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Le présent article porte sur l’option de loi dans le contexte des régimes d’autonomie gouvernementale instaurés au Canada par les traités modernes[1] constitutionnellement protégés aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[2]. Notre objectif est plus précisément d’évaluer la place et l’effet possible de l’option de loi dans ces régimes en matière de « statut personnel », c’est-à-dire « cette branche du droit que l’on désigne couramment en Occident par le droit des personnes et de la famille[3] ».

L’option de loi est la faculté pour un individu de choisir, à l’occasion d’une situation juridique ou d’un acte déterminé, entre au moins deux ordres juridiques ayant chacun vocation à s’appliquer à cette situation ou à cet acte[4]. Cette faculté se manifeste donc dans un contexte de pluralisme juridique entendu comme la simultanéité spatiale, matérielle et personnelle de plus d’un ordre normatif, étatique et non étatique[5].

À l’heure où la reconnaissance constitutionnelle des droits ancestraux et des droits issus d’un traité des peuples autochtones met à l’avant-plan la consécration de droits de groupe vecteurs d’autonomie, la question de l’option de loi surgit comme un enjeu encore largement méconnu de la gouvernance autochtone. Dans les pages qui suivent, nous montrerons d’abord le lien étroit entre le phénomène colonial et le pluralisme des statuts personnels à l’origine de l’option de loi (partie 1). Nous déterminerons ensuite dans quelle mesure l’autonomie gouvernementale autochtone qui se met graduellement en place à la faveur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et des traités modernes permet ou non l’option de loi en matière de statut personnel (partie 2). Il ressortira de cet examen que la faculté individuelle de choisir entre la norme autochtone et la norme non autochtone est une caractéristique importante de la nouvelle gouvernance autochtone. Nous nous attacherons ensuite à montrer que les institutions autochtones peuvent cependant, compte tenu d’enjeux collectifs et individuels de l’option qu’il conviendra d’exposer, encadrer et même écarter l’option de loi (partie 3).

1 La pluralité des statuts personnels et l’option de loi : l’héritage colonial

À l’instar de la pluralité des statuts personnels elle-même, l’option de loi est un enjeu multiséculaire. Elle a accompagné les grandes entreprises impériales et coloniales qui ont fait se rencontrer partout dans le monde les systèmes juridiques des conquérants et ceux des conquis[6]. Lorsque le droit de la puissance impériale ou colonisatrice reconnaissait le droit local, qu’il fût coutumier ou non, un système d’option entre ce droit et le droit importé pouvait être formellement organisé. Si toutefois le pluralisme juridique n’était pas officiellement pris en charge, l’option était officieuse, l’individu se trouvant de facto à la croisée de plus d’une proposition normative et opérant entre elles un choix qui, lorsqu’il se portait vers le droit local non reconnu, n’était pas susceptible de mise en oeuvre par les organes officiels[7]. C’est encore de cette manière que se donne à voir aujourd’hui le phénomène de la coexistence d’un droit étatique et d’un droit non étatique autochtone dans plusieurs États issus de la colonisation, y compris au Canada.

En pratique, la superposition d’une pluralité de statuts personnels sera plus fréquemment observable en présence de régimes de personnalité des lois, c’est-à-dire lorsqu’existent des ordonnancements juridiques ayant pour ancrage premier, non pas un espace cartographié, mais un groupe de personnes déterminé en fonction d’une qualité propre telle l’appartenance ethnoculturelle ou la confession religieuse[8]. La personnalité des lois n’obéissant pas strictement à la séparation territoriale des ordres juridiques, elle sera propice à l’entrelacement de ces ordres au sein d’un même espace et relativement aux mêmes matières.

Lorsque le colonisateur, par pragmatisme, octroyait officiellement au colonisé la possibilité de choisir entre sa loi personnelle et la loi nouvellement introduite, il faisait néanmoins le pari que l’option opérerait, à la faveur du travail inexorable de « civilisation », une assimilation juridique graduelle des peuples colonisés[9]. Cette stratégie diffusionniste portait peu de fruits lorsque les populations n’admettaient ni la légitimité ni l’efficacité du droit exogène sur lequel on les conviait à jeter leur dévolu[10]. L’attachement des peuples au droit qu’ils ont forgé pour régler les aspects les plus intimes de la vie, et qui a la capacité de s’adapter aux mutations sociales, peut perdurer bien au-delà des changements de souveraineté. Aujourd’hui encore, là où l’option de loi existe en contexte postcolonial, des études empiriques montrent que les réalités sociologiques persistantes font souvent obstacle à la volonté ou à la capacité réelle de l’individu de se soustraire au droit de son groupe religieux ou ethnoculturel[11].

Certains contextes d’hypercolonisation induisent toutefois une forte concurrence du droit autochtone et du droit étatique dans la vie juridique des individus autochtones. Au Canada, où un droit occidental conquérant et omniprésent tente de s’imposer de longue date aux autochtones, ces derniers ont appris à se mouvoir entre leurs régimes juridiques traditionnels et le droit officiel. Pour eux, la capacité d’opter est parfois bien réelle, même si elle se manifeste en marge de la sphère institutionnelle. En effet, pour beaucoup d’autochtones, la concurrence, et donc le choix, entre un ordre juridique autochtone et le droit étatique est un fait, que cette option soit ou non autorisée par les instances de l’État[12]. Certains, bien qu’ils aient connaissance de la coutume, recherchent le sceau de la légitimité officielle du droit commun et se conforment à ses exigences plutôt que de se tourner vers le droit autochtone. D’autres sont au fait de l’existence de la régulation étatique de certaines situations, pratiques ou relations, mais ils se placent néanmoins sous l’empire du droit non étatique, même lorsque ce dernier est occulté par la figuration moniste de l’État. Le cas de l’adoption dite coutumière, officiellement ignorée dans neuf provinces canadiennes sur dix, est l’un des mieux documentés, mais il n’est pas unique[13]. Il n’est bien sûr pas exclu que d’autres encore voudront réconcilier les deux ordres juridiques pour certains aspects de leur vie et ainsi chercher à satisfaire à la fois aux exigences du droit autochtone et à celles du droit étatique[14].

Les régimes d’option de loi en contexte autochtone ont jusqu’à récemment été rares au Canada, pays qui se distingue par le fait que le droit colonial n’y a pas, malgré quelques références circonscrites au droit coutumier, reconnu et institutionnalisé un régime étendu de statut personnel coutumier et de justice autochtone en droit privé. Contrairement à ce qui s’est produit en Afrique, en Asie et dans le Pacifique, les autorités britanniques et canadiennes n’ont pas jugé impérieux d’organiser un régime de dualité juridique qui aurait exigé que l’on s’interroge sur l’opportunité de mettre en place l’option de loi, notamment dans le droit des personnes et de la famille. Cela s’explique sans doute par le fait que les populations autochtones se sont trouvées rapidement minorisées dans un contexte de peuplement allochtone aussi massif qu’imparable. Il en résulte que, malgré une ouverture des textes constitutionnels à l’application de lois personnelles pour les « Indiens[15] », l’État ne s’est pas, à ce jour, résolument engagé sur la voie d’un statut personnel autochtone[16].

