Abstracts
Résumé
Ce bref essai voudrait inviter à prendre en considération le phénomène d’écriture juridique, c’est-à-dire le mode privilégié de formalisation du droit dans les sociétés occidentales contemporaines. Pour cela, il développe une idée simple à première vue : puisque le droit se présente à nous dans des textes, la composition de ces textes conditionne la manière d’être du droit. Or l’écriture du droit, quel que soit l’auteur du texte, quel que soit le type du texte, connaît certaines contraintes qui influent, par conséquent, sur le droit lui-même. Il apparaît donc que l’écriture juridique est un acte constitutif du droit. Plus encore, il s’agit d’un acte constitutif de certaines des équivoques, de certaines des ambivalences, bref, des flottements caractéristiques du droit. En établissant ainsi l’enjeu de la textualisation du droit, cet article plaide pour faire de l’écriture juridique un objet d’étude.
Abstract
This overview invites the reader to take into consideration the phenomenon of legal prose, namely the means resorted to by writers in order to formalize law in contemporary occidental societies. To do so, at first sight the author expresses a simple observation : Since the law is expressed to us in written texts, such drafting conditions the manner in which we conform therewith. Yet in the writing of the law, no matter who the author may be — and little does it matter what kind of text — it conforms to certain constraints which in turn, have an effect on the law itself. It then appears that forensic writing is by its very existence an endevour constituting the law. Moreover, it is an act embedded with various ambivalencies, hesitations, and even uncertainties characteristic of the law itself.
Article body
Il y a dans la ville de Québec, au fronton de l’édifice Louis-S.-Saint-Laurent, un chien sculpté dans la pierre, en position couchée et qui ronge un os. C’est le Chien d’or de la légende[1]. Au-dessus de lui, une inscription : « Je suis un chien qui ronge l’os » et en dessous, la suite : « En le rongeant je prends mon repos / Un tems viendra qui nest pas venu /Que je morderay qui maura mordu ».
L’immeuble s’impose au passant. Il est présent. Il s’offre à l’appréciation, à l’analyse, à l’interprétation. Le texte qui fait corps avec lui provoque un sentiment d’inquiétude en raison de la menace qu’il contient. Toutefois, celle-ci, pour peu qu’elle ait été réelle, ne nous apparaît plus que dans la pierre, fixée par la sculpture. Et le geste de sculpter est immédiatement ambigu : en informant la menace, il la réduit ; mais il en conserve aussi la mémoire, aussi longtemps que la sculpture demeure. Il nous donne, en permanence, la possibilité de rappeler à nous le sentiment éprouvé à la lecture du texte. D’une certaine façon, il la rend présente. Le passant peut ne voir dans le chien qui ronge qu’une partie du bâtiment et interpréter le texte dans l’économie générale d’un édifice historique, dans le système de la pierre. Il peut aussi être frappé par les mots. Il peut lui sembler que le sentiment qu’ils rappellent pourrait être réactivé, réutilisé, réaffecté. Pour servir une autre cause que celle du texte gravé sur le bâtiment et à jamais inconnue. Pour servir à écrire une autre histoire.
En lisant ce qui précède, un juriste de bonne humeur pourrait retenir que l’écriture entretient un rapport ambigu avec ce dont elle parle. Que si l’on s’intéresse de près à son objet, on devrait aussi s’intéresser à elle. Que la manière dont on écrit le droit affecte le droit lui-même.
Un juriste de mauvaise humeur lisant le même texte dirait peut-être que, précisément, la manière dont il est écrit fait qu’il n’a rien à voir avec du droit. Qu’il y a une écriture plus adaptée à un texte appartenant à la littérature juridique. Qu’en quelque sorte le droit et la discipline juridique commandent à la manière de produire des textes juridiques.
Je voudrais, dans ce bref essai, aborder ces deux intuitions, à savoir : 1) que l’écriture juridique influe profondément sur le droit, pris comme discipline, mais aussi comme système ou ordre juridique et que, alors, l’écriture peut être un objet d’étude pour les juristes ; 2) que l’écriture juridique subit des contraintes spécifiques qui déterminent pour partie le droit tel qu’il est.
Le droit serait une question de style[2] ? En tout cas, à partir du moment où l’on pense qu’il est agité par la question littéraire, alors l’organisation formelle, les moyens d’expression, les lois de composition, les « conditions de production » des textes juridiques deviennent des questions de droit. Or, les raisons qu’on a de le penser abondent aujourd’hui. La linguistique, la sémiotique, la critique littéraire, les approches narratives intéressent intensément la théorie juridique depuis une trentaine d’années[3]. Le courant Droit et littérature nous indique, quant à lui, la fécondité des rapports entretenus entre le droit et l’oeuvre des écrivains[4]. L’ensemble de ces travaux souligne l’intérêt de l’analyse littéraire du droit. Mais je me demande aussi si, au-delà de ce qui est un point de vue ou une méthode, l’écriture juridique ne dévoile pas du droit quelque chose d’existentiel. Je veux dire quelque chose qui concerne une réalité vécue du droit, concrètement et personnellement. Peut-être parce que, pour un juriste universitaire, l’écriture entretient une certaine conscience du droit. Tous ceux qui occupent une part de leur temps à écrire sur le droit ont l’occasion d’éprouver celui-ci selon un vécu particulier.
Cette idée d’un rapport intime, et nécessaire, du droit et de l’écriture est ancienne. On trouve chez Platon que la loi a besoin d’être fixée par écrit pour accomplir ce qu’on attend d’elle, à savoir se rappeler au cas de besoin[5]. L’histoire des traditions occidentales indique la nécessité d’écrire le droit : constitution du corpus juris civilis, rédaction des coutumes, codifications, collections des jugements, grands dictionnaires juridiques… Il a aussi été montré de quelle manière la valeur de vérité du droit s’est propagée à travers l’écrit[6]. On peut en venir à penser que l’écriture fait advenir le droit tel que nous le connaissons. Chacun peut en venir à le penser.
En effet, au plan de l’expérience, le droit se présente à nous dans des écrits : lois, jugements, commentaires, avis professionnels, signalisations routières, interdictions affichées dans les lieux publics, contrats, testaments, autorisations, livres, bulletins, registres… Il arrive, donc, dans nos sociétés occidentales, que le droit nous soit rendu présent par l’écriture.
