité juridique.

En ce qui concerne précisément le recours au droit international, le nombre de conventions internationales auxquelles il est fait référence a augmenté de façon significative entre la version de mars 2007 du Standard générique DMS et celle qui est en vigueur en mars 2017[31]. En effet, alors que la première comportait la référence à 14 conventions internationales et à une recommandation de l’OIT, les standards se réfèrent maintenant à plus de 32 traités internationaux et à une dizaine d’instruments internationaux de droit souple ou non étatique. Précisons que cette hausse ne s’explique pas par le fait que les instruments faisant nouvellement partie du corpus normatif de la certification équitable ont été adoptés récemment. En outre, les instruments internationaux présents dans les standards proviennent de sources de plus en plus variées. Alors que les premières versions des standards se limitaient principalement aux normes de l’OIT, un recours aux domaines des droits de la personne, des droits de l’enfant, du droit de l’environnement et du droit de l’agroalimentaire caractérise le régime actuel. De plus, l’ajout de plusieurs références aux instruments internationaux non juridiquement contraignants, telles les recommandations de l’OIT, fait également partie de ces changements. L’accroissement du nombre et de la diversité des instruments juridiques internationaux auxquels les standards se reportent a indubitablement un impact sur son contenu.

D’une part, cette augmentation peut contribuer à enrichir le contenu obligationnel des standards. C’est le cas de l’article 1.2.4 du Standard générique DMS qui a été adopté dans la version de 2014. Il repose sur la Convention (no 169) concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants[32] de l’OIT et les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire mondiale[33]. Il exige, de la part de l’entreprise certifiée, un respect des droits fonciers des populations locales et indigènes ainsi qu’un engagement à ce que les différends fonciers soient résolus de manière responsable et transparente avant l’octroi de la certification.

D’autre part, l’ajout de références à des instruments internationaux permet parfois d’y apporter des précisions importantes. L’ajout de la référence à la Convention no 183 sur la protection de la maternité s’est traduit par une clarification relativement à la résiliation du contrat de travail d’une travailleuse enceinte ou en congé de maternité. Dans la version de 2007, on prévoyait que la travailleuse « ne d[evait] subir aucune perte ou privilège suite à ce congé[34] », alors que dans celle qui est en vigueur en mars 2017, il est précisé ceci : « Votre entreprise ne résilie pas l’embauche d’une femme pendant sa grossesse ou son congé de maternité, sauf pour des raisons ne dépendant pas de la grossesse ou de la naissance de l’enfant[35]. »

Finalement, ces modifications montrent aussi une préoccupation d’adopter une approche plus intégrée ou plus cohérente du droit international, laissant tomber une vision compartimentée. L’exemple des dispositions concernant le travail des enfants est éloquent. Dans la version de mars 2007, on ne se référait qu’à la Convention de l’OIT (no 138) concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi[36] et à la Convention (no 182) concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination[37] de l’OIT. La règle de base demeure évidemment la même : le travail est interdit aux personnes âgées de moins de 15 ans et le travail dangereux ne peut être effectué par des personnes de moins de 18 ans. Cependant, la version à jour en mars 2017 comporte, en plus des conventions de l’OIT, nombre de références à la Convention relative aux droits de l’enfant[38] ainsi que la recommandation suivante : « En toutes circonstances, les droits des enfants doivent être pris à titre prioritaire[39]. » On ajoute également que, « dans le cas d’un ménage dirigé par un enfant, dans lequel tous les membres du ménage ont moins de 18 ans, une approche fondée sur les droits de l’enfant devra être adoptée pour interpréter ces critères, en donnant la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant[40] ». La présence des instruments provenant des deux champs distincts du droit international que sont le droit du travail et les droits de l’enfant illustre une volonté de concilier les multiples normes, ce qui constitue une vision très actuelle[41], voire novatrice, à l’égard de la question du travail des enfants. Celle-ci correspond à une conception beaucoup plus intégrée et cohérente des normes émanant des différents pans du droit international[42].

