Article body

[I]f the wealthy have no general obligation to help the poor, the poor certainly have no general obligation to help the wealthy[1].

Henry Shue

Donne un poisson à un homme, il mangera un jour.

Apprends-lui à pêcher, il mangera toute sa vie[2].

Moïse Maïmonide

Lors de la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, une des questions difficiles à négocier a été celle du financement de la protection internationale de l’environnement, grâce aux ressources financières nouvelles, et additionnelles à l’aide publique au développement (APD), que les pays en développement voulaient obtenir pour mettre en oeuvre l’Agenda 21[3] et les conventions portant sur la biodiversité, les changements climatiques et la désertification. Dès le début, la question financière a été placée au centre des débats et a été considérée comme un critère de mesure de la réussite de l’ensemble des travaux de la Conférence[4]. Les modalités qu’a prises cette assistance, dans le cadre de chaque accord multilatéral en environnement, par la suite, ont été arrêtées à la suite de négociations ardues.

Notre étude, qui cherche à identifier les assises conceptuelles de l’assistance financière internationale dans les accords multilatéraux en environnement, constitue une contribution à la littérature existante, en offrant une analyse la plus complète possible des formes et des fonctions de cette assistance financière ainsi que de leur évolution. Dans la première partie, nous examinerons si la formulation du principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCMD) dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement[5] de 1992 a entraîné un droit nouveau à l’assistance financière internationale impliquant l’obligation des pays riches de fournir des sommes d’argent nouvelles et additionnelles aux pays en développement. Cet examen se fera grâce à l’analyse de la nature juridique du PRCMD et à la mise en exergue des fondements et des fonctions de l’assistance financière environnementale pré-Rio. Cette première partie nous permettra de conclure à l’absence d’une obligation internationale d’assistance financière environnementale, et nous nous demanderons, dans la seconde partie, dans quelle mesure l’énonciation du PRCMD, à Rio, a fourni un levier suffisant ayant permis aux pays en développement de négocier et d’obtenir des fonds supplémentaires à l’aide publique au développement. Ensuite, nous vérifierons dans quelle mesure l’énonciation de ce principe a entraîné un élargissement des fonctions de l’assistance financière environnementale et l’ajout de conditionnalités dans l’aide publique au développement. Enfin, nous discuterons de certaines formes novatrices d’assistance financière environnementale qui ont été proposées, notamment dans le domaine des changements climatiques, enjeu criant entre tous.

Le but du présent texte est de fournir un panorama général des questions que pose l’assistance financière environnementale dans le contexte du PRCMD et du développement durable. Sans prétendre pouvoir rendre compte de toutes les polémiques et les controverses liées à cette thématique, nous tenterons d’en présenter les plus saillantes.

1 Le principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCMD) : véritable fondement de l’assistance financière en matière d’environnement ?

Pour répondre à la question du caractère obligatoire de l’assistance financière environnementale, une incursion dans les méandres de la nature juridique du principe des responsabilités communes mais différenciées sera d’abord entreprise (1.1). Nous nous pencherons ensuite sur les transformations qu’ont connues les fondements de cette assistance et qui ont eu un impact sur le caractère obligatoire conventionnel de l’assistance financière (1.2).

1.1 Des responsabilités communes mais différenciées : de la fiction de l’égalité à la nécessité de l’équité

1.1.1 De la nature juridique du PRCMD

Au lendemain de la Conférence de Rio, la professeure américaine Ileana Porras affirmait que, « avec le PRCMD, les pays en développement peuvent au contraire défendre la position la plus attrayante de leur droit à l’assistance auprès de leurs voisins coupables […] C’est une base qui permet de caractériser le transfert de ressources des pays développés vers les pays en développement comme une obligation plutôt que de l’aide ou de l’assistance[6]. »

Qu’en est-il ? Les pays développés ont-ils l’obligation de financer la technologie et le renforcement des capacités des pays en développement afin qu’ils puissent assumer les surcoûts que leur occasionne la mise en oeuvre des accords environnementaux ? Cette question revient dans presque toutes les négociations concernant l’adoption et l’évolution des accords multilatéraux sur l’environnement et est une source de tension importante entre les pays développés et les pays en développement. Elle nécessite de se pencher sur la nature juridique du PRCMD.

Dans le texte qu’il signe dans le présent numéro des Cahiers de droit, Jean-Maurice Arbour affirme que la discussion sur la normativité juridique du principe peut sembler un faux débat, un débat académique, voire un débat byzantin, mais que, en l’examinant de plus près, on peut y trouver un intérêt fondamental, parce que « si le PRCMD arrive à se poser comme principe de droit, il ouvre toute grande la voie à une forme de péréquation à l’échelle internationale sur le chapitre de la protection de l’environnement, du moins en ce qui concerne des enjeux globaux qui se révèlent être des préoccupations communes de l’humanité[7] ». Il est vrai que la question de la nature coutumière du PRCMD concerne, en définitive, la responsabilité légale des pays développés pour leur dette écologique envers les pays en développement et les obligations financières qui en découlent[8]. Le fait de compenser financièrement les pays en développement, comme condition à leur conformité avec les dispositions des accords multilatéraux en environnement serait, dès lors, un mécanisme qui empêcherait l’éco-impérialisme[9].

En négociant la formulation du PRCMD dans la Déclaration de Rio, les pays en développement ont cru pouvoir formuler un droit nouveau à l’aide internationale et proclamer l’obligation correspondante des pays riches à fournir cette aide par un transfert de ressources nouvelles et additionnelles[10]. Il n’est donc pas étonnant qu’une fracture existe entre les pays au sujet de la nature juridique du principe, laquelle est dépeinte à grands traits par Lavanya Rajamani qui souligne, au sujet du PRCMD, que, « [a]lors que le G77 affirme qu’il est obligatoire, les autres soutiennent qu’il ne peut être rien d’autre que discrétionnaire [États-Unis][11] ».

Sumudu Atapattu[12] explique que les pays développés, suivant en cela les États-Unis, ont refusé que l’on formule le PRCMD, dans la Déclaration de Rio, en le liant à une quelconque responsabilité légale pour leur dette écologique, rejetant la proposition de formulation du G77/Chine qui était beaucoup plus explicite dans l’attribution des responsabilités historiques aux pays industrialisés[13] et qui aurait pu justifier que les pays en développement réclament aux pays développés de supporter les coûts de la protection de l’environnement, conformément au principe du pollueur-payeur. Toute référence à leur comportement passé a finalement disparu de la formulation du principe 7 de Rio, qui met plutôt l’accent sur les responsabilités actuelles et futures, en raison des « pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent[14] ».

Le PRCMD, en tant que principe de justice distributive, « implique que les différences pertinentes entre les sujets de droit méritent une attention particulière ou un traitement spécial[15] ». Dans son opinion dissidente dans les Affaires du Sud-Ouest Africain[16], le juge Tanaka affirme que, une fois les différences pertinentes établies entre des individus, l’ouverture à un traitement différencié est justifiée et que, alors, il est non seulement permis mais indispensable, comme une question de justice qui nécessite de prendre des mesures correctives. Ce n’est toutefois pas parce qu’il s’agit d’un principe indispensable pour la négociation des accords multilatéraux environnementaux relatifs aux problèmes environnementaux globaux qu’il faut pour autant conclure qu’il s’agit d’un principe juridique contraignant. Force est d’admettre, comme Philippe Cullet le rappelle, que cette conception de la justice distributive n’a jamais été adoptée par la Cour internationale de justice[17]. D’ailleurs, seule une minorité d’auteurs affirment que le PRCMD est un principe coutumier, certains sans ambages[18], certains le faisant découler d’une pratique conventionnelle constante[19]. La majorité de la doctrine considère néanmoins que, malgré une pratique importante, l’absence de l’opinio juris constitue un obstacle dirimant quant à la constatation de son caractère coutumier[20]. Enfin, Lavanya Rajamani soutient que ce n’est pas l’absence de l’opinio juris qui empêche ce principe de relever de la coutume, mais bien son absence intrinsèque de caractère normatif qui lui fait défaut, dès le point de départ[21]. Son raisonnement s’appuie sur celui de la Cour internationale de justice qui a jugé dans les Affaires du Plateau continental de la Mer du Nord[22] que, pour relever de la coutume, « [i]l faut d’abord que la disposition en cause ait, en tout cas virtuellement, un caractère fondamentalement normatif et puisse ainsi constituer la base d’une règle de droit[23] ». Nous sommes plutôt d’avis qu’il est possible de considérer que la normativité du PRCMD correspond à celle de « principes généraux bien établis en droit, comme ceux de la bonne foi, de l’ordre public et des bonnes moeurs, d’égalité, de primauté du droit, d’indépendance judiciaire, de justice naturelle[24] » qui, bien qu’ils ne créent pas directement des droits et des obligations afin de régler le comportement des uns et des autres dans une situation particulière, et qu’ils soient sujets à interprétation pour être appliqués dans un raisonnement juridique, n’en sont pas moins des principes juridiques. « En général, ils traduisent des valeurs morales ou éthiques ou politiques qui reflètent un vaste consensus au sein de la société considérée[25]. » Ainsi, notre lecture rejoint celle des professeurs Beyerlin et Marauhn qui qualifient le PRCMD comme un legal principle par opposition aux legal rules qui sont des catégories que Dworkin propose dans ses travaux sur la normativité[26]. La difficulté avec un principe comme le PRCMD, c’est qu’il fait partie de ces principes qui, comme le souligne Lluìs Paradell-Trius,

obligent à une réévaluation du processus législatif international. Ce faisant, ils illustrent la difficulté d’expliquer le droit international en se référant uniquement à la théorie classique des sources du droit international public. Ils mettent également en lumière le caractère incertain du processus législatif international coutumier, à savoir la question de savoir comment les règles du droit international coutumier sont formées. Il est de plus en plus admis, par exemple, que la formation de la coutume internationale, ou le « durcissement » de la « soft law », peut se produire de plus en plus rapidement, notamment par rapport à des valeurs particulièrement importantes ou des « intérêts communautaires »[27].

Pour reprendre nos écrits antérieurs[28], il nous apparaît que le PRCMD, qui découle de l’équité intragénérationnelle, lequel est un principe non normatif, peut, quant à lui, être une proposition normative. En effet, il peut prescrire un comportement donné aux États, soit celui d’utiliser l’une ou l’autre des formes de différenciation possibles dans les traités. Selon nous, le PRCMD a un caractère prescriptif suffisant pour pouvoir à tout le moins imposer un type de comportement donné aux États, soit celui de moduler les obligations des États, selon leurs responsabilités actuelles dans la survenance ou la poursuite d’un problème environnemental donné et selon leurs capacités et leurs besoins, en empruntant l’une des différentes formes de différenciation qui existent. Abordant la nature juridique du PRCMD, les professeurs Birnie, Boyle et Regdwell proposent d’ailleurs à cet égard la qualification de framework principle[29], ce qui rejoint notre lecture selon laquelle le PRCMD est actuellement un mécanisme « législatif » permettant de structurer les accords multilatéraux en environnement[30]. Prosper Weil va dans le même sens en suggérant probablement l’analyse la plus à même de rendre compte de l’effet normatif qu’opère le PRCMD, lorsqu’il souligne que « [s]i les actes pré-normatifs ne créent pas de droits et d’obligations susceptibles d’être invoqués devant le juge ou l’arbitre international et si leur violation ne peut engager la responsabilité internationale, ils créent des expectatives et exercent sur la conduite des États une influence qui peut dans certains cas être plus grande que celle exercée par des règles conventionnelles ou coutumières[31] ».