Ceci ne veut pas dire que le droit serait un phénomène essentiellement écrit. Il y a une oralité du droit. Il y a des traditions juridiques orales. Il y a aussi des modes de vocalisation du droit. Mais c’est un fait que les formes juridiques pullulent. C’est aussi un fait que les lois, les jugements, les conventions internationales et les mémos sont rédigés. C’est encore un fait que l’enseignement du droit implique des matériaux écrits. Il faut alors remarquer que l’écriture est non seulement un mode d’expression hyperprivilégié du droit, mais qu’elle a aussi à voir avec un acte qui fait être le droit. Il est certain que l’analyse de l’écriture juridique a des répercussions sur la manière de considérer le droit oral. Précisément parce que, comme il sera vu plus loin, l’opération de composition du texte ne se comprend qu’à raison d’une rupture avec le discours oral. Toutefois, le renouvellement du rapport entre l’oralité et l’écriture du droit devrait faire l’objet d’un travail postérieur. Car, à mener ensemble ces deux opérations théoriques, on risque de demeurer tenu par un présupposé : le droit serait d’abord dans le discours, celui-ci étant inévitablement pensé comme un discours oral ; l’écrit viendrait après[7]. C’est-à-dire qu’il y aurait, en premier lieu, ce que dit le droit, et ensuite l’écriture qui, consigne ce que dit le droit.
La prise en compte de l’écriture suppose de pouvoir renverser un tel rapport : le texte juridique inaugure, par le fait même de son écriture, un droit qui diffère du droit tel qu’il serait dit. Écrire relève d’un acte propre de constitution du droit.
Nous n’avons pas l’habitude de considérer l’écriture de cette manière parce que nous attendons d’elle, la plupart du temps, qu’elle soit transparente. Nous la considérons comme une indication du droit. Devant un texte, nous sommes plutôt accoutumés à en établir le sens selon ce que nous savons préalablement du système juridique, du droit positif, de la science du droit. Le texte nous semble plus ou moins clair, plus ou moins précis, plus ou moins bien écrit et permet plus ou moins facilement de saisir le droit qu’il désigne : la norme, la solution, la connaissance. Mais il reste que le texte n’est qu’un moyen d’accès au fond du droit. Symétriquement, quand nous écrivons, nous n’envisageons guère, explicitement en tout cas, la dimension littéraire de notre texte mais plutôt la manière dont il se rapporte substantiellement au droit. Ce qu’il « dit » du droit, ce qu’il « montre » de celui-ci, voire ce qu’il « démontre » juridiquement.
Nous savons donc, en général, que l’écrit est une forme du droit et que l’écriture constitue un enjeu pour l’ensemble des activités juridiques[8]. Mais l’écriture du droit a été peu étudiée pour elle-même. En conséquence, l’acte d’écrire se trouve, pour ainsi dire, effacé au cours de la lecture que les juristes font d’un texte. Or, au carrefour des intuitions développées ici, est l’idée que cet acte n’est pas neutre. L’écriture entraîne les textes juridiques dans un rapport implicite, silencieux, équivoque, avec le droit dont ils parlent — que l’on entende par « droit » le système, l’ordre ou la connaissance juridique. Elle entraîne aussi l’ensemble des auteurs de textes juridiques dans un processus incontrôlable de constitution du droit dont ils n’ont pas toujours conscience. Mettre en lumière ce rapport et ce processus, les reconstituer chaque fois que se présente un texte juridique et en développer l’interprétation : voilà qui pourrait être le projet d’une méthode critique prenant pour objet l’activité de textualisation du droit dans une société. Sa première tâche serait d’élaborer une théorie ou peut-être simplement une idéologie[9] de l’écriture juridique dont j’essaierai d’indiquer les linéaments dans ce qui suit.
Je procéderai en trois étapes. Il s’agira d’abord de comprendre pourquoi le texte constitue un problème spécifique, irréductible à la question du discours. Ainsi, la première partie de cet article porte sur le texte juridique. Il conviendra ensuite de s’intéresser à la composition des textes, de resserrer donc le propos sur l’écriture proprement dite : la deuxième partie de cet article cherche à élaborer les traits distinctifs de l’écriture juridique. La troisième partie est une tentative de représentation par l’analyse du processus que je considère comme déterminant de cette écriture juridique et que je propose d’appeler le « jeu de la référence ».
1 Le texte juridique
À la question « qu’est-ce qu’un texte ? », Paul Ricoeur répond qu’il s’agit d’« un discours fixé par l’écriture[10] ». Mais pour immédiatement rejeter l’idée que le texte puisse être compris comme une simple transcription du discours prononcé. L’écriture n’opère pas selon un mouvement de l’oral vers le texte. Ce dernier ne constitue pas une forme écrite de ce qui a été prononcé, pas plus que qu’il ne suppose l’oralité préalable de ce qui est fixé en son sein. Au contraire, le texte résulte d’un affranchissement de l’écriture vis-à-vis de ce qui est dit. Ricoeur note qu’à la faveur de cet affranchissement un bouleversement a lieu. Ainsi l’écriture dispose-t-elle d’un « statut autonome » vis-à-vis de la parole.
Cette autonomie se traduit par le fait que le rapport du texte au monde diffère de celui de la parole au monde. Le discours oral est soutenu par les gestes, la voix, la présence de l’orateur ; celui-ci renvoie au monde. Ricoeur insiste : « tout discours est à quelque degré [ainsi] relié au monde. Car si on ne parlait pas du monde, de quoi parlerait-on[11] ? » Plus précisément, à l’oral, le sens de ce qui est dit « se recourbe vers la référence réelle, à savoir ce sur quoi on parle[12] ».
Le texte, au contraire, suspend la référence à la réalité. Le rapport du discours au monde est remplacé par un rapport du texte à d’autres textes :
[Dans] ce suspens où la référence est différée, le texte est en quelque sorte « en l’air », hors monde ou sans monde ; à la faveur de cette oblitération du rapport au monde, chaque texte est libre d’entrer en rapport avec tous les autres textes qui viennent prendre la place de la réalité circonstancielle montrée par la parole vivante. Ce rapport de texte à texte, dans l’effacement du monde sur quoi on parle, engendre le quasi-monde des textes ou littérature[13].
Le lecteur dispose alors de plusieurs possibilités dans la lecture. Soit il demeure dans le suspens du texte et l’explique par « ses rapports internes et sa structure » (structuralisme) ; soit il lève « le suspens du texte », le « restitue à la communication vivante » (interprétation).
Rien n’empêche de solliciter une telle approche en droit : un texte juridique peut bien être saisi dans sa dimension littéraire[14]. Disons alors qu’il suspend le rapport du discours avec la réalité que figure le droit, c’est-à-dire le monde dans lequel on se représente les effets de droit se produisant vraiment : l’exécution de la prestation contractuelle, la répression des comportements violents, le respect de la propriété d’autrui… Corrélativement à cette suspension, le texte juridique s’inscrit dans un monde littéraire au sein duquel il entre en relation avec les autres textes du droit. Il se tient dans un rapport de texte à texte.
