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Parmi les organismes responsables des trois principaux régimes d’indemnisation au Québec, soit la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), le dernier est sans aucun doute le moins connu de la population[1]. Pourtant, l’IVAC a fait l’objet d’une activité médiatique marquée au cours des années 2012 et 2013, à la suite du décès des deux enfants de la docteure Isabelle Gaston, ancienne conjointe du tristement célèbre docteur Guy Turcotte[2]. En effet, celle-ci a fortement critiqué le régime pour le peu de soutien accordé aux parents d’enfants victimes d’actes criminels et demandé, entre autres, une indemnisation bonifiée pour les parents « victimes » de la perte de leur enfant. À la suite de son combat, cette indemnité est passée de 2 000 à 6 000 $ par parent dont l’enfant décède à la suite d’un acte criminel[3]. La sympathie médiatique a ainsi été concentrée sur cette facette de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (LIVAC)[4], mais la population a moins entendu parler de la réforme législative de 2013 en matière de délai pour déposer une demande d’indemnisation.

D’une importance capitale, ces délais représentent la porte d’entrée du régime et ont ainsi un impact considérable pour les victimes désireuses d’obtenir soutien psychologique et indemnités. Leur silence ou leur inaction peut fermer cette porte et leur faire perdre des droits. D’ailleurs, les demandes « hors délai » et les justifications nécessaires pour être relevé du défaut d’avoir agi dans les temps représentent un contentieux important en droit administratif[5]. Le nombre de décisions rendues par la Direction de l’IVAC relativement aux victimes majeures ayant subi des agressions sexuelles dans leur enfance augmente considérablement[6] et la prescription se révèle être la première source de refus des demandes d’indemnisation[7]. Devant ce constat, et compte tenu de la nature particulière du préjudice vécu par les victimes d’actes criminels et leur vulnérabilité psychologique, il nous apparaît opportun d’examiner la question du traitement réservé aux personnes qui revendiquent leurs droits en dehors des délais prévus, et ce, en invoquant des motifs d’ordre psychologique. Comment le Tribunal administratif du Québec (TAQ) applique-t-il la notion d’impossibilité psychologique d’agir développée en droit civil et la présomption de renonciation prévue par l’article 11 de la LIVAC ? Quelles sont également les implications de la réforme de 2013 en matière de délais pour agir, et ce, tant devant les tribunaux de droit commun que devant la Direction de l’IVAC ? Nous comparerons la notion d’impossibilité psychologique d’agir en matière civile et celle qui est appliquée pour l’indemnisation étatique des victimes d’actes criminels à partir d’une analyse de la jurisprudence portant principalement sur l’article 11 de la LIVAC.

Nous amorcerons d’abord notre analyse en traçant un portrait général de la notion de prescription extinctive en droit civil et étudierons un des moyens de suspension de cette prescription, soit l’impossibilité psychologique d’agir développée par les tribunaux de droit commun (1). À la lumière de ces principes, nous nous pencherons sur les délais pour déposer une demande d’indemnisation auprès de la Direction de l’IVAC et analyserons l’interprétation donnée par le TAQ des motifs d’ordre psychologique pour être relevé du défaut d’avoir agi à temps (2). Enfin, nous critiquerons le double standard de la récente réforme en matière de délai, soit l’extension substantielle de la prescription devant les tribunaux de droit commun et la maigre modification concernant les demandes d’indemnisation déposées auprès de la Direction de l’IVAC (3).

1 La prescription en droit civil et l’essor de la notion d’impossibilité psychologique d’agir

Malgré l’importance qu’accorde le droit à la prescription extinctive, celle-ci peut être suspendue lorsque le titulaire d’un droit se trouve dans l’impossibilité d’agir (1.1). Cette notion a été interprétée historiquement de manière restrictive par les tribunaux jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada introduise la notion d’impossibilité psychologique, qui s’est frayé par la suite une place dans les jugements québécois (1.2). Le principe jurisprudentiel de la prise de conscience de la causalité entre l’acte criminel et le préjudice a été ensuite codifié par la réforme de 2013, qui a aussi augmenté les délais en vue de poursuivre le responsable du préjudice découlant de l’acte criminel (1.3).

1.1 La prescription et sa suspension

La prescription extinctive, notion bien connue en droit civil québécois, réglemente le temps que possède un créancier pour intenter un recours, afin de faire valoir un droit[8]. Perçue comme une institution destinée à protéger l’ordre public[9], elle serait essentielle en vue de préserver la sécurité des relations juridiques[10]. Son effet libérateur dans le cas du débiteur[11] lui procure tranquillité d’esprit et certitude en lui assurant que, après l’écoulement d’un certain temps, il sera libéré de ses obligations[12]. La prescription a également comme objet d’empêcher les réclamations fondées sur une preuve périmée « en atténuant les séquelles liées à l’effet érosif du temps sur la mémoire et sur la valeur des éléments de preuve[13] ». Enfin, la prescription aurait aussi comme objectif d’inciter les demandeurs à être diligents en faisant valoir leurs droits dans les temps[14]. Bref, la notion de prescription est fort importante en droit québécois.

