Abstracts
Résumé
L’auteur aborde l’épineuse question de la loi applicable à la responsabilité du fabricant en droit international privé. Adoptant l’approche du droit comparé mais examinant plus particulièrement l’article 3128 du Code civil du Québec, il soutient que la loi applicable à cette question devrait être celle du lieu du domicile ou de la résidence de la victime, ou encore la loi du lieu où le dommage a été subi si le produit en cause y a été commercialisé. Le texte débute par un aperçu des régimes en vigueur au Québec, dans les autres provinces canadiennes et en Europe. L’auteur se penche par la suite sur quatre facteurs de rattachement fréquemment invoqués, soit l’établissement ou la résidence du fabricant, le domicile ou la résidence de la victime, le lieu d’acquisition du bien et le lieu du délit. Enfin, l’auteur propose une version remodelée de l’article 3128.
Abstract
The author addresses the thorny issue of which law should apply to product liability claims in private international law. Using comparative law but focusing primarily on article 3128 of the Civil Code of Quebec, it argues that the law applicable to product liability should be that of the domicile or residence of the victim or the law of the place where the damage occurred provided the product was marketed there. The text begins with an overview of the law in Quebec, the common law provinces, and the European Union. The author examines four oft-invoked connecting factors : the manufacturer’s establishment or residence, the victim’s domicile or residence, the State where the product was acquired and the State where the damage occurred. The author finishes by suggesting a new article 3128.
Resumen
El autor aborda la delicada cuestión de la ley aplicable con respecto a la responsabilidad del fabricante en derecho internacional privado. Adoptando el enfoque del derecho comparado, pero examinando particularmente el artículo 3128 del Código Civil de Quebec, el autor argumenta que la ley aplicable en este asunto debería ser la del domicilio o de la residencia de la víctima, o bien la ley del lugar en donde el daño se ha producido si el producto en cuestión ha sido comercializado allí. El texto comienza con un resumen de los regímenes vigentes en Quebec, en otras provincias canadienses, y en Europa. Seguidamente, el autor examina cuatro factores pertinentes que se invocan con frecuencia : el establecimiento o la residencia del fabricante, el domicilio o la residencia de la víctima, el lugar donde fue adquirido el bien, y el lugar del delito. Finalmente, el autor plantea una reforma del artículo 3128.
Article body
Le présent texte aborde l’épineuse question de la loi applicable à la responsabilité du fabricant en droit international privé. De nos jours, la structure moderne des chaînes d’approvisionnement et de distribution provoque fréquemment la superposition de plusieurs ordres juridiques internes dans le processus de conception, de fabrication et de commercialisation d’un bien jusqu’à son utilisation finale et à sa défaillance potentielle[1]. Une faute commise à l’une ou l’autre de ces étapes peut avoir un effet dans des États n’ayant rien à voir avec ceux où ont eu lieu les étapes préalables à l’incident[2]. Un produit peut être conçu dans l’État 1, assemblé dans l’État 2 à l’aide de composantes fabriquées dans les États 3, 4 et 5, puis commercialisé dans les États 6, 7 et 8, par un fabricant domicilié dans l’État 9 et ultimement utilisé par une personne domiciliée dans l’État 10 mais ayant acquis le bien dans l’État 11[3]. La tragédie du 6 juillet 2013 survenue dans la municipalité de Lac-Mégantic en fournit un exemple tristement probant. Ce jour-là, un convoi chargé de pétrole brut déraille dans la municipalité de Lac-Mégantic, tuant 47 personnes et provoquant des dommages matériels et environnementaux d’une ampleur considérable. Dans la mesure où la tragédie se judiciarise[4] et que la preuve démontre que les wagons du convoi n’ont pas été construits au Québec, quelle loi s’appliquerait à la responsabilité alléguée du fabricant pour les dommages causés par leur défaillance ? Le droit international privé fournit les règles nécessaires pour déterminer la loi applicable à ce type de litige.
Au Québec, le Code civil du Québec prévoit ce qui suit :
3128. La responsabilité du fabricant d’un bien meuble, quelle qu’en soit la source, est régie, au choix de la victime :
1° Par la loi de l’État dans lequel le fabricant a son établissement ou, à défaut, sa résidence ;
2° Par la loi de l’État dans lequel le bien a été acquis[5].
Dans notre article, nous suggérons que cette approche est inopportune et nous mettons en évidence des facteurs de rattachement plus appropriés à la question de la responsabilité du fabricant dans un contexte international[6]. Nous examinerons les approches canadiennes et européennes à cet égard et nous tenterons de concilier prévisibilité, proximité et justice matérielle dans l’analyse des solutions proposées. Nous soutiendrons que la loi applicable à la responsabilité devrait toujours être celle du lieu du domicile ou de la résidence de la victime si le produit en cause y a été commercialisé, ou encore la loi du lieu où le dommage a été subi si le produit en cause y a été commercialisé. C’est seulement à défaut de commercialisation que la loi du lieu de l’établissement ou de la résidence du fabricant devrait pouvoir être désignée.
Notre analyse portera sur trois régimes distincts, soit ceux du Code civil du Québec, de la common law canadienne et du Règlement sur la loi applicable aux obligations non-contractuelles (Rome II)[7]. Dans un premier temps, nous décrirons les régimes en vigueur (1). Dans un deuxième temps, nous procéderons à une synthèse des facteurs de rattachement les plus susceptibles d’adhérer aux principes qui sous-tendent le droit international privé moderne, évoquant au passage la solution proposée par la Conférence de La Haye dans la Convention du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits (2)[8]. Dans un troisième et dernier temps, nous traiterons du problème de la qualification de la responsabilité du fabricant, de même que des méthodes alternatives à la règle de conflit traditionnelle (3). Nous aborderons tant la structure de la règle de conflit que sa portée[9]. Enfin, nous terminerons par des recommandations concrètes quant à la rédaction de l’article 3128 C.c.Q.
Notons d’emblée que notre texte se limite à la question de la désignation de la loi applicable. Ainsi, nos propos sur l’article 3128 C.c.Q. et la loi applicable à la responsabilité du fabricant supposent que les tribunaux québécois sont compétents pour entendre le litige en vertu des règles de compétence de l’article 3148 C.c.Q.[10]. Autrement dit, la règle de conflit qui détermine la loi applicable — québécoise ou étrangère — ne peut être appliquée que par un tribunal dont la compétence est établie par la présence d’un ou de plusieurs facteurs de rattachement reconnus par le législateur.
Nous traitons de la responsabilité du fabricant sous l’angle tant contractuel qu’extracontractuel, puisque l’article 3128 C.c.Q. s’applique en principe aux deux sources de responsabilité. Ce constat suscite cependant des problèmes d’interprétation que nous examinerons en détail plus bas[11].
1 La pluralité des approches en matière de responsabilité du fabricant
Les règles de conflit du droit international privé permettent d’atténuer les conséquences de la juxtaposition de plusieurs ordres juridiques à la même situation[12]. Dans le domaine de la responsabilité du fabricant, le choix des facteurs de rattachement appropriés pour structurer la règle de conflit est cependant loin de faire consensus : « There is no consensus, to say the least, on the best way to resolve the choice-of-law problem in products liability. As one leading scholar in the field has put it : “There is no conflicts magic that can make sense of the underlying bedlam of rules that passes for products liability laws”[13]. »
En droit civil québécois, en common law canadienne et en droit européen, les facteurs de rattachement proposés vont du lieu de la résidence du fabricant à celui de la victime, en passant par le lieu du dommage ou de l’acquisition du bien, le tout étant parfois soumis à des exceptions de « commercialisation » ou de « prévisibilité », de même qu’à des clauses échappatoires plus générales. On conviendrait aisément que, lorsqu’un fabricant introduit un produit sur le marché, celui-ci devrait raisonnablement s’attendre à devoir se défendre dans des poursuites relatives à l’utilisation du produit dans ledit marché. Comment se fait-il donc que les solutions en matière de responsabilité du fabricant varient à ce point ?
D’abord, les fondations. De façon générale, les principes de prévisibilité et de proximité constituent un dénominateur commun auquel la démarche méthodologique conflictuelle du droit international privé devrait aspirer[14]. Formulée de façon très pragmatique, la prévisibilité suppose que les attentes des parties soient satisfaites et que celles-ci puissent déterminer avec suffisamment de précision l’ordre juridique auquel sera soumise la relation juridique qui les unit (ou, en matière extracontractuelle, le risque qu’une telle relation surgisse). La notion d’attentes des parties devrait cependant être comprise dans une perspective de certitude juridique, c’est-à-dire la formulation de règles déterminées par l’État et déterminables par le justiciable. La proximité, quant à elle, assure que l’ordre juridique désigné par la règle de conflit sera objectivement lié à la relation juridique en question. D’autres considérations se superposent à ces principes généraux, notamment la justice matérielle qui intervient parfois pour corriger un déséquilibre touchant des catégories de personnes, par exemple les consommateurs. Ces considérations d’ordre public altèrent la prétendue neutralité des règles de conflit : celles-ci cessent dès lors de désigner « aveuglément » un ordre juridique et considèrent plutôt la justesse du résultat pour les parties impliquées, ce qui traduit une conception moins orthodoxe de la norme[15].
Ces idéaux ne constituent pas nécessairement des règles de droit que les tribunaux peuvent s’approprier. Ce sont plutôt des principes relativement consensuels à l’aide desquels le législateur, les tribunaux et la doctrine développent les règles de conflit du droit international privé vers lesquelles nous nous tournons maintenant.
1.1 La codification québécoise : la protection des victimes à l’avant-plan
Au Québec, la règle de conflit applicable à la responsabilité du fabricant est énoncée dans l’article 3128 C.c.Q. Selon cette disposition, la loi applicable à la responsabilité du fabricant d’un bien meuble est régie par la loi du lieu d’établissement ou de résidence du fabricant, ou encore par la loi du lieu d’acquisition du bien en question, au choix de la victime.