1.1.2 De ses conséquences sur l’assistance financière environnementale

Il n’en demeure pas moins que, en tant que « mécanisme législatif », le PRCMD joue un rôle important dans la structuration et le développement du droit international de l’environnement[32]. Comme Sandrine Maljean-Dubois et Lavanya Rajamani l’affirment, « [d]e fait, bien des instruments internationaux à la normativité incertaine sont quotidiennement appliqués sans que jamais ne soit soulevée la question de leur normativité, alors que bien des obligations conventionnelles ou coutumières sont en revanche fort mal appliquées. Un grand nombre de facteurs contribuent à expliquer l’effectivité ou non d’un instrument[33]. » Vaughan Lowe[34] présente un argument similaire lorsqu’il écrit que la distinction entre la hard law et la soft law est importante du point de vue des conséquences des violations d’une norme donnée, mais qu’elle ne l’est pas sur le plan des attentes quant à la conformité future des acteurs concernés (expectation of compliance), la règle morale pouvant susciter des attentes aussi fortes, sinon plus dans certains cas, que la règle de droit. Abondant dans le même sens, Alain Pellet souligne que le droit peut être un commandement obligatoire, mais qu’« il peut aussi être incitatif, recommandé, exhortatoire[35] ». C’est d’ailleurs pour cette raison que, même en l’absence du constat de son caractère coutumier, le PRCMD est devenu un principe fondateur dans l’organisation de la solidarité internationale face à des problèmes environnementaux globaux, en étant un principe structurant des conventions adoptées à leur sujet.

Bien que les pays développés ne soient pas obligés, en droit, de reconnaître les conséquences de leur contribution passée dans la dégradation de l’environnement et de s’engager à des transferts financiers destinés au renforcement des capacités des pays en développement pour la protection de l’environnement et un développement durable, la question se pose de savoir si le PRCMD fournit quand même un levier suffisamment important pour que les pays en développement négocient et obtiennent des souscriptions obligatoires des pays développés, dans le corpus des accords multilatéraux en environnement.

1.2 Le PRCMD et ses manifestations dans l’assistance financière environnementale de l’ère pré-Rio

Les fonds créés avant Rio reposent uniquement sur des contributions volontaires et visent, dans la plupart des cas, à assumer uniquement les coûts administratifs des conventions, alors que les fonds contemporains de la Conférence de Rio ou ultérieurs à celle-ci sont destinés principalement au renforcement des capacités des pays en développement, dans un objectif d’équité et de précaution et dans une perspective de développement durable[36]. Pourtant, la Déclaration de Stockholm sur l’environnement reconnaissait déjà, dans ses principes 9 et 12, la nécessité d’une assistance financière, technique et technologique en faveur des pays en développement[37].

1.2.1 Un caractère non obligatoire

L’assistance environnementale de première génération n’est pas, dans la plupart des conventions, stipulée comme étant obligatoire. La doctrine attribue cette particularité au fait que le PRCMD n’avait pas été formulé expressément dans une déclaration de principes avant la Conférence de Rio sur l’environnement et le développement[38]. Concernant le caractère non obligatoire des souscriptions à ces fonds pré-Rio, une exception existe toutefois : celle du Fonds du patrimoine mondial de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel[39], de l’Unesco, qui date de 1972. Il s’agit du premier mécanisme de financement créé par un traité, qui repose sur un système mixte de contributions volontaires et obligatoires (art. 15 (3)). Cette convention prévoyait toutefois la possibilité pour un pays de retirer ses cotisations obligatoires (art. 16 (2)), au moment du dépôt de ses instruments de ratification. Le caractère en principe obligatoire des souscriptions peut, dans ce cas, s’expliquer par le caractère a priori non spécifiquement environnemental de l’assistance accordée dans le cadre de cette convention qui porte plus largement sur la préservation du patrimoine.

1.2.2 Une fonction d’assistance administrative

Étant non obligatoire dans la plupart des conventions pré-Rio, la contribution financière des pays développés ne vise que les coûts administratifs et institutionnels des conventions, alors même que, paradoxalement, plusieurs de ces accords reconnaissent les capacités variables des États à se conformer aux engagements conventionnels, en se fondant sur les principes de la Déclaration de Stockholm. En effet, des expressions telles que « selon de leurs capacités scientifiques, techniques et économiques » se trouvent dans plusieurs conventions pré-Rio. Toutefois, les engagements réels des Parties ne sont, la plupart du temps, que de s’engager à « coopérer » aux fins d’une convention donnée. À cette époque, des dispositions conventionnelles réfèrent d’ailleurs aux pays en développement sans les mentionner explicitement[40]. Par exemple, l’article 14 de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination[41] prévoit que « [l]es Parties conviennent de créer, en fonction des besoins particuliers de différentes régions et sous-régions, des centres régionaux ou sous-régionaux de formation et de transfert de technologie pour la gestion des déchets dangereux et d’autres déchets et la réduction de leur production. Les Parties décideront de l’institution de mécanismes appropriés de financement de caractère volontaire. »

Il faut néanmoins souligner que certaines conventions pré-Rio ont tout de même mis en place, progressivement, des fonds spécifiques destinés au renforcement des capacités des pays en développement Parties. Tel est le cas, par exemple, du Fonds de petites subventions (FPS) de la Convention de Ramsar[42], mis en place par la Conférence des Parties en 1990, et du Fonds d’affectation spéciale pour la coopération technique de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination[43], qui a été créé pour aider les pays en développement et d’autres pays ayant besoin d’une assistance technique dans la mise en oeuvre de la Convention. Les contributions des Parties à ces fonds ne sont toutefois pas obligatoires et les montants disponibles au titre du soutien au renforcement des capacités demeurent, dans l’ensemble, limités. Puisque quelques accords environnementaux conclus avant la Conférence de Rio ont prévu des moyens pour financer une partie des surcoûts liés à la mise en oeuvre de ces accords dans les pays en développement, Philippe Sands soutient qu’il faut probablement comprendre la formulation expresse du PRCMD dans le principe 7 de Rio comme étant la « cristallisation de ces dispositions conventionnelles pré-CNUED[44] ». Cette affirmation rejoint celle de la doctrine qui considère que les clauses de souplesse sont une des modalités possibles de mise en oeuvre du PRCMD[45].

1.2.2.1 La Convention de Ramsar sur les milieux humides

La Convention sur les zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau[46], signée à Ramsar, en Iran, en 1971, sert de cadre à l’action nationale et à la coopération internationale pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides.

Instauré en 1990 par la 4e session de la Conférence des Parties à la Convention de Ramsar (résolution 4.3), et reposant uniquement sur les contributions volontaires de gouvernements ou de particuliers, le Fonds de petites subventions (FPS)[47] a été créé pour soutenir les pays en développement et les pays à économie en transition qui veulent réaliser des activités et des projets de conservation des zones humides dans le monde entier, soit par une assistance directe, soit par la recherche de donateurs pour des propositions complémentaires. Les États Parties à la Convention de Ramsar ainsi que les pays qui cherchent à adhérer à la Convention peuvent demander une aide financière pour soutenir les activités nécessaires à l’identification, à la délimitation et à la cartographie d’un site à être inscrit sur la Liste des zones humides d’importance internationale[48].

Pour obtenir une assistance de ce fonds, trois conditions sont actuellement requises : le projet doit contribuer à la mise en oeuvre du Plan stratégique 2009-2015 pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides, la proposition de projet doit être approuvée par l’autorité administrative responsable du pays et, depuis 1996 (COP6), le pays bénéficiaire doit être sur la liste des bénéficiaires de l’aide établie par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ce qui, du point de vue pratique, signifie que les pays dont l’économie est en transition ont accès au Fonds[49].

De 1991 à 2010, le Fonds a alloué un total de près de 7,8 millions de dollars américains à 237 projets dans 109 pays[50]. La Conférence des Parties contractantes examine sérieusement les moyens de procurer une base de financement plus élevée au Fonds et de garantir un minimum approprié de fonds disponibles chaque année. La résolution VI.6 de la COP6, en 1996, réaffirmait d’ailleurs « sa conviction exprimée dans la Résolution 5.8, à savoir qu’il est nécessaire d’augmenter le montant des ressources disponibles du Fonds pour qu’il atteigne au moins 1 million de dollars É.-U. par an[51] ». La résolution VI.6 n’a toutefois pas réussi à établir de mécanisme permettant d’obtenir ce niveau de financement, lequel n’a conséquemment jamais été atteint[52]. La contribution à l’application de la Convention aurait pu être ainsi nettement améliorée.

1.2.2.2 La Convention sur le patrimoine mondial

La Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel se concentre sur l’établissement d’un réseau de sites du patrimoine culturel et naturel qui ont une vocation universelle exceptionnelle. Elle permet ainsi de limiter la destruction de certains habitats d’espèces de la faune et de la flore. Dans son préambule, les parties « [c]onstat[ent] que le patrimoine culturel et le patrimoine naturel sont de plus en plus menacés de destruction non seulement par les causes traditionnelles de dégradation mais encore par l’évolution de la vie sociale et économique qui les aggrave par des phénomènes d’altération ou de destruction encore plus redoutables » (préambule, par. 2). La Convention crée un système institutionnel spécifique, avec un comité intergouvernemental (art. 13) et le Fonds pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (art. 15). Le comité est chargé de décider des demandes d’assistance financière auxquelles ce fonds répondra, demandes que les États adressent pour protéger des sites sur leur territoire (art. 13) qui peuvent être des sites naturels. L’assistance peut prendre plusieurs formes, notamment les suivantes : études sur les problèmes artistiques, scientifiques et techniques que posent la protection, la conservation, la mise en valeur et la réanimation du patrimoine culturel et naturel, tel qu’il est défini aux paragraphes 2 et 4 de l’article 11 de la Convention ; mise à la disposition d’experts, de techniciens et de main-d’oeuvre qualifiée pour veiller à la bonne exécution du projet approuvé ; formation de spécialistes de tous niveaux dans le domaine de l’identification, de la protection, de la conservation, de la mise en valeur et de la réanimation du patrimoine culturel et naturel ; fourniture de l’équipement que l’État intéressé ne possède pas ou n’est pas en mesure d’acquérir ; prêts à faible intérêt, sans intérêt, ou qui pourraient être remboursés à long terme ; octroi, dans des cas exceptionnels et spécialement motivés, de subventions non remboursables[53].