En règle générale, l’action qui tend à faire valoir un droit personnel se prescrit par trois ans[15] et ce délai court, conformément à l’article 2880 C.c.Q., à compter du jour où le droit d’action a pris naissance, c’est-à-dire, lorsque le préjudice se manifeste graduellement ou tardivement, à partir du jour où il se manifeste pour la première fois[16]. La prescription court contre toute personne, à moins que la loi ne prévoie un motif de suspension ou d’interruption[17]. La suspension ne fait qu’arrêter temporairement la prescription, sans annuler le temps déjà écoulé, contrairement à l’interruption qui fait recommencer le compteur à zéro[18]. La suspension gèle donc momentanément l’écoulement du temps. Les causes de suspension peuvent résulter du statut d’une personne (par exemple, l’enfant à naître[19] ou les époux durant la vie commune[20]) ou encore d’une situation factuelle qui empêche la personne d’exercer son recours[21].

Un demandeur peut donc invoquer la suspension de la prescription en raison d’une situation qui le rend incapable d’agir. En effet, en vertu de l’article 2904 du Code civil du Québec, « [l]a prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres ». L’impossibilité en fait d’agir constitue un motif de suspension codifié depuis 1866[22] et provient d’un principe prétorien de droit ancien : contra non valentem agere non currit praescriptio (la prescription ne court pas contre celui qui a été empêché d’agir[23]). L’auteure Céline Gervais soutient que c’est aussi un principe d’équité : « il est contraire à tout esprit de justice que d’opposer des délais à une personne qui est dans une situation où elle ne dispose pas de tous ses moyens pour agir[24] ». Le fardeau de la preuve revient à la personne qui invoque son impossibilité d’agir : c’est elle qui doit convaincre le tribunal qu’elle a été effectivement empêchée d’intenter son recours dans les temps[25]. Puisque le Code civil du Québec n’énumère pas les situations d’impossibilité d’agir, ce sont, par conséquent, les tribunaux qui ont façonné les contours de cette notion, en appréciant chaque situation factuelle[26].

Au fil des années, plusieurs décisions ont permis de circonscrire les situations donnant ouverture à l’impossibilité d’agir. En 1981, la Cour suprême, dans l’arrêt Oznaga c. Société d’exploitation des loteries[27], a clarifié qu’une impossibilité d’agir pouvait découler d’une ignorance des faits générateurs de droit lorsque cette ignorance résultait de la faute du débiteur, pourvu que le créancier se soit comporté en bon père de famille. Par ailleurs, selon la jurisprudence, l’ignorance de la loi ou de ses droits ne constitue pas une impossibilité d’agir[28]. À travers le temps, cette notion a évolué et s’est assouplie : les tribunaux ont reconnu qu’une personne pouvait être dans l’impossibilité d’agir pour des raisons psychologiques.

1.2 La notion d’impossibilité psychologique d’agir

Historiquement, la jurisprudence était sévère sur ce qui pouvait constituer une impossibilité d’agir. Perçue comme une exception au principe de la prescription, cette notion était interprétée de manière restrictive[29]. L’article 2232 du Code civil du Bas Canada parlait d’ailleurs d’« impossibilité absolue en droit ou en fait d’agir[30] ». Ce caractère absolu était assimilé à la force majeure[31]. Seuls les cas d’impossibilité physique pouvaient empêcher une personne d’agir, par exemple celle qui se trouvait dans le coma ou qui était hospitalisée pour une longue période de temps[32]. Ceux ou celles qui plaidaient l’impossibilité d’agir avaient donc un fardeau onéreux et ce motif était rarement retenu en pratique.

Cependant, la notion d’impossibilité d’agir a évolué et les auteurs ont noté un assouplissement historique de celle-ci en droit québécois[33]. Selon le professeur Frédéric Levesque, « il est plus facile d’être relevé de son défaut aujourd’hui qu’au début du xxe siècle[34] ». D’ailleurs, l’abandon du terme « absolu » dans l’article 2904 C.c.Q. constitue un indice permettant de croire que le nouveau Code civil serait moins exigeant en matière de prescription et suggère une attitude de souplesse envers toute personne qui se trouve dans l’impossibilité d’agir[35]. Deux arrêts de la Cour suprême ont contribué à assouplir cette notion et marqué un tournant jurisprudentiel en introduisant et en délimitant la notion d’impossibilité psychologique d’agir.