L’analyse comparative des standards nous permet en outre d’observer des modifications sur le plan du contenu, lesquelles ne découlent cependant vraisemblablement pas d’un ajout de référence à un nouvel instrument. La comparaison entre la version des standards de mars 2007 et celle qui est en vigueur en mars 2017 en ce qui a trait à la liberté d’association s’avère très intéressante. La version de 2007 prévoit, dans la section des objectifs et recommandations de l’article 1.4.1.2, que, « [d]ans les pays où un syndicat est actif dans le secteur et que les travailleurs de l’entreprise ne sont pas représentés par un syndicat, il est attendu que la Direction convie le syndicat à tenir une réunion d’information[43] ». La version à jour en mars 2017, sur le même sujet, dispose ceci : « [q]u’il y ait ou non une présence syndicale, votre entreprise autorise les représentants des organisations de syndicats qui représentent les travailleurs dans le secteur ou la région [à] rencontrer les travailleurs […] afin de communiquer sur la syndicalisation[44] ». Ces changements peuvent sembler subtils et même passer inaperçus lors d’une lecture de la nouvelle version des standards n’impliquant pas une comparaison systématique des différentes versions, d’autant plus que cette disposition a changé de numérotation et que plusieurs paragraphes y ont été ajoutés et « améliorés ». Or, ce changement ne nous paraît pas anodin. À notre avis, la nouvelle version a été adoptée pour correspondre davantage aux exigences de la Convention (no 98) concernant l’application des principes du droit d’organisation et de négociation collective de l’OIT concernant l’ingérence[45]. C’est ce à quoi se réfèrent, entre autres, probablement les précisions fournies par le document expliquant les principaux changements du Standard générique DMS 2014 (v.1), en indiquant que cet article est « [a]dapté de la stratégie pour les organisations dépendant d’une main-d’oeuvre salariée pour soutenir la liberté d’association et pour soutenir la représentation des travailleurs à la certification initiale[46] ».

L’une des dispositions relatives au travail forcé montre de plus une amélioration des standards pour les rendre davantage conformes au droit international du travail. Dans la version de 2007, on précisait que le travailleur était libre de partir à tout moment, « avec une période de préavis adéquate, conformément à [son] contrat[47] ». Cette dernière précision est supprimée dans la version en vigueur en 2017. De plus, on y ajoute que « [l]’exigence d’une période de préavis déraisonnable pour la résiliation d’un contrat d’embauche est considérée comme du travail forcé[48] ».

Ces quelques exemples nous ont permis de comprendre le rôle et l’importance grandissante dans le temps des instruments du droit international public au sein de la certification FI. Ce recours à des instruments largement acceptés par la communauté internationale nous semble primordial pour s’assurer de l’atteinte de normes minimales au sein du régime. La légitimité[49] généralement conférée par le processus d’adoption de ces instruments est susceptible, en effet, de favoriser leur acceptation par les acteurs du monde équitable. Cependant, le régime FI demeure perfectible. Une révision constante des standards à partir des instruments internationaux et de l’interprétation qui est faite par les organes internationaux et nationaux visés devrait demeurer une priorité pour FI. De plus, un dialogue avec les organisations qui formulent des normes internationales devrait être poursuivi, lorsqu’il existe, ou entamé pour garantir une juste compréhension de ces normes qui sera aussi cohérente avec les ordres juridiques étatiques nationaux et internationaux.

1.2 Recours au droit interne des pays producteurs

Outre qu’ils se réfèrent aux normes internationales, les standards génériques de la certification équitable accordent également une place importante à la législation nationale qui doit être respectée, à moins que cette dernière ne soit en conflit avec les standards ou le droit international, auquel cas l’obligation la plus exigeante prévaudrait[50]. Il est intéressant de noter que les standards FI ne se limitent pas à la législation pour déterminer ce qui constitue le corpus normatif d’une région. Ils prêtent aussi attention particulièrement aux pratiques[51]. En plus d’une disposition générale imposant le respect de l’obligation la plus exigeante, les standards de la certification FI se réfèrent de façon explicite à la législation étatique à plusieurs reprises tout au long des sections. Le droit étatique constitue en effet le point de référence pour l’évaluation de plusieurs obligations, notamment en ce qui a trait au salaire[52], au nombre de semaines de congé de maternité[53], au nombre d’heures normales de travail par semaine[54], aux congés annuels[55], aux cotisations de sécurité sociale à payer[56] et aux déductions de salaires[57].