À partir de là, le juriste lecteur du texte peut choisir. Soit il lui revient de proposer une analyse qui, par l’exhibition des structures du texte, en fasse apparaître un sens nouveau, alternatif : c’est l’explication[15]. Soit il lui revient de réacheminer le texte jusqu’à son monde à lui, le monde des effets de droit, pour en déduire de tels effets : c’est l’application. Dans les deux cas, il y a une interprétation juridique ; dans les deux cas, la lecture du texte juridique est susceptible d’offrir des maximes d’action : elle permet de juger, d’argumenter, d’enseigner.
Il reste à comprendre ce qui autorise à parler de texte — et donc d’écriture — juridique. Il faut pour cela s’arrêter sur ce qui fait échapper le texte à la référence réelle. Et qui l’inscrit dans le monde des textes du droit. Ce qui est responsable du « suspens » du texte.
2 L’écriture juridique
Pour spécifier l’acte d’écriture du droit, il faut tirer des conséquences d’un processus fondamental de référencement. Le texte juridique parle de droit. Il concerne un discours dont la « fonction référentielle » est loin d’être claire. Je veux dire par là que les juristes ne s’entendent pas sur le rapport entre les énoncés juridiques et le monde. Il n’est d’ailleurs pas évident qu’un tel rapport existe[16]. On peut aussi douter de ce que le discours juridique, y compris celui qui est dit, indique le monde du locuteur[17]. Même lorsqu’il peut être « secouru » par les dispositifs qui accompagnent la parole. Est-ce qu’un professeur, lorsqu’il parle de droit, situe vraiment ce qu’il dit dans le monde réel ? Est-ce qu’un juge qui dit le droit s’exprime à propos d’une réalité du monde tel que les justiciables le vivent ? On suspecte parfois que le droit demeure dans son monde à lui, qu’il n’existe pas réellement.
Au fond, ceci ne semble pas très important. Ou plutôt : ça ne le devient qu’à un haut niveau de théorisation. Dans leurs activités techniques ou dogmatiques, les juristes se savent des interprètes. Ce qu’ils font suppose la médiation d’un texte auquel il aura fallu donner un sens, quel que soit le texte : loi, décision, commentaire, théorie. Quelle que soit la fonction référentielle qu’ils attachent à leur discours, ils ne remettent pas en question la nécessité de solliciter un texte juridique pour soutenir celui-ci.
À partir de là, remarquons qu’un texte juridique mobilise d’autres textes juridiques dont il réclame la puissance. Peut-être est-ce même ce qui le distingue de la littérature non juridique. La performance normative et rhétorique d’un texte en droit est liée aux textes auxquels il renvoie[18]. Ce rapport entre les textes finit par garantir au texte dont il est question son caractère juridique. Un texte qui attache ce qu’il dit à une décision de la Cour suprême ou au Code civil a quelque chose de juridique. Plus le texte réfère à d’autres textes juridiques, eux-mêmes liés à d’autres textes juridiques, plus il s’inscrit profondément dans ce qu’on appelle le « droit ».
Par certains aspects, ceci n’est pas très éloigné de la perspective ouverte par Hans Kelsen lorsqu’il fait du rapport entre les normes juridiques une caractéristique du droit positif[19]. En revanche, nous sommes très loin de Kelsen en ne considérant pas ici la distinction entre interprétation authentique et non authentique, en mélangeant (probablement) le droit et la science du droit, en ne respectant pas la séparation de l’être et du devoir-être. En outre, la référence perturbe la hiérarchie caractéristique des systèmes[20].
Cette pratique de la référence indique une dimension importante de l’acte d’écriture du droit : préparer l’insertion du texte dans la « littérature juridique ». L’expression désigne, comme chez Ricoeur, le lieu de suspension du texte : le « quasi-monde ». Mais ce « quasi-monde » est déjà celui du droit. Alors la lecture faite par les juristes consiste à décoder pour encoder de nouveau. Les deux étapes ont lieu ensemble.
Il s’agit de constituer la signification du texte pour le cas en jeu, pour la question posée, à savoir pour ce qui a déjà eu lieu — achever la lecture ; il s’agit aussi de réserver la signification du texte pour l’avenir — commencer l’écriture. La lecture et l’écriture se font dans le même geste[21]. Il y a, à la fois, une « appropriation[22] » du texte qui autorise à penser la réalisation du droit et une désappropriation du texte par laquelle celui-ci est réinscrit dans le quasi-monde. Ainsi, le droit demeure dans le texte, pas dans la bouche de celui qui le dit, lorsqu’il le dit. Le droit s’est déjà constitué comme tel par sa textualisation, c’est-à-dire sa capacité à être rappelé : « il n’y [a] pas de droit sans possibilité de trace[23] ». À ce moment, le droit est une écriture.
La condition juridique du texte lui impose une double ouverture[24] : ouverture sur le réel et ouverture sur l’écriture. Cette double ouverture est pratiquée par constitution de la référence qui correspond à ce que Ricoeur nomme le « jeu des appartenances[25] ». Nous voyons alors que l’écriture du droit est contrainte. Et spécifiquement contrainte. Elle doit amener au texte les références propres à garantir son caractère juridique.
Ajoutons que c’est bien sur le geste de l’écriture que pèse la contrainte[26]. Le principe et l’effet d’une telle contrainte échappent à l’intention de l’auteur, comme lui échappent ceux des contraintes grammaticales ou orthographiques. Évidemment, les textes juridiques comportent des références explicites à d’autres textes juridiques. Il y a des formules de référencement. Dans un jugement de la Cour suprême, on trouvera un sommaire de la « jurisprudence », des « lois et règlements cités », de la « doctrine et autres documents cités ». Dans une loi ou règlement, on trouvera la mention des textes modifiés par la loi ou le règlement. Une loi n’est parfois qu’un texte fait de bouts d’autres textes dont des mots, des phrases et des chiffres sont supprimés ou remplacés[27]. Dans un texte académique, on trouvera des commentaires de textes préalablement indexés par l’auteur et des notes qui sont parfois constituées en systèmes de référence[28]. Il y a aussi d’autres textes : des actes juridiques (contrat, testament, procès-verbal…), et puis des dispositifs de signalisation du droit : des panneaux, des affiches qui, parfois, se réfèrent explicitement aux textes juridiques.
Chaque fois, la référence, parce qu’elle est explicite, participe de l’intentionnalité. Elle concourt à l’ouverture du texte sur le réel (le monde dans lequel le droit a lieu). La référence sert à guider ce dont parle le texte vers un mode de réalisation du droit. Elle rend vraisemblable l’effet de droit projeté.
Il y a aussi une référence implicite, et c’est pourquoi je propose de parler de « jeu » de la référence. Implicite, la référence ouvre un espace dans le texte, espace constitué par les variations possibles du sens[29]. C’est-à-dire qu’il se crée un mouvement entre les différentes significations possibles du texte, donc entre les différents effets de droit envisageables. Il y a référence implicite lorsqu’elle est enveloppée (implicitus) par le texte. C’est-à-dire lorsque celui-ci renvoie à ce que le lecteur est en mesure d’appeler « droit », indépendamment du sens visé par le texte. Il s’agit d’un effet mécanique de la contrainte consistant à insérer le texte dans la littérature juridique.