En 1998, le juge Gonthier a établi dans la décision Gauthier c. Beaumont[36] que la crainte, en matière délictuelle, suspend la prescription extinctive lorsqu’elle est causée par la faute du défendeur. Dans cette affaire, le demandeur avait été torturé par des policiers au service de la Ville de Lac-Brôme, et ce, afin d’obtenir des aveux. Six ans plus tard, il avait intenté un recours contre ces policiers et contre la Ville et avait invoqué son impossibilité d’agir en raison de la crainte pour sa vie inspirée par les défendeurs afin d’être relevé de son défaut de n’avoir pas intenté son recours dans le délai de six mois prévu dans la Loi sur les cités et villes[37]. Devant ces faits, le juge Gonthier a retracé l’historique de la notion d’impossibilité absolue d’agir, a déclaré qu’elle ne dépendait pas uniquement de la force majeure et a élaboré un critère objectif et subjectif pour évaluer la crainte comme source d’impossibilité d’agir[38]. Cette crainte doit d’abord présenter un caractère objectif, c’est-à-dire être actuelle et receler un mal sérieux[39]. Aussi, la crainte sera appréciée de manière subjective en tenant compte de la situation personnelle de la victime, grâce, entre autres, à son témoignage et à des évaluations d’experts[40]. En bref, la Cour suprême explique : « Pour être une cause d’impossibilité d’agir, la crainte doit porter sur un mal objectivement sérieux, exister durant toute la période d’impossibilité d’agir et être subjectivement déterminante de cette impossibilité d’agir, c’est-à-dire subjectivement telle qu’il soit psychologiquement, sinon physiquement, impossible pour la victime d’intenter un recours en justice[41]. »

L’arrêt Gauthier c. Beaumont constitue un arrêt clé, car il assouplit la notion d’impossibilité d’agir en lui reconnaissant une origine psychologique. Selon l’auteure Céline Gervais, l’évolution des connaissances psychologiques aurait permis de faire la preuve des séquelles sur les victimes et le droit se serait ainsi adapté à ces nouvelles réalités[42].

La Cour suprême a rendu une autre décision de principe relativement aux victimes d’inceste et à leur impossibilité psychologique d’agir[43]. En 1992, elle s’est penchée sur une affaire d’inceste impliquant un père et sa fille dans la décision M.(K.) c. M.(H.)[44]. Les événements s’étaient déroulés alors que la jeune fille était âgée de 8 à 16 ans. Ce n’est que des années plus tard, après avoir entrepris une thérapie, que l’appelante avait intenté une action en dommages-intérêts pour inceste contre son père, et ce, bien au-delà du délai de quatre ans prévu dans le Limitations Act[45] de l’Ontario. Se basant sur une preuve scientifique portant sur les séquelles des victimes d’inceste, le juge La Forest a d’abord expliqué que, chez ces victimes, le préjudice est souvent latent et survient pour la plupart bien après qu’elles ont atteint l’âge adulte[46]. De plus, le tabou entourant l’inceste contribue à maintenir ces personnes dans le silence[47]. Devant ce qui est appelé le « syndrome d’accommodement » ou « syndrome des victimes d’inceste », la Cour suprême a élaboré le principe de la « présomption de conscience » : le délai de prescription commence à courir au moment où la victime prend conscience du lien de causalité entre le préjudice qu’elle a subi et la faute commise par l’agresseur durant son enfance[48]. Elle est notamment présumée prendre conscience de cette causalité lorsqu’elle reçoit une certaine forme d’aide thérapeutique[49]. Pour sa part, la juge McLachlin, dans des motifs concurrents, a mis en garde contre cette présomption, car elle a estimé qu’une thérapie ne permettait pas automatiquement la prise de conscience du lien de causalité et que cette présomption pouvait ainsi nuire aux victimes[50]. Elle aurait vu plutôt le début d’une thérapie comme un des facteurs à analyser pour déterminer le point de départ de la prescription[51].

Ces jugements ont eu un impact au Québec pour les victimes d’agressions sexuelles commises durant l’enfance. La professeure Louise Langevin emploie un terme imagé, « percolation[52] », pour parler de la lente intégration en droit québécois du principe de la présomption de conscience élaboré en common law dans la décision M.(K.) c. M.(H.). La crainte et la présomption de conscience ont permis de suspendre la prescription dans des cas où les victimes intentaient bien des années plus tard des recours en dommages-intérêts contre leur agresseur[53]. Ces décisions n’ont pas toujours retenu la thérapie comme élément déclencheur, car celle-ci n’est pas forcément un gage de réussite[54]. Par ailleurs, comme la prescription peut constituer un moyen préliminaire que le défendeur peut opposer pour faire rejeter l’action de la victime[55], les tribunaux se sont penchés sur le danger de rejeter une demande pour ce motif, alors que toute la preuve n’a pas été entendue. Dans l’affaire S.C. c. Archevêque catholique romain de Québec[56], le juge Chamberland, dans une opinion dissidente en Cour d’appel confirmée par la Cour suprême[57], met en garde contre le moyen d’irrecevabilité fondé sur la prescription : dans ce contexte, le juge doit considérer comme avérés les faits invoqués par la demanderesse et se montrer prudent pour éviter de mettre fin prématurément au procès[58]. En réponse notamment à ce jugement, le législateur est intervenu et a modifié les délais applicables aux poursuites en réparation d’un préjudice découlant d’une infraction criminelle, notamment de nature sexuelle.