Au vu de ces références fréquentes, il y a lieu de se demander la raison d’être des rapports entre lesdits régimes. En d’autres mots, à quoi sert la référence au droit national dans les standards FI ? Cette question est d’autant plus importante lorsqu’on se rappelle que, à la différence des conventions internationales qui doivent être ratifiées et, dans certains cas, transposées dans l’ordre juridique national pour être créatrices de devoirs et de droits, le droit national est directement et automatiquement applicable à chacune des personnes se trouvant sur le territoire de l’État en question. Si les références aux normes internationales dans les standards de la certification sont justifiées par l’objectif de combler les lacunes dans certains États, il est plus difficile de comprendre les raisons pour lesquelles on a jugé nécessaire et approprié de réitérer le respect de la législation nationale dans les standards FI.

Cette référence au droit étatique nous apparaît d’abord et avant tout comme un moyen d’incorporer le droit étatique au corpus normatif de la certification équitable. Par cette précision aux producteurs, à savoir qu’ils sont soumis au droit étatique à l’intérieur des standards, l’obligation de respecter ce corpus normatif intègre dès lors le régime équitable et fournit ainsi une base sur laquelle fonder le droit d’exercer un contrôle du respect de ces normes par les producteurs. Sans ces dispositions, les inspecteurs de FLO-Cert pourraient en effet difficilement justifier une intervention en vue de contraindre les entreprises certifiées à respecter des dispositions prévues par la législation nationale, lesquelles seraient plus exigeantes que les standards de la certification, parce que cette dernière appartiendrait à un ordre externe et non au régime duquel émane leur compétence. Le fait que les inspecteurs du régime équitable peuvent intervenir pour s’assurer du respect des normes du droit national favorise indubitablement la mise en oeuvre de ce dernier, surtout dans les pays où les inspections étatiques sont peu fréquentes ou inexistantes. Un extrait de l’article 3.4 du Standard générique DMS 2014 est très éloquent à cet égard : « Les entreprises doivent prendre leurs responsabilités en vue de respecter ces droits, même lorsque l’État ne les protège pas[58]. »

L’intégration des normes du droit national au sein de l’ordre équitable permet également aux individus, victimes de la violation de dispositions du droit étatique par leur employeur, d’en exiger le respect par une autre voie que celle des tribunaux étatiques. Cela peut s’avérer intéressant pour des travailleurs qui n’ont généralement pas accès à ces tribunaux par manque de moyens et de connaissances, en raison d’une distance trop grande à parcourir pour s’y rendre ou d’un risque trop élevé de représailles, mais aussi dans le cas où l’accès leur serait refusé pour des motifs discriminatoires ou arbitraires[59].