Cette disposition adopte une approche résolument en faveur des victimes[16]. De droit nouveau[17], elle s’inspire du droit suisse qui autorise un choix similaire de la part de la victime[18]. Cependant, la loi suisse prévoit également la possibilité pour le fabricant de prouver qu’il n’a pas consenti à la commercialisation du produit dans l’État où celui-ci a été acquis, de façon à écarter l’application de ce facteur de rattachement[19]. Le législateur québécois n’a pas retenu cette défense, au motif qu’elle « restreint de façon trop importante le choix de la victime et qu’elle ne correspondait pas aux cas d’exonération de responsabilité retenus en droit interne[20] ». Cette défense figurait à l’avant-projet de loi, mais avait été critiquée par les professeurs Gérald Goldstein et Jeffrey A. Talpis, selon qui la défense alimenterait les litiges et diminuerait la protection de la victime[21]. La doctrine a finalement bien accueilli la mouture définitive de la disposition, estimant que les facteurs de rattachement codifiés à l’article 3128 C.c.Q. demeuraient suffisamment prévisibles pour le fabricant en dépit de l’absence d’une telle défense[22].
1.2 La common law au Canada : une particularisation de la lex loci delicti
Dans les provinces de common law, la responsabilité du fabricant est régie par la règle de conflit applicable à la responsabilité délictuelle générale (torts), établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tolofson c. Jensen ; Lucas (tutrice à l’instance de) c. Gagnon[23]. Dans cet arrêt, la Cour suprême confirme l’application de la lex loci delicti, c’est-à-dire la loi du lieu du délit[24], facteur de rattachement que les tribunaux estiment plus prévisible, équitable et efficace que la loi du for qui s’appliquait jusqu’alors[25]. La majorité de la Cour suprême reconnaît cependant de potentielles difficultés dans la localisation du délit : « Certes il existe des situations, notamment lorsqu’un acte est accompli à un endroit, mais que ses conséquences se font sentir directement ailleurs, où la question de savoir où le délit lui-même a été commis pose des problèmes épineux. En pareil cas, il se peut bien que l’on juge que les conséquences constituent la faute[26]. »
La responsabilité du fabricant est l’une de ces situations où il se révèle ardu de localiser le délit puisque la fabrication d’un produit et les conséquences générées par son défaut se produisent souvent dans des États différents[27]. À cet égard, l’arrêt Moran c. Pyle National (Canda) Ltd.[28], qui est le premier arrêt de la Cour suprême à mentionner la notion de lien réel et substantiel entre l’État et le litige[29], enseigne ceci :
[L]orsqu’un défendeur étranger a fabriqué de façon non diligente, dans un ressort étranger, un produit qui est entré par les voies normales du commerce, et qu’il savait ou devait savoir, à la fois, qu’un consommateur pouvait fort bien subir un dommage par suite de ce manque de diligence et qu’il était raisonnablement prévisible que le produit serait utilisé ou consommé à l’endroit où le demandeur l’a effectivement utilisé ou consommé, alors le forum dans lequel le demandeur subit des dommages a le droit d’exercer ses pouvoirs judiciaires sur ce défendeur étranger[30].
L’arrêt Moran a été rendu dans le contexte d’un conflit de compétence, mais la jurisprudence l’a transposé au domaine des conflits de lois[31]. C’est ainsi grâce aux arrêts Tolofson et Moran que les tribunaux ont déterminé que la loi applicable à la responsabilité du fabricant était celle du lieu où le dommage avait été subi dans la mesure où le fabricant pouvait raisonnablement prévoir l’utilisation du produit à cet endroit[32].
Cette solution est particulièrement souple. Par exemple, dans l’affaire Ostroski c. Global Upholstery Co.[33], le produit défectueux — une chaise — avait été fabriqué en Ontario, mais le dommage avait été subi par une personne domiciliée en Pennsylvanie qui était tombée de la chaise à cet endroit. La victime avait intenté une procédure judiciaire contre le fabricant en Ontario. Le juge Thomas R. Lofchik observe : « I cannot help but observe that when one considers the fairness of this result under the circumstances, it does not seem inherently unfair that it is brought about by the application of the law of the jurisdiction in which the plaintiff resides, in which she sustained the injury and was treated for the injury and suffered the financial consequences of the injury[34]. »
Le juge Thomas R. Lofchik conclut donc que la loi de la Pennsylvanie s’appliquait en l’espèce en vertu des arrêts Moran et Tolofson, puisque c’était dans cet État que le dommage avait été subi par le demandeur[35].
1.3 Le Règlement de Rome II : une cascade de facteurs de rattachement
Le Règlement de Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles a été adopté par le Parlement européen le 11 juillet 2007 et est entré en vigueur le 11 janvier 2009. La règle de conflit relative à la responsabilité du fabricant a cependant failli ne pas voir le jour, les discussions initiales au Parlement européen ayant plutôt envisagé une seule règle applicable à toutes les activités délictuelles. Cette approche a ultimement été rejetée au motif qu’elle n’était pas suffisamment prévisible pour le fabricant et une règle de conflit indépendante a été promulguée[36].
Dans le paragraphe du préambule consacré à la responsabilité du fabricant, le Règlement de Rome II insiste sur les objectifs de « juste répartition des risques dans une société moderne caractérisée par un degré élevé de technicité[37] », de « protection de la santé des consommateurs », de « stimulation de l’innovation[38] », de « garantie d’une concurrence non faussée[39] » et de « facilitation des échanges commerciaux[40] ». En vue de mettre en oeuvre ces objectifs, la règle de conflit se présente sous la forme d’un système en cascade de facteurs de rattachement qui s’apparente à ceux de la Convention de La Haye que nous examinerons plus bas[41]. L’article 5 du Règlement de Rome II se lit ainsi :
1. Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 2, la loi applicable à une obligation non contractuelle découlant d’un dommage causé par un produit est :
a) la loi du pays dans lequel la personne lésée avait sa résidence habituelle au jour du dommage, si le produit a été commercialisé dans ce pays ; ou à défaut
b) la loi du pays dans lequel le produit a été acheté, si le produit a été commercialisé dans ce pays ; ou à défaut
c) la loi du pays dans lequel le dommage est survenu, si le produit a été commercialisé dans ce pays[42].
Toutefois, la loi applicable est celle du pays dans lequel la personne dont la responsabilité est invoquée a sa résidence habituelle, si cette personne ne pouvait raisonnablement pas prévoir la commercialisation du produit ou d’un produit du même type dans le pays dont la loi est applicable en vertu des points a), b) ou c) :
2. S’il résulte de toutes les circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question[43].
Comme l’article 5 l’indique, ce dernier doit être lu conjointement avec l’article 4 (2) du Règlement de Rome II qui édicte que, « lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique[44] ».
Notons que, contrairement au droit canadien, la troisième possibilité envisagée par l’article 5 (1), c’est-à-dire l’application de la loi du pays dans lequel le dommage est survenu, fait référence au lieu de fabrication du produit et non au lieu où le dommage est subi par la victime. C’est en effet ce qu’a récemment décidé la Cour européenne de justice dans une affaire portant sur le Règlement concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I)[45] et appliquée par les tribunaux anglais à un conflit de lois dans l’affaire Allen & Al. v. Deputy International Limited[46]. Nous y reviendrons plus bas[47].
L’article 5 a été sévèrement critiqué par des auteurs en raison de sa complexité[48]. Pour certains, cette complexité s’expliquerait par la grande influence exercée par les lobbys de consommateurs et de fabricants au sein de la Commission européenne : lors de l’adoption du Règlement de Rome II, ceux-ci auraient été particulièrement vigoureux dans la défense de leurs intérêts respectifs[49]. Cette position ne fait cependant pas l’unanimité. Le professeur Symeon C. Symeonides, par exemple, estime en se fondant sur l’expérience américaine que le fonctionnement de l’article 5 pourrait en pratique s’avérer plus simple que sa structure ne le suggère puisqu’il est relativement aisé de mettre en preuve le fait qu’un produit a été commercialisé dans un pays donné[50].
Ce tour d’horizon terminé, examinons maintenant les implications de ces régimes qui, il faut le dire, ont bien peu en commun, si ce n’est leur objet.
2 Le Code civil du Québec, une approche qui laisse perplexe
Nous procéderons ici à une analyse critique des quatre facteurs de rattachement qui font normalement l’objet d’un débat en matière de responsabilité du fabricant, tout en nous référant à l’article 3128 C.c.Q., qui constitue le point d’ancrage de notre réflexion.
Une observation s’impose de prime abord. L’article 3128 C.c.Q. confère à la victime la faculté de choisir parmi les rattachements alternatifs prévus, choix que l’on devine guidé par les probabilités d’indemnisation[51]. À l’époque de l’avant-projet de loi, les professeurs Gérald Goldstein et Jeffrey A. Talpis avaient critiqué cet aspect de la règle de conflit puisqu’il ne s’agit pas d’un domaine gouverné par l’autonomie de la volonté[52].
Ce régime optionnel constitue en fait une règle de conflit à facteurs de rattachement alternatifs[53]. Ce type de règle conférant une discrétion au demandeur est peu fréquent dans le Code civil du Québec, et l’on comprend bien pourquoi. D’emblée, cette structure favorise systématiquement l’une des parties au détriment de l’autre. Comme la professeure Catherine Walsh l’explique, « a choice of law rule that systematically advantages plaintiffs and systematically burdens defendants prima facie raises problems of fairness[54] ». Si l’autonomie de la volonté est en principe reconnue en maintes matières par le droit international privé, notamment en matière d’actes juridiques[55], l’option offerte au demandeur dans le cas d’une règle de conflit à facteurs de rattachement alternatifs n’est pas du même acabit. Dans la première situation, les parties à un acte juridique consentent au préalable à l’application d’une loi donnée, l’autonomie de la volonté étant en fait une autonomie des volontés qui se rencontrent. Dans la même veine, les parties peuvent parfois s’entendre sur la loi applicable à la responsabilité extracontractuelle une fois le dommage survenu et le litige matérialisé[56]. Dans la seconde situation cependant, le choix de la loi par le demandeur au moment d’intenter un recours en justice est un choix unilatéral. Le défendeur ne peut ni y consentir ni le prévoir.
Une telle règle provoque donc une augmentation des coûts de transaction pour le fabricant engagé dans le commerce international. De deux lois potentiellement applicables, la plus sévère s’appliquera, ce que le fabricant devra envisager dans la conduite de ses opérations[57]. Cette sévérité peut se traduire par l’attrait du cadre procédural imposé au demandeur (par exemple, des présomptions facilitant la démonstration d’une faute ou d’un dommage), ou encore par l’attrait du résultat que le demandeur est susceptible d’obtenir. Dans le premier cas, le risque d’une condamnation est magnifié, alors que dans le second, c’est l’ampleur de celle-ci qui s’en trouve augmentée. Dans les deux cas, le risque pour le fabricant est plus élevé.