1.3 Les nouvelles dispositions du Code civil du Québec relatives à la prescription et à sa suspension pour les actions en dommages impliquant un acte criminel

Adoptée le 22 mai 2013, la Loi modifiant la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, la Loi visant à favoriser le civisme et certaines dispositions du Code civil relatives à la prescription[59] a modifié certaines règles relatives à la prescription pour les victimes d’actes criminels. D’abord, en vertu du deuxième alinéa de l’article 2905 C.c.Q., la prescription ne court plus contre les mineurs ou les majeurs sous régime de protection à l’égard des recours qu’ils peuvent avoir contre quiconque pour la réparation d’un préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle[60]. Ainsi, les victimes d’agressions sexuelles sont couvertes par la nouvelle règle de droit pour les agressions commises durant leur enfance non seulement par leurs parents, mais également par leurs proches ou toute autre personne. De plus, un nouvel article a été ajouté au Code civil du Québec concernant la prescription applicable aux victimes d’actes criminels. Le nouvel article 2926.1 C.c.Q. se lit ainsi :

L’action en réparation du préjudice corporel résultant d’un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans à compter du jour où la victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte. Ce délai est toutefois de 30 ans si le préjudice résulte d’une agression à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint.

En cas de décès de la victime ou de l’auteur de l’acte, le délai applicable, s’il n’est pas déjà écoulé, est ramené à trois ans et il court à compter du décès[61].

Ce nouvel article prolonge substantiellement la prescription en matière de responsabilité civile pour les victimes d’actes criminels, la faisant passer de 3[62] à 10 ans ou 30 ans dans certains cas énumérés[63]. Par ailleurs, le point de départ de la prescription est désormais fixé au jour où la victime a connaissance que son préjudice est attribuable à l’infraction criminelle qu’elle a subie. Il s’agit d’une codification de l’arrêt M.(K.) c. M.(H.)[64] et de son application subséquente par les tribunaux québécois[65].

Le nouvel article 2926.1 C.c.Q. est applicable aux situations juridiques en cours, en tenant compte du temps déjà écoulé, et le point de départ du délai de la prescription, quant à lui, est déclaratoire[66]. Cela signifie que le nouvel article n’aura pas d’effet dans les cas où l’ancienne prescription triennale était déjà acquise avant son entrée en vigueur, et ce, en tenant compte du nouveau point de départ de la prescription[67]. Le droit de la victime étant de ce fait éteint, il n’y a plus alors de « situation juridique en cours ».

En résumé, la jurisprudence en matière de responsabilité civile a élaboré des critères afin d’aider les victimes d’actes criminels qui, pour des raisons psychologiques, ne peuvent pas agir dans les temps, et ce, malgré l’importance historique accordée à la prescription. La notion d’impossibilité psychologique d’agir a permis de suspendre la prescription lorsque la victime craignait pour sa vie ou celle de ses proches ou encore lorsqu’elle n’avait pas réalisé le lien entre son préjudice et l’acte commis par son agresseur. Le législateur s’est adapté à cette réalité jurisprudentielle et a modifié les délais de prescription pour ces victimes.

2 La présomption de renonciation à la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels et les motifs psychologiques pour la repousser

Les victimes d’actes criminels ont le choix de poursuivre leur agresseur devant les tribunaux de droit commun selon les règles de la responsabilité civile ou de s’adresser à la Direction de l’IVAC afin d’obtenir des prestations et de l’aide psychologique[68], pourvu qu’elles aient été victimes d’une infraction criminelle prévue dans l’annexe de la LIVAC[69]. Si elles décident de déposer une demande d’indemnisation auprès de la Direction de l’IVAC, la prescription prévue par l’article 2926.1 C.c.Q. est interrompue jusqu’à ce que la CSST[70] ou le TAQ, selon le cas, rende une décision[71]. Voyons quel est le délai applicable à une demande d’indemnisation (2.1), les motifs d’ordre psychologique que peuvent invoquer les victimes lorsqu’elles n’ont pas respecté ce délai (2.2) et, enfin, les modifications législatives apportées à l’article 11 de la LIVAC en 2013 (2.3).

2.1 Le délai pour déposer une demande d’indemnisation et la présomption de renonciation

Outre qu’il a modifié les délais applicables en matière civile, le législateur a réformé le délai pour déposer une demande d’indemnisation auprès de la Direction de l’IVAC. Par contre, celui-ci ne s’applique pas aux situations juridiques en cours. En effet, il est applicable uniquement aux victimes de crimes commis à partir du 23 mai 2013[72]. La version antérieure de l’article 11 de la LIVAC demeure donc pertinente pour tous les crimes commis avant cette date[73]. Cette version prévoyait un délai d’un an pour effectuer une réclamation à partir de la survenance du préjudice et était silencieuse sur la prise de conscience du lien de causalité. Enfin, si la victime faisait défaut de réclamer les avantages de la LIVAC durant l’année de la survenance du préjudice, une présomption de renonciation s’établissait, sans motif énuméré pour la renverser[74].