La réitération de l’obligation qu’ont les producteurs de respecter la législation nationale constitue de plus un moyen de s’assurer que la certification équitable n’aura pas pour conséquence un nivellement vers le bas des exigences applicables aux producteurs, que celles-ci proviennent du droit étatique ou du régime équitable. En reconnaissant qu’il peut exister des différences entre ce que prévoient les deux régimes, on établit une distinction claire entre eux, ce qui permet de réduire le risque de confusion. Il s’agit en outre d’un rappel aux acteurs du régime équitable selon lequel la conformité avec des dispositions de l’un n’équivaut pas nécessairement à la conformité à l’autre. Contrairement au cas de la référence aux normes internationales, il n’est pas question ici de remédier au manque de normes élaborées par l’État ou à leur faiblesse, mais plutôt de garantir que les points forts de la législation en vigueur ne seront pas négligés ni mis à l’écart par l’existence de la certification équitable. La disposition relative à l’âge minimal d’admission à l’emploi permet d’illustrer nos propos. L’article 3.3.1 du Standard générique DMS 2014 établit cet âge à 15 ans. Or, si nous prenons le cas de la législation algérienne, nous remarquons que cette dernière est plus exigeante et prévoit plutôt que les enfants âgés de moins de 16 ans ne peuvent pas travailler[60]. Si les standards de la certification équitable faisaient abstraction de la loi nationale, les inspecteurs de FLO-Cert pourraient accorder la certification à une entreprise algérienne même si celle-ci employait des enfants âgés de 15 ans, ce qui serait contraire à la législation algérienne, mais conforme aux standards FI. Le fait de ne pas tenir compte de la législation nationale pourrait ainsi parfois avoir pour effet d’abaisser les exigences imposées par cette dernière. Le fait de faire partie du régime FI ne soustrait évidemment pas les producteurs certifiés du respect du droit étatique. Or, en raison du peu de contrôle et de la rareté des inspections étatiques dans plusieurs pays, dans bien des cas, les seuls « inspecteurs » qu’auront l’occasion de voir certains producteurs certifiés sont ceux de FLO-Cert.

En insistant sur la nécessité de devoir se conformer tant aux normes émanant des standards équitables qu’à celles qui proviennent du droit étatique, on favorise également une meilleure connaissance du droit étatique. Les producteurs ne peuvent pas alors se contenter de suivre les dispositions inscrites dans les standards FI : ils doivent entreprendre un apprentissage de leur propre droit, ce qui s’avère une tâche nouvelle pour plusieurs d’entre eux. Ce point saillant de la certification équitable est à souligner puisqu’il répond ainsi aux critiques voulant que, à partir du moment où la certification équitable n’est plus en vigueur dans une entreprise, tous les bénéfices ainsi obtenus disparaissent. Certes, lorsque l’entreprise ne fait plus l’objet d’inspections par FLO-Cert, il existe un risque que les dirigeants de cette dernière aient une attitude plus laxiste quant à la conformité de leur pratique au droit, mais la connaissance des normes du droit étatique acquise lors de l’appartenance au régime équitable demeure inévitablement.

Si la référence à la législation et aux pratiques nationales ou régionales permet d’éviter l’imposition d’une exigence trop faible par rapport à celles auxquelles les producteurs sont déjà soumis en vertu du droit étatique, sa prise en considération des spécificités du lieu de production fait qu’à l’inverse on n’imposera pas non plus des obligations disproportionnées aux producteurs. L’objectif de la certification équitable est certes d’améliorer les pratiques des agriculteurs en matière environnementale et de travail. Or, même si l’on vise le redressement des exigences imposées aux producteurs agricoles dans ces matières, une augmentation trop importante de celles-ci pourrait être néfaste pour certains. C’est ce qui pourrait se produire si l’on fixait, par exemple, un salaire minimal dans les standards génériques. Rappelons au passage que ces derniers sont applicables à tous les producteurs qui ont obtenu la certification équitable, peu importe le pays de production, le produit cultivé ou fabriqué, l’indice de développement, les conditions climatiques ou le revenu annuel par habitant de leur pays. Bien que les pays touchés par la certification équitable répondent tous à des critères sociaux et économiques, il faut reconnaître qu’ils ne sont pas tous au même niveau de développement économique et ne partagent pas tous les mêmes caractéristiques.