Des exemples bien connus de dispositifs d’option tacite existent tout de même. Ainsi, la jurisprudence et la législation déclarant valide au regard du droit étatique une adoption ou un mariage coutumier n’obligent nullement les individus à recourir à une telle adoption ou à un tel mariage[17]. Les instances étatiques admettent l’aptitude des individus à choisir le régime coutumier sans pour autant leur refuser l’accès au régime étatique, si c’est ce dernier qu’ils privilégient.

Alors que, sur les autres grandes scènes de la colonisation occidentale, l’option de loi servait surtout le dessein de dissoudre progressivement la pluralité juridique dans un droit national unifié, la question de l’option de loi dans la gouvernance autochtone se pose actuellement au Canada dans la perspective d’une atténuation d’un monisme officiel. L’enjeu de l’autonomie de la volonté individuelle intervient en outre dans un processus de reconstruction des autonomies collectives à la faveur d’une reconnaissance constitutionnelle de droits de groupe fondée sur une autochtonité de plus en plus valorisée et légitimée. L’idée que le nouveau contexte constitutionnel canadien donne l’occasion de redécouvrir et de mobiliser les traditions juridiques autochtones tend à se répandre[18], ce qui met en exergue l’intérêt du rôle des individus autochtones dans l’actualisation de ces traditions devant un droit étatique qui, par ses menées hégémoniques, s’est attaché à les marginaliser.

L’option de loi en contexte d’autonomie autochtone mettra en concurrence les droits autochtone et non autochtone en ouvrant aux individus une passerelle entre les espaces juridiques. L’individu devient en quelque sorte un arbitre dont les décisions infléchiront l’équilibre des pouvoirs entre l’État et les institutions autochtones. S’il choisit dans un grand nombre de cas d’adhérer au droit autochtone, il confortera les institutions et les systèmes juridiques autochtones. Dans le cas contraire, c’est le droit étatique qui verra sa position prééminente affermie, et le sujet de droit apparaîtra comme un vecteur de diffusion du droit dominant.

Il est donc aisé de percevoir la corrélation entre les stratégies individuelles et l’enjeu collectif de la consolidation de l’autonomie autochtone. Cette interface du collectif et de l’individuel prend encore plus de relief si, à l’instar de plusieurs auteurs et organisations, on conçoit l’option comme un procédé d’autoprotection par lequel l’individu peut se soustraire à une loi autochtone qu’il juge contraire à ses droits et libertés[19].

Les enjeux tant collectifs qu’individuels de l’option dans le contexte de l’autonomie gouvernementale autochtone ne sont pas que purement théoriques puisque, comme nous le verrons ci-dessous, le régime des droits ancestraux et des droits issus de traité reconnus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 rend possible l’option.

2 L’option de loi dans le régime des droits ancestraux et issus d’un traité

2.1 Les droits ancestraux et la faculté de choisir

Le droit ancestral appartenant au groupe et non aux individus qui en font partie, il revient au groupe de fixer les conditions et les modalités selon lesquelles ses membres pourront l’exercer[20]. Certains droits ancestraux peuvent exister en matière de statut personnel, comme c’est le cas notamment de l’adoption coutumière[21]. Ainsi, l’exercice de ces droits relèvera des règles du groupe selon le principe de la personnalité des lois puisque seuls les individus pouvant justifier d’un rattachement personnel au groupe pourront se prévaloir de ces règles[22]. Il en ira de même dans l’hypothèse — acceptée par la doctrine, la politique gouvernementale fédérale et certains magistrats — d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale de portée générale, c’est-à-dire emportant le pouvoir de régir un ensemble de matières se rapportant à la vie interne de la communauté[23]. Dans ce cas de figure, la collectivité exercerait une autorité générique au lieu de détenir un droit-compétence se rapportant à une activité spécifique, mais cette autorité ne vaudrait, pour les questions relevant du statut personnel, qu’à l’égard des individus appartenant au groupe ou y étant effectivement rattachés.

Toutefois, un individu n’est pas a priori juridiquement contraint de se prévaloir d’un droit ancestral détenu par sa communauté. Le droit étatique reste, même pour la matière faisant l’objet du droit ancestral, à sa disposition. Ainsi, le simple fait que la communauté détienne un droit ancestral en matière de mariage, par exemple, n’emportera pas l’obligation pour un couple autochtone de se marier conformément au régime communautaire issu du droit ancestral plutôt que selon la loi générale de l’État. L’application du droit commun à un couple ayant choisi de s’y soumettre ne constituera pas en soi une violation du droit ancestral puisque les mariés inscrivent leur relation juridique à l’extérieur de celui-ci. Ils n’agissent pas en tant que bénéficiaires autochtones du droit ancestral, mais en tant que citoyens se réclamant du droit commun.

Lorsque, toutefois, l’individu opte pour l’exercice d’un droit ancestral relatif à un aspect du statut personnel, la coexistence du droit commun sur le statut personnel et des règles autochtones issues d’un droit ancestral ne pourrait-elle pas entraîner l’application cumulative des normes étatiques et autochtones, donc l’obligation de se conformer aux unes et aux autres plutôt que la faculté de choisir entre les unes ou les autres ? Il faut, à notre avis, répondre par la négative.

Dès qu’un individu décide de se prévaloir du droit ancestral de sa communauté conformément aux règles de celle-ci, le principe de la reconnaissance inscrit à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. signifie que l’État ne peut, en exigeant de cet individu le respect du droit commun, nier l’effet d’une situation juridique ou d’un acte juridique se rapportant au statut personnel et constitué sous l’empire du droit ancestral. Par exemple, une adoption réalisée conformément à un droit ancestral produit ses effets selon les règles autochtones indépendamment de la loi, et ces effets sont reconnus et confirmés dans l’ordre juridique étatique par l’article 35. La loi ne peut remettre en cause ces effets au nom du droit commun sans porter atteinte à un droit ancestral constitutionnellement protégé[24]. Dès lors, on ne saurait, par exemple, prétendre que le non-respect d’une exigence matérielle ou procédurale prévue par la loi générale en matière d’adoption rend nulle et caduque l’adoption procédant du droit ancestral. Si l’autorité étatique tient à nier ou à limiter l’effet juridique du statut personnel créé par le droit ancestral en imposant le respect de ses propres normes, elle devra démontrer selon les critères dégagés dans l’affaire Sparrow, et précisés dans la jurisprudence subséquente, que cette mesure est justifiée[25]. C’est dire qu’il incombera au gouvernement de démontrer que l’atteinte au droit poursuit un objectif gouvernemental important et que les moyens pris pour l’atteindre sont conformes à l’honneur de la Couronne qui exige, au minimum, la consultation des autochtones et des mesures d’atténuation des effets préjudiciables de la mesure sur l’exercice de leur droit ancestral[26].