1.2.2.3 La CITES sur le commerce des espèces sauvages menacées d’extinction

La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES)[54] est, avec la Convention de Ramsar, l’un des premiers accords multilatéraux de la génération moderne. L’objectif de la CITES est la régulation du commerce international des espèces qui sont en danger ou qui sont menacées de le devenir. Le champ d’application de la Convention est assez large, car celle-ci s’applique autant aux animaux qu’aux plantes. Malgré les besoins évidents d’assistance pour le renforcement des capacités législatives et institutionnelles de nombreux pays en développement Parties à la CITES, la Convention ne prévoit pas, dans son texte, d’obligation d’assistance financière à la charge des Parties développées. Le Fonds d’affectation spéciale de la CITES octroie un soutien financier pour les objectifs de la Convention, et fournit les sommes nécessaires au bon fonctionnement du Secrétariat, de la Conférence des Parties et de ses organes subsidiaires — le Comité permanent et les autres comités CITES. Ce fonds est approvisionné par les contributions des Parties à la Convention, sur la base du barème des contributions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), mais qui est ajusté pour tenir compte du fait que tous les membres des Nations Unies ne sont pas Parties à la CITES[55]. La formulation du PRCMD, en 1992, n’en a pas renouvelé les approches.

La question de l’assistance financière aux pays en développement s’insère dans un débat récurrent qui fait rage au sein de la CITES. D’un côté, on retrouve ceux qui croient qu’il faudrait créer les conditions d’un commerce durable des espèces qui pourrait profiter aux communautés locales et qui leur permettrait de protéger les populations d’espèces sauvages. De l’autre, on retrouve ceux qui estiment qu’il vaut mieux interdire tout commerce international des espèces menacées parce que les difficultés liées au contrôle et à la surveillance des limites de ce commerce rendent impossible de le permettre. Selon eux, il faudrait apporter des modifications aux annexes de la CITES pour interdire simplement le commerce des espèces de l’annexe I, sans exception, et encadrer plus strictement celui des espèces de l’annexe II. Pour ces derniers, il va sans dire qu’une assistance financière très importante devrait être accordée aux pays en développement Parties pour leur permettre de faire face aux pertes de revenus associées à l’interdiction de ce commerce.

1.2.2.4 La Convention de Bâle sur la gestion et le commerce international des déchets

Lorsque la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination a été adoptée, en 1989 — soit trois ans avant la Conférence de Rio mais deux ans après la diffusion dans le rapport Brundtland d’une définition du développement durable —, elle rappelait les principes de la Déclaration de Stockholm sur l’environnement de 1972, lesquels reconnaissent la nécessité du renforcement des capacités des pays en développement par une assistance financière des pays développés comme condition à l’amélioration de la protection de l’environnement. Ainsi, les fondements du PRCMD et du développement durable se retrouvaient en filigrane dans la Convention. Cette toile de fond n’était toutefois pas suffisamment tissée serrée pour que l’on retrouve, parmi les obligations permettant plus particulièrement une application du PRCMD, un fonds obligatoire affecté au financement du renforcement des capacités par la formation ou la mise en place d’installations de traitement des déchets, ou encore des transferts technologiques directs. Cette absence est regrettable quand on constate que, deux décennies après l’entrée en vigueur de la Convention, les pays en développement ne semblent pas avoir plus de capacités pour faire face à un problème qui prend de l’ampleur.

La Convention de Bâle est dotée d’un fonds d’affectation spéciale. Comme l’exemple du fonds de la CITES en témoigne, les fonds d’affectation spéciale du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) sont généralement destinés au financement des coûts administratifs d’une convention[56]. Le fonds d’affectation spéciale de la Convention de Bâle finance les coûts bureaucratiques de cette dernière, notamment de son secrétariat. Un deuxième fonds, le Fonds d’affectation spéciale pour la coopération technique, a été créé. Il repose sur des souscriptions non obligatoires et assez faibles, en définitive. La Conférence des Parties reconnaît que ce fonds doit servir en priorité au renforcement des capacités[57]. Cette reconnaissance ne doit pas surprendre, dans le contexte où la majeure partie des déchets dans le monde sont produits dans les pays développés, et qu’une partie de ces déchets, qui sont parmi les plus dangereux, transitent vers les pays en développement. Ces deux facteurs expliquent que la responsabilité de faire face au problème incombe au premier chef aux pays développés.

Lors de l’adoption de la Convention de Bâle, les fondements du PRCMD avaient été inscrits dans la Déclaration de Stockholm, même si la formulation du principe 7 de Rio restait à être énoncée. Les déclarations adoptées par la suite par la Conférence des Parties à la Convention de Bâle ont « commencé à intégrer le PRCMD, mais pas non plus de manière systématique, ni en insistant beaucoup sur ses conséquences. À tout le moins, on peut considérer que plusieurs des actions concrètes de la Convention sont une application du PRCMD, puisque les centres régionaux et le fonds sont financés par les PD, et sont institués principalement au bénéfice des PED et des PD. Un long chemin reste à parcourir, mais le processus est amorcé[58]. » Le processus semble toutefois bien lent et insuffisant lorsqu’on prend connaissance du Rapport sur la mise en oeuvre du Plan stratégique de l’application de la convention (2005-2011), dans lequel on affirme que les principaux obstacles à la mise en oeuvre de ce plan sont principalement l’absence de mécanisme de financement adéquat et durable, les difficultés de mobilisation des ressources financières, le manque d’expertise dans plusieurs pays en développement et les ressources humaines limitées du Secrétariat[59].

2 Le PRCMD et son influence sur l’assistance financière post-Rio 

En 1992, le PRCMD a fait son apparition de manière explicite dans le principe 7 de la Déclaration de Rio. À partir de ce moment, les pays en développement ont réclamé, et souvent obtenu, que l’obligation pour les pays développés de fournir une assistance financière soit une exigence de leur conformité à ces traités environnementaux modernes.

2.1 L’intensité de l’engagement et les fonctions de l’assistance

2.1.1 L’intensité : une obligation de moyens

Les États-Unis, qui demeurent un contributeur clé à la caisse du Fonds pour l’environnement mondial, même si leur contribution a relativement diminué au cours de la dernière décennie, soulignent souvent le caractère volontaire de leurs dons. Quand on y regarde de près, il est vrai que les souscriptions aux fonds créés après Rio, et au Fonds multilatéral sur l’ozone, créé en 1991, qui a été un point tournant à ce sujet, sont davantage le résultat d’une obligation de moyens que de résultats. En effet, dans les accords multilatéraux relatifs aux biens publics globaux, comme l’appauvrissement de la couche d’ozone, les changements climatiques et l’érosion de la biodiversité, les pays en développement ont négocié des dispositions par lesquelles ils ont le pouvoir de faire pression sur les pays développés afin que ces derniers allouent les sommes d’argent nécessaires au respect des obligations conventionnelles des pays en développement. Dans le Protocole de Montréal[60], la Convention sur la diversité biologique[61], la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[62] et la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants[63], il est prévu que les pays en développement s’acquitteront effectivement de leurs obligations conventionnelles seulement dans la mesure de la mise en oeuvre effective des engagements des pays développés de leur fournir des ressources financières nouvelles et additionnelles à l’aide publique au développement. Comme le souligne Laurence Boisson De Chazournes, « [l]ier le respect par les pays en développement des engagements souscrits dans le cadre des AEM à la fourniture par les pays développés de moyens financiers et techniques adéquats et nécessaires, est une illustration évidente du principe des responsabilités communes mais différenciées[64] ».

Selon Philippe Sands, ces dispositions conditionnelles viennent, dans une certaine mesure, contredire l’opinion commune selon laquelle il n’y a aucune obligation réciproque en droit international de l’environnement[65]. D’autres peuvent plutôt penser que ce sont les obligations communes dans la protection de l’environnement — premier volet du principe 7 de Rio — qui ne peuvent fonctionner que si les obligations sont différenciées, qui est la base de cette obligation d’assistance financière et que, dès lors, ce n’est pas tant la réciprocité que la solidarité qui en est le leitmotiv. Dans l’éventualité où les pays développés ne fourniraient pas d’assistance technique et financière à travers les canaux retenus, les pays en développement pourraient invoquer cet élément comme cause d’« exonération » pour leur non-respect des obligations des accords en question. Dans le cadre du Protocole de Montréal, par exemple, il est prévu que, lorsque les engagements en matière d’assistance technique et financière ne sont pas tenus, les pays en développement peuvent le notifier au Secrétariat. Celui-ci transmet alors la notification à la Réunion des Parties qui décide des mesures à prendre. Au cours de la période qui s’écoule entre la notification et la Réunion des Parties, les procédures prévues en cas de non-respect ne peuvent pas être invoquées à l’encontre du pays en développement en question[66].

Ce genre de dispositions conditionne le respect des obligations des pays en développement aux transferts effectifs de ressources financières, mais elles ne sont pas assorties d’un système de sanctions en cas de non-conformité. Le caractère obligatoire des engagements financiers des pays développés tient plutôt à l’affaiblissement évident de l’ensemble du régime en cas de non-respect des obligations financières. Il s’agit de l’incitatif pour que les pays industrialisés fournissent les ressources convenues. Partant, ne devrait-on pas penser que, afin de maintenir la crédibilité et l’efficacité des accords multilatéraux sur l’environnement auxquels ils sont parties, les pays développés devraient être relativement désireux de se conformer aux engagements de « fourn[ir] des ressources financières nouvelles et additionnelles pour permettre aux Parties qui sont des pays en développement […] de couvrir la totalité des surcoûts convenus de l’application des mesures […] de la Convention[67] » ? Cette question commande l’examen de la fonction de renforcement des capacités et de la fonction compensatoire des fonds post-Rio, fonctions qui sont liées à deux notions centrales de l’assistance internationale environnementale : celle des surcoûts et celle des ressources nouvelles et additionnelles à l’aide publique au développement.

2.1.2 Les fonctions : dictées par la solidarité

2.1.2.1 Les fonctions de l’assistance financière post-Rio

L’approche sectorielle des fonds pré-Rio a été suivie d’une approche plus « communautaire », formalisée par des dispositions conventionnelles sur l’assistance financière et technique orientées « vers la satisfaction des intérêts de la communauté internationale dans son ensemble[68] ». Cela s’explique par les problèmes globaux auxquels la communauté internationale a eu à faire face, tels que l’appauvrissement de la couche d’ozone, les changements climatiques, l’érosion de la diversité biologique, la pollution chimique. Cela a nécessairement des incidences sur les fonctions de l’assistance financière post-Rio.