Cette présomption est tout à fait particulière à la LIVAC. Le délai prévu n’est pas un délai de prescription, ni de déchéance, mais plutôt un simple laps de temps au terme duquel s’applique une « présomption de renonciation » à l’exercice du droit de réclamer les bénéfices de la LIVAC[75]. La jurisprudence constante de la Commission des affaires sociales (CAS) et du TAQ a interprété cette présomption comme étant réfragable, chaque cas devant être analysé selon ses circonstances particulières, selon la norme de la raisonnabilité[76]. De plus, la jurisprudence rendue sous l’empire de l’ancien article 11 de la LIVAC a interprété cette présomption de renonciation de manière souple, n’impliquant pas un niveau d’exigence aussi élevé que celui de l’impossibilité d’agir[77]. Dans les décisions Sauveteurs et victimes d’actes criminels — 2 et Sauveteurs et victimes d’actes criminels — 5, la CAS s’exprime en ces termes :

Force est cependant de constater que, par l’ajout du second alinéa (qui est loin d’être un simple tempérament), le législateur a délibérément écarté le moyen de la « prescription » ou de la « déchéance » comme mode d’extinction du droit de réclamer d’une victime.

[…] la recevabilité de la production tardive d’une réclamation n’est pas ici astreinte à la rigidité d’une preuve d’« impossibilité en fait d’agir plus tôt »[78].

Ainsi, la notion d’impossibilité d’agir et les motifs pour renverser la présomption de renonciation semblent être différents. Examinons à présent dans les décisions de la CAS et du TAQ les motifs psychologiques qui sont acceptés pour repousser la présomption de renonciation lorsqu’une victime ne dépose pas sa demande d’indemnisation durant l’année de la survenance de son préjudice et en quoi ces motifs diffèrent de ceux qui sont invoqués en droit civil pour démontrer une impossibilité psychologique d’agir.

2.2 Les motifs psychologiques permettant de repousser la présomption de renonciation

Le TAQ a retenu plusieurs motifs psychologiques pour renverser la présomption de renonciation à la LIVAC : blocage psychologique[79], désorganisation[80], dépression[81], angoisse[82], ambivalence « pathologique[83] », stress post-traumatique[84], état de choc[85], crainte[86], etc.

La plupart des victimes invoquent des diagnostics précis corroborés par leur dossier médical. Plusieurs s’appuient également sur une expertise pour mettre en preuve leur état psychologique[87]. D’ailleurs, la grande majorité des experts semblent conclure au syndrome de stress post-traumatique[88]. Il s’agit, selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders DSM-5, d’un trouble vécu lorsque le sujet a été exposé à un ou des événements traumatiques, tels que des actes de violence, qu’il revit tout en s’efforçant d’éviter les stimulus qui y sont associés[89]. Ce trouble entraîne une altération de son fonctionnement social ou professionnel ou encore de son fonctionnement dans d’autres domaines importants de sa vie[90]. C’est donc un état susceptible d’empêcher une victime de déposer une demande d’indemnisation.

Certains jugements sont plus « libéraux » et acceptent des motifs psychologiques sans diagnostic précis et, parfois, « malgré une preuve médicale peu abondante[91] », retenant plutôt l’état général de la personne comme motif pour renverser la présomption de renonciation[92]. Dans la décision N.H. c. Québec (procureur général)[93], le TAQ a considéré la situation précaire de la victime dans tous les aspects de sa vie[94]. Celle-ci évoluait dans un climat de violence et sous l’emprise de diverses dépendances et luttait pour sa survie[95]. Le TAQ a conclu qu’il y avait « renversement de la présomption de renonciation, lequel [a pris] la forme d’une impossibilité d’agir[96] ».

Par ailleurs, le TAQ a intégré les principes dégagés par l’arrêt M.(K.) c. M.(H.)[97] pour calculer le point de départ du délai de l’article 11 de la LIVAC[98]. Il semble cependant étrangement limiter l’application de cet article aux victimes ayant subi des agressions sexuelles alors qu’elles étaient mineures, tout en ne s’en tenant pas uniquement aux cas d’inceste. Dans la décision F.P. c. Québec (Procureur général)[99], le TAQ explique l’interprétation à donner à l’article 11 de la LIVAC : « Dans plusieurs décisions relatives à cette disposition, le Tribunal a appliqué aux victimes de crimes à caractère sexuel autres que l’inceste les principes établis, à ce sujet, par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt M.(K.) c. M.(H.)[100]. » La jurisprudence du TAQ semble avoir retenu l’opinion concurrente de la juge McLachlin, à savoir que la thérapie est un des éléments à évaluer pour connaître le moment où la victime prend conscience du lien de causalité[101]. Le délai ne court donc pas automatiquement à partir de la thérapie : encore faut-il que les symptômes du préjudice causé par l’acte criminel en aient fait l’objet et que la victime soit réellement parvenue à prendre conscience du lien de causalité[102]. En effet, les thérapies ne sont pas toujours un succès[103].