2.2 L’option de loi et les traités

Tout comme les droits ancestraux, les droits issus des traités historiques sont des droits de groupe[27] que l’individu exerce, selon la Cour suprême du Canada, « sous l’autorité de la communauté[28] ». Un membre d’un peuple signataire d’un traité ne peut donc exercer qu’un droit dérivé du groupe[29] et conformément aux normes écrites ou non écrites mises en place par ce dernier selon le principe de la personnalité des lois. Cet individu n’est cependant pas tenu de se prévaloir du traité et peut donc se tourner vers le droit de l’État régissant la matière à l’égard de laquelle existent des normes communautaires reconnues par le traité. Un individu pourrait, par exemple, vouloir chasser conformément au régime légal de la chasse sportive plutôt que selon le régime autochtone appliqué sous l’autorité du traité. L’application de la loi générale à l’individu autochtone qui ne souhaite pas se prévaloir d’un traité, mais qui sollicite plutôt un privilège octroyé par cette loi, ne peut dès lors être en soi une atteinte à ce traité.

Les traités historiques n’ont cependant guère d’incidence sur le statut personnel, de sorte que la question de l’option se posera plutôt dans le contexte des traités modernes et des accords qui mettent en place des institutions autochtones dotées de compétences législatives.

Plusieurs peuples autochtones sont parvenus à conclure avec les gouvernements des accords comportant à la fois le règlement de la question foncière et la constitution d’un gouvernement autochtone autonome dont l’existence, le statut et les pouvoirs jouissent d’une protection constitutionnelle[30]. Aux termes de ces accords, les gouvernements autochtones nouvellement créés disposent d’une gamme de compétences législatives, dont certaines sont territoriales, alors que plusieurs autres sont personnelles. En fait, cette nouvelle gouvernance autochtone fait une place substantielle au principe de la personnalité dans l’aménagement des pouvoirs[31]. Les compétences législatives autochtones se rapportant au statut personnel comprennent le droit de légiférer concernant la célébration du mariage[32], les effets extrapatrimoniaux et patrimoniaux du mariage et des liens familiaux[33], la garde, la tutelle ou les droits de visite à l’égard d’un enfant[34], l’adoption[35], la protection de l’enfance[36], la capacité[37], les successions et l’administration des biens d’autrui[38].

Malgré l’importance de la question, les traités ne contiennent pas de règles explicites sur l’option de loi entendue comme la faculté pour un individu que la loi autochtone a vocation à régir d’opter néanmoins pour l’application du droit non autochtone relatif au statut personnel[39]. Ils ne répondent pas non plus de manière expresse à la question de savoir si l’individu autochtone qui préfère le droit autochtone peut, dans ce cas, se soustraire au droit commun.

En revanche, les traités admettent dans certains cas que des individus qui échapperaient a priori au droit autochtone se prévalent d’une option d’entrée dans cet ordre juridique. Ces personnes sont soit des non-membres, soit des membres du groupe autochtone résidant à l’extérieur du périmètre géographique d’application des lois autochtones. Il faut en effet se rappeler que le principe de la personnalité des lois circonscrit la portée ratione personae de l’ordre juridique en fonction de l’appartenance de l’individu au groupe porteur de cet ordre. L’application ratione loci des lois personnelles peut aussi être limitée, comme c’est le cas dans les traités modernes, par référence à un territoire donné qui sera le plus souvent le territoire détenu en propre par la collectivité autochtone[40]. En conséquence, les non-membres et les membres qui demeurent à l’extérieur de l’espace d’application des lois personnelles ne sont pas a priori rattachés à l’ordre juridique autochtone.

Ces individus auxquels les lois autochtones n’ont pas vocation à s’appliquer pourraient néanmoins souhaiter se soumettre volontairement à ces lois. Cette situation sera sans doute plus susceptible de survenir en pratique lorsque des individus à qui la loi autochtone n’est pas applicable entretiennent néanmoins avec la collectivité autochtone un rapport personnel étroit. Il en ira ainsi des autochtones membres du groupe résidant à l’extérieur du territoire communautaire et des couples ou des familles mixtes. Ce sont des situations de ce type qui sont précisément désignées par les traités comme donnant lieu à un droit de s’assujettir au système juridique autochtone de statut personnel.

Ainsi, l’Accord inuit prévoit que « [l]es lois inuites relatives à la célébration du mariage à Terre-Neuve-et-Labrador hors des Terres des Inuit du Labrador et des communautés inuites s’appliquent lorsqu’une ou les deux parties au mariage est Inuk et que les deux parties consentent par écrit à l’application des lois inuites[41] ». Ce traité permet également, sous réserve du respect de certaines conditions, l’application des lois inuites portant sur les effets du mariage et des liens familiaux aux Inuits ne résidant pas sur le territoire inuit[42]. Enfin, plusieurs traités prévoient la possibilité pour les parents, le tuteur d’un enfant ou l’enfant lui-même, lorsque cela est nécessaire, de consentir à l’application des lois autochtones à l’adoption soit d’un enfant membre de la Première Nation vivant hors des terres de celle-ci[43], soit d’un enfant non membre résidant sur les terres de la Première Nation[44].

Ce type précis d’option apparaît comme une technique de règlement de conflits interpersonnels de loi, c’est-à-dire de détermination de la loi applicable à un rapport de droit entre des individus relevant a priori de lois différentes en matière de statut personnel[45]. Il s’agit d’un mécanisme susceptible de conférer à l’ordre juridique autochtone un plus ample périmètre d’action puisqu’à défaut de cette option le droit commun s’appliquera généralement à la relation ou à la situation juridique[46]. Les traités donnent ici à voir une approche un peu plus propice à la pluralité juridique que les systèmes d’option de loi à sens unique généralement observés ailleurs et qui favorisent le passage des autochtones au droit commun sans permettre aux non-autochtones de se placer volontairement sous l’empire du droit autochtone même dans une situation de mixité[47]. Nous sommes toutefois en présence de cas d’espèce qui constituent des exceptions au principe général voulant que, en ce qui concerne les compétences personnelles, le droit autochtone n’a vocation qu’à régir les individus membres du groupe et relevant par ailleurs de la compétence ratione loci des institutions autochtones selon les termes du traité. On ne saurait, en d’autres termes, parler d’un droit général de tout citoyen de faire de la loi autochtone son droit en matière de statut personnel.

La faculté pour les individus qui relèvent de la compétence de principe des autorités autochtones de choisir néanmoins la loi non autochtone n’est pas expressément consacrée dans les traités, mais elle résulte du principe de la disponibilité de la loi générale énoncé par les accords. L’article 2.2.4 de l’Accord tlicho, par exemple, énonce ce qui suit : « L’Accord n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits des citoyens tlicho en tant que citoyens canadiens. Ils continuent de jouir de tous les droits et avantages reconnus aux autres citoyens canadiens et qui s’appliquent à eux[48]. » Plus concis, l’Accord inuit va dans le même sens en affirmant, à son article 2.8.1, que « [r]ien dans l’Accord ne porte atteinte aux droits des Inuit en tant que citoyens canadiens[49] ». Ces dispositions apparaissent comme une inversion de la formule citizens plus qui a été un temps mise en avant et selon laquelle « [i]n addition to the normal rights and duties of citizenship, Indians possess certain additional rights as charter members of the Canadian community[50] ». Dans l’esprit des traités, la formule consiste plutôt à affirmer que, en sus du statut et des droits qu’ont les autochtones en tant que membres des peuples premiers, ils continuent de jouir des droits que procure généralement leur rattachement à l’État.

