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Il est aujourd’hui banal d’affirmer que le concept de « réfugié écologique » est circonscrit de manière inappropriée par le droit international. Une ribambelle de propositions fuse en guise de palliatif de cette faille souvent décriée. De l’avis de quelques-uns, des modalités de protection existent dans le droit en vigueur, tandis que les adeptes de la lex ferenda, les plus nombreux, préfèrent la création de solutions innovantes plus adaptées[1]. Quant au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), il avertit que l’usage de l’expression « réfugié écologique » sème la confusion avec la protection des réfugiés aux termes de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés[2]. Celle-ci définit le réfugié comme la personne qui quitte son pays d’origine pour échapper à la persécution, tandis que selon la définition du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), les « réfugiés écologiques » sont « ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou qui a sérieusement affecté leurs conditions de vie[3] ». La confusion entre les deux concepts est poussée à son paroxysme par le cortège des définitions doctrinales portant sur les « réfugiés écologiques » et les « déplacés climatiques[4] ».

Devant le ballet des concepts, plusieurs États ont tenté d’intégrer des formes de protection dans leur législation, mais sans grand succès[5]. Sur le continent africain, deux conventions suscitent l’intérêt : la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique[6], qui date de 1969 et la récente Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique[7], signée en 2009. La première incarne la volonté des États d’Afrique d’élargir la définition du réfugié contenue dans la Convention de 1951, et semble couvrir les personnes forcées de se protéger des effets d’une rupture de l’environnement qui menace l’ordre public[8]. À cette extension peu commune de la définition du réfugié s’additionne la protection pionnière des déplacés écologiques internes à travers la Convention de Kampala. Acclamée par tous, celle-ci semble offrir à l’Afrique une sérieuse solution aux lacunes de longue date du droit international devant le défi des déplacements écologiques, y compris des déplacements climatiques[9].

Cependant, les moyens financiers requis pour soutenir ce cadre juridique sont considérables, de surcroît dans les périodes de graves crises. Les États africains parties figurent tous au classement des pays en voie de développement (PVD) et leurs capacités financières d’assurer une protection effective des déplacés sont limitées[10]. D’après les estimations, 80 p. 100 de la population mondiale vit dans les PVD et 60 p. 100 de ces personnes sont exposées à des phénomènes climatiques graves qui les amèneront à se déplacer[11]. Ces déplacements se feront pour la plupart à l’intérieur des pays du Sud ou entre voisins du Sud. Les flux migratoires liés à ces phénomènes ne toucheront donc que rarement les États du Nord[12]. Dans un tel contexte, les protections régionales offertes par les États africains aux déplacés semblent légitimes, même si elles contrastent avec leurs capacités financières à en assurer la pérennité. Notre question est alors la suivante : le principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCMD)[13], à travers sa mise en oeuvre dans le volet des mesures d’adaptation aux changements climatiques, permet-il de mettre à contribution les États tiers aux instruments africains de protection ?

Nous défendons la thèse que les normes de protection des réfugiés et des déplacés internes élaborées au plan régional africain se qualifient comme des mesures d’adaptation aux changements climatiques et que la sollicitation d’une contrepartie des États aux capacités accrues est solidement ancrée dans le PRCMD. La question du consentement des États tiers aux normes établies dans ce régime régional revêt une importance cruciale et mérite d’être approfondie. Nous ferons toutefois l’économie des débats doctrinaux actuels sur des définitions futures de statut. Les expressions « réfugié(s) écologique(s) », « déplacé(s) écologique(s) » et « migrant(s) écologique(s) » seront entendues comme renvoyant à la réalité définie par le PNUE. Étant donné que tous les déplacés ne franchissent pas une frontière internationale, nous emploierons indifféremment les termes « déplacé(s) » et « migrant(s) » si des mouvements internes et transfrontaliers sont visés. Le substantif « réfugié(s) » sera réservé aux contextes transfrontaliers. Lorsque cela sera pertinent, des nuances idoines seront apportées quant à l’origine écologique ou climatique, ou les deux à la fois, de ces migrations.

Dans la première partie, nous démontrons que le droit climatique est le point de ralliement des questions migratoires et du PRCMD, notamment par le cadre juridique de l’adaptation aux effets néfastes des changements du climat. C’est un cadre favorable aux mesures de protection locales et régionales (1). Dans la deuxième partie, nous délimitons la portée de la prise en charge juridique des migrants écologiques dans les instruments de protection africains afin d’en étudier la compatibilité avec le tissu des normes sur le climat (2). Enfin, dans la troisième partie, les possibilités d’un financement différencié qui met à contribution les États plus riches sont discutées (3).

