Je suis enchantée de me joindre à vous aujourd’hui pour la 12e édition de la Conférence annuelle Claire L’Heureux-Dubé. Claire et moi avons été collègues à la Cour suprême du Canada durant 13 ans. Quand je me suis jointe à la Cour en 1989, Bertha Wilson et Claire L’Heureux-Dubé étaient les deux seules femmes à y siéger. Lors de mon assermentation, Bertha m’a glissé à l’oreille : « Three down, six to go. » — « Plus que six ! ». Même si Bertha et Claire n’étaient que les deux seules femmes sur le banc, leur autorité morale a souvent entraîné la Cour vers de nouvelles directions et aura eu un impact profond. J’étais fière et honorée — et je vous l’avoue, un peu intimidée — de me retrouver parmi une si auguste compagnie. Aujourd’hui, je compte aborder un thème dont j’ai souvent traité — l’accès à la justice. J’aimerais toutefois parler d’une facette bien particulière de l’accès à la justice et sur laquelle je n’ai pas encore eu l’occasion de m’étendre : la marginalisation. La condition de base de l’accès à la justice, c’est celle à laquelle on pense le plus souvent, c’est-à-dire un système de justice ouvert à tous, abordable et efficace. La justice doit être ouverte à tous — la Justice est aveugle et ne fait pas de discrimination, que ce soit sur la base de la race, du sexe ou de la condition sociale. La justice doit aussi être abordable, afin que chacun puisse obtenir les conseils juridiques et les services juridiques dont il a besoin. À ce titre, l’aide juridique, les services pro bono et des frais de cour qui sont compatibles avec le budget des justiciables ordinaires sont essentiels. Et le système de justice doit aussi être efficace. Il doit offrir des solutions réelles qui permettent de régler les problèmes des justiciables de façon juste et pratique. Et il doit le faire dans un temps raisonnable. Comme chacun le sait, un retard à rendre justice équivaut à un déni de justice — « justice delayed is justice denied ». Mettre en place un système de justice ouvert à tous, abordable et efficace est la première étape à franchir dans la poursuite de l’accès à la justice. Les Canadiens et les Canadiennes y travaillent avec acharnement. Même si nous faisons des progrès, il reste beaucoup de travail à faire. À l’échelle mondiale, le Canada arrive au 14e rang du Rule of Law Index du World Justice Project, derrière le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. Toutefois, l’état du système de justice civile, y compris l’accès à la justice, fait glisser le Canada au 18e rang, derrière l’Uruguay. Les problèmes les plus importants ont trait aux frais d’avocats trop élevés, aux procédures trop compliquées, à l’insuffisance de l’aide juridique et aux délais déraisonnables. On doit faire de la mise en place d’un système de justice ouvert à tous, abordable et efficace notre priorité. En effet, la primauté du droit en dépend. Comme l’écrivait ma collègue la juge Karakatsanis dans un récent jugement, « [d]e nos jours, garantir l’accès à la justice constitue le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada ». Le lien entre l’accès à la justice et la primauté du droit est fondamental, car le système de justice est précisément là pour garantir cette primauté du droit. Toutefois, mettre en place un système de justice ouvert à tous, abordable et efficace n’est que la première condition de base pour garantir un accès véritable à la justice. L’accès à la justice comprend …
Accès à la justice et marginalisation : l’aspect humain de l’accès à la justice[Record]
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Beverley McLachlin
C.P., Juge en chef du Canada