L’objet évident de ces dispositions est d’empêcher que les individus autochtones, sous prétexte qu’ils sont bénéficiaires d’un traité, ne soient victimes d’un traitement défavorable dans l’application des programmes et des services gouvernementaux offrant des bénéfices, des prestations ou des avantages à l’ensemble des citoyens. Une interprétation de ces dispositions qui en limiterait la portée au domaine des lois non autochtones relatives aux droits sociaux et économiques serait cependant indûment restrictive. Une vaste gamme de lois générales confère aux citoyens des « droits », des « avantages » et des « bénéfices », y compris dans les matières relevant du statut personnel. Le fait pour les autorités étatiques de refuser à un autochtone la possibilité de se prévaloir du régime du droit commun relativement à ces questions au seul motif qu’il est visé par un traité d’autonomie gouvernementale autochtone mettrait en cause le principe de la disponibilité de la loi générale et irait à l’encontre du traité en question.

En conséquence, un citoyen autochtone appartenant à une communauté disposant de compétences législatives en matière de statut personnel pourra a priori, sous réserve des règles de conflits de lois qui seront traitées plus loin, revendiquer le bénéfice de la loi générale relative à la même matière.

La question se pose toutefois de savoir si, au regard des traités, les autochtones qui souhaitent plutôt être gouvernés par le droit autochtone pour une situation juridique ou un acte donné pourront se soustraire au droit commun applicable à cette situation ou à cet acte. Autrement dit, est-ce possible que, si un autochtone opte pour le droit autochtone, il doive en plus se conformer au droit commun ? Cette question découle de la présence dans les traités d’une clause disposant que les lois fédérales et provinciales s’appliquent aux citoyens des peuples autochtones pour lesquels des institutions autonomes dotées de pouvoirs législatifs sont constituées[51]. La formule consacrée consiste à affirmer, comme c’est le cas par exemple à l’article 2.15.1 de l’Accord inuit, que « les lois fédérales et provinciales s’appliquent aux Inuit, au gouvernement inuit, aux Terres des Inuit du Labrador et aux terres communautaires[52] ». Les parties tirent ici les conséquences de la jurisprudence de la Cour suprême voulant qu’un droit reconnu par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne vienne pas en soi supplanter les pouvoirs législatifs prévus dans la Loi constitutionnelle de 1867[53].

Ainsi, l’entrée en vigueur d’un traité ne place pas les autochtones hors d’atteinte du droit issu des autres organes législatifs, pas plus qu’il ne met le droit de ces organes hors de portée des autochtones. Au contraire, dans la foulée d’un traité, la loi non autochtone reste la seule à régir les autochtones en attendant que leur gouvernement adopte une loi applicable à ses membres pour une matière de compétence personnelle énumérée dans un traité[54]. Même lorsqu’elle est mise en vigueur, la loi autochtone n’évince pas nécessairement les autres lois portant sur la même matière et visant les mêmes personnes. En d’autres termes, le seul fait pour le législateur autochtone d’occuper effectivement son champ de compétence ne rend pas inapplicable la loi non autochtone[55].

Toutefois, le principe de l’applicabilité du droit non autochtone exprimé dans les traités ne signifie pas que les autochtones ne peuvent s’y soustraire, même s’ils optent pour le droit autochtone. Ce principe n’impose pas, en d’autres termes, le dédoublement des formalités et des actes juridiques liés au statut personnel afin d’assurer la validité de ce statut au regard des deux ordres juridiques. Un couple n’aura pas, par exemple, à contracter deux mariages ni à procéder à deux adoptions pour se conformer aux exigences cumulées des deux lois en présence. Les individus pourront opter pour un régime et l’élément du statut personnel acquis sous l’empire de celui-ci sera valide aux fins de l’autre régime.

Dès qu’un individu décide de se prévaloir du droit issu d’un traité de sa communauté, il résulte de la législation de mise en oeuvre du traité et du principe de la reconnaissance inscrit à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et dans le traité lui-même[56] que l’État ne peut, sans porter atteinte à ce droit, nier l’effet d’une situation juridique ou d’un acte juridique se rapportant au statut personnel et constitué dans les limites d’une compétence législative autochtone reconnue audit traité[57]. Or c’est ce qu’il ferait s’il refusait de donner effet à un statut personnel constitué selon le droit autochtone en exigeant en plus la conformité avec le droit commun.

Cela est d’ailleurs confirmé par le fait que les traités encadrent méticuleusement la législation autochtone relative au statut personnel pour s’assurer qu’elle respectera certains principes procéduraux et substantifs fondamentaux que l’on trouve normalement dans le droit commun. Pourquoi, par exemple, exiger que la loi autochtone sur l’adoption ou la tutelle respecte le principe des intérêts supérieurs de l’enfant[58] si, de toute manière, une adoption ou une tutelle constituée sous l’empire de la loi autochtone devait, pour être pleinement effective, se conformer également au droit étatique comportant la même exigence ? Manifestement, les parties estimaient qu’une adoption ou une tutelle selon la loi autochtone produira pleinement ses effets sans l’intervention de la loi non autochtone, d’où le besoin ressenti d’éviter qu’il en résulte un préjudice aux intérêts supérieurs de l’enfant.

Dès lors, les clauses déclarant les lois provinciales et fédérales applicables n’ont pas pour objet de faire obstacle à une option en faveur du droit autochtone, mais elles ont plutôt pour effet de renforcer le principe de la disponibilité de la loi générale pour les autochtones qui souhaitent s’en prévaloir. Sur ce point, la solution mise en avant dans les traités se distingue de l’approche adoptée par le Parlement fédéral dans la Loi sur l’autonomie gouvernementale des premières nations du Yukon[59], en vertu de laquelle l’adoption par un gouvernement autochtone d’une loi en matière de statut personnel vient supplanter, à l’égard des citoyens autochtones seuls régis par cette loi, toute législation territoriale d’application générale portant sur le même sujet, ce qui écarte de la sorte toute possibilité pour ces citoyens de choisir entre la loi autochtone et la loi territoriale[60].

On peut conclure somme toute que, dans les régimes d’autonomie gouvernementale découlant des traités modernes, il existe une faculté d’option en situation de coexistence d’une loi étatique et d’une loi autochtone régissant un même aspect du statut personnel. Cette faculté pourra toutefois, selon nous, être encadrée ou écartée par une décision d’autorités autochtones désireuses de contrôler ou même d’exclure l’option de loi par leurs membres pour une matière relevant d’une compétence autochtone prépondérante.