1 Le droit climatique comme point d’attache du PRCMD aux migrations

De nombreux textes du droit international de l’environnement (DIE) réglementent les activités humaines relatives à l’environnement. Pour l’essentiel, ce sont des règles orientées vers la protection et la conservation de l’écosystème. La protection de l’humain est surtout appréhendée comme une simple retombée de la protection de l’environnement, excepté les cas d’indemnisation des victimes de catastrophes nucléaires et du droit à un environnement sain. Même dans ces cas, la protection du DIE ne saisit que de façon très oblique le problème spécifique des migrations[14]. En considérant l’argument suivant lequel les migrations ont toujours été un moyen d’adaptation naturel et rationnel aux dégradations de l’habitat humain, il est possible d’avancer qu’il existe une franche interopérabilité de la protection de l’écosystème et des déplacés humains[15]. Dans ce schéma plutôt rationnel, la protection des migrants écologiques se conçoit bien en liaison avec la protection de l’environnement dans lequel le PRCMD joue un rôle répartiteur. Quoiqu’il soit plausible, ce raisonnement doit être nuancé au regard des engagements pris par les États dans le régime juridique du climat. Celui-ci constitue la seule sphère du DIE où la fonction du PRCMD est reconnue intelligiblement par les États dans ses rapports avec les migrations écologiques (1.1). C’est par ce truchement climatique que la portée du PRCMD rejaillit directement sur les migrants climatiques ou écologiques (1.2).

1.1 La percée des questions migratoires dans le régime climatique

La reconnaissance des migrations humaines dans le régime du climat, ainsi que le rôle que le PRCMD doit jouer dans l’action des États à cet égard, s’est faite très progressivement et par tâtonnements. En 2009, l’avant-projet de texte du Groupe de travail spécial de l’action concertée à long terme au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[16] mentionne ceci :

Toutes les Parties [doivent] [devraient][17] entreprendre ensemble des actions au titre de la Convention pour renforcer l’adaptation au niveau international, notamment par […] [l]a mise en oeuvre d’activités liées aux migrations et aux déplacements ou à la réinstallation planifiée des personnes touchées par les changements climatiques, tout en reconnaissant la nécessité de définir les modalités d’une coopération inter-États pour répondre aux besoins des populations touchées qui, en raison des effets des changements climatiques, traversent une frontière internationale ou se trouvent à l’étranger et sont dans l’impossibilité de rentrer dans leur pays[18].

Dans la deuxième version, toutes les parties sont invitées, « compte tenu de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives, ainsi que de la spécificité de leurs priorités nationales et régionales de développement, de leurs objectifs et de leur situation[19] », à adopter des mesures qui ont pour but de mieux comprendre les migrations en rapport avec les changements climatiques, s’il en est besoin, et de renforcer la coopération dans ce domaine. La mention n’ayant pu figurer dans la version definitive du texte adopté à la Conférence de Copenhague[20], il a fallu attendre 2010 pour la voir réapparaître, légèrement remaniée, dans les documents préparatoires qui devaient faciliter les négociations des Parties à la Conférence de Cancún[21]. Adopté en vertu du paragraphe 14 (f) du cadre de l’adaptation institué à Cancún, le texte invite les Parties à renforcer

l’action engagée pour l’adaptation, compte tenu de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives, ainsi que de la spécificité de leurs priorités nationales et régionales de développement, de leurs objectifs et de leur situation, en s’acquittant notamment […] [de l’a]doption de mesures propres à favoriser la compréhension, la coordination et la coopération concernant les déplacements, les migrations et la réinstallation planifiée par suite des changements climatiques, selon les besoins, aux niveaux national, régional et international[22].

Pour l’atteinte des objectifs fixés dans le paragraphe 14, il est spécialement demandé aux pays développés (PD), « de prévoir à l’intention des pays en développement parties, en tenant compte des besoins de ceux qui sont particulièrement vulnérables, des ressources financières accrues, prévisibles, nouvelles et additionnelles » en vue du renforcement des capacités « aux niveaux local, national, sous-régional et régional, dans différents secteurs économiques et sociaux et écosystèmes[23] ». Cet appel au soutien financier adressé aux PD reste ancré dans le canevas tracé par la Convention-cadre pour soutenir l’adaptation des pays vulnérables. Celle-ci dispose en effet que les pays développés aident les PVD, particulièrement les plus vulnérables aux dérèglements du climat, à payer le coût de leur adaptation[24].

Malgré ces développements qui reconnaissent formellement les migrations climatiques dans le cadre juridique de l’adaptation, en les faisant ainsi bénéficier du financement offert dans ce régime, une analyse stricte des accords de Cancún semble révéler que les États ne conviennent pas clairement de protéger les migrants[25]. Ils paraissent se limiter aux actions de compréhension et à un vague appel à la coordination et à la coopération concernant les migrations. Aucun mécanisme n’est précisé pour traduire la compréhension et la coopération en actions concrètes[26]. Toutefois, Koko Warner prend le contrepied de cette analyse. Elle propose une lecture matricielle du paragraphe 14 f) qui impute 27 sortes d’activités aux États. Cette proposition s’appuie sur la structure du texte qui distingue trois types d’actions (compréhension, coordination, coopération) au profit de trois mouvements différents (déplacement, migration, réinstallation) et à trois niveaux distincts (national, régional et international). Dans cette matrice à 27 permutations, chaque niveau d’action donne lieu à trois activités par type de mouvement ; autrement dit, neuf activités par niveau décisionnel[27].