À notre avis, quoiqu’on pense de l’importance ou non de faciliter le commerce international[58], il ne peut s’agir d’un dogme pour le droit international privé. Offrir la possibilité au demandeur de choisir l’une ou l’autre de deux lois potentiellement applicables au litige ne cause pas en soi une incertitude à ce point préjudiciable au défendeur qu’elle devrait être écartée, du moins pas en matière de responsabilité du fabricant. Tout dépend des lois susceptibles d’être désignées. Cette option est moins problématique qu’elle n’y paraît pour deux raisons essentiellement pragmatiques.
Premièrement, une telle option fait déjà partie de la démarche méthodologique du droit international privé. En matière de filiation, par exemple, la loi applicable est celle du domicile ou encore de la nationalité de l’enfant ou de l’un de ses parents, au moment de la naissance de l’enfant, selon celle qui est la plus avantageuse pour celui-ci[59]. La règle de conflit tend ainsi à favoriser une personne — l’enfant — en prévoyant l’alternance des facteurs de rattachement selon la solution la plus favorable à celui-ci.
Deuxièmement, le choix du législateur reflété par l’article 3128 C.c.Q. n’est tout au plus qu’une preuve concrète de ce que nous avancions plus haut quant au principe de neutralité de la règle de conflit[60]. Ici, l’orthodoxie d’une règle de conflit neutre cède le pas à une orientation claire : la règle est promulguée non pas comme oeillère qui guide le décideur vers un résultat prédéterminé, mais comme une règle de droit substantif en phase avec le reste du droit interne dans lequel elle s’insère[61]. Offrir à la victime le choix de la loi la plus favorable à l’indemnisation ne devrait surprendre personne, la responsabilité civile du fabricant en droit québécois ayant été élaborée précisément dans l’optique de la protection du consommateur[62].
Donner le choix à la victime ne pose donc pas problème en soi[63]. Il en va cependant autrement des facteurs de rattachement parmi lesquels le législateur permet à la victime de choisir. C’est cette question que nous examinerons maintenant.
2.1 L’option A : établissement ou résidence du fabricant
Au Québec, c’est la justice matérielle qui a fondé l’abandon de la lex loci delicti au profit de la loi de la résidence ou de l’établissement du fabricant comme premier volet de l’option prévu dans l’article 3128 C.c.Q.[64]. Comme la professeur Catherine Walsh l’explique, la règle est ainsi fondée non pas sur une conception territoriale du conflit de lois, mais plutôt sur le souci de promouvoir certains des objectifs du régime substantiel de responsabilité du fabricant, soit l’indemnisation des victimes et la prévention du dommage[65]. À première vue, si l’on cherche à maintenir un niveau acceptable de sécurité des produits, appliquer la loi de la résidence ou de l’établissement du fabricant semble logique, du moins lorsque cette loi est sévère. En effet, de la perspective du for, l’application de la loi du lieu d’établissement ou de résidence du fabricant incite le fabricant étranger à maintenir de hauts standards de sécurité pour ses produits, même si ceux-ci sont ultérieurement commercialisés dans des pays où les lois sont plus laxistes. La réputation du fabricant à l’étranger s’en trouvera renforcée. Pourtant, l’établissement ou le domicile du fabricant n’est pas un facteur repris dans les provinces de common law et en Europe (autrement que de façon subsidiaire dans ce dernier cas) et n’est défendu que dans quelques décisions américaines isolées[66].
L’approche laisse en effet perplexe. D’abord, il est difficile de déterminer l’établissement dont il est question ici. Qu’en est-il d’une entité dotée de multiples établissements chacun responsable de produits distincts ou de composantes distinctes d’un même produit ? Prenons par exemple l’affaire Lamothe c. Chrysler Canada[67] jugée par la Cour du Québec en 2009, où le demandeur québécois cherchait à faire appliquer la loi québécoise à un litige concernant une voiture achetée chez un concessionnaire Chrysler en Ontario. La Cour du Québec s’est dite d’avis que, en application de l’article 3128 C.c.Q., le défendeur — la maison mère Chrysler Canada, domiciliée et ayant son établissement en Ontario — avait plutôt son établissement au Québec puisque le service après-vente aux clients québécois s’effectuait à partir des établissements québécois de Chrysler Canada.
La Cour d’appel offre certains éclaircissements sur la notion d’« établissement » en droit international privé dans l’arrêt Interinvest (Bermuda) Ltd. c. Herzog[68]. Cette affaire concernait le facteur de rattachement juridictionnel prévu par l’article 3148 al. 1 (2) C.c.Q., soit la présence d’un établissement de la personne morale défenderesse au Québec, dans la mesure où le litige porte sur l’activité de cette dernière dans la province. La Cour d’appel, sous la plume du juge Dalphond, écrit :
Je retiens de cette analyse qu’une société peut avoir, en plus de son siège, divers établissements ou places d’affaires, qu’un établissement est l’endroit où une entreprise est exploitée, soit un lieu physique offrant une certaine stabilité, et que la détermination de l’existence au Québec d’un établissement est une question essentiellement factuelle. Le défaut de s’immatriculer au Québec ou de produire une déclaration annuelle n’est pas déterminant[69].
La Cour d’appel conclut qu’une personne morale ayant un établissement au Québec peut être poursuivie dans la province si elle y a un établissement et que le litige concerne les activités de cet établissement, « même si les décisions relatives à cette activité n’ont pas été prises par l’établissement au Québec[70] ».
L’article 3148 al. 1 (2) C.c.Q. mentionne le Québec comme lieu où la personne morale possède un établissement. L’article 3128 C.c.Q. souligne plutôt le lieu où le fabricant a son établissement. La signification de ces mots est ambiguë : soit le législateur suppose qu’il n’existe qu’un seul établissement, soit le législateur présume qu’il peut y en avoir plusieurs, tout en édictant qu’ils constituent tous des rattachements valides a priori[71]. Surtout à la lumière de l’arrêt Herzog, la seconde option semble plus réaliste — après tout, nul ne prétend qu’une entreprise peut n’avoir qu’un seul établissement[72] … mais encore faut-il que ces établissements présentent un lien avec le litige. L’article 3148 al. 1 (2) C.c.Q. réduit les établissements possibles à ceux qui sont directement visés par le litige, mais le libellé de l’article 3128 C.c.Q. ne comporte pas de telle limitation. La conclusion dans l’affaire Chrysler selon laquelle l’établissement pertinent est l’établissement québécois apparaît logique dans la mesure où c’est de là que s’effectuait le service après-vente du véhicule, mais l’on oublierait alors que le seul défendeur partie au litige était la maison mère qui avait son établissement en Ontario[73]. Sans se buter à ce détail propre aux faits de l’affaire Chrysler, nous estimons tout de même difficile de déterminer avec précision pourquoi, en principe, l’établissement chargé de la vente ou de l’entretien serait plus visé que celui où le produit est fabriqué, ou même que celui où certaines composantes essentielles sont assemblées. Le facteur de rattachement choisi par le législateur québécois devient dès lors une boîte de Pandore qu’il est bien difficile de refermer.
D’autres raisons militent contre ce facteur de rattachement. Au Québec, c’est uniquement lorsque la loi du domicile du résident offre un avantage à la victime que l’on estime qu’elle devient pertinente dans le conflit de lois, en raison de la structure de la règle de conflit à facteurs de rattachement alternatifs[74]. Cela équivaut donc à offrir en toutes circonstances à la victime le bénéfice de cette loi qui ne présente pas nécessairement une grande proximité avec les faits de l’espèce. Offrir une option à la victime n’est peut-être pas problématique, mais encore faut-il que les options offertes aient quelque chose à voir avec le produit en cause.
Enfin, la légitimité politique d’une telle manoeuvre législative se révèle douteuse. La possibilité qu’un résident du Québec subisse un dommage du fait d’un produit issu d’un fabricant étranger devrait en principe pouvoir justifier l’application de la loi québécoise à la réclamation de la victime, le Québec ayant intérêt à réguler la conduite d’une entreprise dont les activités créent un risque sur son territoire. Cela ne devrait cependant pas justifier l’application par le Québec d’une loi étrangère (celle du lieu de résidence du fabricant) à la même situation. Après tout, comme le souligne la professeure Catherine Walsh, pourquoi un État déclarant avoir intérêt à réguler la conduite du fabricant sur son territoire appliquerait-il une loi étrangère pour ce faire ? Outre le manque de légitimité d’une telle règle de conflit, le résultat net de l’application de la loi du domicile du fabricant est un fardeau imposé aux fabricants étrangers qui doivent faire concurrence à des fabricants locaux, tout en se voyant imposer la loi plus sévère de leur propre résidence[75].
Ce rattachement est donc problématique à plusieurs égards. Le Règlement de Rome II le confirme implicitement, puisqu’il prévoit que la loi du domicile du fabricant ne sera appliquée que si le fabricant ne pouvait pas prévoir la commercialisation d’un produit semblable aux lieux de résidence de la victime, d’acquisition du produit ou de survenance du dommage[76]. Cet aspect du Règlement de Rome II a été souligné de façon positive par le professeur Peter Stone :
[I]t also seems at any rate defensible to choose, as the Rome II Regulation has chosen, to deny the victim the benefit of a favourable law where he has little connection with the country in question […] [W]here no country has a sufficient connection with both parties, one should ensure that the choice of law is not unfair to the defendant. Preference for defendants over plaintiffs in doubtful situations reflects a primordial legal value, and is exemplified by the normal rule which places the burden on the plaintiff of proving facts justifying his claim[77].
Il s’agit d’une solution appropriée permettant d’intégrer ce facteur de rattachement à la règle de conflit tout en conservant intacts le principe de proximité et la saine concurrence entre fabricants locaux et étrangers — saine concurrence qui figure d’ailleurs parmi les objectifs du Règlement de Rome II[78]. Elle a également pour avantage de régler les problèmes interprétatifs analogues à celui qui s’est présenté dans l’affaire Chrysler relativement à la notion d’établissement, et ce, sans avoir recours systématiquement à une clause échappatoire telle que l’article 5 (2) du Règlement de Rome II ou l’article 3082 C.c.Q.[79].