3 La compétence autochtone relative à l’option de loi en matière de statut personnel

3.1 Les règles de conflit de lois et la compétence autochtone relative à l’option de loi

Les principes de la disponibilité de la loi générale et de la concurrence des lois régissant les mêmes personnes et les mêmes matières entraînent la nécessité d’en coordonner l’application et de poser des règles pour trancher les conflits pouvant survenir entre ces lois. Il importe, en d’autres termes, soit d’assurer l’application harmonieuse des lois, soit de pourvoir à la situation où le principe de la concurrence devient inopérant. C’est ce que font les traités en déterminant expressément, pour chaque compétence, si un conflit de lois se résoudra en faveur du droit non autochtone ou du droit autochtone. Le statut personnel est un domaine où le droit autochtone prévaut généralement en cas de conflit avec une loi provinciale ou territoriale[61]. Ainsi, en présence d’un conflit de lois relatives au statut personnel, la loi non autochtone devient, dans la mesure du conflit, inopérante à l’égard des personnes régies par la loi autochtone.

Dans l’Accord nisga’a, il est prévu que la prépondérance de la loi autochtone est acquise en cas d’« incompatibilité » avec une loi non autochtone[62]. Par ailleurs, la formule retenue pour définir le « conflit » exige « un conflit réel d’application[63] », formule dont la traduction anglaise est actual conflict in operation, ce qui correspond exactement à la terminologie employée par la Cour suprême pour désigner un type de conflit entre une loi provinciale et une loi fédérale dans le partage fédératif des compétences. Selon la Cour suprême, pour qu’il y ait un conflit réel d’application, il faut que l’observance d’une loi empêche, sur le plan opérationnel, le respect de l’autre[64]. Le test de l’« incompatibilité » formulé dans l’Accord nisga’a, quant à lui, n’est pas défini et renvoie vraisemblablement à toute divergence appréciable entre les lois[65], ce qui comprend ce que la jurisprudence relative au partage des compétences appelle le « conflit d’objet » ou d’intention qui se produit lorsque la réalisation de l’objet de la loi autochtone est entravée par l’application de la loi étatique[66].

Les règles de conflit prévues dans les traités en matière de statut personnel permettent aux autorités autochtones d’édicter une loi aux termes de laquelle le droit autochtone est impérativement le seul à régir le statut personnel des individus relevant de la compétence autochtone. Dans le cas particulier de l’Accord nisga’a, une telle loi sera d’emblée incompatible avec l’application du droit commun que la prépondérance de la loi nisga’a viendra donc écarter[67]. Pour ce qui concerne les traités régis par le critère du conflit d’application, le fait pour l’administration non autochtone de respecter pleinement la loi autochtone déclarée exclusive ira à l’encontre de la loi générale qui oblige les fonctionnaires à appliquer le droit commun aux autochtones désireux de s’en prévaloir comme à tous les citoyens. De même, si ces fonctionnaires appliquaient le droit commun, ils violeraient la règle d’exclusivité autochtone. En conséquence, une loi autochtone écartant l’option de loi génèrera un conflit d’application qui devra être tranché, conformément à la règle de conflit la plus souvent applicable, en faveur de la loi autochtone.

Les autorités autochtones, au lieu d’exclure l’option de loi en toute circonstance, pourraient vouloir simplement l’encadrer en imposant des conditions de fond et de forme impératives. L’application du droit commun ne pourra se faire en violation de ces conditions. En effet, si la règle de conflit applicable à la compétence autochtone en cause est l’incompatibilité, faire fi des conditions impératives de la loi autochtone relatives à l’application de la loi générale entraverait la politique législative autochtone et entraînerait la prépondérance de la loi autochtone. Si le critère est celui du conflit d’application, les citoyens et les autorités publiques seront dans certains cas à même de se conformer aux deux lois en respectant les conditions particulières posées par la loi autochtone et qui la rendent plus contraignante. S’il est impossible de se conformer aux deux lois, la loi autochtone l’emportera, de sorte que les limites ou les conditions qu’elle impose à l’option de loi trouveront application.

Il convient par ailleurs de mentionner que la solution ne serait pas différente si la Cour suprême en venait à admettre qu’un peuple autochtone puisse, en marge de tout traité, détenir un droit ancestral inhérent à l’autonomie gouvernementale de nature générique[68]. Dans la mesure où un tel droit ferait de la collectivité autochtone une véritable puissance publique dotée de prérogatives législatives équivalentes aux attributions étatiques, les autorités autochtones auraient la possibilité de contraindre leurs citoyens à se soumettre exclusivement à la loi autochtone relative au statut personnel de manière à éviter qu’ils se tournent plutôt vers le droit étatique. Le test de l’atteinte aux droits dégagé par la Cour suprême aux fins de l’article 35 jouerait dans ce cas le rôle d’une règle de conflit. Comme ce critère veut que toute « diminution appréciable » de l’exercice d’un droit ancestral constitue une atteinte à première vue[69], l’application d’une loi étatique de façon à ignorer complètement la loi autochtone constituerait une atteinte au pouvoir autochtone.

Les peuples autochtones dotés de compétences législatives prépondérantes en matière de statut personnel auront donc la latitude de trancher la question de savoir si la faculté d’option de loi devrait être maintenue ou écartée et selon quelles modalités. Il est vrai que, même en présence d’une compétence législative prépondérante reconnue par traité, les autorités étatiques pourront théoriquement démontrer qu’il est légitime de passer outre la loi autochtone et de permettre l’option en faveur du droit non autochtone. Aucun droit ancestral ou issu d’un traité, quand bien même il s’agirait d’un droit relatif à l’autonomie gouvernementale, n’échappe en effet au pouvoir souverain de l’État d’en restreindre ultimement l’exercice si cette restriction satisfait par ailleurs le test de justification dégagé par la Cour suprême dans l’affaire Sparrow et la jurisprudence subséquente[70]. Cependant, comme nous l’expliquerons plus loin, cette hypothèse ne pourra guère se concrétiser tellement une politique d’option à tout prix serait disproportionnée.

3.2 L’exercice de la compétence autochtone : faut-il maintenir l’option de loi ?

Les traités d’autonomie gouvernementale attribuent donc aux autochtones le pouvoir de se donner une politique en matière d’option de loi relativement au statut personnel. Ils seront à même de soupeser les avantages et les inconvénients d’une valorisation de la volonté individuelle des sujets de droit autochtones. Au fil du temps et au gré des contextes, l’option de loi a été défendue sur le fondement de deux types d’arguments. Le premier type se rapporte à des préoccupations collectives et institutionnelles, alors que le second concerne la dimension individuelle. Il faut jauger le poids légitime de cet argumentaire « optionniste » dans le contexte précis de l’exercice des compétences personnelles autochtones reconnues par les traités.

La première déclinaison de l’argumentaire de portée collective et institutionnelle procède de l’esprit colonial. Elle consiste à faire l’apologie de l’option comme moyen d’opérer l’atrophie progressive des traditions juridiques autochtones au profit d’une loi territoriale d’inspiration occidentale réputée porteuse de développement et de civilisation. Il faut admettre sans ambages que cette posture assimilationniste se trouve aujourd’hui délégitimée au Canada par l’objet même de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et des traités qui, selon la Cour suprême, « permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne[71] ». Loin de fondre autochtones et non-autochtones dans le moule unique d’un système juridique national indifférencié, le nouveau dispositif constitutionnel permet de légitimer l’aspiration des peuples premiers à pérenniser l’expression, par des ordres juridiques propres, de leur autochtonité librement assumée.