À Doha, en 2012, les États prennent simplement note des travaux à engager dans l’avenir pour mieux comprendre les pertes et les préjudices corrélatifs aux changements climatiques, notamment la compréhension de leurs effets sur l’évolution de la mobilité des êtres humains[28]. La décision de la Conférence de Doha tend à montrer que le rapport le plus probant entre le régime du climat, les mouvements migratoires et les responsabilités d’adaptation modulées en fonction des moyens est établi par l’évaluation des impacts des changements climatiques sur les flux migratoires.

Cependant, cette position est superficielle pour plusieurs raisons. Primo, les textes des Conférences de Cancún et de Doha doivent être imprégnés de la Convention-cadre qui constitue leur fondation. Celle-ci dispose que toutes les Parties, tenant compte de leurs responsabilités communes mais différenciées, « [é]tablissent, mettent en oeuvre, publient et mettent régulièrement à jour des programmes nationaux et, le cas échéant, régionaux contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques […] ainsi que des mesures visant à faciliter l’adaptation voulue aux changements climatiques[29] ». La Convention-cadre oblige ainsi les États à adopter des mesures nationales et régionales d’adaptation et à les mettre en oeuvre. Or, il est clair que les accords de Doha et de Cancún intègrent désormais la préoccupation des migrations dans le contexte de l’adaptation. Des volets de protection de migrants peuvent, par consequent, être intégrés aux programmes nationaux et régionaux au titre de l’adaptation aux changements climatiques. La coopération est cependant de rigueur en vertu du paragraphe 1 (e) de l’article 4 de la Convention-cadre, de sorte que ces programmes nationaux et régionaux doivent être publiés et ainsi inscrits dans une démarche de concertation (voir infra[30]). Secundo, l’accent mis sur les études concernant les mouvements humains dans ce cadre d’adaptation ne doit pas être interprété comme limitant les mesures d’adaptation à de telles études. Bien au contraire, ces études sont mentionnées parmi d’autres mesures et n’ont pour objet que de faciliter l’action des gouvernements[31]. Leur utilité particulière réside dans leur contribution à démêler les migrants climatiques des autres déplacés dans la perspective d’une adaptation efficace.

1.2 Le difficile isolement conceptuel des déplacements climatiques

L’évaluation des facteurs de déplacement liés au climat est un débat qui mobilise les chercheurs. Elle fait l’objet de nombreuses controverses, en raison de la combinaison indénouable des facteurs de divers ordres. Pour identifier le migrant climatique, lesquels de ces facteurs sont à considérer au détriment des autres ? Il est généralement admis qu’une population sera plus touchée par les changements climatiques si elle est déjà vulnérable. Dans les PVD, les phénomènes climatiques incrémentent les fragilités sociales telles que la pauvreté, les pressions écologiques existantes ou les conflits. Un officiel bangladais traduit la situation de manière fort percutante : « Let’s say for example, one person is able to carry only 40 kg on his shoulders. That’s his limit, and he’s a poor man. Now on the top of that, I come, and I give him one kilogram on top of that. So now the question will be [th]is : who is responsible for killing him ? Is this the 40 kilograms he was already carrying on his head, or the one kilogram I have now put on the top of that[32] ? »

Étant donné l’imbroglio de la mixité des causes du déplacement climatique, certains chercheurs emploient la définition du migrant environnemental pour celle du migrant climatique[33]. Il en résulte une ségrégation très poreuse, voire inexistante, des migrants climatiques au sein de la plus vaste couche des déplacés qui fuient les rigueurs d’une dégradation de l’environnement. D’autres chercheurs, préconisant une approche plus incisive, proposent de ne considérer, aux fins de la définition du migrant climatique, que certains impacts environnementaux certifiés par la science comme étant une manifestation directe des changements climatiques[34]. Ces impacts doivent être susceptibles de contribuer à eux seuls, sans combinaison avec des facteurs sociaux, à la décision des populations de migrer. Frank Biermann et Ingrid Boas limitent par exemple les migrations climatiques aux déplacements qui sont provoqués par des perturbations telles que l’élévation du niveau de la mer ou la sécheresse[35]. Cette sélection d’impacts certifiés directs a l’avantage de la précision, mais elle élague la substance du débat. Car c’est dans l’interaction des causes directes et indirectes que réside le défi d’une définition spécifique des migrants climatiques. Il ressort de ce procédé de séparation stricte un scientisme qui élude l’influence de la vulnérabilité sociale sur les décisions de déplacement.