La fonction de renforcement des capacités

Les travaux de deux des pionniers d’une théorie de la conformité (theory of compliance), Abram Chayes et Antonia Handler Chayes[69], sont fondés sur le postulat que « l’insuffisance du système interétatique et décentralisé de contrôle des engagements internationaux », d’après lequel « il revient à chaque État d’apprécier le respect par ses pairs de leurs obligations et, en cas de manquements, d’y réagir unilatéralement s’il le souhaite », est « inadapté et insuffisant à promouvoir un strict respect des obligations[70] » et qu’il nécessite de se tourner davantage vers un « système coopératif de management des obligations ». Selon eux, l’engagement d’un État est important et est la clé du respect des dispositions d’un traité donné. Il vaut mieux, dès lors, que les dispositions du traité l’encouragent à bien planifier les mesures qu’il mettra en oeuvre pour le respecter et rechercher les moyens propres à l’aider au lieu de mettre en place et de renforcer les moyens de constater une violation du traité et d’en rechercher les sanctions juridiques[71]. Ainsi, l’une des principales fonctions générales des mécanismes financiers et de l’assistance technique est l’assistance à la mise en oeuvre des obligations conventionnelles par les pays en développement[72]. L’assistance pour la conformité est d’ailleurs le moyen de promotion le plus important en matière de protection de l’environnement, laquelle est fondée sur des incitations plutôt que sur des sanctions, dans l’objectif de favoriser un comportement respectueux des mesures conventionnelles négociées. L’utilisation d’incitations comme moyens de mise en oeuvre et d’assistance à la conformité a véritablement débuté à partir de la mise en place du Fonds multilatéral sur l’ozone et s’est intensifiée au cours des décennies suivantes, en raison du fait que, dans les accords multilatéraux en environnement qui traitent des biens publics globaux, la conciliation et l’assistance sont des mécanismes plus viables que la sanction et la confrontation. Cette réalité est illustrée par la métaphore de la « carotte et du bâton ». En effet, dans les négociations internationales, et de manière accentuée en environnement, les moyens de confrontation que sont les sanctions commerciales ou le retrait de privilèges peuvent expliquer que les pays en développement fuient un accord[73]. Les procédures de non-conformité modernes servent à éviter ce genre de comportement en essayant de prévenir les violations au lieu de punir une Partie non conforme. Cette approche prend du sens lorsqu’on comprend que les mesures de confrontation et de sanction ne peuvent être efficaces que lorsqu’on est en présence d’un État qui néglige politiquement de respecter les objectifs d’un accord, et que cela se reflète dans le manque de diligence et de moyens accordés au respect de ses obligations. Cette considération peut être illustrée par le problème des resquilleurs (free riders) qui sont des États qui bénéficient de la conformité des autres États Parties sans toutefois contribuer eux-mêmes aux coûts de la conformité[74]. Il faut cependant faire une distinction entre les resquilleurs délibérés qui pourraient rejoindre les rangs et contribuer aux coûts s’ils étaient convaincus d’être sanctionnés en cas de non-conformité, et les resquilleurs involontaires qui, à la différence des premiers, n’ont pas la capacité de contribuer aux coûts de la conformité. Parmi les principaux motifs de non-conformité, le manque de volonté réelle de se conformer à un traité est considéré comme relativement rare, car, en règle générale, les États ne deviennent pas parties à un accord auquel ils savent qu’ils ne veulent pas se conformer[75]. Toutefois, comme le souligne Nele Matz, en s’appuyant sur les travaux de Brown Weiss, des études récentes contredisent l’hypothèse selon laquelle les États se conforment généralement au droit international[76]. Il n’en demeure pas moins que, lorsqu’on considère la non-conformité des États comme étant liée à un manque de diligence, il faut également tenir compte du fait que de nombreux pays en développement font face à des problèmes beaucoup plus pressants que les problèmes environnementaux « des pays développés[77] ».

Au regard de ce qui précède, et considérant les principes sous-jacents aux mécanismes financiers qui ont été mis en place après la création du Fonds multilatéral sur l’ozone, une attention particulière doit être accordée au fait que l’application du droit international de l’environnement se singularise par la difficulté de recourir à des sanctions pour les États qui n’ont pas la capacité de se conformer à leurs obligations conventionnelles[78]. Depuis Rio, l’approche économique non conflictuelle basée sur l’aide à la conformité a évolué et a contribué à la mise en place systématique de dispositions conventionnelles sur les transferts financiers et technologiques. Alors que l’assistance technique est un objectif explicite ou implicite de nombreux accords qui ne sont pas nécessairement des accords environnementaux, l’objectif explicite d’assurer la conformité par le recours à l’assistance technologique et/ou financière est principalement une caractéristique des traités environnementaux[79]. L’aide financière n’est toutefois qu’un aspect de l’assistance à la conformité et au contrôle et fait partie intégrante de la question plus vaste de renforcement des capacités[80]. Bien que le renforcement des capacités soit essentiel pour assurer la conformité avec un accord, cette approche nécessite que l’État soit déjà devenu une partie à l’accord. Aussi, la question du renforcement des capacités pour permettre à un État d’entrer dans un régime environnemental est tout aussi importante. Un exemple de cela est le Fonds de Nagoya, qui a été établi comme fonds d’affectation spécial par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), grâce à une contribution financière du Japon, afin de faciliter l’entrée en vigueur du Protocole de Nagoya[81], par l’assistance financière à la création des institutions et à l’élaboration des lois nationales de mise en oeuvre de ce protocole, dans les pays en développement.

La fonction compensatoire des surcoûts

Quels sont les coûts des pays en développement qui sont compensés ? La réponse à cette question est surtout liée aux coûts incrémentaux, et non aux coûts de la surexploitation des ressources naturelles par les pays développés. En effet, comme nous l’avons évoqué, ces derniers n’ont pas voulu que leur responsabilité historique soit prise en compte dans la formulation du PRCMD, et bien que leur responsabilité actuelle et future dans la dégradation de l’environnement global soit un facteur justifiant la différenciation, ils ont accepté des obligations conventionnelles d’assistance financière qui sont plutôt liées expressément aux coûts supplémentaires ou « surcoûts » qui découlent de la mise en oeuvre et du respect d’un traité par les pays en développement[82]. Une fois qu’un accord est mis en oeuvre, les coûts découlant des restrictions au développement — comme la sauvegarde des ressources naturelles — ou les coûts de l’adaptation aux nouvelles technologies, créent des difficultés pour de nombreux pays en développement qui manquent d’expertise ainsi que de ressources financières et technologiques.

Les accords multilatéraux environnementaux relatifs à des problèmes globaux lient l’assistance financière à l’amélioration de la conformité des pays en développement. Le Fonds multilatéral du Protocole de Montréal, le Fonds pour le climat de la CCNUCC et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) sont fondés sur le principe que les pays en développement ont besoin d’une assistance technique et financière pour faciliter leur conformité. Tous ces mécanismes sont conçus pour financer les surcoûts de la conformité, y compris non seulement les projets d’exploitation des ressources mais également des projets éducatifs, de formation des fonctionnaires nationaux chargés de l’application, d’amélioration des installations scientifiques et des systèmes de données, etc.[83]. Si le principe est simple, l’indemnisation des pays qui affichent des surcoûts est toutefois une question des plus épineuses. En effet, la notion de surcoût ou de coût additionnel est sujette à une interprétation qui peut évidemment faire l’objet d’une lecture fort différente selon que l’on est créancier ou bénéficiaire de l’assistance financière. Il n’y a d’ailleurs pas d’interprétation communément reconnue des coûts pouvant être considérés comme des « coûts supplémentaires », ce qui crée souvent des divergences dans les positions respectives du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et des Conférences des Parties aux conventions environnementales concernées[84]. Des listes indicatives de surcoûts sont toutefois arrêtées et renégociées périodiquement par les Conférences ou Réunions des Parties. Par exemple, les surcoûts de l’adaptation associés à la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCNUCC) ont été définis par la COP 11 comme les « dépenses que les mesures d’adaptation immédiatement nécessaires imposent aux pays vulnérables[85] ». La COP de la CDB et le FEM étudient continuellement les façons possibles d’identifier des ressources financières supplémentaires pour les activités qui soutiennent les objectifs de la Convention. Un conseiller de la Banque mondiale, Mohammed Bekhechi[86], aborde cette notion conflictuelle des « surcoûts » en soulignant ceci :

Une définition correcte de cette notion assume que le pays en développement a déjà mis en place des politiques efficaces qui permettent de calculer le coût de l’énergie, la réglementation de l’accès aux ressources naturelles, le système fiscal en place n’est pas approprié et le résultat sera que le transfert de ressources financières n’aboutira pas à des améliorations environnementales notables. Dès lors, le financement des coûts additionnels ne servira à rien en dehors de la considération des éléments qui entrent dans le cadre des obligations de l’État d’assurer le financement des coûts récurrents. Or c’est là une question qui mérite beaucoup plus d’attention qu’elle n’en a eue jusqu’à présent[87].

Par exemple, une étude réalisée par Caroline Mason en 1995 a comparé les coûts supplémentaires associés à l’élimination des substances appauvrissant la couche d’ozone (SAO) en Inde avec ceux encourus dans d’autres pays en développement. Ses conclusions générales indiquent que l’élimination accélérée des substances appauvrissant (SAO) a considérablement diminué les coûts économiques de la suppression de ces substances (phase-out) en réduisant le nombre d’appareils qui ont dû être remplacés prématurément. Selon cette étude, si on optait pour le recyclage pour la fourniture de cholofluorocarbone (CFC-12), les coûts pourraient être encore réduits[88]. Ce genre d’étude peut évidemment mener tout droit à l’imposition de conditionnalités à l’assistance financière que les pays développés acceptent de fournir, en leur servant d’argumentaire pour avoir un droit de regard sur les mesures et les projets qu’ils financent et établir ce que sont des « surcoûts » admissibles ou non à leur assistance.

L’additionnalité des sommes transférées et la bonne gouvernance

La question du financement du développement durable est symptomatique des oppositions entre les pays développés et des pays en développement sur la lutte contre la pauvreté et le financement du développement, à la différence que, dans le cadre de l’assistance financière pour l’environnement, il y a un consensus selon lequel l’aide consentie doit financer les surcoûts de la conformité conventionnelle pour les pays en développement et doit, par conséquent, provenir de sources nouvelles et additionnelles à l’aide publique au développement (APD). On peut toutefois se demander si ce sont des transferts de ressources nouvelles et additionnelles qui sont réellement effectués ou si les sommes transférées ne sont pas, tout simplement, soustraites de l’aide qui serait normalement destinée au développement. La plupart des pays donateurs ne respectent pas le Consensus de Monterrey[89] de 2002 qui réaffirme l’objectif de consacrer 0,7 p. 100 de leur produit intérieur brut (PIB) au profit de l’aide publique au développement (APD)[90]. En 2012, l’aide publique au développement (APD) nette des pays développés s’est élevée à 126 milliards de dollars, ce qui représentait 0,29 p. 100 du revenu national brut cumulé des donateurs. C’était donc une baisse de 4 p. 100 en termes réels par rapport au niveau de 2011, qui était de 2 p. 100 sous le niveau de 2010. La baisse est attribuée à la crise économique et financière et aux turbulences de la zone euro, qui ont conduit de nombreux gouvernements à mettre en place des mesures d’austérité et à réduire leurs budgets d’aide[91]. Comment peut-on parler alors d’une aide « additionnelle » alors que les pays développés n’arrivent pas à souscrire à « l’aide au développement de base[92] » ? Le transfert de sommes « nouvelles et additionnelles » pourrait, dès lors, tristement et réalistement être considéré comme une vue de l’esprit.