La seconde déclinaison de l’argument de portée collective consiste, au contraire de la précédente, à préconiser l’option de loi en vue de la valorisation des traditions juridiques subalternes enclavées dans le giron étatique, et ce, dans les situations où l’État est parvenu à faire progresser de manière décisive la prééminence de son droit[72]. Dans le contexte canadien actuel, il pourrait être tentant de se représenter l’option de loi non plus comme fossoyeuse de l’altérité juridique autochtone, mais comme un instrument pragmatique de dépassement du monisme officiel. Parce qu’elle admet le rattachement des autochtones à un ordre juridique qui leur est propre en marge du droit commun, l’option relâche sans aucun doute les tenailles monopolistiques du pouvoir non autochtone. Elle représente en cela un jalon sur le chemin du dualisme juridique.

Cependant, cette stratégie de l’entre-deux ne constitue certes pas le moyen le plus efficace dont disposent les peuples autochtones détenteurs d’autonomie gouvernementale pour protéger et promouvoir leurs systèmes juridiques propres dans le contexte des traités. La logique d’option fait de la loi autochtone un droit facultatif, alors que les traités permettent aux institutions autochtones de rendre leurs lois obligatoires pour les individus qui relèvent de leur autorité. L’affirmation de l’exclusivité du droit autochtone, même si elle ne vaut que dans le champ étroit des compétences autochtones prépondérantes, freine beaucoup plus efficacement les forces du centralisme juridique que l’option de loi.

Il ne faut en effet pas oublier que cette option interviendra dans un contexte où le rapport de force, sur le « marché du droit », entre les institutions autochtones et celles de la Couronne n’est pas égalitaire. Grâce à ses ressources qui sont sans commune mesure avec celles dont disposent les gouvernements autochtones, à son surcroît de visibilité dans l’espace public et à ses dispositifs institutionnels très bien rodés, le gouvernement provincial ou territorial peut rendre son droit attractif. D’autant plus que les traités aménagent un régime d’option asymétrique qui procure un avantage concurrentiel décisif au droit commun. L’État, en effet, n’a pas à craindre que l’option le prive substantiellement de sa « clientèle », car les traités ne permettent pas un délaissement du droit commun au profit du droit autochtone par l’ensemble de la population. Les voies d’accès à l’ordre juridique autochtone par certains non-autochtones sont étroitement balisées et ne pourront être empruntées que par un petit nombre de personnes[73]. L’État ne peut donc que profiter de la faculté pour les autochtones de se tourner vers le droit commun, alors que seul le droit autochtone risque réellement de perdre au jeu de l’option[74].

Exclure la faculté d’option permettrait, en revanche, d’affirmer l’autonomie collective, de fortifier les assises des institutions nouvelles et de favoriser l’émergence d’une ordre juridique autochtone. Cependant, serait-ce là faire illégitimement l’impasse sur les enjeux individuels de l’option, sur la liberté, la sécurité ou l’égalité de l’individu qui se trouveront offertes en sacrifice à la sanctuarisation du particularisme collectif ?

La nécessité de protéger les droits et libertés des membres de groupes infra-étatiques est souvent mise en avant par ceux qui prônent le libre accès au droit commun. Dans cette perspective, il est postulé que l’individu, en vue de son autoprotection, optera pour l’ordre juridique le plus favorable à ses droits fondamentaux, donc pour le droit commun dès lors que le droit de son groupe perpétue des règles et des pratiques liberticides ou discriminatoires. L’option serait même alors un moyen de pression par lequel l’individu aiguillerait son groupe, soucieux de conjurer la défection de ses adhérents, sur la voie d’un plus grand respect des droits individuels, notamment ceux des personnes vulnérables comme les femmes et les enfants[75].

L’argument des droits et libertés individuels porte en présence de lois personnelles de nature confessionnelle, c’est-à-dire lorsque droit et préceptes religieux sont indissolublement imbriqués, de sorte qu’être soumis à l’empire d’une loi est une sujétion à des croyances et des dogmes religieux. La possibilité de préférer une loi civile laïque à la loi religieuse apparaît alors comme une condition de la liberté de religion et de conscience de l’individu[76]. De même, la défense individualiste de l’option se comprend lorsqu’elle cible des systèmes juridiques non étatiques ayant traditionnellement nié l’égalité des hommes et des femmes et dont la conformité aux instruments internationaux et nationaux de protection des droits et libertés est un objectif recherché[77].

Les lois autochtones fondées sur les traités modernes ne sont cependant pas de cette nature et l’individu régi par celles-ci ne se trouve aucunement livré sans défense à des pouvoirs communautaires prédateurs affranchis de toute contrainte relativement aux droits fondamentaux. Les gouvernements autochtones issus des traités sont des institutions démocratiques responsables devant leurs citoyens, lesquels jouissent de toutes les libertés politiques et disposent de voies de recours devant des tribunaux indépendants pour faire contrôler la légalité de l’action gouvernementale et assurer le respect de leurs droits. De plus, les traités astreignent les pouvoirs autochtones au respect de la Charte canadienne des droits et libertés[78] qui garantit les libertés fondamentales de même que les droits de tous à la vie, la sécurité et à l’égalité[79]. Certaines constitutions autochtones contiennent en outre des chartes des droits qui, tout en affirmant la nécessaire prise en considération du contexte culturel autochtone, réitèrent l’impératif de protection de l’individu par rapport au pouvoir du groupe[80]. Enfin, l’article 35 (4) de la Loi constitutionnelle de 1982 énonce que, indépendamment de toute autre disposition de cette loi, « les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes » et empêche ainsi que les femmes et les hommes ne jouissent pas également de la loi autochtone.

Une telle pénétration des droits et libertés dans les autonomies autochtones issues des traités rend largement caduc le plaidoyer habituel pour l’option de loi comme outil d’autoprotection des individus à l’encontre de groupes infraétatiques « illibéraux[81] ».

Au surplus, les traités conditionnent l’exercice des compétences autochtones afférentes au statut personnel à l’application de principes directeurs et de standards juridiques bien établis en droit commun[82], et parfois même aux normes édictées dans la loi provinciale[83], ce qui induit ainsi l’harmonisation des droits autochtone et non autochtone dans une trame commune protectrice des individus vulnérables. Il s’agit d’un procédé consensuel d’alignement du droit autochtone sur le droit commun faisant en sorte que l’option, en tant que moyen par lequel s’opère l’extension aux autochtones du champ d’application d’une loi générale réputée émancipatrice, n’a plus guère de justification.