Pour être efficace et se conformer au critère de vulnérabilité qu’il énonce, le régime du climat ne peut valablement s’isoler des facteurs présumés exogènes qui concourent pourtant aux effets néfastes[36]. Du moment que ces facteurs normalement externes au climat viennent affaiblir la capacité de réponse d’un système social donné à l’égard des dérèglements climatiques, ils influent sur la décision de migration qui naît de cette vulnérabilité accrue. En vue d’appréhender la nature multicausale des migrations climatiques et d’éviter la fragmentation du droit qui leur est applicable, les instruments du droit de l’environnement qui encadrent les facteurs écologiques de la vulnérabilité, ainsi que ceux qui encadrent les autres facteurs tels que les conflits, doivent se conjuguer avec les règles spéciales sur le climat[37]. Une approche d’ensemble de ces mouvements n’en sera que facilitée. Dans le même temps, il y a un risque à vouloir tout embrasser, surtout par l’entremise d’une définition d’école très large qui rendrait ardue l’opérationnalisation de la protection[38]. En réponse à cette difficulté, certains auteurs ont classé sur une échelle d’urgence des besoins les migrants écologiques volontaires et les migrants écologiques forcés[39].

Au regard de ces analyses et des tergiversations politiques qui affligent le processus décisionnel universel, force est de constater que les formes d’opérationnalisation les plus prometteuses se trouvent dans les processus décisionnels nationaux et régionaux[40]. Les programmes nationaux et régionaux d’adaptation reçoivent, du reste, un appui et un encadrement fertiles dans le droit climatique[41]. En guise d’illustration, dans leurs plans nationaux d’adaptation publiés, plusieurs États africains mentionnent le déplacement de certaines franges de leur population comme une priorité nationale et tentent d’y trouver des solutions satisfaisantes[42]. Bien qu’elles soient diverses, les réalités locales qui concourent au déplacement des populations, ou qui en résultent, gravitent autour de certains maux bien connus en Afrique : l’accès à l’eau, l’accès aux terres cultivables, la sécheresse, la désertification, les inondations, les maladies, les conflits et l’érosion côtière, etc. Il ressort ainsi des plans que la sécheresse et la désertification entraînent souvent une triple chaîne de conséquences. D’abord, les ressources — notamment le pâturage, le bétail et des terres cultivables — se raréfient, ce qui provoque des crises alimentaires aiguës et des tensions sociales, voire de violents conflits ethniques[43]. La migration des éleveurs et des agriculteurs vers de nouveaux pâturages ou de nouvelles terres peut s’ensuivre, tout comme l’internement de migrants dans des camps de personnes déplacées. Enfin, le surpeuplement des zones d’accueil exerce, à son tour, des pressions sur ces écosystèmes.

Devant un tel portrait qui confirme l’effet incrémental des perturbations du climat, l’approche régionale a l’avantage de placer les décideurs locaux en meilleure position pour cerner correctement et de façon spécifique, individuellement et en coopération avec les États voisins qui vivent des phénomènes similaires, les besoins de leurs populations et régions[44]. Cela prépare le terrain pour une protection typiquement africaine des migrants dont les causes de départ sont directement ou indirectement en rapport avec les mutations du climat.

2 La protection africaine des déplacés climatiques et environnementaux

La seule distinction certaine dans le régime africain est celle qui existe entre les migrants qui ont traversé la frontière et ceux qui sont restés à l’intérieur des frontières de leur État d’origine. Les premiers sont protégés par la Convention de l’OUA de 1969, complément de la Convention de 1951 (2.1). Les seconds sont protégés par la Convention de Kampala (2.2). Le contenu de ces instruments laisse présumer que la protection africaine cherche à accommoder plus précisément les migrants forcés de ces deux catégories.

2.1 Les déplacés transfrontaliers et la Convention de l’OUA de 1969

La protection des déplacés transfrontaliers s’opère, sur le plan africain, sous la gouverne de plusieurs conventions internationales. La Convention de 1951, doublée de son protocole de 1967, vient chronologiquement au premier rang des instruments applicables. Sa plus grande limite connue relativement aux migrations écologiques réside dans sa définition du réfugié centrée sur la persécution humaine[45]. Si la Convention de 1951 s’applique aux migrants qui fuient leur pays à la suite de certains événements, encore faut-il que ceux-ci s’interprètent comme une persécution liée à leur race, à leur religion, à leur nationalité, à leur opinion politique ou au groupe social auquel ils appartiennent[46]. La doctrine et le HCR s’accordent à dire que cette convention est inadaptée à la protection des personnes qui quittent leur pays en raison de dégradations écologiques, à moins que celles-ci ne soient la manifestation d’une persécution fondée sur les motifs énumérés dans la Convention de 1951[47].

En vue de pallier les lacunes de la Convention de 1951 quant à l’encadrement des réalités africaines, et pour refléter les valeurs de solidarité propres à l’Afrique, une convention régionale a été conclue en 1969, soit la Convention de l’OUA régissant les aspects spécifiques aux problèmes des réfugiés en Afrique. En tant que complément de la Convention de 1951, la Convention de l’OUA reconduit la définition du réfugié adoptée dans la première[48], avant de l’élargir

à toute personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité[49].