En prenant pour base la législation étatique, FI s’assure également d’une plus grande légitimité de ses normes, étant donné qu’elles sont, en principe, issues d’un processus démocratique. À ce sujet, soulignons que l’une des importantes faiblesses de la certification équitable à l’égard des travailleurs est son déficit démocratique. En effet, ils ne sont pas considérés comme des acteurs essentiels dans le processus d’élaboration des standards, mais plutôt comme de simples bénéficiaires[61]. Le droit étatique, bien qu’il soit imparfait, comporte la caractéristique d’être issu d’un processus démocratique qui, en principe, devrait avoir intégré, probablement de façon indirecte, les travailleurs et tenu compte de leurs revendications. L’intégration de telles normes dans le régime équitable permet indubitablement une meilleure acceptation de celles-ci, ce qui serait moins évident si elles provenaient d’un ordre complètement inconnu et dont les travailleurs ne faisaient pas partie. Il convient ici de préciser que FI aurait avantage à intégrer les travailleurs dans le processus d’élaboration et de révision des normes.

À l’instar de l’incorporation de normes de droit international, l’incorporation de normes du droit national est également porteuse d’un certain risque qui variera en intensité en fonction de la façon dont elle est effectuée. L’intégration d’une norme provenant d’un ordre juridique dans un autre régime est susceptible d’apporter des changements à cette norme initiale, ce qui peut être source de confusion, surtout lorsque les destinataires sont les mêmes et que la mise en oeuvre des normes est lacunaire dans l’ordre d’origine. Mettre entre les mains d’entités privées le contenu normatif du droit national constitue aussi un facteur d’accentuation de ce risque. Bien que les dispositions dont il est question soient relativement simples et peu sujettes à interprétations multiples, il demeure probable que les inspecteurs de FI interprètent certaines d’entre elles de façon non totalement conforme ou incomplète par rapport à ce qu’auraient fait des juges étatiques en pareilles circonstances. Or, faudrait-il mettre de côté un outil susceptible d’améliorer la mise en oeuvre du droit du travail et de l’environnement au Sud sous prétexte qu’il y a risque de confusion quant au sens à donner à certaines de ses normes ?

2 Le droit étatique allemand au service de la certification équitable

Les réformes entreprises, au cours des années 2000, au sein du régime équitable en vue de répondre aux critiques mettant en doute l’indépendance de l’organisme de certification et l’effectivité du régime[62] se sont matérialisées, entre autres, en un recours systématique aux contrats entre FI et ses certifiés. Dorénavant, toutes les entreprises certifiées doivent signer des contrats standardisés avec FLO-Cert[63]. Ces contrats sont soumis au droit allemand et leur for juridique est prévu en Allemagne. Ils contiennent des dispositions sur le fonctionnement du régime ainsi que les droits et les obligations de chacune des parties.

À la lecture des contrats de certification de FLO-Cert, nous constatons que certains de leurs articles réitèrent des obligations qui existaient dans le régime équitable, et ce, bien avant que FI décide de faire signer systématiquement des contrats à ses certifiés. Ainsi, le contrat prévoit notamment que le certifié s’engage à respecter les standards édictés par FLO e.V., à faciliter les inspections (accès aux lieux et aux documents, consentement donné pour des inspections surprises) et à accepter que des sanctions soient prises contre lui en cas de non-respect des standards. FLO-Cert, de son côté, s’engage à délivrer un certificat lorsque l’entité visée se conforme aux standards, à maintenir une procédure de plaintes et à fournir des inspecteurs qualifiés.

Ces obligations étaient présentes bien avant l’incorporation de ces contrats au régime équitable. En effet, FLO pouvait effectuer des inspections et exiger des certifiés le respect des standards. Ces droits et ces obligations existaient donc de façon tacite. À cette époque-là, l’élément qui octroyait à FLO l’autorité et la légitimité pour agir à la tête du régime équitable était implicite, à l’image du contrat social[64]. Avec ces nouvelles exigences de la part de FI, il prend désormais une forme plus concrète et réelle, soit celle d’un contrat juridique. Or, l’objectif demeure identique : légitimer FI dans son rôle.