La thèse « optionniste » fondée sur la liberté individuelle se manifeste souvent de manière plus générale comme un plaidoyer de principe en faveur de l’autodétermination identitaire de l’individu à l’ère du décloisonnement et de la plasticité des appartenances. L’option apparaît alors comme un titre de mobilité individuelle mettant en échec l’assignation à domicile juridique et donc l’incarcération du sujet dans une vision du monde[84]. Elle met à mal la construction systémique, moniste et monopolistique du droit souvent tenue pour dépassée à l’heure de la « postmodernité juridique » caractérisée par la porosité des frontières juridiques[85]. Quelle qu’en soit la valeur dans l’abstrait, cet argument ne saurait justifier l’option telle qu’elle se manifestera dans le contexte précis de l’autonomie gouvernementale autochtone instituée par les traités. Si le principe de l’option est maintenu, la libre circulation juridique sera, en règle générale, l’apanage des seuls autochtones et ne pourra que rassembler autochtones et non-autochtones sur les terres du droit commun, ce qui tendra à conforter, plutôt que de l’obérer, la disposition moniste du droit non autochtone. Mis à part les quelques cas où l’option en faveur du droit autochtone est permise par les traités, les non-autochtones, pour leur part, sont confinés dans le giron du droit territorial de l’État dont la neutralité culturelle proclamée n’est pourtant que de façade puisqu’il charrie en réalité la culture occidentale[86].

De toute façon, les traités admettent que les individus autochtones ne peuvent être retenus contre leur gré dans un statut et un régime juridique particuliers de nature ethnoculturelle. Il leur est loisible de renoncer au statut de bénéficiaire d’un traité et, de ce fait, de se placer hors d’atteinte des compétences personnelles autochtones prévues par celui-ci[87]. Certes, les conséquences de l’option de statut sont d’ordre systémique et bien plus considérables que celles de l’option de loi, car l’abandon du statut juridique autochtone entraîne la renonciation à l’ensemble des avantages et des prestations prévus dans un traité. Une telle sortie ne sera donc normalement envisageable par l’individu que dans les circonstances les plus impérieuses. Il reste qu’en définitive le primat du libre arbitre est affirmé, l’individu étant habilité à soupeser les mérites et les défauts de son statut autochtone et à opter, le cas échéant, pour le statut de simple citoyen canadien gouverné par le droit commun.

L’argumentaire usuel en faveur de l’option de loi n’a, somme toute, qu’une résonnance ténue dans le contexte de l’autonomie gouvernementale autochtone fondée sur les traités modernes. Il existerait en revanche plus d’un motif justifiant de ne pas permettre l’option. Outre le renforcement de l’autonomie et de l’ordre juridique autochtones, l’exclusivité du droit autochtone éloignerait les périls bien connus de l’option que sont la difficulté pratique de garantir son caractère libre et informé, l’imprévisibilité des statuts personnels lorsque les individus sont invités à « se comporter en parfaits consommateurs de droit[88] », ainsi que les tentations opportunistes susceptibles de dégénérer en abus lorsque les choix individuels se font au détriment des intérêts légitimes d’autrui[89].

C’est pourquoi il serait fort difficile pour la Couronne de passer outre à une éventuelle loi autochtone restreignant ou interdisant l’option de loi en matière de statut personnel. Si, par exemple, un gouvernement provincial décidait, nonobstant l’exclusion de l’option, d’appliquer ses lois aux individus autochtones visés par cette exclusion, il devrait justifier cette atteinte à la compétence prépondérante autochtone conformément à la jurisprudence relative à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Or, on ne voit guère quel objectif gouvernemental impérieux pourrait être avancé pour supplanter la compétence autochtone, et en quoi une telle mesure serait conforme à l’honneur de la Couronne, compte tenu du fait que ni la légitimité de favoriser la pénétration du droit commun ni la nécessité de protéger les intérêts individuels ne pourraient être établies de manière crédible. Si, par hypothèse, la Couronne voulait invoquer la promotion de l’égal accès de tous les citoyens au bénéfice de la loi générale, elle annulerait dans son principe même la prépondérance autochtone prescrite par le traité visé et dont la logique intrinsèque est de permettre d’éclipser la loi non autochtone dans la mesure d’un conflit. Il s’agirait d’un cas clair où l’invocation du principe de la non-discrimination inscrit dans la Charte canadienne constituerait une tentative d’abrogation d’une prérogative reconnue par un traité, ce qui contreviendrait à l’article 25 de cette charte[90].

Il reste que, par-delà les considérations présentées plus haut, le facteur décisif en faveur ou à l’encontre de l’option de loi sera la volonté exprimée par le peuple autochtone au terme d’un débat ouvert et démocratique sur la question. Il ne faut pas présumer, à cet égard, que les autochtones voudront dans tous les cas se priver de la faculté d’opter pour le droit commun auquel ils ont eu accès à ce jour. Il importe cependant que le problème soit posé et abordé explicitement pour éviter que la faculté d’option de loi joue par défaut, c’est-à-dire en raison de l’omission du législateur autochtone de traiter clairement et complètement le problème.

Si le peuple autochtone décide de maintenir l’option de loi, il sera opportun alors d’en organiser la mise en oeuvre en précisant ses conditions de fond et de forme.

3.3 Des éléments d’un possible régime autochtone d’option de loi

Le législateur autochtone pourrait d’abord prescrire la règle selon laquelle la loi autochtone s’applique aux individus relevant de son ressort sous réserve d’une option valide de ceux-ci en faveur du droit non autochtone. Ainsi, dès qu’une loi autochtone entrera en vigueur, les personnes qu’elle a vocation à gouverner lui seront assujetties et ne pourront s’y soustraire qu’en se conformant aux conditions fixées par la loi.

Se posera ensuite la question du domaine de l’option, c’est-à-dire qu’il faudra déterminer les matières à l’égard desquelles l’option est admise. Par exemple, l’adoption des enfants autochtones par des non-autochtones est un sujet très sensible et les communautés pourraient bien vouloir s’assurer que seule leur législation, peut-être particulièrement adaptée à la conception autochtone de l’intérêt de l’enfant, s’appliquera aux adoptions relevant de leur compétence.

Le domaine de l’option circonscrit, il importera d’en énoncer les conditions de validité et notamment d’assurer le consentement libre et éclairé de toutes les personnes aptes dont les droits et les intérêts sont touchés par un projet d’option. Pour favoriser la sécurité juridique, il serait en outre indiqué d’exiger que l’option soit irréversible dans les cas où le choix initial de loi a cristallisé l’état civil des parties ou des droits en faveur d’un tiers. Cela ferait en sorte que, par exemple, les parents ayant opté pour le régime général d’adoption ne reconnaissant que l’adoption plénière ne pourraient par la suite se prévaloir du droit autochtone afin de remettre en question la rupture des liens de filiation d’origine[91]. De telles exigences contribueraient à prévenir les abus de droit au détriment, en particulier, de personnes vulnérables.

Il faudra par ailleurs statuer sur les conditions de forme de l’option pour indiquer précisément l’opération par laquelle celle-ci se manifestera. L’option tacite de loi est parfois admise[92], ce qui signifie que la volonté des individus autochtones d’opter pour un régime juridique peut être implicite et se déduire des circonstances plutôt que d’une déclaration expresse de volonté. À Mayotte, la loi édicte que « [l]es personnes relevant du statut civil de droit local peuvent soumettre au droit civil commun tout rapport juridique relevant du statut civil de droit local[93] ». L’option pour le droit commun n’y est assujettie à aucune exigence de forme, de sorte qu’elle peut résulter de toute conduite ou de toute attitude pouvant raisonnablement être interprétée comme l’expression d’un choix de se prévaloir du droit commun.