Cette définition élargie du réfugié, pour tenir compte des réalités africaines, est l’aspect le plus innovant de la Convention de l’OUA[50]. En même temps, son applicabilité aux personnes qui fuient une catastrophe écologique est discutée. A priori, le sens ordinaire des termes « événements troublant gravement l’ordre public » suggère que toutes les catastrophes de source naturelle ou humaine sont visées[51].

Toutefois, plusieurs auteurs soutiennent le contraire et ne retiennent que les catastrophes de source humaine[52]. Cette interprétation de la Convention de l’OUA a pour fondement l’avis du Comité des experts de la Conférence internationale sur les réfugiés centraméricains (CIREFCA) sur la portée de la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés. Cette dernière, en suivant le précédent africain, élargit la définition du réfugié pour les États de l’Amérique centrale[53]. Selon le comité d’experts de la CIREFCA, la Déclaration de Carthagène englobe uniquement les perturbations de l’ordre public qui émanent de l’action humaine et non celles qui résultent de catastrophes naturelles[54]. Selon cette interprétation, les victimes des incidents purement naturels, tels que les éruptions volcaniques et les tremblements de terre, ne seraient pas couverts par la Convention de l’OUA, contrairement aux victimes d’accidents dus à la négligence humaine[55].

Cependant, en considérant le rôle de l’être humain dans les dérèglements climatiques en cours, la ligne de séparation entre les catastrophes qu’il provoque et les événements naturels se brouille[56]. Il est pertinent de souligner ici que la Convention-cadre confine les changements climatiques aux « changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine […] et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat[57] ». Selon cette lecture, tout incident, s’il est directement ou indirectement imputable à l’action humaine, qu’il trouble l’ordre public et qu’il génère des flux transfrontaliers, devrait être couvert par la Convention de l’OUA. Tout dépendrait alors du contenu de la notion d’ordre public[58].

Ces deux interprétations étant possibles, les États africains avaient-ils l’intention d’ouvrir la protection aux déplacés écologiques, notamment au regard des lourdes charges que cela induirait ? Frank Biermann et Ingrid Boas répondent par la négative[59]. Il est regrettable que les travaux préparatoires de la Convention de l’OUA ne soient pas consultables pour l’attester[60]. La pratique des États laisse le débat ouvert[61].

Lors des travaux ayant précédé l’adoption de la Convention de Kampala en 2009, la Convention de l’OUA avait d’abord été passée en revue[62]. Toute proposition de sa réouverture aux négociations a été rejetée, ce qui laisse toujours le champ libre aux interprétations. Il a été décidé que les aspects non inclus devraient être abordés dans un nouveau traité[63].

2.2 Les déplacés internes et la nouvelle Convention de Kampala

La Convention de 1951 étant centrée sur la protection des déplacés transfrontaliers, elle ne s’applique pas aux déplacés internes, dont le nombre s’élevait globalement à 28,8 millions en 2012[64]. L’Afrique subsaharienne abritait à elle seule 10,4 millions de ces personnes, soit plus du tiers[65]. L’absence d’un instrument contraignant concernant la protection internationale des déplacés internes a été longtemps déplorée, alors que la gestion et la protection des déplacés internes, y compris en Afrique, étaient fondées sur les Principes directeurs des Nations Unies[66]. La Convention de Kampala, en vigueur depuis décembre 2012, est l’une des premières tentatives réussies d’ériger les principes en obligations dues envers les personnes déplacées[67]. Elle reprend et consolide les principes directeurs[68] en considérant comme déplacés « les personnes ou groupes de personnes ayant été forcées ou obligées de fuir ou de quitter leurs habitations ou lieux habituels de résidence, en particulier après, ou afin d’éviter les effets des conflits armés, des situations de violence généralisée, des violations des droits de l’homme et/ou des catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme, et qui n’ont pas traversé une frontière d’État internationalement reconnue[69] ».

Selon l’interprétation du HCR, cette définition englobe expressément certains types de migrants environnementaux et climatiques : les déplacements internes causés par des catastrophes soudaines, mais aussi ceux qui sont provoqués par des changements progressifs tels que la sécheresse, les inondations ou la salinisation[70]. Pour Angela Williams, il semble que c’est une couverture claire de tous les déplacés environnementaux qui n’ont pas franchi des frontières internationales[71]. Lorsque les personnes se qualifient au regard de la définition, l’article 5 (1) de la Convention de Kampala prévoit qu’il incombe en premier lieu aux autorités nationales « le devoir et la responsabilité de fournir une protection et une aide » aux déplacés qui n’ont pas traversé les frontières et qui relèvent, de ce fait, de leur compétence. Pour dissiper tout doute, la Convention de Kampala ajoute explicitement que l’aide des États aux déplacés internes s’étend aux déplacements causés par le changement climatique[72].

En outre, les facteurs du déplacement en Afrique étant nombreux, la Convention de Kampala s’intéresse aux causes environnementales du déplacement qui ne sont pas strictement liées aux changements climatiques, notamment l’impact des projets de développement, d’exploration et d’exploitation de ressources naturelles sur l’habitat humain[73]. Elle dispose ensuite que les États doivent protéger les déplacés contre les dégradations de l’environnement dans leur lieu d’accueil[74].