Même en admettant que les États développés respecteraient leurs engagements financiers dans ces traités environnementaux, la question de savoir si les transferts de fonds augmenteraient significativement le respect des traités demeurerait entière. Cette question est étroitement liée à celle de la bonne gouvernance dans les pays en développement qui découle, entre autres, de la lutte contre la corruption dans ces pays. Elle rejoint également la question dont nous allons maintenant discuter et qui a trait à la conditionnalité de l’aide publique au développement, laquelle s’est matérialisée dans différentes politiques et directives adoptées au sein de la Banque mondiale, mais aussi par des banques régionales de développement, et qui est également prônée par l’OCDE pour ce qui est de l’aide bilatérale au développement.

Le caractère conditionnel de l’aide publique au développement : une aide publique au développement durable

L’aide publique au développement (APD) comprend, selon la définition du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, les projets et les programmes, les transferts de fonds, les livraisons de biens, les cours de formation, les projets de recherche, les opérations d’allègement de dette et les contributions aux organisations non gouvernementales (ONG)[93]. Le « verdissement » progressif de l’aide au développement en général et de ses institutions, surtout sur le plan multilatéral, doit être considéré parmi les formes que prend l’assistance financière de l’environnement. Alors que l’aide publique au développement vise traditionnellement le transfert de ressources financières destinées à la lutte contre la pauvreté par le développement, elle n’a pris en compte des objectifs environnementaux qu’à la fin des années 80. À cette époque, l’opinion publique a réclamé l’écologisation des approches de l’APD, décriant le financement de projets ayant causé de graves effets négatifs sur l’environnement, qu’il soit question du financement de barrages ayant entraîné des atteintes à l’environnement ou de projets agricoles extensifs appauvrissant les sols et ayant recours à des quantités massives de pesticides[94].

En tant qu’institution issue des accords de Bretton Woods en 1944, le groupe que constitue la Banque mondiale[95] est l’agence multilatérale de développement la plus influente dans le monde, tant sur le plan du nombre de projets financés que pour ce qui est des ressources financières dont elle dispose. Les institutions financières créées à la Conférence de Bretton Woods sont empreintes de l’esprit de l’époque où elles ont été créées, soit celui de l’économie libérale. Elles se sont donc développées en fondant leurs décisions de financer des projets sur des critères économiques et d’investissement correspondant à cette conception du financement, sans tenir compte de questions comme le respect des droits de l’homme ou la protection de l’environnement. Ces derniers domaines ont pendant longtemps été considérés comme une prérogative étatique qui ressortait davantage de décisions politiques qu’économiques[96].

Face aux revendications des ONG et du public, la question s’est peu à peu posée de savoir dans quelle mesure des institutions telles que la Banque mondiale ou les banques de développement régionales finançaient des projets respectueux de certains droits de l’homme, tels que le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à l’alimentation, et avaient aussi des exigences sur le plan de la protection de l’environnement[97]. La conception du développement a peu à peu changé et s’est étendue aux aspects sociaux et culturels du développement, et c’est alors qu’un changement s’est opéré dans les politiques et directives opérationnelles de la Banque mondiale. Elle a davantage écologisé ses pratiques, à partir de la fin des années 80, dans une série de politiques opérationnelles qui orientent la conduite des études d’impact qu’elle exige avant de décider de financer des projets[98]. Cette institution a été, et demeure, souvent pointée du doigt pour sa promotion de politiques de développement peu durables. La Banque mondiale a progressivement tenté d’introduire des politiques respectueuses de l’environnement dans ses critères et indices de financement. Ces premières tentatives ont été amorcées en 1989 dans le cadre de directives opérationnelles (DO). Exigeant la conduite d’études d’impact environnemental (EIE), elles ont été accusées de verdissement superficiel (green painting)[99]. Les directives opérationnelles ont ensuite été remplacées par les politiques opérationnelles (PO)[100] et les procédures de la Banque mondiale (PB)[101] qui sont destinées aux employés de cette dernière qui conçoivent et évaluent les projets à financer. Concernant la nature de ces politiques et procédures, Sandrine Maljean-Dubois explique ce qui suit :

Créés par la banque et pour la banque, ces instruments de nature quasijuridique – on pourrait les comparer à des circulaires administratives – ont nécessairement une influence sur le contenu des accords de prêt passés avec les États emprunteurs à valeur juridique contraignante. La plupart obligent d’ailleurs le personnel de la Banque à exiger que l’État emprunteur adopte un certain nombre de comportements, à défaut de quoi la Banque refusera de financer le projet[102].

Un panel d’inspection, créé en 1993, a pour mandat d’examiner le travail de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et de l’Agence internationale pour le développement (AID) et de recevoir les plaintes individuelles affectées ou susceptibles d’être affectées par le manque de respect, par la BIRD ou l’AID, de leurs processus et politiques opérationnelles[103].

L’écologisation de l’aide au développement est traversée par un débat acrimonieux sur les conditionnalités qui accompagnent toute aide extérieure, surtout sur le plan multilatéral. Les bénéficiaires ne souhaitent pas de conditionnalités vertes et soutiennent que leur imposition va à l’encontre de leur droit au développement (ils réclament plutôt des ressources supplémentaires dans le cadre des fonds environnementaux), alors même que l’expérience révèle que des conditionnalités bien pensées et négociées peuvent participer à la réduction de la pauvreté et à la protection de l’environnement. Si l’on considère qu’en 2012 l’aide publique au développement nette des pays développés s’est élevée à 126 milliards de dollars[104], on comprend les pays développés de vouloir imposer certaines conditions sur le plan environnemental et social.

Une autre question qui se pose est celle de la cohérence entre les mécanismes conventionnels spécifiques d’assistance financière et le verdissement de l’aide traditionnelle au développement. Peuvent-ils être mis en corrélation ? Cette question a été abordée par la littérature qui propose certaines avenues intéressantes, notamment celle d’exiger, comme condition préalable au financement public d’un projet grâce à l’APD, que le pays bénéficiaire démontre qu’il a ratifié une ou plusieurs conventions environnementales pertinentes pour le bon encadrement de son projet sur le plan environnemental et qu’il en respecte les dispositions[105]. Cette solution, complexe à mettre en pratique, aurait au moins le mérite de permettre le renforcement mutuel des fonds environnementaux conventionnels et de l’aide publique au développement, et de réaliser, du même coup, des économies.

2.2 Les caractéristiques des fonds post-Rio

2.2.1 Le Fonds de l’ozone

À l’aube de la Conférence de Rio, le Fonds multilatéral pour l’application du Protocole de Montréal a été créé par une décision de la Deuxième Réunion des Parties, à Londres, en juin 1990. Il s’agit d’un point tournant dans l’évolution du droit international de l’environnement qui a marqué le départ des accords multilatéraux environnementaux modernes[106]. Le Fonds a commencé ses opérations en 1991 afin d’aider les pays en développement Parties au Protocole de Montréal dont le niveau annuel de consommation des substances appauvrissant l’ozone (SAO), soit les chlorofluorocarbones (CFC) et les halons, était inférieur à 0,3 kg par habitant à respecter leurs engagements de réduction de leur consommation de SAO (art. 2 (1) à (4)). Actuellement, 148 des 197 Parties au Protocole de Montréal répondent à ces critères. Ils sont considérés comme des pays de l’article 5. Le Fonds est géré par un comité exécutif, représenté par un nombre égal de pays développés et de pays en développement[107], et assisté par un secrétariat.

Les contributions au Fonds multilatéral provenant des pays développés ou d’autres pays qui ne sont pas des pays de l’article 5 sont évaluées selon le barème des contributions des Nations Unies[108]. En juillet 2013, les contributions versées au Fonds multilatéral par 45 pays, y compris par les pays dont l’économie est en transition, totalisaient plus de 3,11 milliards de dollars américains. Le Fonds a été reconstitué à huit reprises[109]. Le budget total pour la période 2012-2014 est de 450 millions de dollars. De ce budget, 34,9 millions de dollars seront assurés par les contributions attendues et dues au Fonds multilatéral et d’autres sources, pour la période 2009-2011, tandis que 15,1 millions de dollars seront versés par les intérêts perçus par le Fonds au cours de la période 2012-2014. Depuis la création du Fonds, son comité exécutif s’est réuni plus d’une soixantaine de fois pour approuver des dépenses de l’ordre de 3 milliards de dollars américains, somme destinée à la mise en oeuvre de projets de reconversion industrielle, d’assistance technique, de formation et de renforcement des capacités[110]. Les projets et les activités soutenues par le Fonds sont mises en oeuvre par les quatre agences internationales d’exécution[111] : le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) et la Banque mondiale (BM). Chacune de ces agences est représentée aux réunions du comité exécutif du Fonds en tant qu’observatrice, et également lors des Réunions des Parties au Protocole.

Depuis la création du Fonds, 446 798 tonnes de SAO ont été éliminées grâce à des projets qu’il a soutenus[112]. Pour faciliter l’élimination des SAO par les pays de l’article 5, le comité exécutif a approuvé 144 programmes de pays, 138 plans de gestion de l’élimination des hydrocarbures chlorés et fluorés (HCFC) et a financé la mise en place et les coûts de fonctionnement des bureaux de l’ozone dans 145 pays de l’article 5. Certaines des parties au Protocole de Montréal auraient pu décider de ne pas ratifier les multiples amendements au Protocole de Montréal (Londres (1990)[113] ; Copenhague (1992)[114] ; Montréal (1997)[115] ; Beijing (1999)[116]), ce qui aurait entraîné une multitude de statuts juridiques différents pour elles, compte tenu de l’article 10 de la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone[117]. En pratique toutefois, elles ont toutes ratifié les amendements par consensus. Il est vrai que, en réglementant les échanges commerciaux avec les États non Parties au Protocole et en prévoyant un traitement différencié pour les pays en développement, par le moyen notamment de la mise en place d’un fonds destiné à les aider financièrement à mettre en oeuvre leurs obligations, le Protocole a créé les conditions gagnantes pour favoriser l’adhésion universelle à ses obligations et à ses amendements. Toutes les Parties au Protocole se sont ainsi retrouvées assujetties aux mêmes obligations, hormis certains pays en développement qui ont bénéficié d’un sursis intéressant de leurs obligations de réduction.