Donc, la plupart des motifs invoqués le sont pour démontrer que la victime n’était pas en mesure de faire le lien entre la faute de l’agresseur et son préjudice : toutefois, dans certaines décisions, on a considéré que, même après avoir fait ce lien, la victime n’était pas psychologiquement en mesure de déposer une demande d’indemnisation auprès de la Direction de l’IVAC[104]. Il s’agit, à notre avis, d’une interprétation qui serait également valable en vertu de la nouvelle version de l’article 11 de la LIVAC. Cet article prévoit, selon nous, un délai en deux étapes[105].

2.3 Les nouveaux délais prévus par l’article 11 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels

Pour les actes criminels commis depuis le 23 mai 2013, la demande en vue de bénéficier de la LIVAC doit être adressée à la Commission dans un délai de 2 ans suivant la survenance du préjudice matériel, de la blessure ou de la mort de la victime[106]. Ce délai était de 6 mois à la création du régime[107] et a été porté à un an en 1974[108]. En vertu du deuxième alinéa du nouvel article 11 de la LIVAC, la survenance de la blessure correspond au moment où la victime prend conscience du préjudice subi et de son lien probable avec l’acte criminel[109]. C’est ici une codification de l’arrêt M.(K.) c. M.(H.)[110] et de la jurisprudence subséquente du TAQ, applicable à présent à toutes les victimes d’actes criminels. Si le réclamant fait défaut de formuler sa demande à temps, il est présumé avoir renoncé à se prévaloir de la LIVAC : cependant, cette présomption peut être renversée en démontrant notamment qu’il a été dans l’impossibilité d’agir[111]. D’après nous, ledit délai se divise en deux étapes : il commence à courir lorsque la victime prend conscience du lien de causalité et, à partir de ce moment-là, celle-ci a deux ans pour agir. À défaut, elle doit faire la preuve qu’elle n’a pas renoncé à ses droits.

Le nouvel article 11 de la LIVAC est applicable uniquement aux « nouveaux actes criminels » commis depuis le 23 mai 2013[112]. Le nouveau délai de deux ans et le critère législatif sur la prise de conscience du lien de causalité ne trouveront donc pas application avant un certain temps. En effet, la plupart des personnes susceptibles d’invoquer un retard en raison d’une prise de conscience tardive entre leur préjudice et l’acte criminel l’auront pour la plupart vécu depuis plusieurs années et, dans ces cas, l’ancienne version législative s’appliquera encore.

En résumé, le TAQ a interprété la notion de présomption de renonciation de manière plus libérale que celle de l’impossibilité d’agir et plusieurs motifs psychologiques ont été retenus pour permettre de renverser la présomption, sans utilisation systématique d’une preuve d’expert. Nous traiterons maintenant des difficultés soulevées par la réforme dont nous mettons en doute l’impact réel sur les victimes d’actes criminels qui choisissent l’indemnisation étatique plutôt qu’un recours civil.

3 Une réforme à deux vitesses

Un coup d’oeil aux modifications apportées aux délais par la réforme nous permet de constater une grande différence entre ceux qui sont prévus en matière civile et celui qui se trouve dans la LIVAC. L’ancienne prescription triennale du Code civil du Québec est remplacée par un délai de 10 ans et même 30 ans pour certains actes criminels, tandis que l’article 11 de la LIVAC qui prévoyait un délai déjà maigre d’un an est à présent augmenté à 2 ans. Nous assistons donc à un vrai prolongement de la prescription en matière civile et à une extension symbolique du côté de la LIVAC.