D’après Flavia Zorzi Giustiniani, la liste des causes de déplacement mentionnées dans la Convention de Kampala est non exhaustive[75]. Il faudrait, pour chaque type de dégradation environnementale non explicitement mentionné, procéder à une interprétation holistique et contextuelle des dispositions de la Convention de Kampala. L’un des objectifs primordiaux du texte est de prévenir, d’atténuer et d’éliminer les causes premières du déplacement de populations en Afrique et de protéger les victimes déplacées[76]. Dans la Déclaration de Kampala, instrument connexe de la Convention de Kampala qui permet d’en élucider le contexte[77], les États africains appellent d’ailleurs au soutien international « pour relever les défis du déplacement forcé en Afrique, en particulier, le nombre croissant de déplacements dus à des facteurs environnementaux, dont le changement climatique[78] ». Ils s’engagent, en outre, « à résoudre les problèmes du changement climatique, de la pression accrue sur les ressources naturelles, les questions de gestion des terres, de l’eau et de l’assainissement, des infrastructures rurales[79] ».

L’obligation imposée aux États parties par la Convention de Kampala de subvenir aux besoins des déplacés et de fournir le financement nécessaire pour leur protection et leur assistance[80] fait dire à Werner Scholtz que le manque de moyens financiers qui caractérise les États africains peut dénuer la disposition de toute pertinence et faire dépendre la mise en oeuvre de l’instrument d’un financement international[81]. Vu le fardeau que représente l’obligation de financement et d’assistance que ces États se sont imposée, la Convention de Kampala ouvre la porte à l’aide internationale[82].

L’ensemble de ces innovations juridiques porte à croire qu’un pont a été effectivement franchi dans la protection des droits, du moins du point de vue de l’existence d’instruments spéciaux de valeur contraignante. La variété des droits réaffirmés, renforcés et créés suggère qu’il en est issu l’institution d’un nouveau statut de protection qui serait comparable, voire analogue à celui du réfugié dans la Convention de 1951. Les avis sont partagés à cet égard[83]. À nos yeux, il s’agit toutefois d’un débat sans réelle incidence sur les engagements de protection des déplacés, encore moins sur le lourd fardeau qu’ils occasionnent.

3 Le PRCMD dans le partage du fardeau inhérent à la protection africaine

Les modalités de répartition des responsabilités relativement aux effets néfastes des changements climatiques constituent un problème épineux sur lequel de nombreuses négociations continuent d’achopper. N’ayant pas la prétention de le résoudre, nous estimons néanmoins qu’il convient de tracer ici un portrait des possibilités de justice environnementale offertes dans le droit en vigueur pour soutenir l’adaptation. Le droit climatique offre certaines solutions concrètes de répartition fondées sur l’équité entre États (3.1). Ces solutions peuvent être jumelées avec le partage traditionnel du fardeau commun de protection en droit des réfugiés, lequel traduit une différenciation implicite mais réelle (3.2).

3.1 Le financement différencié de l’adaptation des États plus vulnérables

Dans son article de philosophie politique consacré à la répartition préférentielle des responsabilités[84], David Miller met en évidence quatre modes de répartition des charges. Ces modes sont axés sur la responsabilité causale, la responsabilité morale, la capacité et le lien avec la communauté. Pour sa part, Sheila McAnaney applique la grille philosophique proposée aux migrations climatiques[85]. Bien que les travaux de David Miller soient d’ordre philosophique, ses modes de répartition des responsabilités renvoient à des facettes des réalités actuelles du régime climatique[86]. Les suggestions de financement répandues dans la littérature — et qui prennent pour vecteur les RCMD — peuvent également se classer dans chacun de ces modes de répartition des responsabilités[87].

En dépit de la pertinence de tous les modes de répartition avancés dans la doctrine, dans la pratique, la différenciation s’est déjà concrétisée par les fonds institués dans le régime climatique. En effet, plusieurs fonds ont été conçus pour soutenir des projets liés aux changements climatiques, dont le Fonds pour l’environnement mondial (FEM)[88], le Fonds vert pour le climat[89] et le Fonds d’adaptation[90]. La contribution des États nantis à ces fonds, de même que l’accès privilégié réservé aux PVD, dénote une répartition clairement axée sur la différenciation. À Durban et à Doha, la Conférence des Parties « [e]ngage vivement les pays développés parties à mobiliser un soutien financier en faveur du processus des plans nationaux d’adaptation pour les pays les moins avancés[91] ». En ce qui concerne particulièrement ces derniers, la Conférence de Doha donne instruction au FEM « [d]’encourager une approche souple qui permette aux pays les moins avancés parties d’avoir accès à des fonds pour des composantes du processus des plans nationaux d’adaptation telles qu’elles ont été recensées par les pays les moins avancés parties en fonction de leurs besoins et de la situation nationale[92] ». Ces fonds opérationnalisent la responsabilité des pays aux capacités supérieures de soutenir les pays aux capacités limitées.