2.2 Les options B1 et B2 : domicile ou résidence de la victime et lieu d’acquisition du bien
En matière de responsabilité du fabricant, le droit international privé tend — une fois le lieu de résidence du fabricant écarté — à privilégier le lieu de résidence de la victime (ou encore le lieu où le dommage est subi) ou le lieu d’acquisition du bien[80]. L’approche du Règlement de Rome II consiste à choisir la résidence de la victime plutôt que le lieu d’acquisition, dans la mesure où le produit en question a été commercialisé au lieu de résidence de la victime[81]. L’article 3128 C.c.Q. opte plutôt pour le lieu d’acquisition du bien[82].
S’il semble que, la plupart du temps, la résidence de la victime et le lieu d’acquisition du bien coïncident[83], la question du rattachement à privilégier se pose néanmoins. Pensons notamment aux situations où une personne acquiert un bien dans un pays étranger, puis le transporte au lieu de sa résidence où elle y subit un dommage résultant d’une défectuosité. Le regretté professeur H. Patrick Glenn estimait qu’une telle situation « se trouve en relation beaucoup plus étroite avec la loi de la résidence qu’avec la loi du lieu d’acquisition[84] », alors qu’en Europe on semble plutôt d’avis que l’État où le produit a été acquis a intérêt à réglementer son commerce intérieur et qu’en plus cet État possède un lien avec la victime et le fabricant[85].
Les deux rattachements ne sont pas sans soulever certaines difficultés.
Le lieu d’acquisition (et plus largement le lieu de distribution) bénéficie d’un certain appui doctrinal[86], mais il peut être difficile à établir[87] et surtout pourrait n’avoir aucune relation avec la chaîne de distribution du fabricant[88]. Certes, si le produit est fabriqué en France et vendu à une personne au Canada par l’entremise d’un établissement du fabricant, la loi du lieu d’acquisition peut légitimement être considérée dans la mesure où elle présente une proximité certaine avec le litige. Cependant, et ce n’est pas là un écueil mineur, qu’en est-il des personnes n’ayant pas directement acquis le bien ? On peut en effet se demander si l’article 3128 C.c.Q. concerne uniquement les victimes directes, c’est-à-dire celles qui ont acquis le produit elles-mêmes[89]. Le professeur Gérald Goldstein évoque l’hypothèse d’une personne n’ayant pas acheté le bien, mais subissant un dommage direct au lieu de sa résidence. Par exemple, les victimes des dommages causés par le déraillement d’un convoi de pétrole brut à Lac-Mégantic n’ont pas acquis les wagons de quelque façon que ce soit. Ils sont des spectateurs innocents (innocent bystanders). Or, si ces wagons finissaient par se trouver au coeur d’un litige soulevant la responsabilité de leur fabricant à l’égard des victimes[90], la loi applicable serait-elle celle du lieu de leur acquisition par l’acheteur ? Me Lindy Rouillard-Labbé, quant à elle, soumet l’exemple d’un tiers électrocuté par un appareil défectueux lors d’une visite chez un ami[91]. Ce tiers victime n’a jamais acquis le bien défectueux. Pourtant, la situation semble a priori visée par l’article 3128 C.c.Q. Bref, lorsque le demandeur est un spectateur innocent, il n’existe pas nécessairement de lien de proximité avec le lieu de l’acquisition puisque l’acheteur n’est alors pas en cause. C’est donc la portée même du mot « acquisition » qui est incertaine. S’agit-il du lieu de transfert de propriété ? Seul ce transfert serait alors visé. S’agit-il du lieu où le bien est entré dans la « sphère d’influence » de la victime ? Le lieu d’acquisition correspondrait alors au lieu d’utilisation si la victime est une tierce partie[92].
Le problème est d’autant plus sérieux qu’au Québec le rattachement avec le lieu d’acquisition est dépourvu d’une condition préalable de commercialisation ou de prévisibilité : le Code civil peut ainsi désigner la loi du lieu d’acquisition, même si celui-ci ne possède aucun lien avec la victime (le lieu d’acquisition ne constituant pas nécessairement son milieu de vie) ni avec le fabricant (qui ne contrôle peut-être pas la vente ou l’utilisation du produit à cet endroit). La revente est un excellent exemple. Si un produit n’est pas vendu au Québec au motif que le fabricant ne souhaite pas se conformer à la législation sur l’usage du français dans la province, il se peut néanmoins que le produit soit revendu au Québec par les acheteurs initiaux.
Quant au lieu de résidence de la victime, d’autres points de contact sont nécessaires pour qu’il s’agisse d’une option suffisamment certaine du point de vue du défendeur. D’ailleurs, dans les faits, l’État où la victime réside possède souvent un ou plusieurs rattachements additionnels avec le litige[93]. Cela nous semble correspondre à la raison d’être de l’exception de commercialisation du Règlement de Rome II, c’est-à-dire de rendre légitime le recours à la loi du lieu de la résidence de la victime si un second rattachement y est joint[94]. Dans un tel cas, et seulement dans un tel cas, préférer le lieu de résidence de la victime au lieu d’acquisition pourrait favoriser la protection de la victime tout en se justifiant davantage sur le plan de la proximité[95]. Cela rejoint la logique exprimée par la professeure Janet Walker :
Where [the] group is defined as a group of consumers in a particular country, it is reasonable to assume that the products must conform to the consumer protection standards of that country (regardless of where the products originate). If the products fail to meet those standards and cause harm to a consumer in that country the recovery standards of that country will apply. However, where a consumer obtains a product in one country and is harmed by it in a country in which the producer would not reasonably expect the product to have been used or consumed, it is unjust to apply the standards of the country in which the harm was actually suffered[96].
La même logique semble sous-tendre la règle de common law exprimée dans l’arrêt Moran[97] — loi du lieu où le dommage a été subi, dans la mesure où le fabricant pouvait raisonnablement prévoir l’utilisation du produit à cet endroit — que nous abordons maintenant.
2.3 L’option C : lieu du délit
Cependant, comme la Cour suprême l’a admis dans l’arrêt Tolofson, le lieu où le délit a été commis est parfois difficile à établir lorsque le préjudice et le fait générateur du préjudice surviennent en des lieux distincts. En matière de responsabilité du fabricant, qu’entend-on réellement par le « lieu du délit » ?
Au Canada, on l’a vu, l’arrêt Moran enseigne que le lieu du délit est celui où le dommage a été subi par la victime. Autrement dit, les conséquences du fait dommageable constituent la faute dont on tient compte afin de localiser le délit. Ce postulat est fondé en grande partie sur l’idée qu’un État porte « grand intérêt […] aux blessures subies par ceux qui se trouvent sur son territoire[98] ». Au Québec, l’article 3126 C.c.Q. met en avant la même règle en matière de responsabilité extracontractuelle générale dans les cas où le préjudice se matérialise dans un autre lieu que le fait générateur du préjudice[99].
En Europe, pourtant, des rebondissements jurisprudentiels récents nous enseignent que le lieu où le « fait dommageable » se produit est le lieu où le produit a été fabriqué. En effet, la Cour européenne de justice, dans l’arrêt Kainz c. Pantherwerke, a interprété des mots similaires du Règlement de Bruxelles I[100] relatif à la compétence des tribunaux comme signifiant que le délit survient au moment de la fabrication du produit[101]. Cette conclusion s’avère logique lorsqu’il est question de la compétence internationale du tribunal — les moyens de preuve et l’organisation du procès s’en trouveront d’autant facilités si celui-ci se déroule au lieu de fabrication du produit que l’on dit défectueux. Toutefois, ces considérations ne s’appliquent pas nécessairement au moment de déterminer la loi applicable. Qu’importe, dit la High Court du Royaume-Uni dans l’arrêt Allen : la même logique sous-tend le Règlement de Rome II[102].
Une telle divergence appelle à la prudence dans la sélection de ce facteur de rattachement. Il semble à première vue souhaitable que, en matière de responsabilité du fabricant, le degré de proximité exigé fasse référence aux activités de ce dernier. En effet, il consent à être soumis à la loi d’un État où il exerce ses activités[103]. Si l’on accepte ce postulat, le lieu de fabrication du produit paraît au premier abord être un meilleur rattachement que le lieu où le dommage résultant de l’utilisation survient. La fabrication du produit constitue une des activités du fabricant sur un territoire donné. Cependant, comme le lieu de fabrication du produit recoupe la notion d’établissement, on aboutit à des problèmes analogues à ceux que nous avons mentionnés plus haut[104]. Par ailleurs, la loi applicable pourrait n’avoir rien à voir avec la victime, ni même avec le fabricant si celui-ci a transféré l’ensemble de la production dans un pays tiers.
Aux fins de localisation du fait dommageable, il nous apparaît souhaitable d’adopter le lieu où le dommage est subi par la victime plutôt que le lieu où l’acte fautif a été commis. D’une part, ce lieu est déterminable par le fabricant si celui-ci commercialise le produit à cet endroit. En fait, la commercialisation d’un produit est une autre de ces activités qui, pour le fabricant, sont raisonnablement susceptibles d’entraîner l’application de la loi locale. Celui-ci peut ainsi organiser ses opérations avec davantage de certitude juridique. D’autre part, le lieu du dommage comme facteur de rattachement se justifie par « la conception moderne de la responsabilité civile comme un outil de compensation de préjudice plutôt que de sanction de la faute[105] ».
À cet égard, la notion de lieu d’utilisation « raisonnablement envisageable[106] » dans l’arrêt Moran apparaît très faible. Ces mots font référence à la prévisibilité et se distinguent de la commercialisation elle-même, beaucoup moins subjective. L’article 5 du Règlement de Rome II s’y réfère dans un paragraphe distinct que l’on appelle généralement la « clause de prévisibilité[107] ». À notre avis, une telle clause est trop vague. Pensons au cas où le produit a été utilisé dans plusieurs États, et dont la défectuosité a pu résulter de son utilisation cumulative dans ces États. Faire référence à l’endroit où un produit a été utilisé plutôt qu’introduit ouvre la porte à un débat factuel qui occulte des rattachements autrement plus significatifs (tels que la commercialisation objective du produit dans un État donné, aisément applicable par les tribunaux et facilement déterminable par le fabricant). Par ailleurs, de nombreux fabricants pourraient être au fait que leurs produits seront vraisemblablement utilisés dans des États où ils n’ont pas consenti à leur commercialisation, par exemple lorsqu’un produit est écoulé sur le marché noir ou revendu illégalement. Dans un tel scénario, le fabricant ne consent pas à l’utilisation du produit dans un État donné, mais peut néanmoins « prévoir » cette utilisation, ce qui déclencherait l’application de la loi de cet État. Ce serait un résultat pour le moins étrange.