Les débats judiciaires ou administratifs sur la prescription, notamment la prise de conscience du lien de causalité entre l’acte criminel et le préjudice de la victime, se révèlent lourds et onéreux pour celle-ci, car ils nécessitent souvent une expertise médicale, particulièrement en Cour supérieure. En effet, un bref survol de la jurisprudence qui traite d’impossibilité psychologique d’agir en matière civile nous permet de constater qu’une majorité des victimes mettent en preuve une expertise[113]. Là-dessus, l’interprétation libérale du TAQ nous semble être à l’avantage des victimes, et nous espérons qu’elles pourront continuer à renverser la présomption de renonciation grâce à leurs seuls témoignages et dossiers médicaux, le cas échéant. À notre avis, l’exigence généralisée d’une preuve d’expert constituerait un frein à l’indemnisation étatique. En effet, il deviendrait difficile, selon nous, pour un justiciable non représenté par un avocat de trouver un expert psychiatre ou psychologue, de lui poser les questions judicieuses dont les réponses seront susceptibles d’aiguiller le TAQ et, enfin, de payer ses honoraires pour la rédaction d’un rapport, voire pour une journée d’audition. Rappelons que la prescription est une question préliminaire et qu’il ne s’agit pas encore d’évaluer les séquelles de la victime en vue de son indemnisation, mais uniquement de lui permettre d’avoir accès au régime. En outre, la preuve médicale et la preuve judiciaire ne requièrent pas le même niveau de certitude[114]. Il serait fâcheux de nier l’accès au régime d’indemnisation pour des victimes qui ne présentent pas un diagnostic répertorié dans le DSM. Malgré l’absence de conclusions probantes pour l’expert, ces victimes peuvent avoir des motifs psychologiques raisonnables leur permettant de renverser la présomption de renonciation. De plus, même si la jurisprudence du TAQ semble favorable aux victimes, il n’en demeure pas moins difficile psychologiquement de traverser un litige administratif, d’autant plus que les victimes sont souvent privées de moyens financiers dans l’intervalle, la Direction de l’IVAC leur ayant refusé l’octroi de prestations.

Nous croyons donc que la réforme aidera réellement les victimes d’actes criminels devant les tribunaux de droit commun en diminuant considérablement les litiges portant sur la prescription, mais qu’elle n’aura pas d’impact significatif sur le régime d’indemnisation étatique. Pour diminuer véritablement le contentieux administratif portant sur la prescription, nous pensons que des délais au moins aussi longs que ceux prévus dans l’article 2926.1 C.c.Q. s’avéreront nécessaires. Une absence totale de prescription aurait bien sûr aidé davantage les victimes. Cette proposition d’amendement avait été discutée à l’Assemblée nationale du Québec pour les victimes d’actes à caractère sexuel[115]. En matière de responsabilité civile, l’abolition des délais de prescription pour ces victimes est d’ailleurs préconisée par les auteures Louise Langevin et Nathalie Des Rosiers, et ce, pour des raisons d’accessibilité à la justice[116]. Elles suggèrent subsidiairement et à tout le moins une présomption simple d’incapacité qui permettrait à la victime d’agression sexuelle de prouver l’agression et ses conséquences, sans avoir à démontrer le moment de la prise de conscience du lien de causalité[117]. Le défendeur pourrait alors renverser cette présomption quant à la capacité d’agir de la victime, mais le fardeau de la preuve reposerait sur ses épaules[118]. À notre avis, ce principe pourrait tout aussi bien s’appliquer devant la Direction de l’IVAC.

Nous croyons également que le législateur aurait dû prévoir que les nouveaux délais créés lors de la réforme s’appliqueraient de manière rétroactive[119]. Cela n’a rien d’extraordinaire, une loi rétroactive en matière d’indemnisation étatique des victimes d’actes criminels ayant déjà été adoptée par le passé. En effet, en 1974, lorsque le délai pour présenter une demande d’indemnisation est passé de 6 mois à un an, il a été prévu expressément que la Loi modifiant certaines prescriptions avait effet depuis le 1er janvier 1972[120]. De plus, toute demande qui avait été refusée par la Commission par application de l’ancien délai pouvait à nouveau lui être présentée jusqu’au 30 juin 1975[121]. La modification législative actuelle, qui, à notre avis, ne sera pas appliquée par le TAQ avant fort longtemps, nous semble donc bien timide au regard de ce que le gouvernement a prouvé être capable de faire.

Par ailleurs, la grande différence entre les nouveaux délais civils et ceux de la LIVAC, pourtant prévus dans la même loi modificatrice, nous permet de conclure que l’État est réfractaire à l’idée d’étendre la prescription lorsqu’il est débiteur, ce que confirment d’ailleurs les débats parlementaires[122]. Pourtant, plusieurs acteurs engagés dans la réforme suggéraient une véritable prolongation des délais administratifs. Les membres du groupe de travail qui se sont penchés sur la révision du régime en 2008 considéraient que les délais étaient trop courts, particulièrement dans les cas de violence conjugale et d’agression sexuelle, et recommandaient d’étendre à 3 ans le délai pour présenter une réclamation[123]. Une prolongation véritable des délais signifierait toutefois une diminution des demandes refusées[124], donc une augmentation des prestations versées. Le gouvernement actuel semble plutôt examiner le régime pour trouver « possiblement » des économies à réaliser[125]. Dans une décision du TAQ portant sur la version antérieure de l’article 11 de la LIVAC, le tribunal s’exprime sur la prescription et le rôle de l’État payeur de manière éloquente : « Quoique l’inceste soit un crime odieux quant à sa commission et à ses conséquences pour les victimes, l’État ne peut pas demeurer indéfiniment responsable à titre d’organisme payeur[126]. » Cette même préoccupation ne semble pas valoir pour l’individu responsable. En effet, la Cour suprême a rejeté vivement le principe de la tranquillité d’esprit du défendeur dans les cas d’inceste considérant qu’il était d’une « iniquité manifeste » que le défendeur ne soit plus redevable de ses actions, alors que la victime continuait à en subir les conséquences[127]. Le même raisonnement ne devrait-il pas valoir en ce qui concerne l’État ? La criminalité n’étant pas un phénomène uniquement individuel, mais également social[128], nous croyons que l’État a une responsabilité tout aussi grande envers les victimes de répondre des actes de ses citoyens délinquants. N’est-ce pas d’ailleurs un des fondements mêmes de la LIVAC[129] ?