Bonnie Docherty et Tyler Giannini reconnaissent les traces du PRCMD dans la création de ces fonds[93], mais ils rejettent l’idée que ceux-ci puissent être affectés à la protection des migrants :

Although the UNFCCC seeks to « protect the climate system for the benefit of present and future generations of humankind », it is not designed to provide human rights protections and humanitarian aid to individuals, such as climate change refugees after an environmental disruption. The UNFCCC is instead an agreement between states to « anticipate, prevent or minimize the causes of climate change and mitigate its adverse effects » […] The only semblance of a remedial measure in the UNFCCC is its mention in Article 4 of adaptation, which does not currently focus on transboundary refugee problems. Indeed, nowhere in the 1992 UNFCCC or the more recent Bali Action Plan of December 2007 do the words migrant, migration, refugee, or displacement appear[94].

De toute évidence, cet argument est invalidé par les décisions prises aux Conférences de Cancún et de Doha qui confirment indiscutablement le lien de l’adaptation avec les migrations. Par contre, un doute peut subsister à propos de la volonté des États tiers aux instruments africains d’accepter que les fonds d’adaptation servent à la mise en oeuvre d’instruments auxquels ils n’ont pas adhéré. Sachant que cet engagement régional ne peut créer des obligations pour les États tiers[95], qui se montrent pour le moins sceptiques quant à la portée des protections africaines, la canalisation de ces financements vers les différents régimes africains est a priori inconcevable.

En réalité, le consentement requis est donné, mais de manière indirecte. Le régime de l’adaptation prend à coeur les problèmes migratoires, comme nous l’avons fait ressortir en première partie. Il faut noter ici que la Convention de Kampala, tout comme la Convention-cadre, impose aux États d’adopter des politiques et des stratégies de mise en oeuvre[96]. Les protections africaines sont donc appellées à être déclinées en programmes d’action. Dès lors que ces programmes voient le jour, la frontière entre les politiques de protection des déplacés climatiques et les programmes d’adaptation aux changements climatiques tend à disparaître. Il ressort ainsi des programmes d’adaptation publiés par certains États que les besoins de résilience et de protection s’expriment complémentairement dans le vécu des populations gouvernées. Étant donné que la Convention de Kampala a aussi pour objet d’éliminer les causes premières du déplacement en Afrique, dont le changement climatique, les politiques propres à cette convention et à la Convention-cadre devraient s’articuler de manière cohérente. Il est donc possible que les déplacés internes dont les motifs de migration sont liés directement ou indirectement au climat puissent bénéficier de mesures de résilience et de protection financées aussi bien par le régime climatique que par les autres sources de financement traditionnelles du droit des réfugiés et des déplacés internes. Bien entendu, la prise en charge des déplacements qui n’auraient aucun lien avec le climat ne serait pas chapeautée par la Convention-cadre. Les mécanismes financiers et institutionnels créés par cette dernière définissent dans cette optique certaines balises qui garantissent que l’aide sera fournie en respectant les priorités des États vulnérables avec toute la souplesse requise. Ces mécanismes protègent ultimement le consentement des 192 États Parties à la Convention-cadre contre tout programme d’adaptation qui serait assurément inconciliable avec le régime climatique[97]. Si le problème du consentement ne se pose pas de façon générale, il se présente quant à la façon dont la protection de migrants climatiques sera réalisée. La position du HCR conforte notre opinion :

Guided by the examples of the 2009 African Union Convention on the Protection and Assistance of Internally Displaced Persons in Africa […] the potential for regional and sub-regional legal, policy and operational frameworks to address regional specificities in climate-related displacement ought to be explored further. Regional forums could provide the mechanisms for the coordination of humanitarian assistance, planned relocation or migration schemes, or to address broader development goals. In addition, regional forums could be a channel to access adaptation funding under the climate change funding mechanisms[98].

3.2 L’expérience du partage différencié du fardeau en droit des réfugiés

Selon Jane McAdam, tout État a l’obligation de solliciter l’aide internationale quand, devant une catastrophe, ses capacités de réponse sont anéanties ou diminuées d’une manière qui menace le respect des droits fondamentaux de sa population[99]. L’obligation qui incomberait aux États tiers d’octroyer le soutien sollicité n’est toutefois pas aussi claire[100]. Le contenu du devoir de coopération entre États dans la Convention de 1951 encourt la même critique. Celle-ci reconnaît « qu’il peut résulter de l’octroi du droit d’asile des charges exceptionnellement lourdes pour certains pays et que la solution satisfaisante des problèmes dont l’Organisation des Nations Unies a reconnu la portée et le caractère internationaux, ne saurait, dans cette hypothèse, être obtenue sans une solidarité internationale[101] ». L’instrument pose les jalons du principe de la solidarité dans le système de protection des réfugiés, mais il ne précise pas les modalités de répartition des lourdes charges indiquées. Plus de 60 années de coopération dans ce domaine ont néanmoins permis de tirer parti des expériences de répartition du fardeau, et il semble tout à fait indiqué de s’en inspirer pour la prise en charge des déplacés climatiques.