Nous préférons la notion de commercialisation à celle d’utilisation prévisible, puisque la première concilie plus efficacement les principes d’équité et de stabilité que la seconde. Dans l’arrêt Club Resorts Ltd. c. Van Breda[108], le juge Louis LeBel écrit qu’« une règle de droit international privé fondée sur des liens précis apporterait vraisemblablement une certitude accrue dans l’interprétation et l’application des principes de droit international privé au Canada[109] ». Il rappelle aussi le danger « d’établir un régime de droit international privé fondé uniquement sur les attentes des parties et le souci d’équité dans une affaire donnée[110] ». Selon nous, le critère de la prévisibilité incorporé au facteur de rattachement mentionné dans l’arrêt Moran est indûment axé sur les attentes des parties. En ce sens, il n’est pas suffisamment fiable, dans la mesure où « [l]a nature des rapports régis par le droit international privé interdit de réduire le cadre applicable à la déclaration de compétence à un régime précaire et ponctuel élaboré sur le coup au cas par cas, aussi louable que soit l’objectif d’équité individuelle[111] ». La notion de commercialisation est donc à privilégier.
En somme, bien que l’arrêt Moran souligne à la fois la commercialisation et la prévisibilité de l’usage du produit dans un lieu donné[112], nous estimons qu’il faut s’en éloigner sur ce point. D’ailleurs, dans l’affaire Ostroski[113], le magistrat omet cette notion de prévisibilité. Il se contente plutôt de localiser le lieu où la blessure a été subie selon les enseignements des arrêts Moran et Tolofson. Le résultat lui-même nous apparaît parfaitement acceptable.
2.4 Quelques mots sur la Convention de La Haye
Terminons par un bref aperçu de la solution proposée en 1973 par la Conférence de La Haye de droit international privé. La Convention du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits demeure en vigueur dans certains États, par l’effet du Règlement de Rome II qui en préserve l’application[114]. Son utilité pratique est limitée, mais les facteurs de rattachement proposés sont intéressants et rejoignent en partie nos propos. La structure de la Convention de La Haye est la suivante :
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D’abord, la loi applicable est celle du lieu de la résidence habituelle de la victime, si ce lieu est aussi celui de l’établissement principal du fabricant ou de l’acquisition du produit par la victime (art. 5) ;
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À défaut, la loi applicable est celle du lieu où le fait dommageable s’est produit, si ce lieu est aussi le lieu de la résidence habituelle de la victime, de l’établissement principal du fabricant ou de l’acquisition du bien par la victime (art. 4) ;
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À défaut, la loi applicable est celle du lieu du principal établissement du fabricant, à moins que le demandeur ne se fonde sur la loi du lieu où le fait dommageable s’est produit (art. 6) ;
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Toutefois, aucune de ces lois n’est applicable si le fabricant ne pouvait raisonnablement prévoir que le produit ou des produits de même type seraient commercialisés dans l’État considéré (art. 7) ;
Sans revenir sur nos remarques précédentes, notons que la Convention de La Haye règle certains des problèmes exposés, notamment :
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n superposant plusieurs facteurs de rattachement, ce qui assure ainsi une plus grande proximité avec le litige ;
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en clarifiant le problème des victimes indirectes par une référence à l’acquisition du bien par la victime elle-même ; et
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en prévoyant une défense de prévisibilité qui profite au fabricant — sous réserve de la malléabilité d’une telle défense, comme nous l’avons précisé plus haut. Le problème de la localisation du fait dommageable demeure cependant entier.
Ayant examiné les structures à notre disposition, nous croyons que la règle de conflit de l’article 3128 C.c.Q. n’est pas un modèle à suivre. Outre qu’il retire au fabricant le bénéfice d’une défense de commercialisation somme toute raisonnable, l’article 3128 C.c.Q. édicte deux facteurs de rattachement dont le bien-fondé est douteux, du moins tels qu’ils sont formulés. Les régimes de la common law canadienne et du droit européen nous paraissent plus acceptables. Nous sommes d’accord avec la priorité accordée par le Règlement de Rome II au rattachement avec la résidence de la victime si le produit y a été commercialisé et nous y ajouterions de façon subsidiaire le lieu où le dommage a été subi si le produit y a été commercialisé. La notion de commercialisation s’avère importante en ce qu’elle tient compte du contrôle qu’exerce le fabricant sur ses opérations. Toutefois, nous écarterions la notion de prévisibilité, plus vague que la notion de commercialisation et propice à des litiges complexes. C’est seulement à défaut de commercialisation que la loi du lieu de l’établissement ou de la résidence du fabricant devrait être invoquée.
Par ailleurs, si les rattachements proposés n’étaient pas concluants, il serait toujours possible d’utiliser une clause échappatoire spécifique. Une telle clause pourrait notamment tenir compte de la présence d’une relation préexistante entre les parties pour évaluer si un autre système juridique comporte des liens plus étroits avec le litige, un peu comme le fait l’article 5 (2) du Règlement de Rome II[115]. Certes, l’article 3082 C.c.Q. prévoit que, « [à] titre exceptionnel, [la] loi désignée […] n’est pas applicable si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il est manifeste que la situation n’a qu’un lien éloigné avec cette loi et qu’elle se trouve en relation beaucoup plus étroite avec la loi d’un autre État[116] ». Cette clause échappatoire pourrait en principe intervenir et désigner une loi plus appropriée lorsque le rattachement proposé n’est pas concluant. Cependant, comme certains auteurs l’ont suggéré, une telle clause accommoderait mal une règle de conflit à facteurs de rattachement alternatifs, puisqu’elle court-circuiterait alors le choix explicite du législateur de renoncer au principe de proximité et de favoriser un résultat matériel (dans notre cas, l’indemnisation des victimes[117]). Enfin, même si l’article 3082 C.c.Q. est applicable dans de telles circonstances, il demeure périlleux d’y voir autre chose qu’un facteur correcteur exceptionnel[118], une règle générale qui ne tient pas nécessairement compte de la raison d’être de chacune des règles de conflit adoptées par le législateur.
Avant de conclure, nous nous pencherons sur les sources possibles de la responsabilité du fabricant et sur l’importance de la qualification de la question en droit international privé.
3 Des remarques finales sur la source de la responsabilité du fabricant
En droit interne, la responsabilité du fabricant peut être tant contractuelle qu’extracontractuelle. L’article 3128 C.c.Q. s’applique quelle que soit la source de la responsabilité du fabricant d’un bien meuble, c’est-à-dire qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle[119]. Cette large portée comporte cependant plusieurs difficultés.
Premièrement, le domaine de l’article 3128 C.c.Q. est paradoxal à l’égard des spectateurs innocents (innocent bystanders), puisque la notion d’« acquisition » du bien semble les exclure complètement, ce que nous avons déjà expliqué plus haut[120].
Deuxièmement, le domaine de l’article 3128 C.c.Q paraît écarter les règles de conflit portant sur la loi applicable à la responsabilité contractuelle[121] et au contrat de consommation[122] dans les cas où il y a effectivement eu « acquisition ». À tout le moins, ces règles de conflit se chevaucheraient[123]. Arrêtons-nous un instant sur ce second constat.
En matière de contrat de consommation, l’article 3117 C.c.Q. prévoit que les dispositions impératives de la loi du lieu de résidence d’un consommateur s’appliquent à certaines conditions, malgré la désignation d’une autre loi dans le contrat de consommation :
3117. Le choix par les parties de la loi applicable au contrat de consommation ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de l’État où il a sa résidence si la conclusion du contrat a été précédée, dans ce lieu, d’une offre spéciale ou d’une publicité et que les actes nécessaires à sa conclusion y ont été accomplis par le consommateur, ou encore, si la commande de ce dernier y a été reçue.
Il en est de même lorsque le consommateur a été incité par son cocontractant à se rendre dans un État étranger afin d’y conclure le contrat.
En l’absence de désignation par les parties, la loi de la résidence du consommateur est, dans les mêmes circonstances, applicable au contrat de consommation[124].
Dans les situations de chevauchement, la jurisprudence québécoise applique d’abord l’article 3117 C.c.Q.[125]. Par exemple, dans l’affaire Bousquet c. Acer America Corporation (Canada), le tribunal traite de l’article 3128 C.c.Q. de façon subsidiaire, seulement après avoir constaté que les conditions de l’article 3117 C.c.Q. ne sont pas remplies et que le droit québécois ne peut donc pas s’appliquer en vertu de cette disposition[126]. Cette attitude jurisprudentielle nous apparaît bien fondée. Comme nous l’avons vu, l’article 3128 C.c.Q. a été adopté dans une perspective de protection des victimes. Dans la mesure où de nombreux litiges impliquant la responsabilité du fabriquant ont pour origine un contrat de consommation au sens du Code civil du Québec[127], il serait contreproductif de priver le consommateur du bénéfice de l’article 3117 C.c.Q., qui prévoit qu’à certaines conditions les dispositions impératives de la loi du lieu de la résidence du consommateur s’appliquent malgré la désignation d’une autre loi dans le contrat.