Nous estimons que la réforme aura un effet différencié selon la classe sociale à laquelle appartiennent les victimes et selon leur sexe. En effet, la LIVAC répond à un risque social, soit les conséquences du crime[130]. Une des caractéristiques d’un risque social est sa répartition socialement inégale, les individus n’étant pas égaux devant les risques sociaux[131]. À ce propos, l’auteure Catherine Pollak précise que « les risques ne sont pas répartis de façon aléatoire entre les individus et les groupes sociaux. Ainsi, les inégalités d’exposition au risque se cumulent avec les inégalités de revenu[132]. »

Dans le cas de la LIVAC, le niveau socioéconomique des victimes confirme cette théorie. Selon les données consultables en 2005, les prestataires de la LIVAC étaient majoritairement (66,6 p. 100) sans emploi au moment de la commission de l’acte criminel[133]. Les plus démunis ont donc davantage recours à la LIVAC. Dans ce contexte, nous craignons que la réforme ne bénéficie qu’aux riches qui seront capables de supporter les frais d’un recours civil et ayant un débiteur solvable. En effet, puisque la majorité des crimes est commis par des proches des victimes (famille, conjoint, connaissance[134]) susceptibles de se trouver au même niveau socioéconomique, les victimes bénéficiant de moins de moyens économiques courent plus de risques de faire face à un débiteur insolvable. Dans ces cas, l’option légale entre la poursuite civile et l’indemnisation étatique[135] n’est que théorique. Enfin, la réforme aura également un effet différencié selon le sexe, car une majorité des victimes qui déposent des demandes d’indemnisation auprès de la Direction de l’IVAC sont des femmes et des jeunes filles[136]. La violence faite aux femmes est reconnue comme un enjeu de société et l’État devrait leur permettre un meilleur accès aux ressources psychologiques et aux indemnités que procure la LIVAC.

Conclusion

En résumé, la notion d’impossibilité d’agir a été interprétée historiquement de manière stricte par les tribunaux, qui y voyaient une exception au principe de la prescription. Ces derniers ont accepté graduellement que des raisons d’ordre psychologique puissent rendent incapable une personne d’intenter son recours. Les arrêts Gauthier c. Beaumont[137] et M.(K.) c. M.(H.)[138] de la Cour suprême ont été repris par les tribunaux de droit commun et par le TAQ lorsqu’il appliquait l’article 11 de la LIVAC. Cet article a été interprété largement et le TAQ a accepté plusieurs motifs psychologiques pour renverser la présomption de renonciation en ne se limitant pas uniquement à des diagnostics précis, mais en adoptant parfois une approche globale à l’égard de la victime. En 2013, le législateur est venu corriger cette situation en augmentant les délais en matière civile et administrative. Cette réforme aura pour effet, à notre avis, d’accentuer les différences entre le régime de droit commun et le régime étatique, profitant davantage au premier et donc aux mieux nantis. Le traitement par le droit du silence ou de l’inaction de la victime varie ainsi de manière considérable. Cependant, compte tenu de la nature particulière du préjudice vécu par les victimes d’actes criminels et de leur vulnérabilité psychologique, nous croyons nécessaire d’aplanir ces différences de traitement. Une véritable prolongation des délais applicables à une demande d’indemnisation étatique nous paraît essentielle, ce que la récente réforme a manqué d’établir.

Par ailleurs, à la lecture de la jurisprudence relative à l’article 11 de la LIVAC, il nous a semblé que plusieurs décisions du TAQ rejettent les motifs d’ordre psychologique invoqués par les victimes en concluant que la véritable raison de leur retard est plutôt leur ignorance des délais prévus par la loi ou encore de l’existence même du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels[139]. Selon la jurisprudence, la simple ignorance de la loi ne permet pas de renverser la présomption de renonciation[140]. Il nous apparaît problématique de constater l’ignorance criante des citoyens quant à leur droit à une indemnisation étatique pour les conséquences découlant d’un acte criminel. Le réel problème de l’accès au régime de l’IVAC pourrait-il plutôt découler de l’ignorance de la loi ? Une comparaison de l’espace médiatique occupé par la Direction de l’IVAC avec celui qui est occupé par la CSST ou par la SAAQ serait intéressante à analyser. Nous croyons que l’ignorance de l’existence d’un régime étatique d’indemnisation des victimes d’actes criminels pourrait découler en partie du silence de la Direction de l’IVAC dans l’espace public.