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L’ouvrage sous la direction de Pierre-Emmanuel Moyse regroupe les textes de la quatrième conférence du cycle « Concurrence et innovation » du Centre des politiques en propriété intellectuelle (CPPI) de l’Université McGill, en partenariat avec l’Association internationale des jeunes avocats (AIJA) et le Centre de recherche en droit public (CRDP) de l’Université de Montréal. Il traite du rapport entre la propriété intellectuelle et la circulation internationale des biens. Bien qu’il s’agisse, a priori, de questions internationales, les organisateurs de l’évènement ont choisi d’étudier le sujet selon la double perspective nord-américaine et européenne, la relation entre la propriété intellectuelle et l’épuisement des droits faisant appel à un concept qui tire son origine à la fois des États-Unis et de l’Europe.
Aux États-Unis, tout d’abord, l’épuisement des droits, communément appelé la « doctrine de la première vente », prend sa source dans la jurisprudence de 1908[1], laquelle a influé par la suite sur la Loi sur le droit d’auteur[2] de 1909. Pour l’Europe, c’est la doctrine allemande qui, à la fin du xixe siècle, a pavé le chemin à la Loi sur le droit d’auteur[3] de 1901.
Qu’englobe la notion d’épuisement des droits, peu connue en droit canadien, et de quoi parle-t-on lorsqu’on fait référence à la doctrine de la première vente ? Ce sont là les principales questions auxquelles les auteurs s’efforcent de répondre dans cet ouvrage.
Le concept d’épuisement des droits serait un terme générique pour désigner toutes les transactions portant sur des objets qui incorporent des droits de propriété intellectuelle. Par exemple, un auteur touche des redevances pour la première vente de son ouvrage, mais par la suite il a épuisé son droit de distribution. Voilà pourquoi l’auteur ne touchera pas de redevances pour les transactions subséquentes à la première vente de son livre (la vente, par exemple, dans une libraire d’occasion). Cette première vente aura épuisé le droit de distribution de l’auteur sur le livre, d’où la qualification de doctrine de la première vente. Le terme « épuisement » constitue donc un terme générique signifiant que l’auteur ne pourra plus être rémunéré pour les transactions suivantes sur son oeuvre, son invention, son dessin, etc. Lorsque l’épuisement des droits est de portée nationale, la revente du livre sur le territoire national ne peut être interdite par le titulaire du droit d’auteur sur l’oeuvre qui y est incorporée. Par contre, dans l’hypothèse où le livre serait revendu dans un autre pays où la doctrine de l’épuisement est applicable, la revente du livre sur ce nouveau territoire constituera la première vente de ce livre sur le territoire du second pays. À ce titre, comme l’explique la professeure Ysolde Gendreau qui signe l’avant-propos de l’ouvrage (p. xi),
c’est le pays où s’effectue la seconde vente qui délimite le territoire selon lequel on évalue la portée de la distribution et donc de son épuisement. L’épuisement régional signifiera alors que le territoire, à l’aune duquel on détermine s’il y a ou non épuisement, est étendu aux frontières d’une région commerciale donnée. L’exemple le plus parlant est ici celui de l’Union Européenne. L’ouvrage vendu dans un premier pays où l’auteur touche des redevances pour la distribution de son oeuvre pourra être revendu dans un second pays sans que son auteur ne puisse réclamer de redevances en vertu de la loi de ce pays. L’épuisement international devient alors la version ultime de cette doctrine. Il permet ainsi à quiconque de revendre sur le territoire d’un pays le livre d’un auteur qui l’aurait d’abord vendu légalement dans n’importe quel autre pays de la terre.
Pour comprendre l’importance de cette question et la pertinence d’y consacrer un colloque, il faut s’arrêter au contexte de l’époque : en 2012, de part et d’autre de l’Atlantique, cette question retenait l’attention des tribunaux, qu’il s’agisse de l’affaire Entertainment Software Association c. SOCAN[4] au Canada, de la décision ReDigi[5] aux États-Unis ou encore, pour l’Europe, de l’affaire UsedSoft GmbH c. Oracle International Corp[6]. Rappelons aussi qu’au Canada, outre l’introduction en 2012 d’un droit de distribution dans la nouvelle mouture de la Loi sur le droit d’auteur[7], le législateur y a associé un épuisement international. Toutes ces avancées législatives, jurisprudentielles et doctrinales permettent de fonder la pertinence de l’ouvrage et de saluer le flair des organisateurs qui ont su saisir les circonstances favorables pour profiter de l’expérience étrangère.