Cette obligation de placer le texte dans le « quasi-monde » — réserve inépuisable du droit — peut bien être ignorée ou connue de celui qui écrit ; quoi qu’il en soit, elle s’exécute dès le tracé des signes qui constituent le texte juridique. Sauf à mettre en place des dispositifs textuels qui garantissent l’écriture contre le droit. Mais la sanction tomberait automatiquement : le texte serait hors du droit ; il ne « serait pas du droit ». On n’échappe à la signification juridique implicite de son texte qu’en n’écrivant pas de droit. Corrélativement, toute écriture du droit est implicitement référentielle du droit. Ainsi, les références à des textes juridiques explicitement mises en place par l’auteur contiennent, à leur tour, des références implicites.
Le jeu de la référence se déroule sur la totalité du texte. Tous les procédés d’écriture, toutes les manières de composer un texte peuvent produire un effet de référence : le titre, la signature, le style, la construction et les mots du texte. J’essaie d’en rendre compte dans ce qui suit.
3 Le déroulement du jeu de la référence
Quatre morceaux de texte ou, plus exactement, quatre dispositifs textuels, font l’objet de cette analyse qui est en même temps une tentative de représentation du jeu de la référence : titre, signature, couverture d’ouvrage, mots du droit.
3.1 Le titre
Soit un titre : « Consumer Law and Policy : Text and Materials on Regulating Consumer Markets[30] ». Ce morceau de texte annonce son ouverture sur le réel : il devrait être question de porter à la connaissance du lecteur un contenu de « droit de la consommation » annoncé dans un certain sens, comme ce qui réglemente des marchés sur lesquels interviennent des opérations entre consommateurs et non-consommateurs.
Le texte produit aussi un effet de référence juridique en usant de l’expression « Text and Materials ». Il se trouve lié à la « littérature juridique » comme un certain type d’ouvrage (Textbooks/Casebooks). Il ouvre alors sur un monde différent, celui des textes didactiques, indicatifs des lieux d’apprentissage du droit — Law Schools. Élargissons un peu la perspective. Nous voyons sur la couverture qu’il s’agit d’une deuxième édition. Voilà qui indique le succès du livre et dit quelque chose de sa place dans la littérature ; de son autorité vis-à-vis de l’ordre du droit au sein duquel il s’insère, quoique le sens de cette autorité demeure, à ce stade de lecture, indéterminé. Mais le lecteur sait qu’il pourra composer son propre texte juridique (note, dissertation, interprétation, argumentation, décision) à l’aide de celui-ci.
Soit un autre titre : « L’avare et l’intangible : à propos du téléchargement d’oeuvres[31] ». Le texte ouvre sur le monde, plus nettement encore que précédemment. L’objet visé — l’intentionnalité — se repère tout de suite : « le téléchargement d’oeuvres » annoncé dans une forme littéraire ne rappelant pas le droit, mais plutôt des textes moralistes classiques[32]. Le titre n’augure pas un texte juridique. Il ne comporte pas d’ouverture sur l’écriture du droit. Il pourrait, à ce moment, se trouver assigné hors du droit par le lecteur. Regardons alors la signature du texte.
3.2 La signature
« Georges Azzaria » : une note de bas de page indique qu’il est « professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval ». Le texte de la signature ainsi conçu modifie le statut du texte annoncé en l’attachant au droit, en tant que discipline universitaire. Il indique le propos d’un juriste qui enseigne et écrit. La même note de bas de page précise que le « texte tient compte des évènements antérieurs à juin 2007 ». La mention complète, signature et note, implique un certain rapport entre ce qui s’annonce et la rationalité caractéristique de l’ordre ou du système juridique, en même temps que la positivité du droit traité par le texte. L’énoncé « professeur de droit » précipite dans le texte la « rationalisation[33] » du droit dont le professeur a eu, à un moment ou à un autre, la charge. L’auteur n’a pas la possibilité de contrôler l’effet de référence produit par la mention de son nom suivi de « professeur de droit ». Celui qui signe ainsi s’inscrit comme élément de texte dans son propre texte, ce qui implique son effacement comme auteur[34]. Et parfois sa transformation en « personnage conceptuel[35] ».
3.3 Les énoncés d’une couverture
Soit la couverture d’un ouvrage — ce qui « enveloppe » ou « habille » le texte — qui présente ce dont il est question.
En son centre un titre : « Regards croisés sur les enjeux contemporains du droit de la consommation[36] ». Sous le titre, le nom d’un auteur qui n’est pas tout à fait un auteur ; il est mentionné « sous la direction de Thierry Bougoignie ». Il est fait mention aussi de l’éditeur : « Éditions Yvon Blais. Une société Thomson ». Et en haut de la couverture, à gauche, un sigle : « GRDP », signifiant « Groupe de réflexion en droit privé » ; à droite, un autre sigle : « GREDICC » signifiant « Groupe de recherche en droit international et comparé de la consommation », et au-dessous « UQAM » :
Le tableau — la synthèse des énoncés ; je laisse de côté la composition graphique de la couverture — livre une intentionnalité et s’ouvre sur le réel, c’est-à-dire, je le répète, le monde du lecteur. Voici un ouvrage savant (le directeur est professeur ; l’Université a quelque chose à voir avec le livre, une certaine université [Université du Québec à Montréal] ; la couverture contient les mots « réflexion » et « recherche »), collectif (l’auteur mentionné en assure la « direction » ; les « regards » sont « croisés » ; il peut s’agir des actes d’un colloque, d’une série de conférences, du résultat d’un recherche collective) et juridique.
En portant un regard plus analytique, on verra la diversité des éléments de rattachement au droit. Le moindre énoncé de la couverture indique du droit. Explicitement : « droit de la consommation », « droit privé », « droit international et comparé de la consommation ». Implicitement : « Thierry Bourgoignie », « Éditions Yvon Blais ». De tels énoncés fournissent d’abord un accès à l’objet visé par le texte. Ils participent à la représentation que celui-ci propose. Mais ils s’inscrivent aussi eux-mêmes dans le « quasi-monde » du droit. Et ils accrochent le texte à la littérature juridique. Les renvois qu’ils provoquent redoublent l’ouverture du texte. Le jeu de la référence démarre dès la couverture du livre. Les énoncés qui y figurent participent à ce qui est alors une re-présentation du droit par l’écriture juridique.