Les résultats préliminaires d’une enquête de terrain à Mayotte mettent en lumière les risques que peut faire courir cette approche aux autochtones et au droit autochtone[94]. En effet, il appert qu’un grand nombre de Mahorais de statut de droit local se voient appliquer le droit commun dans des circonstances où il n’est pas certain que cela résulte de leur choix libre et éclairé. Peu au fait de la loi, des autochtones aux prises avec une difficulté, ou souhaitant entrer dans un rapport juridique qui relève du statut personnel, consultent des professionnels ou des associations qui les dirigent souvent vers le droit commun sans pleinement tenir compte du fait que leur statut les soumet plutôt a priori au droit local, un droit qui se revèle au demeurant peu connu de la profession juridique et de la magistrature de Mayotte.

En conséquence, dès qu’un contentieux de statut personnel est porté devant le tribunal, il est rarement résolu sur le fondement du droit local mahorais, et ce, malgré le fait qu’une immense majorité des Mahorais ont conservé le statut de droit local[95] et que le magistrat est compétent pour appliquer ce droit depuis 2003, et même officiellement le seul à pouvoir le faire depuis 2010[96]. Les avocats dont les clients possèdent le statut de droit local le plaident rarement et les juges présument d’emblée que les plaideurs ont tacitement renoncé à l’application de ce droit[97]. Le droit local se trouve de la sorte refoulé et marginalisé au profit du droit civil, malgré la consécration constitutionnelle du dualisme juridique à Mayotte.

Le risque qu’une situation semblable se produise au Canada ne devrait pas être sous-estimé. La reconnaissance de compétences législatives autochtones en matière de statut personnel est un phénomène encore très nouveau dans le système juridique canadien et peu connu des citoyens et même de la profession juridique. Des autochtones pourraient s’adresser, pour régler une situation, aux autorités chargées d’appliquer la loi provinciale ou territoriale sans avoir renoncé, en pleine connaissance de cause, à l’application du droit autochtone. La saisine des autorités étatiques dans le contexte de la loi générale pouvant être considérée comme un choix implicite en faveur de cette loi, l’individu se trouverait alors privé, sans son consentement clairement exprimé, de l’accès à son droit de référence, alors que les institutions autochtones verraient leur capacité de régir la vie de leur collectivité, pourtant solennellement consacrée par traité, entamée.

C’est pourquoi il semble justifié d’avancer que le texte régissant l’option de loi devrait exiger que celle-ci soit expresse et écrite, à savoir que les « optants » affirment par une déclaration formelle et dans un document spécialement rédigé à cet effet qu’ils entendent, aux fins d’un acte spécifique ou d’une procédure, et pour cet acte ou cette procédure seulement, se soustraire à la loi autochtone en faveur de la loi provinciale ou territoriale[98]. En l’absence d’une telle option expresse, les représentants de l’État et les juges ne pourraient validement appliquer un droit autre que le droit autochtone[99]. L’exigence d’une déclaration d’option écrite et expresse énoncée dans la loi autochtone bénéficierait du système de publicité des lois prescrit par les traités qui font obligation au gouvernement autochtone de tenir un registre public de ses lois et de les communiquer, dès leur promulgation, aux gouvernements fédéral et provincial[100]. En outre, il incomberait aux gouvernements autochtones de bien faire connaître le régime d’option au sein de la population autochtone, tandis que les gouvernements non autochtones devraient s’assurer que leurs fonctionnaires en sont informés et qu’ils en garantissent le respect.

Ces quelques observations ne traitent que des principaux éléments d’un éventuel régime d’option de loi. Elles suffisent toutefois à faire voir l’importance pour le législateur autochtone d’énoncer des conditions et des modalités à la fois précises et impératives afin d’éviter que le droit commun trouve à s’appliquer sans égard à la volonté du groupe et des individus.

Conclusion

L’option de loi reste un sujet peu étudié dans le contexte des nouvelles autonomies autochtones au Canada. Les signataires des traités eux-mêmes ne se sont guère penchés sur cette question, sauf pour régir explicitement la question de l’option d’entrée en faveur d’individus se trouvant a priori hors du champ d’application du droit autochtone. De même, l’option n’a pas beaucoup attiré l’attention des praticiens et des glossateurs à ce jour, ce qui peut se comprendre compte tenu du fait que les nouveaux législateurs autochtones n’ont pas encore entrepris de déployer leur capacité législative dans les matières qui relèvent du statut personnel et que le problème ne revêt donc pas encore de réalité concrète.

Notre étude prospective devrait aider quand même à anticiper les défis de l’option ainsi que les principales questions juridiques et politiques qu’elle soulève. Les résultats les plus significatifs de notre recherche sont, premièrement, le constat qu’il existe une faculté d’option en matière de statut personnel et, deuxièmement, la conclusion selon laquelle les règles de conflits de lois dans ce domaine favorisent le pouvoir du législateur autochtone d’exclure ou de réglementer l’option de loi par les individus qui relèvent de la compétence autochtone.

En ce qui concerne le premier point, la faculté générale d’opter pour le droit autochtone ou le droit non autochtone placera les communautés devant le fait, somme toute fort singulier, que leur loi relative au statut personnel sera facultative, et que donc son application sera a priori sujette aux aléas des stratégies individuelles des sujets de droit. Ces communautés le souhaitent-elles vraiment ?

Cette question met en lumière l’importance du second point. Le pouvoir qu’ont les communautés autochtones de trancher la question de l’option de loi leur impose de réfléchir à l’impact que pourrait avoir sur la vitalité de l’ordre juridique autochtone et sur la lisibilité du droit pour les individus autochtones une concurrence systématique avec le droit non autochtone. Le degré d’attachement ou d’habitude des communautés au droit non autochtone, c’est-à-dire sa pénétration dans leur pratique juridique, déterminera également leur positionnement à l’égard de l’option. En revanche, le plaidoyer « optionniste » colonial ou fondé sur les droits individuels ne trouve pas écho en présence d’une autonomie qui légitime certes la possibilité d’une différenciation juridique autochtone mais seulement dans l’écrin institutionnel de l’État de droit. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une éventuelle tentative du législateur non autochtone d’imposer l’option nonobstant une loi autochtone l’excluant se heurterait à de grandes difficultés constitutionnelles.

L’ultime enseignement de notre étude est que les communautés autochtones qui omettront d’adopter d’une politique structurée relativement à l’option de loi donneront libre cours non seulement au jeu des préférences individuelles dans l’application de leurs politiques sur les personnes et la famille, mais également à un régime d’option tacite dont l’expérience montre qu’il ne favorise guère l’application du droit autochtone par les acteurs gouvernementaux non autochtones et les juges. Mettre au monde un nouveau droit autochtone du statut personnel en vue de le faire vivre et prospérer exigera sans doute de le promouvoir sur le marché des droits et, si la concurrence avec le droit non autochtone est privilégiée, de s’assurer qu’elle sera franche et loyale.