2.2.2 Le Fonds pour l’environnement mondial

Le Fonds pour l’environnement mondial a été créé conjointement par la Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour le développement et le Programme des Nations Unies pour l’environnement, en 1991[118]. Il est considéré comme la « branche verte » de la Banque mondiale[119]. Face aux multiples critiques selon lesquelles la gouvernance et la prise de décision au sein du Fonds manquaient de transparence, il a été restructuré en 2008 et son conseil comprend maintenant un nombre égal de pays développés (14 et 2 pays en transition) et de pays en développement (16)[120]. Les domaines d’intervention du FEM sont la protection de la diversité biologique, les eaux internationales, la lutte contre les changements climatiques, la lutte contre la désertification, la réduction des substances destructrices de la couche d’ozone et des polluants organiques persistants. Au moins dix agences s’occupent de la mise en oeuvre des projets financés : la Banque mondiale, le PNUD, le PNUE, les principales banques régionales de développement, l’Organisation pour l’Agriculture et l’Alimentation, le Fonds international de développement agricole (FIDA) et l’ONUDI. En 2005, le conseil du FEM a décidé d’appliquer, à compter de FEM4, un dispositif d’allocation des ressources reposant sur l’indice de la capacité potentielle des pays à préserver le patrimoine environnemental de la planète dans les domaines de la diversité biologique et des changements climatiques, et sur l’indice de la performance des pays[121]. Des pays en développement (l’Argentine, la Bolivie, le Chili, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay) ont alors exprimé leurs préoccupations par rapport à cette conditionnalité et ont ajouté que le FEM devra répondre devant les COP des conventions qui ont désigné le FEM comme étant leur instrument de financement (CDB, CCNUCC, Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP), Convention sur la lutte contre la désertification[122]). Parmi ces conventions, se trouve la CCNUCC, dont les mécanismes financiers et les dispositions sur l’assistance financière méritent un examen attentif, que nous ferons plus loin, tant cette problématique environnementale est une préoccupation de l’humanité qui va croissant.

Le FEM a alloué 9,2 milliards de dollars américains sur ses fonds propres et mobilisé plus de 40 milliards de cofinancement pour 2 700 projets réalisés dans plus de 165 pays en développement ou en transition. Pour la période 1991-2009, les projets dans le domaine des changements climatiques représentent 32 p. 100 des engagements du Fonds. Néanmoins, le Fonds pour l’environnement mondial est très critiqué par les pays en développement. En effet, le temps de montage d’un projet dans le cadre de ce fonds est extrêmement long (66 mois en moyenne). En outre, le montage du projet est complexe et très coûteux parce qu’il ne peut être fait que par des consultants internationaux[123]. De plus, les moyens de ce fonds sont limités.

À l’heure actuelle, le FEM est le seul mécanisme financier structuré qui peut servir plusieurs accords environnementaux. D’autres instruments, comme le FIDA existaient avant d’être invités à accueillir un mécanisme financier de l’environnement. Or, le FIDA n’est pas lié aux accords environnementaux et il ne finance pas de projets avec des ressources qui lui sont propres. Son rôle est plutôt de canaliser des ressources provenant de différents horizons, même privés. Le FEM, en tant qu’instrument financier répondant aux besoins de financement de plusieurs accords, permet-il de limiter les incohérences entre ces derniers ? Les exigences relatives au financement des projets qu’il accepte permettent-elles de coordonner les objectifs de plus d’un accord ? Il est certain que, grâce à ce mécanisme, des ressources administratives et humaines peuvent être économisées, mais son efficacité à décider des conditions de financement des projets et à choisir des projets qui répondent aux objectifs de plusieurs conventions environnementales dépend, au final, des relations entre les conférences et les secrétariats des différentes conventions et le Fonds[124]. Il semble que si le FEM arrive à faciliter l’échange d’informations entre différentes conventions, par exemple entre la CCNUCC et la Convention de Vienne, ou entre la CDB, la CNUCC et la Convention sur la désertification, il permettra des avancées intéressantes concernant la plus-value globale des projets financés, outre qu’il facilitera la rationalisation du financement.

2.2.2.1 La Convention sur la diversité biologique et ses protocoles

La Convention sur la diversité biologique est traversée par le PRCMD qui en est le « fil d’Ariane[125] ». Le fait que les situations respectives des pays développés et des pays en développement sont elles-mêmes différenciées se répercute dans la formulation des obligations de la Convention. Cela a des conséquences importantes sur le plan de l’assistance financière. Ainsi, l’article 20 de la Convention prévoit qu’une assistance financière doit être fournie aux pays en développement par les pays développés, dont la liste a été établie par la Conférence des Parties lors de sa première session.

De nombreux articles de cette convention appellent à la prise en compte des besoins spécifiques des pays en développement, notamment en matière de financement de la conservation in situ et ex situ (art. 8 (m) et 9 (e)), de recherche scientifique et de formation sur la biodiversité (art. 12). Ce sont les parties développées qui sont les débitrices de cette obligation d’assistance financière. Les autres Parties, y compris les pays qui se trouvent dans une phase de transition vers l’économie de marché, peuvent assumer volontairement les obligations des Parties qui sont des pays développés. Retenons, aux fins du présent article, que la Conférence des Parties dresse à sa première réunion la liste des Parties qui sont des pays développés et des autres Parties qui assument volontairement les obligations des Parties qui sont des pays développés. Ces ressources financières doivent être additionnelles à l’aide traditionnelle au développement, pour permettre aux pays en développement de s’acquitter de leurs obligations conventionnelles, sans préjudice des financements bilatéraux ou multilatéraux classiques (art. 20 (4)). Le lien entre l’obligation de mettre en oeuvre la convention et le transfert de ressources financières est évident, particulièrement dans la Convention sur la diversité biologique, car de nombreux pays en développement sont particulièrement riches en biodiversité et cette diversité est menacée par le développement non durable et la pauvreté. L’exemple de la forêt tropicale en fournit une bonne illustration. Alors que, dans la vision des pays développés, les forêts tropicales doivent être conservées à la fois parce qu’elles sont des « poumons de la terre » et qu’elles sont particulièrement riches en biodiversité, les pays en développement les perçoivent comme une ressource importante pour leur développement économique, compte tenu, notamment, des retombées économiques importantes que représentent pour eux les activités des entreprises d’exploitation forestière, minière ou agricole.

Le choix d’un mécanisme financier pour la CDB a fait l’objet d’intenses discussions. Les pays développés voulaient que le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), créé au sein de la Banque mondiale en 1991, soit utilisé. De leur côté, les pays en voie de développement considéraient que la gestion de ce mécanisme était guidée principalement par les volontés des pays donateurs et préféraient que la Conférence des Parties crée un nouveau mécanisme financier, conformément à l’article 21 (1) de la CDB. Un compromis a finalement émergé, à la toute fin des négociations, et a donné lieu à la formulation de l’article 39 de la CDB. Cet article permet d’accorder provisoirement au FEM le rôle de mécanisme de financement de la convention si sa gouvernance est restructurée. Dans sa décision I/2[126], la Conférence des Parties a décidé que le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) étant restructuré, il oeuvrerait comme structure institutionnelle pour gérer provisoirement ce mécanisme financier. Les liens entre le FEM et la CDB sont régis par le Mémorandum d’accord entre la Conférence des Parties et le conseil du FEM[127], qui a été adopté par la COP dans sa décision III/8[128]. Dans le cadre de ce mémorandum, le FEM fonctionne sous l’autorité et l’orientation de la COP, à laquelle il doit rendre des comptes, pour servir les buts de la Convention. Le FEM établit et présente à la Conférence des Parties, par l’intermédiaire du Secrétariat de la Convention, un rapport annuel de ses opérations au titre d’appui à la Convention (décision I/2, annexe III[129]). La COP fait des recommandations au FEM sur les politiques, les stratégies et les priorités. Le FEM finance les activités dans le cadre de quatre conventions multilatérales sur l’environnement, soit la Convention sur la diversité biologique, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification et la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Il est alimenté par des contributions spéciales des États développés. Lors de sa première réunion en 1994, la Conférence des Parties à la CDB a adopté des lignes directrices sur le sujet du financement[130].

Ainsi, la Convention sur la diversité biologique, dans ses articles 20 et 21, reprend quasiment le même langage que celui de la CCNUCC, tout comme son article 39 qui définit son mécanisme financier et en confie la gestion à titre transitoire au FEM. Elle concentrera le financement sur les surcoûts engendrés par les mesures adoptées par les États Parties en application de ses dispositions[131]. Alors que la vision du FEM est strictement limitée au financement des « surcoûts » pour l’environnement mondial, les décisions de la Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique tendent à vouloir donner une définition plus large à ce concept en se fondant sur l’idée, reprise dans le préambule de la Convention[132], que la biodiversité est considérée comme une préoccupation commune de l’humanité[133]. De nombreux projets visant à protéger la biodiversité qui sont liés à la lutte contre la pauvreté par le moyen du développement, notamment des projets dans le domaine de l’agro-biodiversité ou de la pêche maritime, sont dès lors encouragés par la Conférence des Parties, malgré la portée essentiellement nationale de ces projets qui n’a peut-être pas la dimension globale requise[134], ce qui donne lieu à des tensions entre la COP et le FEM. Selon Nele Matz, « la CdP [a] adopté, dans la pratique, le point de vue que tous les projets de biodiversité doivent être éligibles à un financement par le FEM[135] », ce qui semble illustré par la décision V/13 de la Conférence des Parties[136] qui donne de nouvelles orientations aux décisions de financement du FEM. Certains auteurs croient que compte tenu de l’importance et de l’étendue des domaines abordés par la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, domaines où plusieurs conventions multilatérales existent, le FEM n’est peut-être pas, dans son état actuel, le mécanisme financier le plus approprié pour répondre aux objectifs de la Convention[137]. Ce constat est fait alors même que le FEM a été désigné comme mécanisme financier pour la mise en oeuvre du Protocole de Cartagena sur la biosécurité[138] (article 28), comme mécanisme financier pour le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique et qu’il a permis de mettre en place des fonds fiduciaires innovants financés par le FEM[139], tels que le fonds d’affectation spéciale, dédié à des projets spécifiques ou à des zones de valeur de la biodiversité, ou encore le Fonds de Nagoya. Pour que ces fonds soient bien utilisés, que les sommes parviennent efficacement aux pays en développement qui en ont besoin, et qu’on évite aussi le gaspillage des ressources, la Conférence des Parties doit assurer une surveillance étroite des règles de fonctionnement et des décisions du FEM à leur sujet.