3.3.1 Le titre dans la couverture
La mention « droit de la consommation » ouvre sur une législation, des jugements et des productions académiques avec lesquels le texte autorise sa propre mise en rapport. Le texte réfère à un corpus dont il poursuit l’écriture[37]. Saisissons au passage la chance de l’ambiguïté du terme « corpus ». Je le proposerai d’abord dans son usage philologique et linguistique comme la réunion de « la totalité des documents disponibles d’un genre donné » et comme l’« [e]nsemble de textes établi selon un principe de documentation exhaustive, un critère thématique ou exemplaire en vue de leur étude linguistique[38] ». Et ensuite dans son rapport au droit en référence au corpus juris civilis[39].
L’ouvrage de « droit de la consommation », signalant son agrégation au corpus du droit de la consommation, entre dans le champ des principes de documentation, critères thématiques et dans tous les systèmes de sélection ou de classement qui justifient qu’on puisse parler littérairement d’un corps de droit — corpus juris. Il se soumet alors à l’épistémè, à l’axiologie, aux considérations politiques, éthiques, esthétiques qui se rapportent à ces systèmes. Ainsi, l’annonce « regards croisés sur les enjeux contemporains du droit de la consommation » ne parvient pas tout à fait à contenir le propos du texte annoncé aux « regards croisés sur les enjeux contemporains ». Une part indiscernable du texte réclame son association au droit de la consommation tout court. Elle exige de produire un sens juridique abstrait, c’est-à-dire un sens pour le texte à venir.
On comprend que le jeu de la référence est communautaire. L’insertion dans la communauté — le fait de l’écriture juridique — implique le respect de la liberté pour ses membres d’user de ce qui peut être saisi comme communautaire, à savoir cette part indiscernable du texte. Un exemple d’usage : la citation. Dans notre espèce, les « regards croisés sur les enjeux contemporains du droit de la consommation » peuvent être cités dans un texte qui a à voir avec le droit de la consommation, mais rien à voir avec le croisement des regards sur ses enjeux contemporains. La nécessité de préparer le texte à s’offrir en référence participe à sa qualification en texte juridique, indépendamment même de son intentionnalité, de l’objet qu’il vise en propre, de l’effet de droit qu’il indique. Il doit pouvoir être utilisé pour indiquer du droit en-dehors de lui.
Une telle dissociation dans la composition du texte relève parfois d’une loi du genre. Pour l’illustrer, et concevoir une caractéristique importante du jeu de la référence, je voudrais ici opérer une légère digression.
Il me semble nécessaire de passer un peu de temps sur la composition d’un des textes les plus surveillés de la littérature juridique, soit la thèse : « A thesis for the Doctoral degree must constitute original scholarship and must be a distinct contribution to knowledge[40]. »
L’écriture de la thèse est commandée par la nécessité de combiner l’originalité de la proposition théorique avec la contribution au savoir préexistant. Contribuer, c’est participer et même « payer sa part […] d’une charge commune[41] ». La contribution suppose la fongibilité des objets.
Pour contribuer au savoir des juristes, la contribution devrait avoir forme de droit. L’écriture juridique transfère le texte à la littérature juridique. Elle augmente mécaniquement le savoir. Relevons encore que la combinaison qui constitue la thèse n’est pas vue comme un mélange (synthèse), mais comme la conjonction de deux catégories distinctes dans leur principe (original scholarship et distinct contribution to knowledge) : « It must show familiarity with previous work in the field […] as well, the thesis must clearly demonstrate how the research advances knowledge in the field[42]. »
Concentrons-nous sur cette « familiarité avec le travail qui précède la thèse dans le champ de recherche ». La composition de la thèse devrait rendre compte de la familiarité de l’auteur avec les travaux existant avant le sien et qui, selon la loi du genre, préparent en quelque sorte celui-ci.
La thèse montrera les accointances de l’auteur avec le droit en question, l’amplitude de son savoir. Au plan de l’écriture, le texte de la thèse se fera complice des textes qui le précèdent. Si la thèse est bien rédigée, ces textes en auront constitué l’annonce, l’amorce ou le préambule. Ainsi, les textes du droit rendent possible le prochain texte à venir ; ils forment une interminable introduction à leur propre réinscription comme référence. Il faut donc que la thèse — celle dont le texte augure la soutenance — se replie en son propre corps pour laisser passer les textes du droit auxquels la thèse — celle qui s’écrit — doit (must) référer.
Nous n’en avons pas fini avec la familiarité. Le terme rappelle à lui la communauté qui participe au jeu de la référence. On le verra plus immédiatement dans le mot anglais. Familiarity indique l’appartenance à la famille, et plus encore la déférence à la famille. En effet, dans un sens jugé obsolète, familiarity signifie : « The quality proper to a member of the family ; hence, behaviour due from a retainer or a familiar friend, devotion, fidelity[43]. »
Remarquons aussi que familiarity renvoie, en tout premier lieu, à l’hospitalité comme qualité du chef de famille. Tel est le premier sens du mot : « The quality proper to the head of a household, hospitality[44]. »
La thèse qui montre sa familiarité avec le travail qui vient avant elle montre ses qualités. Ce qui la caractérise, ce qui en fait la valeur. Ce qui réfère au droit signale le respect pour la communauté juridique (famille) et tout à la fois la capacité du texte à accueillir en son sein ce qui lui viendrait du droit (hospitalité). Voici donc aussi ce qui qualifie la thèse. L’écriture juridique dispose des signes de reconnaissance dans le coeur du jeu de la référence. Celui-ci est communautaire, il est aussi synallagmatique.
Nous voyons se dessiner un trait cardinal de l’écriture du droit tracé dans la référence. Il s’y trouve inscrits l’obéissance, le respect dû au droit (qui est un respect dû au texte) et, finalement, le pressentiment de la force. La référence au droit n’indique pas quelque chose qui lui serait extérieur et dont elle instruirait de l’autorité. Elle impose ce dont elle parle[45]. Le texte juridique qui s’établit dans le jeu de la référence ne saurait simplement décrire ; il prescrit. Il ne le fait pas cependant en son nom propre mais au nom du texte.
« The Preface of a Doctoral thesis must also include a statement clearly indicating those elements of the thesis that are considered original scholarship and distinct contributions to knowledge[46] » : retour à l’intentionnalité ici. À la thèse avancée et qui sera soutenue. Mais ce retour est devenu suspect. Rendu ambivalent par le jeu de la référence. D’un côté, on comprend que l’originalité du travail académique, la contribution de la recherche au savoir permettent de déterminer sa valeur propre (ou valeur ajoutée). Un bénéfice. C’est ce qui, au sein du travail, peut être retenu et même distingué. Voilà qui expliquerait le caractère obligatoire de la règle disposant d’indiquer clairement une telle partie du texte. Mais d’un autre côté, en marquant aussi nettement les différences entre l’avant et l’après de la thèse, on propose un principe d’exclusion. Ce qui peut être retenu, distingué, est aussi ce qui peut être oublié. On peut l’écarter à peu de frais puisque l’indication claire du savoir préexistant en assure la pérennité. Sans doute cette ambivalence garantit-elle le jugement porté sur la thèse lors de sa soutenance. Mais là n’est pas la question. Nous sommes plutôt conduits à voir dans cette dissociation le fait qu’en soutenant une thèse on soutient deux choses : l’objet visé et le droit qui se constitue dans la référence[47].