Il existe également d’autres façons de concilier ces dispositions. Le professeur Gérald Goldstein suggère de limiter la portée de la « responsabilité du fabricant » aux produits dangereux plutôt que simplement viciés. Ainsi, la protection de l’article 3117 C.c.Q. continuerait de trouver application dans le cas des produits viciés[128]. Le tout deviendrait donc un problème de qualification, évalué selon le système juridique du for[129]. Il s’agit d’une hypothèse valide, mais une meilleure solution dans ces situations passerait probablement par une modification à la Loi sur la protection du consommateur qui s’inspirerait des initiatives d’autres gouvernements provinciaux. Quelques uns appliquent en effet aux fabricants étrangers leurs lois sur la protection du consommateur à certaines conditions, par l’entremise de dispositions s’apparentant à des règles de conflit unilatérales. Par exemple, la Loi sur la responsabilité et les garanties relatives aux produits de consommation du Nouveau-Brunswick comporte une disposition qui se lit comme suit :
27 (1) Le fournisseur d’un produit de consommation qui est démesurément dangereux pour les personnes ou les biens en raison d’un vice de conception, de matière ou de fabrication répond du préjudice de consommation que subit une personne dans la province du fait de ce vice s’il en était le résultat prévisible au moment où il a fourni le produit et s’il a fournit (sic) le produit, selon le cas :
a) à l’intérieur de la province ;
b) à l’extérieur de la province mais est intervenu dans la province de manière à y mener à un préjudice de consommation ;
c) à l’extérieur de la province mais que le vice découle, en tout ou en partie, de son défaut de se conformer à toute norme fédérale impérative en matière de santé ou de sécurité ou que le vice est à l’origine du défaut de conformité du produit à ces normes ;
d) à l’extérieur de la province mais au moment où il l’a fourni, il était raisonnablement prévisible que le produit serait utilisé ou consommé dans la province[130].
En droit international privé, ces dispositions constituent des règles matérielles, soit des règles qui s’appliquent directement à une situation comportant un élément d’extranéité sans désigner de loi applicable, et qui se « [préoccupent] uniquement d’une situation dans laquelle le droit compétent est le droit [de la province en question] sans envisager la situation où un droit étranger serait compétent[131] ». Au Québec, cette manoeuvre aurait pour effet d’assujettir à la loi québécoise les litiges impliquant un consommateur et portant sur la responsabilité du fabricant, puisque l’article 3076 C.c.Q. oblige à considérer ces règles comme ayant priorité sur les règles de conflit traditionnelles, ce qui donne ainsi une interprétation beaucoup plus restrictive du domaine de l’article 3128 C.c.Q. Un problème conceptuel demeure cependant : comme les professeurs Gérald Goldstein et Éthel Groffier l’expliquent, « si la règle matérielle donne elle-même la solution que le problème réclame, elle donne cela au même titre que n’importe quelle autre règle interne de n’importe quel autre système juridique[132] ». Autrement dit, pour qu’une telle règle matérielle trouve application, encore faut-il que le droit québécois soit désigné au préalable. Dès lors, la solution pragmatique préconisée par la jurisprudence, qui consiste à privilégier l’article 3117 C.c.Q. lorsque celui-ci est applicable, suffit à atténuer le conflit apparent entre les articles 3117 et 3128 C.c.Q. et permet ainsi d’atteindre les objectifs sous-tendant la Loi sur la protection du consommateur et l’article 3128 C.c.Q.[133].
Conclusion
De tout temps, la responsabilité civile en droit international privé a fait couler beaucoup d’encre[134], et il n’est sans doute pas surprenant de constater un flottement semblable à l’égard d’une forme plus spécifique de responsabilité, celle du fabricant. L’avènement du Règlement de Rome II a certainement apporté de l’eau au moulin et a stimulé la réflexion au cours des années subséquentes. À la lumière de ce qui précède, il nous semble qu’un article 3128 C.c.Q. remodelé pourrait se lire comme suit :
3128. La responsabilité extracontractuelle du fabricant d’un bien meuble est régie, au choix de la victime :
1° Par la loi de l’État dans lequel la victime a son domicile ou sa résidence, si le bien en cause y a été commercialisé par le fabricant [option B1] ; ou
2° Par la loi de l’État dans lequel le dommage est survenu, si le bien en cause y a été commercialisé par le fabricant [option C].
À défaut, la loi applicable est celle de l’État dans lequel le fabricant a son domicile ou son établissement principal [option A].
Si cette suggestion ne constitue évidemment pas une réponse exhaustive aux critiques formulées dans la présente étude, il n’en demeure pas moins qu’elle écarte des facteurs de rattachement problématiques, et que son application génère davantage de certitude, de légitimité et de justice.
Pour conclure, nous ne pouvons passer sous silence l’omniprésence de la notion de neutralité. En effet, on cherche trop souvent une règle de conflit dépouillée de tout biais et non susceptible de favoriser une partie plutôt qu’une autre. Toute désignation de la loi applicable par des moyens moins objectifs apparaît suspicieuse. Cette idée pivot en droit international privé confère certes à la règle de conflit une légitimité qu’elle ne posséderait pas si la loi désignée avantageait systématiquement le fabricant ou l’acquéreur. Cela dit, la règle de conflit est organiquement liée au droit substantif. Par exemple, les codificateurs ont écarté la défense de commercialisation précisément parce que celle-ci ne correspondait pas au droit interne à vigueur à l’époque. L’analyse économique de la théorie des conflits de lois nous fournit une autre illustration de ces vases communicants, certaines recherches ayant démontré qu’un biais provictime dans la règle de conflit peut provoquer un biais similaire dans le droit substantif, entraînant ainsi une augmentation de la sévérité des lois qui régissent la responsabilité du fabricant[135]. Le concept de neutralité occulte cette connexité entre règles de conflit et règles de fond et force à se fermer les yeux sur des considérations d’ordre public pourtant pertinentes dans les deux cas, par exemple la protection du consommateur et le rehaussement des standards de qualité des biens manufacturés. S’interroger directement sur ce qui est souhaitable ou non d’un point de vue législatif sera toujours préférable au confort de la démarche méthodologique conflictuelle classique appliquée sans nuance. En ce qui concerne le sujet particulier de notre étude, le concept de commercialisation constitue une clef de voûte susceptible de faire consensus sur le plan de la justice en droit interne, tout en réduisant le risque d’un biais législatif exagérément coûteux pour les fabricants sur le plan économique. La codification de l’article 3128 C.c.Q. a cependant placé le droit international privé québécois sur la mauvaise voie, et il est à souhaiter que cette défectuosité soit corrigée.
Appendices
Remerciements
Remerciements à la professeure Catherine Walsh, de l’Université McGill, pour ses commentaires relatifs à la première version de l’article, Me Marie-Pier Cloutier, Me Gabriel-Arnaud Berthold et Me Michael Shortt, pour leurs commentaires relatifs aux versions subséquentes, de même qu’aux évaluateurs anonymes des Cahiers de droit. Toute erreur demeure évidemment celle de l’auteur.
Notes
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[1]
Stuart Dutson, « Product Liability and Private International Law : Choice of Law in Tort in England », (1999) 47 Am. J. Comp. L. 129 ; Lawrence G. Theall et autres, Product Liability. Canadian Law and Practice, Toronto, Canada Law Book, 2014, feuilles mobiles, consultées le 7 janvier 2015, no 10 :10 ; Lindy Rouillard-Labbé, « Sources extracontractuelles des obligations », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Droit international privé, fasc. 32, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, no 3. Les commentateurs du livre X du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64 (ci-après « C.c.Q. »), reconnaissaient d’ailleurs avoir assisté à un phénomène de raffinement de la responsabilité du fabricant en droit interne au cours des dernières décennies : H. Patrick Glenn, « Droit international privé », dans Barreau du Québec et Chambre des notaires du Québec, La réforme du Code civil. Priorités et hypothèques, preuve et prescription, publicité des droits, droit international privé, dispositions transitoires, t. 3, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1993, no 64, p. 737 et 738.
-
[2]
S. Dutson, préc., note 1.
-
[3]
Une telle situation génère également des conflits de compétence, mais le conflit de lois entraîne davantage de difficultés : David F. Cavers, « The Proper Law of Producer’s Liability », (1977) 26 Int’l & Comp. L.Q. 703.
-
[4]
Voir à ce sujet la procédure intentée au Québec dans l’affaire Ouellet c. Rail World Inc., C.S. Mégantic, no 480-06-000001-132, j. Bureau.
-
[5]
C.c.Q., art. 3128.
-
[6]
Ce « contexte international » dépend de la présence d’un élément d’extranéité : en droit international privé, « [l]e facteur de rattachement est un lien avec le système juridique interne ou un système juridique étranger, alors que l’élément d’extranéité signale la possibilité d’un lien avec un système juridique étranger » (Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S. 801, 2007 CSC 34, par. 28).
-
[7]
Union européenne (UE), Règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), [2007] J.O., L 199/40, art. 5 (ci-après « Règlement de Rome II »). L’inclusion du Règlement de Rome II dans notre analyse se justifie par le fait que les règlements de Rome sont des instruments juridiques modernes et complets, susceptibles non seulement d’influencer le droit interne des pays qui y sont parties, mais aussi de renouer avec les efforts d’harmonisation du droit international privé dans ce domaine, particulièrement au sein de la Conférence de La Haye de droit international privé.
-
[8]
Convention sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, 2 octobre 1973, (1977) 1056 R.T.N.U. 187 (ci-après « Convention de La Haye »). Sur cette convention, voir généralement : Willis L.M. Rease, Rapport explicatif, La Haye, Imprimerie nationale, 1974 ; M.L. Saunders, « An Innovative Approach to International Products Liability : The Work of the Hague Conference on Private International Law », (1972) 4 Law & Pol’y Int’l Bus. 187.
-
[9]
Claude Emanuelli, Droit international privé québécois, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, no 569, p. 384.
-
[10]
C.c.Q., art. 3148 :
Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants :
1° Le défendeur a son domicile ou sa résidence au Québec ;
2° Le défendeur est une personne morale qui n’est pas domiciliée au Québec mais y a un établissement et la contestation est relative à son activité au Québec ;
3° Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s’y est produit ou l’une des obligations découlant d’un contrat devait y être exécutée ;
4° Les parties, par convention, leur ont soumis les litiges nés ou à naître entre elles à l’occasion d’un rapport de droit déterminé ;
5° Le défendeur a reconnu leur compétence.
Cependant, les autorités québécoises ne sont pas compétentes lorsque les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à naître entre elles, à propos d’un rapport juridique déterminé, à une autorité étrangère ou à un arbitre, à moins que le défendeur n’ait reconnu la compétence des autorités québécoises.
-
[11]
Infra, section 3.
-
[12]
Ces conséquences comprennent, par exemple, une augmentation des primes d’assurance versées par le fabricant. Voir l’analyse économique de Michael W. McConnell, « A Choice-of-Law Approach to Products-Liability Reform », Proceedings of the Academy of Political Science, vol. 37, no 1, 1988, p. 90 ; Bruce L. Hay, « Conflicts of Law and State Competition in the Product Liability System », (1991-1992) 80 Geo. L.J. 617. Voir généralement Erin A. O’hara (dir.), Economics of Conflict of Laws, t. 1, Cheltenham, Edward Elgar, 2007.