Des questions se posent toutefois dans le contexte de ce changement au sein du régime équitable : pourquoi avoir besoin de réitérer les obligations des parties dans un contrat écrit soumis au droit étatique allemand alors que le régime équitable prévoyait ces obligations depuis plusieurs années ? Ces contrats favorisent-ils réellement le respect des standards équitables ? Ont-ils pour effet de faire entrer ainsi les standards de FLO e.V. dans l’ordre juridique étatique et, le cas échéant, jusqu’où les tribunaux allemands peuvent-ils intervenir à l’égard des standards et de leur processus d’élaboration ? C’est à ces questions que nous tentons de répondre dans la seconde partie de notre texte.

L’incorporation du contrat juridique dans le régime FI pourrait amener à penser à une tentative de soustraction au droit. En effet, le contrat est souvent utilisé comme moyen de dissociation à l’égard des règles générales. Or, dans le cas de la certification équitable, le contrat juridique semble jouer un autre rôle. Même s’il est plus rare de le voir utiliser ainsi, il peut poursuivre les mêmes objectifs que le contrat social, comme le souligne Michelle Cumyn : « Le contrat juridique, même s’il est au service de l’individu pour la satisfaction de ses besoins égoïstes, peut également être employé par lui à construire et à organiser des réseaux de solidarité. Le contrat juridique est donc à la fois un outil de dissolution et de reconstitution des liens institués par le contrat social[65]. »

Nous estimons que le contrat juridique est plutôt utilisé de cette façon dans le contexte de la certification équitable. Malgré cette explication, des questions demeurent. Bien que le régime de certification équitable puisse sûrement être fonctionnel sans l’intervention d’instruments ou de mécanismes appartenant à l’ordre juridique étatique, la réitération des obligations et des devoirs des acteurs du régime équitable peut servir de protection supplémentaire en ce qu’elle offre des possibilités de recours additionnels. En effet, en ayant recours à un contrat soumis au droit étatique, les parties doublent leurs possibilités de recours, ce qui rend le régime encore plus effectif. Prenons un exemple pour expliquer nos propos. Prétendons, à titre hypothétique, qu’un producteur de bananes, certifiées équitables depuis plusieurs années, reçoive la visite des inspecteurs de FLO-Cert. Au cours de leur inspection, ces derniers constatent que le producteur a enfreint les standards FI sur des points d’une importance telle qu’ils décident de lui retirer la certification. Or, prétendons que le producteur soit convaincu qu’il respecte bel et bien les standards et qu’à ses yeux la raison pour laquelle les inspecteurs sont arrivés à cette conclusion repose sur leur grande amitié avec l’un de ses plus féroces concurrents. Il y a fort à parier que le producteur en question contesterait cette décision. Deux régimes s’offriraient alors à lui pour ce faire. D’une part, il pourrait contester cette décision au sein du régime équitable, en vertu de l’Appeal and Review. Standard Operating Procedure[66], qui prévoit un appel de la décision lorsque le certifié a des motifs raisonnables de croire qu’elle était fondée sur un biais. D’autre part, grâce à l’existence du contrat de certification qui permet d’intenter un recours devant les institutions étatiques, le producteur pourrait introduire une demande en justice devant un juge allemand pour non-respect du contrat. Il pourrait, entre autres, invoquer l’article du contrat de certification qui stipule que FLO-Cert est tenue d’évaluer les producteurs en respectant les politiques et les standards qu’elle s’est donnés.