Je reviens maintenant à l’analyse des énoncés fixés sur la couverture d’un livre de droit.
3.3.2 L’auteur — directeur dans la couverture
« Sous la direction de Thierry Bourgoignie » : je ne travaillerai pas sur ce que cette mention a d’ambigu lorsqu’on la rapporte à l’indication simple d’un auteur. La question se poserait de savoir comment composer le régime littéraire de cette mention d’un auteur qui n’est pas l’auteur du texte ; qui est plus (il dirige l’ouvrage) et qui est moins (il n’a pas tout écrit). J’en resterai à essayer de repérer comment se joue le jeu de la référence.
Il faut se garder d’une réduction. La mention du nom de l’auteur appelle une première série de références implicites. On en saisira rapidement les principes en suivant Michel Foucault dans son analyse de la « fonction-auteur[48] ». Foucault en dégage quatre caractères.
Le premier tient dans ce qu’on peut appeler l’indication d’un rapport juridique de l’auteur au texte. Il s’agit d’une appropriation, précédée historiquement d’une responsabilité. L’auteur dispose de son oeuvre comme un élément de son patrimoine ; il en supporte aussi les risques. En second lieu, l’auteur préserve le texte de l’anonymat. Il indiquant la « source » du texte ; son sérieux aussi. Le nom de l’auteur est comme le sceau, le seing que les juristes connaissent ; une garantie de l’authenticité. Le troisième caractère rappelle une construction de l’auteur réalisée à partir du texte[49]. À son terme, l’auteur introduit de la rationalité. Foucault le dit : « c’est également le principe d’une certaine unité d’écriture […] ce qui permet de surmonter les contradictions qui peuvent se déployer dans une série de textes[50] ». Enfin, la mention de l’auteur constitue le lieu de croisement des discours qui composent le texte et qui renvoient à des ego multiples. C’est-à-dire que l’auteur sert à mettre à distance les différents « je » qui parlent dans le texte. Il donne la possibilité de multiplier les niveaux de discours.
Le rapprochement de la « fonction-auteur » avec la mention « sous la direction de Thierry Bourgoignie » fait apparaître certaines références implicites, étant bien entendu que je ne considère ici de référentiel que ce qui signale le texte comme texte juridique.
La mention lie d’abord le chercheur et professeur de droit avec une fonction de direction. Nous voici renvoyés aux responsabilités de celui qui conduit une recherche dans son champ de compétences : le droit, et plus précisément ici le droit de la consommation. Renvoyés aussi à la part du travail qu’il peut revendiquer (appropriation) : réunir des auteurs pouvant mettre leur travail au service de la recherche entreprise[51] ; élaborer et raffiner les questions qui forment l’horizon du texte, donner une orientation. Et ici encore, le propre du nom d’auteur joue comme un procédé de sélection : nous savons qui écrit ; nous pressentons alors une partie de ce qui sera écrit.
La mention comportant le nom de l’auteur garantit ensuite le texte contre l’anonymat. En l’espèce, le risque de l’anonymat ne concerne pas le contenu de l’ouvrage qui rassemble les contributions de plusieurs auteurs. Il pèse en revanche sur ce qui est annoncé dans la couverture à propos des « enjeux contemporains du droit de la consommation ». Il menace le livre comme ensemble. L’anonymat risquerait d’effacer le principe de synthèse qui justifie la réunion de diverses contributions en un livre. Le nom de l’auteur-directeur règle l’unité du livre. Il fait tenir ensemble les différentes contributions[52]. La mention de l’auteur indique une source du texte. Elle le valide. Elle scelle aussi une certaine destinée du texte dans l’association entre « les enjeux contemporains du droit de la consommation » et « Thierry Bourgoignie ». Nous en venons alors à l’indication de l’auteur comme mode de rationalisation du texte. Ce qui en constitue un enjeu très lourd. Le texte réfère alors à une série de textes en droit de la consommation qui forment l’oeuvre de l’auteur Thierry Bourgoignie. Ses textes propres, et aussi tous ceux qui portent sa marque autrement que comme auteur : les directions de recherches et d’ouvrages. Je laisse de côté la fonction-auteur qui donne lieu à la « dispersion des ego[53] », moins significative ici.
3.3.3 Des précisions
Cette première série de renvois aux textes juridiques a son importance. Mais, quoiqu’implicite et inévitable, elle n’épuise pas le jeu de la référence. Et cela parce qu’on n’y trouve pas le flottement qui m’apparaît caractéristique du jeu en question. Un flottement vient de l’impossibilité de contrôler la référence. L’effet de référence produit par telle ou telle inscription vient de ce que celle-ci est mise en réserve, sans égard à la configuration du texte qui porte la référence. Dès lors, les dispositifs qui organisent expressément le référencement du texte (note de bas de page, citation) ne permettent en rien de disposer du jeu de la référence. Or le lien entre le nom d’un auteur et son oeuvre relève de la fonction référentielle du nom de l’auteur. Pour le dire simplement : le nom désigne l’auteur ; l’auteur désigne ses textes. La référence est inévitable parce que le nom d’auteur constitue un dispositif référentiel comparable à une note de bas de page. Mais la compréhension de ce qui « joue » dans la référence suppose de considérer le dispositif en lui-même, de se dégager donc de la référence qu’il assume pour accéder à celle qu’il peut ignorer en toute bonne foi.
La mention de l’auteur a alors des implications plus profondes. Revenons à ce qu’écrit Foucault, mais cette fois-ci pour essayer d’en subtiliser un motif. Il se penche sur ce qu’il appelle les « fondateurs » puis « instaurateurs de discursivité » :
Ces auteurs ont ceci de particulier qu’ils ne sont pas seulement les auteurs de leurs oeuvres, de leurs livres. Ils ont produit quelque chose de plus : la possibilité et la règle de formation d’autres textes […] quand je parle de Marx ou de Freud comme « instaurateurs de discursivité », je veux dire qu’ils n’ont pas rendu simplement possible un certain nombre d’analogies, ils ont rendu possible (et tout autant) un certain nombre de différences […] Étendre un type de discursivité comme la psychanalyse telle qu’elle a été instaurée par Freud, ce n’est pas lui donner une généralité formelle qu’elle n’aurait pas admise au départ, c’est simplement lui ouvrir un certain nombre de possibilités d’applications. La limiter, c’est, en réalité, essayer d’isoler dans l’acte instaurateur un nombre éventuellement restreint de propositions ou d’énoncés, auxquels seuls on reconnaît valeur fondatrice et par rapport auxquels tels concepts ou théories admis par Freud pourront être considérés comme dérivés, second, accessoires[54].