Toujours dans le domaine de la biodiversité, un autre exemple d’accord qui n’intègre pas le PRMCD d’une manière forte est le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique. Le Protocole, qui vise à lutter contre la biopiraterie, a été adopté le 29 octobre 2010. Dans la CDB, il était prévu que l’accès satisfaisant aux ressources génétiques et le transfert approprié des techniques pertinentes devaient se faire, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et des techniques, et grâce à un financement adéquat (CDB, art. 1). Les moyens que le Protocole prévoit pour assurer une justice distributive de la richesse issue de la croissance, afin que les pays développés assistent financièrement et technologiquement les pays en développement sont toutefois très faibles, considérant qu’il s’agit d’obligations de moyens et que les transferts technologiques sont assujettis au respect des droits de propriété intellectuelle. La question de l’assistance technologique et financière des pays développés aux pays en développement ainsi que celle de savoir si ces derniers sauront faire un usage approprié de cette assistance sont pourtant essentielles à l’efficacité du Protocole, dont les articles 22 à 25 traitent du renforcement des capacités, notamment pour aider les pays en développement à mettre en oeuvre les dispositions sur les inventaires des savoirs traditionnels, à adopter et à mettre en oeuvre leurs lois sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages, ainsi que leurs lois sur la protection des savoirs locaux et autochtones, le cas échéant.

2.2.2.2 La Convention sur la désertification

En vertu de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification[140], il revient aux pays touchés d’accorder la priorité « voulue » à la lutte contre la désertification et à l’atténuation de la sécheresse et d’y consacrer des ressources suffisantes en rapport avec la situation et les moyens disponibles (art. 5 (a)). Les pays développés sont à nouveau sollicités pour assister les pays en développement touchés en fournissant des ressources financières et d’autres formes d’appui en matière de lutte contre la désertification et la sécheresse (art. 6 (b)). Fait notable, la Convention est l’une des rares, sinon la seule, à utiliser une phraséologie négative pour spécifier que les pays développés touchés Parties de la région n’ont pas droit à une assistance financière aux fins de la mise en oeuvre des programmes nationaux, sous-régionaux, régionaux et conjoints au titre de la présente Convention (art. 9).

La désertification est une problématique environnementale qui est souvent perçue comme d’intérêt uniquement régional. C’est ce qui explique que les États Parties à la Convention se soient abstenus d’établir le FEM comme mécanisme financier de la Convention, puisque sa mission de financement vise des domaines de préoccupation mondiale. S’il est vrai que les effets immédiats de la sécheresse et de la désertification affectent l’environnement et la population d’une région spécifique en particulier, il n’en demeure pas moins que ce phénomène a des conséquences importantes sur l’environnement à l’échelle mondiale en tant que contribution au changement climatique, à l’érosion de la biodiversité et à la rareté des ressources en eau douce[141]. Encore plus significatifs sont les impacts indirects potentiels sur l’environnement qui peuvent être causés par la migration à grande échelle de personnes affectées. De plus, la désertification conduit à la pauvreté qui est une cause importante de l’appauvrissement de l’environnement dont les conséquences dépassent les frontières nationales.

Prenant acte de ces liens, le FEM a décidé, en mai 2001[142], de désigner la dégradation des terres et des sols comme domaine d’intervention financière distincte. De ce fait, ses financements pourraient couvrir des problèmes de désertification et de sécheresse sans qu’un pays doive démontrer un lien avec les quatre autres domaines d’intervention du FEM. Malgré le fait que la Convention sur la lutte contre la désertification ait choisi le Fonds international de développement agricole (FIDA) et non le FEM comme mécanisme financier officiel, toujours est-il que le financement provient de partenariats avec le FEM[143]. Là où le bât blesse, c’est que l’accès aux ressources du FEM a jusqu’ici été plus compliqué en raison de la difficulté supplémentaire de montrer un lien suffisant entre les projets des pays en développement et la dégradation des terres. En règle générale, bien que de nombreux projets de lutte contre la désertification soient financés par le FEM, la diversité des institutions qui s’occupent de la désertification à partir de différents points de vue et la variété des outils de financement semblent lourdes, et il est peu probable que la collaboration entre les secrétariats des diverses conventions impliquées puisse contrôler efficacement et éviter les doubles emplois des efforts et des conflits potentiels. La situation a tout de même progressé depuis que la dégradation des terres a été ajoutée comme cinquième domaine d’intervention du FEM[144].

2.2.2.3 La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et son Protocole de Kyoto

La Convention-cadre sur les changements climatiques, dans son article 3 (1), engage explicitement les pays développés parties à prendre les devants dans la lutte contre les changements climatiques en raison de leurs capacités et du PRCMD. Le principe se reflète à l’article 4 qui traite des ressources financières et du transfert de technologie et il est expressément mentionné dans le Protocole de Kyoto[145] à l’article 10.

Il convient de distinguer parmi les pays développés la sous-catégorie des pays qui sont en transition vers une économie de marché et dans laquelle on trouve les anciens pays de l’Empire soviétique, qui sont capables d’assumer des obligations pour réduire leurs émissions de GES, mais qui ont été exemptés de l’obligation de participer au transfert de capitaux qu’implique l’aide financière en faveur des pays en développement. Les pays visés à l’annexe II de la Convention ont l’obligation juridique de reconstituer périodiquement les ressources du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Ils doivent aussi verser des contributions au Fonds spécial pour les changements climatiques créé en 2001. Ce fonds est destiné à financer des activités et des programmes relatifs aux changements climatiques dans les domaines du transfert technologique, de l’énergie, des transports, de l’industrie, de l’agriculture, de la foresterie et de la gestion des déchets.

Comme la Convention sur la diversité biologique, la CCNUCC, à l’article 4 (7), conditionne le respect des engagements des pays en développement à la mise en oeuvre efficace des engagements des pays développés en matière d’assistance financière et de transfert de technologie. La CCNUCC souligne aussi que la réalisation des engagements des pays en développement doit tenir compte du fait que « le développement économique et social et l’éradication de la pauvreté sont les priorités premières et essentielles » des pays en développement[146].

Le FEM est responsable de la gestion du Fonds pour les pays les moins avancés et du Fonds spécial pour le changement climatique. Le fonctionnement du Fonds pour l’adaptation, quant à lui, est assuré par le conseil du Fonds ; le FEM agit comme secrétariat du Fonds et la Banque mondiale, comme administrateur, en vertu du Mémorandum d’accord conclu à la 4e Réunion des Parties au Protocole, à Poznan, en décembre 2008. L’article 12.8 du Protocole de Kyoto prévoit que son financement sera assuré par une partie des fonds provenant d’activités certifiées d’atténuation du changement climatique relevant du Mécanisme de développement propre (MDP). Les accords de Marrakech de 2001 ont ensuite précisé que la part versée au Fonds serait de 2 p. 100 des « unités de réduction certifiée des émissions » (URCE) au compte du Fonds pour l’adaptation. Les certificats seront monétisés par la suite sur les marchés du carbone. La décision de créer ces nouveaux fonds est un autre exemple de la mise en oeuvre du PRCMD. De manière générale, il semble que la CCNUCC rencontre moins de difficultés que d’autres conventions pour mettre des projets à l’agenda du FEM, en raison de l’impact plus clair que toutes les sources d’utilisation de l’énergie ont sur le réchauffement climatique. Par conséquent, tous les projets d’énergies alternatives et d’économie d’énergie devraient au moins satisfaire au critère de contribuer à la protection de l’environnement mondial. Cependant, les difficultés pour calculer les coûts marginaux restent les mêmes[147]. Ces difficultés sont encore aggravées, puisque le FEM a établi sa propre interprétation de l’expression « coûts supplémentaires », qui n’est pas nécessairement partagée par la Conférence des Parties à la CCNUCC et par la Réunion des Parties au Protocole de Kyoto. Par conséquent, cette discussion est récurrente dans les réunions régulières des États Parties.

De 2006 à 2010, le montant total engagé par le FEM dans tous les domaines n’est que de 3,13 milliards de dollars américains, dont 1,02 milliard pour les projets dans le domaine des changements climatiques. Pour la période 2010-2014, son montant total prévu est d’environ 4,25 milliards de dollars américains, dont 1,36 milliard pour les projets dans le domaine des changements climatiques[148]. Par conséquent, le renforcement des fonds pour les pays en développement est actuellement indispensable. À cette fin, l’Accord de Copenhague[149] a décidé d’établir le Fonds vert de Copenhague pour le climat. Ce fonds sera créé comme un mécanisme financier de la CCNUCC en vue d’appuyer les projets, les programmes, les politiques et les autres activités dans les pays en développement, relatifs à l’atténuation, y compris le programme REDD. L’Accord de Copenhague confirme l’objectif mondial visant à mobiliser 100 milliards de dollars américains par an d’ici à 2020 pour aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter aux changements climatiques. Et les pays développés s’engagent à contribuer à hauteur de 30 milliards USD pour la période 2010-2012 en les répartissant de manière équilibrée entre l’adaptation et l’atténuation[150].

Où sont ces sommes ? À la Conférence de Doha, tenue du 26 novembre au 7 décembre 2012, les pays en développement n’avaient toujours aucune assurance d’obtenir ces financements à partir de 2013 pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux impacts du changement climatique. Au cours des négociations qui ont eu lieu à Copenhague en 2009, les pays développés s’étaient non seulement engagés à assister financièrement les pays en développement à l’aide d’un montant global de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, mais à effectuer un premier versement de 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012, connu sous le nom de « financement précoce ». Seulement 43 p. 100 du financement précoce a été versé sous forme de subventions. Celui-ci est en fait constitué en grande partie de prêts que les pays en développement devront rembourser avec différents niveaux de taux d’intérêt et à peine 21 p. 100 de ces fonds sont réservés au soutien aux programmes d’adaptation, afin d’aider les communautés à devenir plus résilientes face aux impacts du changement climatique[151]. Les pays du Sud souhaitaient que les pays développés s’engagent à verser 60 milliards de dollars d’ici 2015, comme financement transitoire entre les 30 milliards promis pour la période allant de 2010 à 2012, et la promesse de fournir 100 milliards par an d’ici 2020. Les grands pays bailleurs de fonds ont refusé de s’engager à fournir une telle somme[152]. Comme on le sait, la Conférence de Doha de 2012 s’est conclue avec un accord a minima. Une deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto devrait mener l’Union européenne, l’Australie et une dizaine de pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, lesquelles représentent environ 15 p. 100 des émissions mondiales nettes de GES[153].

Actuellement, force est de conclure que, même s’ils étaient respectés, les engagements des pays développés ne garantiraient pas suffisamment de ressources financières additionnelles pour soutenir le renforcement des actions dans les pays en développement. Dans ce contexte, d’une part, les Conférences des Parties dans le cadre de la CCNUCC doivent continuer de clarifier les engagements financiers établis par l’Accord de Copenhague tels que détaillés à la Conférence de Cancun en 2010 ; d’autre part, il est nécessaire que les initiatives actuelles pour le financement de la lutte et de l’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement soient renforcées et diversifiées. Pour répondre à l’objectif de mobiliser les ressources financières nécessaires, une proposition intéressante consisterait à taxer les transactions financières internationales et à exempter de cette taxe les pays dont les émissions sont très faibles. L’idée est essentiellement de taxer les carburants et les combustibles fossiles émetteurs de dioxyde de carbone (essence, gazole, fioul, gaz et charbon) afin d’augmenter le prix des énergies les plus néfastes pour le climat, de manière à inciter économiquement les entreprises et les particuliers à modifier leurs comportements de consommation. Cette proposition avait été lancée par la France, le Chili, le Brésil et la Norvège. Les opposants, au titre desquels figurent les États-Unis, arguent que le fait d’être favorable à cette proposition impliquerait un changement entier de l’approche du Protocole de Kyoto qui est basée sur les échanges de droits d’émission au lieu des taxes sur les émissions. Par ailleurs, il est évident que des pays ayant un niveau d’émissions par habitant très élevé, comme les États-Unis, le Canada et l’Australie, ne favoriseraient pas la mise en place d’une telle taxe[154], laquelle vient d’être annoncée par le gouvernement français.