La prémisse de cette coopération est que les PVD accueillent une part disproportionnelle des réfugiés. En 2012, 81 p. 100 des réfugiés du monde sont concentrés dans les pays aux ressources économiques limitées[102]. L’écart entre les charges et les moyens montre une flagrante distorsion dans la répartition. La Convention de 1951 appelle les États à la réduire par la solidarité internationale. La pratique étatique repose sur des modalités de compensation et de rééquilibrage qui prennent la forme de contributions volontaires, tantôt financières, tantôt techniques, des pays industrialisés. Elles s’opèrent de manière bilatérale ou par l’entremise de dons versés au HCR qui les gère selon les besoins. Rarement s’accomplit ce rééquilibrage par la réinstallation des migrants dans des pays fortunés. Cette option devrait cependant être explorée devant la menace de disparition de certains États insulaires[103].

La mosaïque de contributions a incité James Hathaway à proposer une approche intégrée. Pour équilibrer le fardeau en fonction des moyens des États et des différents types de contributions, il suggère un système de partage fondé sur le modèle des RCMD[104]. Dans ce système, les États du Sud acceptent de protéger physiquement les réfugiés, dans leurs communautés d’origine, sans qu’ils ressentent le besoin d’émigrer vers le Nord ; en contrepartie, ceux du Nord s’engagent à soutenir financièrement les mesures d’intégration locale et de renforcement des capacités des gouvernements du Sud. Dans la mesure où les instruments africains de protection des déplacés climatiques constituent un point de connexion entre les principes du droit climatique et ceux du droit des réfugiés, ce système de partage fondé sur le PRCMD devient plus qu’évocateur. Le succès escompté des politiques d’adaptation peut être effectivement compromis si la division de la facture ne tient pas compte de la capacité respective des États.

La coopération entre l’Union européenne (UE) et le groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) inclut l’assistance aux déplacés au titre du financement du développement. L’accord ACP-UE de Cotonou prévoit que le financement européen peut comprendre l’aide d’urgence et l’aide humanitaire aux réfugiés et aux personnes déplacées[105]. Ces aides doivent « répondre aux besoins nés du déplacement de personnes (réfugiés, personnes déplacées et rapatriés) à la suite de catastrophes d’origine naturelle ou humaine, afin de répondre, aussi longtemps que nécessaire, à tous les besoins des réfugiés et des personnes déplacées (où qu’ils se trouvent) et de faciliter l’action pour leur rapatriement et leur réinsertion volontaires dans leur pays d’origine[106] ».

La disposition n’exclut pas la prise en charge des besoins des déplacés climatiques fuyant une catastrophe, mais elle ne l’inclut pas explicitement non plus. Cet accord confirme que le déplacement humain est une question transversale de coopération. Il corrobore ensuite l’idée que les États riches soutiennent l’effort des pays pauvres dans toutes les sphères de leurs relations pour l’atteinte de leurs objectifs communs en matière de protection.

Conclusion

Il ressort d’une lecture du droit climatique qu’il existe de véritables leviers de partage des responsabilités communes des États à l’égard des migrants climatiques. Les États d’Afrique, en particulier, doivent assumer de lourdes charges. Théoriquement, il est possible d’arrimer ces protections avec le cadre universel de l’adaptation aux changements climatiques et de les inscrire sur la feuille de route des négociations pour un affinement des modes de partage des charges. Le PRCMD devrait pleinement orienter ces discussions.

Parmi toutes les sources de financement pertinentes pour assurer une distribution équitable des charges découlant de l’adaptation, les fonds créés en vertu de la Convention-cadre semblent les plus fédérateurs des efforts de la communauté internationale. Les aides bilatérales pourront toujours les accompagner, ainsi que les aides versées au HCR. Toutefois, tous ces mécanismes épars ne garantissent pas un fonctionnement d’ensemble, ce qui soulève le problème de la gestion institutionnelle du partage des charges liées à la protection des déplacés climatiques. Par quel canal institutionnel les États africains peuvent-ils accéder aux fonds qui ne transitent pas par l’aide bilatérale : l’Union africaine, le HCR ou individuellement ? En tant que forum dans lequel ces protections ont trouvé naissance, l’Union africaine semble être l’interface logique entre le financement international et les programmes des États africains, d’autant plus qu’elle est l’héritière des responsabilités de l’Organisation de l’unité africaine qui ont trait à la protection des réfugiés. Enfin, la Convention de Kampala ne laisse aucun doute quant aux responsabilités de l’Union africaine en matière de mobilisation de ressources[107].

Une prémisse de la concrétisation institutionnelle du soutien accordé aux États africains en matière de migration climatique est cependant la sensibilisation de tous les États au rapport étroit qu’entretiennent les changements climatiques et la migration comme mode d’adaptation avec les questions de la répartition équitable des charges environnementales, car ce rapport semble receler le remède au fardeau disproportionné que risquent d’assumer les États en développement, et les pays africains en particulier.