Le détour par ces « fondateurs de discursivité » est risqué tant il nous éloigne du domaine de la littérature juridique. Mais, en acceptant le principe de l’emprunt, on verra qu’il offre d’accéder au jeu de la référence engagé dans la mention de l’auteur.
Si la composition d’un texte juridique ouvre sur l’objet qu’elle vise et, simultanément, sur l’écriture du droit, alors le juriste est un « fondateur de discursivité ». Le texte juridique vaut pour ce qu’il dit, mais aussi pour ce qu’il permet de faire. Il prend du sens, en droit, dans la relation qu’il fonde avec d’autres textes et dont le principe lui échappe toujours en partie.
Il est dit quelque part ceci :
Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu’elle équivaut à de l’exploitation du consommateur, ou que l’obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante[55].
L’affirmation prend toute son importance lorsque, placée dans une argumentation adressée à un juge, elle permet à un individu d’obtenir la réduction du montant de sa dette de 900 dollars[56]. Sa valeur augmente aussi dans le texte qui opère son rapprochement avec la décision du juge en question et qui permet à son tour la production d’autres textes[57].
Le nom d’auteur comme texte juridique implique de considérer la « possibilité et la règle de formation d’autres textes[58] » qu’il provoque. L’implicite de l’implicite. C’est ici que le nom d’auteur s’accroche au droit. La mention « sous la direction de Thierry Bourgoignie » ne fait pas que renvoyer aux travaux de cet auteur. Elle renvoie aussi au rapport que ses textes entretiennent avec la littérature juridique au sens particulier de leur capacité à fonder d’autres textes. Prenons les Éléments pour une théorie du droit de la consommation[59]. Dans sa manière de référer à l’écriture juridique, ce texte est fondateur d’autres textes qui le citent comme référence juridique. Et cet effet-là est incontrôlable. Le nom « Thierry Bourgoignie » ouvre alors le texte sur les textes qui réfèrent aux travaux de Thierry Bourgoignie.
Disons que les Éléments pour une théorie du droit de la consommation visent une conception disciplinaire (le droit de la consommation est conçu comme une discipline ; elle est, par ailleurs, pluridisciplinaire[60]), comparative[61] et critique[62] du droit de la consommation. Ce faisant, et si leur inscription dans la littérature juridique a été réalisée, ils sont eux-mêmes ouverts sur l’écriture d’un droit qui n’est pas une discipline mais un droit positif[63], pas un droit comparé mais un système juridique[64], pas critique mais dogmatique[65]. Cet écart forme une référence implicite de la mention « Thierry Bourgoignie ». Cette superposition des références peut sembler inutilement compliquée. Ce n’est pourtant qu’à la condition de ces renvois de texte juridique à texte juridique que le droit advient dans l’infinité de ses effets : prenant sa force en même temps qu’il prend forme.
3.3.4 D’autres mentions
Parmi les trois mentions qui restent à lire, deux renvoient explicitement au droit : « Groupe de réflexion en droit privé » et « Groupe de recherche en droit international et comparé de la consommation »/« UQAM ». Je n’insisterai pas sur la densité des références sur lesquelles le texte s’ouvre par ces deux mentions.
Simplement, d’une part, il faut relever une certaine perception de l’ordre juridique que rappelle le « droit privé[66] » : appréhension du droit par des principes rationnels de divisions[67] (droit public et droit privé), des oppositions (intérêt public/intérêt privé[68]) ; une conception de la connaissance juridique aussi, qui fait de la distinction droit privé/droit public une idée élémentaire[69]. La portée de la mention ne devrait cependant pas être surestimée ; elle signale le rôle qu’un « regroupement institutionnel des membres du corps professoral du Département des sciences juridiques[70] » de l’UQAM a pu avoir dans la publication. D’autre part, c’est une conception différente du droit qu’appelle la mention « droit international et comparé de la consommation ». Un droit qui répond à des critères moins formels. En outre, le texte indique une orientation non nationale du droit de la consommation. Il suggère aussi que le droit en question est saisi dans sa dimension disciplinaire et théorique plutôt que dans sa positivité.
J’en viens alors au point essentiel qui est la conjonction de ces deux mentions. Elles sont à côté, face à face, et aussi l’une contre l’autre. « Réflexion en droit privé » et « recherche en droit international et comparé de la consommation » participent à la composition du texte de couverture. Quelque chose du jeu de la référence se joue encore dans ce « et ». Indiquant un moment où les idées sont encore « compossibles », le « et » forme une « loi de la pensée théorique[71] ». La conjonction « et » rapproche autant qu’elle tient à distance ce qu’elle unit. Alors la référence s’établit de manière incontrôlable. Le « droit international et comparé » est contre le droit d’un ordre juridique (les juristes, habitués à la jurisprudence, savent que le mot contre n’est pas clair ; qu’il oppose les parties au procès mais qu’il rassemble le droit en une solution). La conjonction rappelle alors au texte deux tensions récurrentes : autonomie et dépendance du droit de la consommation vis-à-vis du droit privé ; droit étatique/national et droit non étatique/global. Ajoutons que le lieu de ces tensions est lui aussi référencé. La mention « UQAM » renvoie à un espace académique qui n’est pas neutre, ni quant aux références juridiques qu’il contient[72], ni quant aux traditions juridiques qui s’y rappellent[73].
La dernière mention sur la couverture est celle des « Éditions Yvon Blais. Une société Thomson ». Encore une fois, le texte redouble la référence implicite. Il y a l’évidence : cherchant ce qui raccroche la mention « Éditions Yvon Blais » à la littérature juridique, il suffit de songer au catalogue de l’éditeur. Mais, comme le texte du nom d’auteur, il faut se garder d’une réduction. La mention de l’éditeur renvoie aux livres édités de manière aussi évidente que le nom de l’auteur renvoie aux livres qu’il a écrits. La référence est inévitable ; elle n’est pas incontrôlable — pas assez flottante à ce moment. Questionnons, comme avec le nom d’auteur, la possibilité et la règle de formation d’autres textes à partir des textes référencés.