-
[13]
M.W. McConnell, préc., note 12, à la page 91. Voir aussi Symeon C. Symeonides, « Rome II and Tort Conflicts : A Missed Opportunity », (2008) 56 Am. J. Comp. L. 173, 209.
-
[14]
Voir généralement Gérald Goldstein et Éthel Groffier, Droit international privé, t. 2 « Règles spécifiques », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, no 461, p. 820.
-
[15]
De nombreux auteurs se penchent sur les fondements du droit international privé moderne et remettent en question son postulat de neutralité : Horatia Muir Watt, « Private International Law Beyond the Schism », (2011) 2 Transnational Legal Theory 347 ; Alex Mills, The Confluence of Public and Private International Law. Justice, Pluralism and Subsidiarity in the International Constitutional Ordering of Private Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.
-
[16]
Gérald Goldstein, Droit international privé, t. 1 « Conflits de lois : dispositions générales et spécifiques (Art. 3076 à 3133 C.c.Q.) », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, no 3128-550, p. 663.
-
[17]
La situation avant l’avènement du nouveau Code civil s’apparentait à celle qui était en vigueur dans les provinces de common law, où la lex loci delicti régnait. Voir à ce sujet : L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 4 ; Adrian Popovici, « Le “locus delicti” en droit international privé québécois », (1982-1983) 17 R.J.T. 463. Voir aussi l’affaire Mouzakiotis c. Goodyear Tire & Rubber Company of Canada, 2001 CanLII 19590, par. 80 (C.S.), (accident de voiture résultant d’une défectuosité imputable à la défenderesse).
-
[18]
« Suisse – Droit international privé. Loi fédérale sur le droit international privé, 18 décembre 1987 », (1988) 77 Revue crit. dr. int. privé 409 (ci-après « LDIP ») ; Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice. Le Code civil du Québec. Un mouvement de société, Québec, Les Publications du Québec, 1993, art. 3128 ; Cl. Emanuelli, préc., note 9, no 568, p. 383 ; G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 14, no 475, p. 847.
-
[19]
LDIP, préc., note 18, art. 135 (1) b).
-
[20]
Ministère de la Justice, préc., note 18, art. 3128. Voir aussi : G. Goldstein, préc., note 16, no 3128-555, p. 664 ; L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 14.
-
[21]
Gérald Goldstein et Jeffrey A. Talpis, « Analyse critique de l’avant-projet de loi du Québec en droit international privé », (1989) 91 R. du N. 456, 518.
-
[22]
G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 14, no 475, p. 847.
-
[23]
Tolofson c. Jensen ; Lucas (Tutrice à l’instance de) c. Gagnon, [1994] 3 R.C.S. 1022, par. 64 (ci-après « Tolofson ») ; Jean-Gabriel Castel et Janet Walker, Canadian Conflict of Laws, 6e éd., vol. 2, Markham, LexisNexis, 2005, feuilles mobiles, à jour au 7 janvier 2015, no 35.9, p. 35-25 ; L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 5.
-
[24]
Tolofson, préc., note 23, par. 42 et 43.
-
[25]
Club Resorts Ltd. c. Van Breda, [2012] 1 R.C.S. 572, 2012 CSC 17, par. 37 et 38 (ci-après « Van Breda »).
-
[26]
Tolofson, préc., note 23, par. 42 (l’italique est de nous) ; Catherine Walsh, « Territoriality and Choice of Law in the Supreme Court of Canada : Applications in Products Liability Claims », (1997) 76 R. du B. can. 91, 114.
-
[27]
J.-G. Castel et J. Walker, préc., note 23, no 35.8-9, p. 35-17 et 35-25 ; G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 14 ; C. Walsh, préc., note 26, 115.
-
[28]
Moran c. Pyle National (Canada) Ltd., [1975] 1 R.C.S. 393 (ci-après « Moran »).
-
[29]
Van Breda, préc., note 25, par. 24.
-
[30]
Moran, préc., note 28, 409 (l’italique est de nous).
-
[31]
Ostroski c. Global Upholstery Co., [1995] 61 A.C.W.S. (3d) 990, [1995] O.J. no 4211, par. 13 (ci-après « Ostroski ») ; C. Walsh, préc., note 26, 118.
-
[32]
Dean F. Edgell, Product Liability Law in Canada, Toronto, Butterworths, 2000, p. 276.
-
[33]
Ostroski, préc., note 31. Voir aussi C. Walsh, préc., note 26, 122 et 123.
-
[34]
Id., par 15.
-
[35]
Id. Voir aussi : Ross v. Ford Motor Co. of Canada, [1998] N.W.T.R. 175 (T.N.-O. C.S.), [1997] N.W.T.J. no 30 ; Leonard v. Houle, [1997] 36 O.R. (3d) 357 (C.A.).
-
[36]
Voir généralement Thomas Kadner Graziano, « The Law Applicable to Product Liability : The Present State of the Law in Europe and Current Proposals for Reform », (2005) 54 Int’l & Comp. L.Q. 475.
-
[37]
Règlement de Rome II, préc., note 7, préambule (20).
-
[38]
Id.
-
[39]
Id.
-
[40]
Id.
-
[41]
Infra, section 2.4.
-
[42]
Règlement de Rome II, préc., note 7, art. 5
-
[43]
Id.
-
[44]
Id., art. 4 (2)
-
[45]
Kainz c. Pantherwerke, Affaire C-45/13, [2014] (ci-après « Kainz ») ; UE, Règlement (CE) 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, [2001] J.O., L 12/1 (ci-après « Règlement de Bruxelles I »).
-
[46]
Allen & Al. v. Depuy International Limited, [2014] EWHC 753 (QB) (ci-après « Allen »).
-
[47]
Infra, section 2.3.
-
[48]
Andrew Dickinson, The Rome II Regulation : The Law Applicable to Non-Contractual Obligations, Oxford, Oxford University Press, 2010, no 5.05, p. 365.
-
[49]
Trevor C. Hartley, « Choice of Law for Non-Contractual Liability : Selected Problems Under the Rome II Regulation », (2008) 57 Int’l & Comp. L.Q. 899, 906.
-
[50]
Id., 905 ; S.C. Symeonides, préc., note 13, 207, 208. Nous souscrivons à cette hypothèse, comme nous le verrons plus loin : infra, section 2.3.
-
[51]
G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 14, no 475, p. 847.
-
[52]
G. Goldstein et J.A. Talpis, préc., note 21. Il semble même que le choix de la victime puisse influencer la loi applicable malgré la présence d’une clause de choix de la loi dans un contrat prévoyant l’acquisition de biens fabriqués : Serres Floraplus inc. c. Norséco inc., 2008 QCCS 1455, et les commentaires du professeur G. Goldstein, préc., note 16, no 3128-565, p. 667.
-
[53]
Sur ce type de règle, voir Gérald Goldstein et Éthel Groffier, Droit international privé, t. 1 « Théorie générale », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, no 45, p. 80 et 81.
-
[54]
C. Walsh, préc., note 26, 118.
-
[55]
C.c.Q., art. 3111.
-
[56]
Règlement de Rome II, préc., note 7, art. 14. Le professeur Gérald Goldstein rappelle en outre que ce choix est possible en droit québécois. En matière de responsabilité civile extracontractuelle, les parties peuvent en effet choisir de ne pas alléguer la loi étrangère par ailleurs applicable ou de ne pas en prouver le contenu, ce qui provoquera l’application du droit québécois (art. 2809 C.c.Q.). Elles peuvent aussi s’entendre par contrat (art. 3111 C.c.Q.). Voir G. Goldstein, préc., note 16, no 3126-565, p. 650.
-
[57]
Le professeur Richard Fentiman, de l’Université de Cambridge, a longuement étudié les processus de gestion du risque par des entreprises impliquées dans des litiges commerciaux de nature internationale : Richard Fentiman, Foreign Law in English Courts. Pleading, Proof and Choice of Law, Oxford, Oxford University Press, 1998, chap. 2 et 3 ; Richard Fentiman, International Commercial Litigation, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2015, chap. 2 et 3.
-
[58]
Voir à ce sujet les commentaires bien connus du juge La Forest dans l’arrêt Morguard investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, 1098 :
Le monde a évolué depuis que les règles précitées ont été formulées dans l’Angleterre du XIXe siècle. Les moyens modernes de déplacement et de communication font ressortir le caractère purement local d’un bon nombre de ces préoccupations du XIXe siècle. Le monde des affaires fonctionne dans une économie mondiale et on parle à juste titre de communauté internationale même si le pouvoir politique et juridique est décentralisé. Il est maintenant devenu impérieux de faciliter la circulation des richesses, des techniques et des personnes d’un pays à l’autre. Dans ces circonstances, il apparaît opportun de réexaminer nos règles relatives à la reconnaissance et à l’exécution des jugements étrangers. D’autres pays, notamment les États-Unis et les pays membres de la Communauté économique européenne ont certainement adopté des règles plus généreuses relativement à la reconnaissance et à l’exécution des jugements étrangers pour le plus grand bien des justiciables.
-
[59]
C.c.Q., art. 3091.
-
[60]
Infra, section 1.
-
[61]
G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 53.
-
[62]
Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., t. 2 « Responsabilité professionnelle », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, no 2-342, p. 359.
-
[63]
On pourrait toutefois se questionner à la lumière de l’article 1500 C.c.Q., qui prévoit que l’obligation dont la naissance dépend d’une condition qui relève de la seule discrétion du débiteur est nulle. Si de telles modalités rendent une obligation nulle, pourquoi en serait-il autrement du choix de la loi applicable selon ces mêmes modalités ? Nous créditons Me Michael Shortt de cette hypothèse.
-
[64]
Jeffrey A. Talpis et Jean-Gabriel Castel, « Interprétation des règles du droit international privé », dans Barreau du Québec et Chambre des notaires du Québec, préc., note 1, p. 801, no 381, à la page 892 : ces deux auteurs auraient préféré le lieu de fabrication (id., à la page 893). Les professeurs Gérald Goldstein et Éthel Groffier, quant à eux, estiment que, « [d]e toute manière, la faute peut se produire aussi dans la distribution du produit, c’est-à-dire là où le produit se vend, endroit qui n’est pas non plus nécessairement celui de la résidence ou de l’établissement du fabricant » : G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 14, no 475, p. 848.