Ainsi, dans la première partie de l’ouvrage, les textes des professeurs Valérie-Laure Benabou de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, et de Pierre-Emmanuel Moyse, de l’Université McGill, ainsi que celui de la professeure Christine Haight Farley, de l’American University Washington College of Law, s’intéressent aux limites et aux frontières en droit de la propriété intellectuelle. Plus précisément dans leur texte intitulé « Propriété intellectuelle, distribution et épuisement numérique[8] », les professeurs Benabou et Moyse traitent de la dimension historique de l’épuisement des droits et des conséquences engendrées par cette doctrine, laquelle a entraîné une augmentation du rôle des contrats ou des mesures techniques de protection pour contrôler les marchés secondaires. Les auteurs expliquent aussi que la richesse du droit européen sur la doctrine de l’épuisement s’explique par le conflit entre la compétence des États en matière de droit de propriété intellectuelle et l’ultime dessein de l’Union européenne, soit la libre circulation des services et des marchandises. Il semble toutefois qu’une trop grande importance ait été donnée à cette querelle, laquelle a éclipsé la majeure partie de l’analyse de la dimension nationale de l’épuisement des droits en Europe.
La dynamique est complètement différente sur le territoire nord-américain, comme l’expose la professeure Haight Farley. Tout d’abord, la libre circulation des marchandises n’est pas intégrée dans l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Par conséquent, la question n’est traitée que sur une base nationale. Ainsi, en traçant un portrait général de la doctrine en droit américain, elle insiste sur la différence de traitement entre les marques de commerce et les droits d’auteur. Alors que le droit américain préconise un épuisement international pour les marques de commerce, la jurisprudence hésite entre l’épuisement national ou international pour les droits d’auteur. Depuis la tenue de ce colloque et la rédaction du texte, la Cour suprême des États-Unis a toutefois tranché en faveur de l’épuisement international[9].
Dans un texte portant sur les secrets de commerce, « International Transfert of Trade Secrets : Traps and Promises[10] », le professeur Jacques De Werra, de la Faculté de droit de Genève, rend compte de l’augmentation du recours à l’arbitrage pour régler les conflits impliquant le droit des secrets commerciaux. Ce droit, qui prend sa source dans le contrat, se distingue ainsi des autres droits de propriété intellectuelle qui tirent leur origine de la loi. Cette composante contractuelle commanderait le recours à des modes distincts de résolution des conflits.
Le professeur Abraham Hollander, économiste québécois, jette un regard différent sur la question en considérant les contrats, les mesures techniques de protection et les droits de propriété intellectuelle en tant qu’éléments de correction pour l’analyse économique de la question.
Alors que les cinq premiers textes sont consacrés essentiellement à la propriété intellectuelle, les textes suivants concernent plutôt les conflits entre la propriété intellectuelle et d’autres concepts juridiques.
Avec un article portant sur la Convention de Vienne sur la vente de marchandises[11], la professeure Sophie Verville, de la Faculté de droit de l’Université Laval, met le droit international du commerce en relation avec la propriété intellectuelle. La professeure Verville fait ainsi état de quatre situations, trois françaises et une autrichienne, où des conflits surgissent relativement à l’article 42 de la Convention de Vienne, laquelle impose au vendeur de livrer la marchandise libre de tout droit ou de toute prétention de tiers fondé sur la propriété intellectuelle.
Me Xavier Van Overmerr, avocat du cabinet Fraser Milner Casgrain, présente ensuite les effets du droit européen lorsqu’il entre en relation avec le droit de la concurrence. Enfin, Me Francis Lord, étudiant de troisième cycle à l’Université McGill, s’intéresse aux liens entre le savoir universitaire et la propriété intellectuelle. Alors que la propriété intellectuelle joue un rôle de plus en plus important dans l’élaboration des politiques universitaires concernant l’exploitation commerciale du savoir, les limites entre le savoir et le commerce sont parfois difficiles à tracer.
Appendices
Notes
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[1]
Bobbs-Merril Co. v. Straus, 210 U.S. 339 (1908).
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[2]
Copyright Act of 1909, Pub. L. No. 60-349.
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[3]
Loi sur le droit d’auteur (1901) Reichsgesetzblatt, p. 227 (Allemagne).
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[4]
Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34.
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[5]
La décision a été rendue le 30 mars 2013 : Capital Records, LLC v. ReDigi Inc., No. 12 Civ. 95 (RJS) (S.D. N.Y. 2013).
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[6]
UsedSoft GmbH c. Oracle International Corp., Affaire C-128/11, [2012] (CJUE).
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[7]
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42.
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[8]
Valérie-Laure Benabou et Pierre-Emmanuel Moyse, « Propriété intellectuelle, distribution et épuisement numérique », dans Pierre-Emmanuel Moyse (dir.), Distribution des intangibles. La propriété intellectuelle dans le commerce des nouveaux biens, t. 2, Montréal, Thémis, 2014, p. 1.
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[9]
Kirtsaeng v. John Wiley & Sons, Inc., 133 S. Ct. 1351 (2013).
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[10]
Jacques De Werra, « International Transfert of Trade Secrets : Traps and Promises », dans P.-E. Moyse (dir.), préc., note 8, p. 105.
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[11]
Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, 11 avril 1980, (1988) 1489 R.T.N.U. 3.