Même si cela constitue un avantage intéressant, il est difficile de croire que FI ait jugé nécessaire d’avoir recours à ces contrats pour cette unique raison, d’autant plus que ces aspects ne semblaient pas particulièrement problématiques dans le régime équitable précédant cette réforme. Selon nous, l’un des principaux avantages de ces contrats est d’élargir la portée des obligations découlant de l’adhésion au régime. Elles ne se limitent donc plus au régime équitable. En raison de l’existence du contrat juridique, elles s’étendent à l’ordre juridique étatique. Cela peut être utile lorsqu’on se trouve dans la situation où une entreprise certifiée quitte le régime équitable. À ce moment-là, elle « sort » du régime équitable et FI n’a plus d’emprise sur elle au sein de ce dernier. Or, si celle-ci décide de ne plus être certifiée par FI, mais de continuer malgré tout d’apposer le logo équitable sur ses produits, par exemple, il serait difficile d’intervenir au sein même du régime équitable pour l’en empêcher, et ce, même si les Standards Fairtrade pour les acteurs commerciaux prévoient formellement que, lorsqu’un acteur commercial perd sa certification, il doit immédiatement arrêter d’acheter ou de vendre des produits certifiés Fairtrade[67]. La difficulté réside dans le fait qu’en n’étant plus certifié il se trouve par conséquent en dehors du régime équitable. En revanche, FI et cette entreprise sont encore toutes deux parties de l’ordre juridique étatique. Grâce aux contrats de certification qui les lient, FI est en mesure d’intenter une action auprès d’une instance étatique pour faire cesser cette violation. Précisons que l’absence de ces contrats n’exclut pas la possibilité d’un recours en vertu du droit étatique, le logo FI étant une marque enregistrée dans plusieurs pays[68]. Or, les contrats écrits permettent de préciser les conditions d’utilisation, les obligations annexes et les situations dans lesquelles la marque ne peut plus être utilisée par le certifié. Il en résulte dès lors une sécurité du droit accrue tant pour le certifié que pour FI. Par ailleurs, les contrats permettent d’étendre également la protection du logo à des territoires dans lesquels il ne serait pas enregistré comme marque. En effet, dans les contrats de certification, le certifié s’engage explicitement à ne pas utiliser le logo FI s’il n’est plus autorisé par FI à le faire.

Finalement, nous pensons que la réitération de certaines obligations dans ces contrats confère au régime de FI une plus grande crédibilité et légitimité. Même si les acteurs du régime équitable se sentent probablement déjà contraints au respect des obligations prévues dans les standards élaborés par FLO e.V., en raison de leur adhésion au régime, la signature d’un contrat renforce, à notre avis, l’engagement qu’ils ont pris. Cela peut éventuellement freiner des entreprises qui ne montreraient leur intérêt à l’égard du régime que dans l’espoir de bénéficier des avantages de la certification sans pour autant partager les valeurs poursuivies par les standards. En exigeant la signature de contrats, FI amène ces entreprises à se rendre compte que les conséquences découlant du non-respect des standards sont sérieuses, puisqu’elles sont contraignantes juridiquement.

Plusieurs dispositions des contrats de certification apportent des éléments tout à fait inédits au régime. Il convient de préciser cependant que ces contrats n’ont pas pour objet de compléter le régime en fait de contenu, mais qu’ils s’adressent plutôt à son fonctionnement. Les dispositions des contrats ne portent pas concrètement sur la protection des travailleurs, de l’environnement, le montant du prix et de la prime équitable ou le préfinancement des récoltes. On doit comprendre que ces aspects demeurent l’apanage des standards équitables. Bien entendu, nous pouvons dire qu’ils y contribuent, d’une certaine façon, puisqu’ils concernent principalement le bon fonctionnement du régime et le renforcement des sanctions en cas de non-respect des standards. Il n’en demeure pas moins que ces aspects ne sont pas le principal objet de ces contrats de certification. Cela étant dit, une comparaison d’une version antérieure de ces contrats avec la version en vigueur aujourd’hui démontre une intégration beaucoup plus importante des éléments du régime FI au sein de ces contrats. Alors que les contrats en vigueur il y a dix ans ne faisaient pas du tout allusion au contenu du régime équitable en ce qui a trait à l’élaboration des standards ainsi qu’à l’autorisation pour FLO e.V. de les modifier, aux obligations ou aux droits relativement au processus d’élaboration ou de révision des standards et à la procédure permettant de déposer une plainte si l’une des parties jugeait que FI avait failli à ses obligations en vertu de la Standard Operating Procedure Development of Fairtrade Standards, le contrat de certification dans sa version actuelle les mentionne très clairement.