-
[65]
C. Walsh, préc., note 26, 120 : « Not surprisingly, those who advocate the application of the manufacturer’s home law where it imposes a stricter standard of liability or a more generous level of compensation do not base themselves on a territorial theory of choice of law but on substantive tort considerations, that that approach better advances the compensation and deterrence goals underpinning products liability regimes at large. »
-
[66]
Peter Stone, EU Private International Law, 2e éd., Cheltenham, Edward Elgar, 2010, p. 398 et 399 ; C. Walsh, préc., note 26, 118.
-
[67]
Lamothe c.Chrysler Canada, 2009 QCCQ 12757, J.E. 2010-83 (C.Q.) (ci-après « Chrysler »).
-
[68]
Interinvest (Bermuda) Ltd. c. Herzog, 2009 QCCA 1428, J.E. 2009-1451 (C.A.) (ci-après « Herzog »). Voir à ce sujet L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 14.
-
[69]
Herzog, préc., note 68, par. 28.
-
[70]
Id., par. 41. Voir aussi l’affaire Taiko Trucking c. SLT Express Way Inc., 2013 QCCS 75, J.E. 2013-44, par. 23.
-
[71]
La clause échappatoire générale de l’article 3082 C.c.Q. demeure néanmoins applicable.
-
[72]
Cette option est d’ailleurs rejetée par la Cour d’appel dans l’arrêt Herzog, préc., note 68.
-
[73]
G. Goldstein, préc., note 16, no 3128-565, p. 668. Chaque province canadienne est considérée comme un État aux fins du droit international privé : C.c.Q., art. 3077.
-
[74]
P. Stone, préc., note 66, p. 400 ; C. Walsh, préc., note 26, 118.
-
[75]
C. Walsh, préc., note 26, 120 et 121. Cette concurrence inégale pourrait même, en Europe, contrevenir aux engagements communautaires relatifs à la libre concurrence contenus dans les articles 28 et 30 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, [2012] J.O., C 326/47 : T. Kadner Graziano, préc., note 36, 480. La concrétisation de ce facteur de rattachement dans l’affaire Chrysler ne pose pas de tels problèmes de compétitivité : le fabricant est soumis à la loi québécoise et se trouve donc sur un pied d’égalité avec les fabricants locaux.
-
[76]
Règlement de Rome II, préc., note 7, art. 5 (1) al. 2.
-
[77]
P. Stone, préc., note 66, p. 399 et 400.
-
[78]
Règlement de Rome II, préc., note 7, préambule (20).
-
[79]
Il s’agit là de la solution mentionnée par le professeur G. Goldstein, préc., note 16, no 3128-565, p. 669. Nous examinerons le recours à la clause échappatoire de l’article 3082 C.c.Q. plus bas : infra, section 2.4.
-
[80]
P. Stone, préc., note 66, p. 399 ; C. Walsh, préc., note 26, 126.
-
[81]
Règlement de Rome II, préc., note 7, art. 5 (1) b).
-
[82]
C.c.Q., art. 3128 (2).
-
[83]
À cet effet, voir la recension américaine du professeur P. Stone, préc., note 66, p. 398.
-
[84]
H.P. Glenn, préc., note 1, p. 738.
-
[85]
P. Stone, préc., note 66, p. 399. Il est curieux de relever que les propositions des professeurs Patrick Glenn et Peter Stone rejoignent chacune la solution envisagée dans l’autre régime.
-
[86]
Pour un plaidoyer particulièrement convaincant, voir T. Kadner Graziano, préc., note 36, 481 et 482. Ce dernier reconnaît néanmoins la faiblesse relative de ce rattachement lorsqu’est envisagée la situation des spectateurs innocents (innocent bystanders) (id., 482). Voir également L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 17.
-
[87]
G. Goldstein, préc., note 16, no 3128-560, p. 665.
-
[88]
J.A. Talpis et J.-G. Castel, préc., note 64, no 381, à la page 892.
-
[89]
Sur la portée de la notion d’acquisition, voir : P. Stone, préc., note 66, p. 396 ; A. Dickinson, préc., note 48, nos 5.37-5.40, p. 382 et 383 ; G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 14, no 475, p. 850-852 ; C. Walsh, préc., note 26, 128 ; G. Goldstein, préc., note 16, no 3128-555, p. 665.
-
[90]
Voir supra, introduction.
-
[91]
L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 17.
-
[92]
Id., p. 18, où cette auteure examine les deux solutions en question.
-
[93]
S.C. Symeonides, préc., note 13, 208. Pensons au lieu où le dommage est subi, par exemple, ce qui est le cas si la victime est en voyage.
-
[94]
C. Walsh, préc., note 26, 127.
-
[95]
Le professeur P. Stone, préc., note 66, p. 396 et 397, souligne que, dans la mesure où la désignation de la loi applicable se fait de façon « neutre », il est acceptable que la priorité soit accordée à des rattachements plus près de la victime que du fabricant. Voir toutefois S.C. Symeonides, préc., note 13, 208, sur les inégalités ainsi générées entre pays développés et pays en voie de développement.
-
[96]
Janet Walker, « “Are We There Yet ?” Towards a New Rule for Choice of Law in Tort », (2000) 38 Osgood Hall L.J. 331, 353.
-
[97]
Moran, préc., note 28.
-
[98]
Id., 409.
-
[99]
G. Goldstein, préc., note 16, no 3126-555, p. 647 ; L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 6.
-
[100]
Règlement de Bruxelles I, préc., note 45, art. 5 (3).
-
[101]
Kainz, préc., note 45.
-
[102]
Allen, préc., note 46.
-
[103]
C. Walsh, préc., note 26, 117. Voir aussi M.L. Saunders, préc., note 8, 199 et 200 : « it is thought that by putting his products into the stream of commerce in a certain state, a manufacturer is consenting to submit to liability under the laws of that state ». Le rattachement avec le lieu du délit est donc parfaitement raisonnable lorsque les activités du fabricant sont prises en considération dans l’analyse.
-
[104]
Infra, section 2.1.
-
[105]
L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 7.
-
[106]
Moran, préc., note 28, 409.
-
[107]
Règlement de Rome II, préc., note 7, art. 5 (2). Celle ci est également présente à l’article 7 de la Convention de La Haye, préc., note 8. Cette clause a été critiquée comme étant indûment généreuse envers le fabricant : S.C. Symeonides, préc., note 13, 207. Il est cependant admis qu’en pratique une telle défense ne possède pas de grandes chances de succès.
-
[108]
Van Breda, préc., note 25. L’arrêt Van Breda concerne la compétence internationale des tribunaux canadiens, mais le juge Louis LeBel rappelle qu’« [i]l s’avère impossible d’analyser et d’appliquer sans risque un des éléments du droit international privé en faisant abstraction des autres éléments » (id., par. 16).
-
[109]
Id., par. 38.
-
[110]
Id.
-
[111]
Id., par. 73.
-
[112]
C. Walsh, préc., note 26, no 166.
-
[113]
Ostroski, préc., note 31 ; Ross, préc., note 35.
-
[114]
Règlement de Rome II, préc., note 7, art. 28 (1) ; Thomas Kadner Graziano, « The Rome II Regulation and the Hague Conventions on Traffic Accidents and Product Liability – Interaction, Conflicts and Future Perspectives », (2008) Nederlands Internationaal Privaatrecht 425 ; A. Dickinson, préc., note 48, nos 5.49-5.53, p. 387-389. Les pays où la Convention de La Haye est en vigueur sont la Croatie, l’Espagne, la Finlande, la France, la République de Macédoine, le Luxembourg, le Monténégro, la Norvège, les Pays-Bas, la Slovénie et la Serbie : voir la Conférence de La Haye de droit international privé, « État présent. Convention du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits », [En ligne], [www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.status&cid=84] (15 octobre 2015).
-
[115]
Il est cependant permis de s’interroger sur la validité d’une telle approche, dans la mesure où la responsabilité dont il est question à l’article 5 est extracontractuelle seulement.
-
[116]
C.c.Q., art. 3082.
-
[117]
G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 53, no 46, p. 84.
-
[118]
Cl. Emanuelli, préc., note 9, no 456, p. 283
-
[119]
C.c.Q., art. 3128 in limine. Voir à ce sujet : G. Goldstein, préc., note 16, no 3126-550, p. 664 ; L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 16.
-
[120]
Supra, section 2.2. Voir L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 17.
-
[121]
C.c.Q., art. 3114.
-
[122]
Id., art. 3117.
-
[123]
Id., art. 1458 et 1468 ; Loi sur la protection du consommateur, R.L.R.Q., c. P-40.1, art. 53 al. 2 ; L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 17.
-
[124]
C.c.Q., art. 3117.
-
[125]
L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 17.
-
[126]
Bousquet c. Acer America Corporation (Canada), 2012 QCCQ 1261, par. 133 et 134. Voir aussi l’affaire Chrysler, préc., note 67, par. 30.
-
[127]
C.c.Q., art. 1384.
-
[128]
G. Goldstein, préc., note 16, no 3126-565, p. 667 et 668. Le professeur Cl. Emanuelli, préc., note 9, suggère plutôt que l’article 3128 C.c.Q. s’applique à tout type de recours, que ce soit pour un défaut de sécurité ou de qualité. Voir aussi L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 17.
-
[129]
C.c.Q., art. 3078.
-
[130]
Loi sur la responsabilité et les garanties relatives aux produits de consommation, L.N.-B. 1978, c. C-18.1, art. 27. Voir aussi la Consumer Protection Act, S.S. 1996, c. C-30.1, art. 69. Au sujet de ces lois, voir généralement J.-G. Castel et J. Walker, préc., note 23, no 35.9, p. 35-25.
-
[131]
Cl. Emanuelli, préc., note 9, no 402, p. 237.
-
[132]
G. Goldstein et É. Groffier, préc., note 53, no 54, p. 113.
-
[133]
L. Rouillard-Labbé, préc., note 1, p. 17.
-
[134]
Voir, par exemple, John H.C. Morris, « The Proper Law of a Tort », (1951) 64 Harv. L. Rev. 881.
-
[135]
M.W. McConnell, préc., note 12. Voir cependant la contre-analyse de B.L. Hay, préc., note 12.