Une autre initiative de financement dont les États pourraient s’inspirer sur le plan international est la Directive européenne 2008/101/CE317 du 19 novembre 2008 modifiant la Directive 2003/87/CE318[155] afin d’intégrer les activités aériennes internationales dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. La taxation des émissions des transports aériens et maritimes internationaux, ou l’inclusion de ces secteurs dans un système d’échange des quotas avec mise aux enchères des quotas, est une idée intéressante à appliquer[156]. Enfin, le financement particulier des activités REDD dans les pays en développement, assuré par le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF), et le Programme de collaboration ONU-REDD sont de bons exemples de tentatives de mise en place de mécanismes financiers pour financer les surcoûts de la lutte contre les changements climatiques dans les pays en développement. L’établissement d’un lien entre ces mécanismes et le PRCMD est une autre question.

2.2.2.4 Les conventions sur les produits chimiques

La Convention de Rotterdam sur les produits chimiques[157] de 1998, la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants[158] de 2001 et la récente Convention de Minamata sur le mercure[159] sont les trois conventions multilatérales qui régissent différents aspects liés aux risques environnementaux que présentent les produits chimiques.

La Convention de Rotterdam, à l’article 16, prévoit une assistance technique aux pays en développement mais aucune disposition spécifique concernant l’assistance financière. La Convention bénéficie d’un fonds général alimenté par des contributions obligatoires selon le barème des Nations Unies et d’un fonds d’affectation spécial alimenté par des contributions volontaires. Concernant l’assistance financière au titre de la Convention de Stockholm, le FEM a été choisi comme mécanisme financier pour fournir « aux Parties qui sont des pays en développement ou à économie en transition des ressources financières adéquates et régulières à titre de don ou à des conditions de faveur, afin de les aider dans l’application de la Convention[160] ». L’article 13 (2) va dans le même sens que les dispositions analogues de la CCNUCC, du Protocole de Montréal sur l’ozone et de la Convention sur la diversité biologique, en rendant le respect des obligations des pays en développement conditionnelles à la fourniture de ressources financières nouvelles et additionnelles. Cette disposition contraste avec la phraséologie utilisée dans la nouvelle Convention sur le mercure, dans laquelle les paragraphes 1 et 2 de l’article 13 prévoient ceci :

1. Chaque Partie s’engage à fournir, dans la mesure de ses moyens et conformément à ses politiques, priorités, plans et programmes nationaux, des ressources pour les activités nationales prévues aux fins de la mise en oeuvre de la présente Convention. Ces ressources peuvent inclure des financements nationaux dans le cadre de politiques, stratégies de développement et budgets nationaux pertinents, des financements bilatéraux et multilatéraux, ainsi que la participation du secteur privé.

2. L’efficacité globale de la mise en oeuvre de la présente Convention par les Parties qui sont des pays en développement sera liée à la mise en oeuvre effective du présent article.

Il s’agit d’un exemple d’affaiblissement du PRCMD dans l’assistance financière dans une convention récente. La Convention de Minamata vise l’élimination de plusieurs usages et émanations dans l’air et l’eau du mercure, métal lourd qui est très répandu et persistant dans l’environnement. Comme cela est fréquent, ce sont les questions relatives au financement et au respect des dispositions qui sont demeurées en suspens jusqu’à la fin des négociations[161].

Lors de la négociation de la Convention, plusieurs délégués ont souligné l’importance que les pays en développement attachaient à la fourniture de ressources financières, d’une assistance technique, d’un transfert de technologie et d’un renforcement des capacités adéquats afin d’appuyer l’application de la Convention. Certains d’entre eux ont souligné qu’un mécanisme de financement solide était nécessaire. « Le Bangladesh a mis en garde contre l’interdiction de toutes les utilisations du mercure, en particulier lorsque les solutions de remplacement ne sont pas disponibles à un coût similaire[162]. » Le Mexique, au nom du Groupe Amérique latine et Caraïbes (GRULAC), a réclamé la création d’un fonds autonome semblable au Fonds multilatéral du Protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone. La Jordanie, de son côté, a indiqué sa préférence pour un fonds spécial souple, géré par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), avec des sommes destinées à renforcer les capacités des pays en développement à mettre en application la Convention au niveau national. Un représentant a suggéré la création d’unités nationales spécialisées chargées de soutenir l’application de tous les accords multilatéraux relatifs aux produits chimiques, y compris celui sur le mercure, pour permettre l’adoption de mesures efficaces et rentables en vue de leur mise en oeuvre. Un délégué a par ailleurs proposé « que soit créé un fonds spécial géré par le FEM, similaire au Fonds pour l’adaptation du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, soulignant que celui-ci devrait être suffisamment souple pour encourager le secteur privé à apporter des contributions significatives[163] ». Le Japon et l’Inde ont souligné que les dispositions sur l’assistance financière et technique représentaient le plus grand défi de cette convention.

Un accord concernant les ressources financières et le mécanisme financier a été trouvé dans le cadre du « paquet » de compromis final[164]. Le Comité intergouvernemental de négociation pour l’élaboration d’une convention sur le mercure a invité le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) à devenir le mécanisme de financement de la Convention, dans les conditions prévues par l’article 13 du texte approuvé de cet instrument qui sera adopté et ouvert à signature à Kumamoto et à Minamata, au Japon, en octobre 2013. Il a également autorisé l’utilisation de ressources à concurrence de 10 millions de dollars pour le financement d’un programme immédiat d’activités de prératification de la Convention de Minamata.

Conclusion

Certains pensent que nous nous trouvons au début d’un temps nouveau, au début de ce qui peut apparaître comme une époque transitoire entre un mode de développement économique qui conduit à la destruction de notre environnement et une autre, fondée sur la solidarité, qui veut concilier développement économique et environnement. Pourtant, rien n’est moins sûr quand on confronte les besoins des pays en développement et les moyens dont ils disposent pour se développer d’une manière durable.

Certes, les déclarations de Stockholm et de Rio ont formulé des principes qui tentent de concilier à la fois le développement économique de ces pays et la protection de l’environnement global, en faisant reconnaître aux pays développés la nécessité de soutenir financièrement les efforts environnementaux des pays en développement, mais cette assistance s’est-elle matérialisée, tant quantitativement que qualitativement, afin de réaliser ce développement durable ? Cette question rejoint celle de la solidarité que se doivent les peuples, et qui commande, comme le principe 5 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement nous le rappelle, que tous les États coopèrent à la « tâche essentielle de l’élimination de la pauvreté […] afin de réduire les différences de niveaux de vie et de mieux répondre aux besoins de la majorité des peuples du monde ». Ce principe de solidarité et de coopération est un principe fondamental du droit international général[165], qui, dans la sphère environnementale, est énoncé sous une forme générale dans le premier volet du principe 7 de la Déclaration de Rio : « Les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre. » Ce volet est toutefois complété par un second, qui appelle un traitement différencié — concept hérité du droit international économique[166] :

Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent[167].

Les pays en développement ont compris que le principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCMD) était le prix que les pays développés devaient payer pour obtenir leur participation aux accords multilatéraux en environnement (AME) sur des questions touchant l’intérêt commun de l’humanité comme la couche d’ozone, les changements climatiques, la diversité biologique et la gestion des produits chimiques et des déchets dangereux. Récemment toutefois, et ce, malgré le rappel du PRCMD dans la Déclaration de Rio+20[168] (rappel remarqué en raison de l’absence de rappel des autres principes de la Déclaration de Rio), on a noté un certain affaiblissement du principe, notamment sur le chapitre de l’assistance financière, dans des accords environnementaux plus récents, tels que le Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur[169], le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, et la Convention de Minamata sur le mercure, comme nous en avons fait état, et ce, sans compter que l’application du traitement différencié dans le régime juridique sur les changements climatiques est l’un des principaux enjeux sur lequel butent les négociations relatives à la deuxième période d’engagement de ce régime conventionnel[170]. Dans ce contexte, les propos que Philippe Cullet tenait, en 1999, au sujet du besoin de solidarité interétatique, sont plus que jamais d’actualité :

Pour le moment, la tension entre la reconnaissance de l’interdépendance et la structure actuelle de la communauté internationale qui s’appuie sur des entités souveraines distinctes n’a pas été résolue. Alors que le phénomène de la souveraineté bloque l’émergence de relations plus fortes de solidarité, il y a peu de doute que la plupart des États comprennent de plus en plus clairement la nécessité de coopérer au niveau international pour mettre un terme à une série de problèmes dont la solution ne peut pas être trouvée au niveau national. L’existence de problèmes qui doivent être résolus collectivement dans une société internationale organisée sur des principes qui favorisent les attitudes égocentriques a eu tendance à créer des tensions dans les négociations étatiques sur ces problèmes et a favorisé l’émergence de groupes de pays ayant des vues tranchées opposées[171].

Si l’on considère que les procédures conventionnelles de non-respect et les mécanismes d’incitation tels que les transferts financiers et techniques peuvent évoluer avec le temps, les espoirs sont encore permis. Il est nécessaire que les mécanismes financiers et l’aide publique au développement évoluent de concert afin d’être plus efficaces et plus en phase avec le PRCMD et ses fondements liés à l’équité et au développement durable. La sophistication des conditions et des mécanismes de l’assistance financière environnementale est certes essentielle, mais, avant tout, il faut assurer une assistance financière réelle et concrète à partir de sommes nouvelles et additionnelles à l’aide publique au développement. Le PRCMD se trouve dans une phase critique de sa mise en oeuvre, compte tenu des négociations climatiques en cours. Le défi est de répondre aux attentes en tant que modèle pour le futur. Si le Fonds de Copenhague n’est pas doté de contributions substantielles pour atteindre les promesses de fournir aux pays en développement 100 milliards de dollars américains par année, cela envoie un message très négatif aux pays en développement, soit celui que de délivrer les financements est une mesure qui n’est pas envisageable et que le PRCMD ne joue ici qu’une fonction instrumentale, sans égard à l’équité. Le défi consiste à trouver comment partager de façon équitable des ressources financières limitées entre plusieurs pays. Il ne nécessite rien de moins que la volonté politique de couper dans les budgets militaires et d’innover, notamment par la création de taxes internationales sur le carbone.