Malgré cette intégration du contenu des différentes normes édictées au sein du régime FI, il est toujours possible de recenser des obligations distinctes de celles qui sont prévues dans les standards FI à l’intérieur de ces contrats. Elles portent précisément sur l’utilisation du logo FI, le respect de la confidentialité des informations, la transmission d’informations sur les changements intervenant au sein de l’entreprise, les relations avec les tierces parties, ainsi que sur le paiement de frais de certification, les limitations de responsabilité, la possibilité de régler par arbitrage les différends découlant du contrat, la cession du contrat à un tiers, etc.

FI pourrait relativement bien fonctionner de façon autonome, c’est-à-dire sans l’intervention de l’ordre juridique étatique. Son passé le prouve d’ailleurs. Soumettre certaines obligations de son régime à l’ordre juridique étatique allemand lui apporte cependant des avantages indéniables qu’il pourrait difficilement obtenir s’il se limitait seulement à son propre régime. La principale force de l’ordre juridique allemand est son application obligatoire à tous les individus soumis à sa compétence.

Sans recourir à l’ordre juridique allemand, FI peut imposer des sanctions, mais son pouvoir d’en forcer l’application reste limité. Il dépend de la bonne volonté des certifiés. En inscrivant les sanctions à l’intérieur d’un contrat, FI bénéficie du renfort des tribunaux allemands dans l’éventualité où une entreprise certifiée se montrerait réfractaire à son autorité. En effet, sa nature volontaire, qui constitue un avantage du régime équitable, sur certains aspects, peut cependant se transformer en un désavantage important lorsque les certifiés choisissent de ne plus adhérer à son régime. C’est le cas, par exemple, comme nous l’avons expliqué précédemment, d’entreprises ayant quitté le régime, mais commercialisant, malgré tout, leurs produits avec le logo équitable afin de pouvoir bénéficier de ses atouts commerciaux. Puisque l’adhésion au régime FI est facultative, contrairement à l’ordre juridique étatique, FI n’a plus d’emprise sur l’entreprise ayant choisi de quitter le régime équitable, à moins de se tourner vers l’ordre étatique. Or, cela est grandement facilité par l’existence d’un contrat avec la partie en question.

Par l’addition des contrats de certification dans le régime équitable, FI montre qu’il a besoin du droit étatique et de ses institutions pour être pleinement efficace. Certes, le droit étatique dont nous parlons ici est le droit allemand, c’est-à-dire des normes provenant d’un pays du Nord global, mais cela laisse tout de même voir que l’objectif premier n’est pas de remplacer les institutions étatiques. Lorsque ces dernières s’avèrent fonctionnelles, elles sont source d’avantages auxquels FI ne peut prétendre apporter à lui seul.

Conclusion

Notre étude sur les rapports et les interactions entre le régime équitable et le droit international, d’une part, et le droit interne des pays producteurs de produits équitables, d’autre part, ainsi que, finalement, le droit allemand nous a permis de constater la complémentarité existant entre ces différentes sources normatives. Le régime équitable n’est donc clairement pas voué à une existence isolée des droits étatiques. Ses avantages sont certes intéressants sur le plan de la mise en oeuvre du droit d’origine étatique, mais ce n’est pas une panacée pour les travailleurs agricoles du Sud global et la protection de l’environnement. L’État demeure encore, croyons-nous, un forum approprié pour combattre ces problèmes. Le droit d’origine étatique reste très pertinent en raison de son caractère contraignant, de sa légitimité et de son universalité. La certification équitable semble tenir compte de cette réalité en se présentant comme un outil complémentaire par rapport au droit plutôt que comme un instrument de substitution de ce dernier. Par ses caractéristiques et son fonctionnement, la certification équitable contribue ainsi à démontrer que, si les instruments de RSE peuvent constituer une menace pour le droit[69], ils peuvent également, lorsqu’ils sont utilisés de manière appropriée, grandement contribuer à sa mise en oeuvre. Un tel rapport avec le droit d’origine étatique devrait être, selon nous, davantage développé dans les régimes normatifs privés de RSE à l’avenir.