Disons que les « Éditions Yvon Blais » visent des publications qui peuvent : 1) revendiquer un rapport privilégié avec le droit positif québécois ; 2) établir les tendances de l’évolution du droit en question ; 3) constituer une littérature de référence pour une utilisation professionnelle du droit[74]. Quels textes peuvent référencer, du point de vue de l’éditeur[75], les textes édités ? Allons très vite : tous les textes dont l’intentionnalité mobilise du droit civil québécois. Y compris donc un texte qui s’en distingue pour un motif critique : s’intéresser aux constructions théoriques qui signalent l’irréductibilité du droit au droit positif[76] ; ou pour un motif économique : éditer des ouvrages de droit comme concurrent[77]. Ainsi réinscrite dans la littérature juridique, la mention « Éditions Yvon Blais » signale un écart entre le droit qu’elle vise implicitement et un autre droit : 1) un droit différent du droit positif québécois ; 2) indifférent aux tendances futures de ce même droit ; 3) épousant une perspective plus théorique ou moins professionnelle du droit. De telles oppositions forment une référence implicite de la mention « Éditions Yvon Blais ».
3.4 Les mots du droit
Voici les éléments les plus flottants du texte. Ceux qui ouvrent le plus sûrement celui-ci et l’accrochent à la littérature juridique : les expressions, les formules et les mots du droit[78]. Je rappelle l’hypothèse en jeu ici : 1) un texte juridique s’écrit sous la contrainte que j’ai appelée le « jeu de la référence », à savoir l’insertion de dispositifs textuels qui renvoient à d’autres textes juridiques ; 2) celui qui écrit ne maîtrise ni le principe de cette contrainte ni ses effets. La référence est inévitable, mais elle est aussi implicite au texte lui-même. Les références explicites ou implicites disposées stratégiquement dans un texte ne parviennent pas à contraindre totalement la lecture. Celle-ci, dans le geste qui la constitue déjà comme écriture, appréhende le texte comme texte juridique grâce à la référence et réserve cette part indiscernable du texte pour l’avenir. L’infinité des effets de droit se trouve ainsi garantie.
Le mot du droit au sein duquel se joue le jeu de la référence — inscription dans la réserve inépuisable du droit — n’est pas un concept juridique. L’infinité de l’effet de droit, la capacité permanente d’un mot à produire du droit, ne vient pas du fait qu’il a déjà été pensé. À cela répondrait une systématique des effets juridiques, un ordre des solutions potentiellement couvertes par le mot du droit. Il s’ensuivrait une définition possible de celui-ci ou une connaissance a priori de ses sens. Le mot se fixerait dans le concept.
Au contraire, la capacité inépuisable d’un mot à produire du droit vient de ce qu’il provoque une dispersion. On peut l’expliquer par l’idée d’ubiquité. Prenons une phrase : « Adjudication has often been a central institution in reforms intended to provide consumer protection and the adjudicative process is an important model for administrative decision-making[79]. »
Considérons le mot adjudication comme mot du droit. Il est à la fois dans ce texte et dans tous les textes qui l’utilisent. Pour cette raison, il référence le texte au droit et le qualifie comme texte juridique. Mais le terme est alors tiraillé entre ce qu’il veut dire dans le texte (ici : l’institution centrale qui a souvent permis de mener à bien les réformes ayant pour objectif la protection du consommateur), ce qu’il peut vouloir dire ailleurs (« Is Pragmatic Adjudication Inescapable[80] ? » ; « The act of giving a judgment or of deciding a legal problem[81] ») et le fait que, quoi qu’il vise dans les textes, une part indiscernable de tous les textes se réclamera de la référence juridique qu’il constitue.
Le mot du droit revendique de composer l’intentionnalité du texte dans lequel il se trouve et, en même temps, de faire ce qu’il fait dans tous les textes. Considéré du point de vue du droit, il n’est donc pas seulement une unité significative. Il figure aussi un principe d’harmonisation du droit à partir des mots saturés de sens juridique. Cette harmonisation suggère l’ordre[82] ; un ordre juridique qui échapperait à un principe monolithique de normativité. On peut utiliser l’image d’un ordonnancement qui s’organise de bas en haut (bottom up[83]). Peut-être davantage, nous aurions affaire à un ordre qui s’établit en fonction d’une instabilité de ses composants.
En effet, le mot du droit ne se tient jamais à sa place. Il est instable. D’une instabilité qui lui permet préserver sa capacité de référer en permanence au droit.
« Is Pragmatic |
|
Inescapable ? » |
|
ADJUDICATION |
« The act of giving a judgment or of deciding a legal problem » |
« has often been a central institution in reforms intended to provide consumer protection and the adjudicative process is an important model for administrative decision making. »
On comprend le besoin qu’ont eu les juristes — et auquel ils continuent à tâcher de répondre — de construire des projets théoriques destinés à limiter ou à masquer cette instabilité, à achever le mot dans le concept juridique. L’espoir est d’en circonscrire — et par là en assurer — la signification en droit. D’où l’immense avantage du conceptualisme[84] et du formalisme : ils supposent la calculabilité des solutions.
Il reste que, aucun dispositif textuel ne pouvant empêcher le jeu de la référence, le mot peut toujours trahir le concept. Comment se fait-il qu’on ne puisse pas empêcher le jeu de la référence ? Précisément parce que c’est la fonction des mots du droit que de rendre possible la référence à un autre corpus que celui dans lequel on les trouve, corpus qui peut dire autre chose. Le texte renvoie au texte. On ne peut alors pas plus compter sur l’identité du mot et du concept juridiques qu’on ne peut compter sur la présence d’un « signifié transcendantal[85] ». Comme le dit encore Derrida,
l’écrivain écrit dans une langue et dans une logique dont, par définition, son discours ne peut dominer absolument le système, les lois et la vie propres. Il ne s’en sert qu’en se laissant d’une certaine manière et jusqu’à un certain point gouverner par le système. Et la lecture doit toujours viser un certain rapport, inaperçu de l’écrivain, entre ce qu’il commande et ce qu’il ne commande pas des schémas de la langue dont il fait usage[86].
Revenant aux mots du droit, je dirais que la référence se joue dans cette part inaperçue par l’écrivain et qui est réécrite par le lecteur. Ce qui fait que l’argumentation juridique peut jouer sans épuiser l’effet de droit des mots qu’elle emploie (il est possible, par exemple, en jurisprudence, de se dégager du précédent ; cela suppose un effort de rédaction particulier du jugement). Et celui à qui s’adresse l’argumentation a toujours une contre-argumentation disponible. Le concept juridique ne parvient jamais à lier complètement le lecteur qui dispose, quant à lui, du mot.
Le mot du droit crée un flottement de celui-ci. Dans un sens qu’il faut préciser. Je ne veux pas dire qu’un mot du droit désigne toujours plusieurs choses ou des idées différentes. Un mot du droit peut signifier une chose ou une idée (la « Constitution canadienne »). Le flottement vient de l’impossible contrôle de la référence. On peut déterminer les références de son texte ; on ne peut pas en déterminer l’usage dans les textes à venir. Et, paradoxalement, cette impossibilité garantit le droit. Ainsi, non seulement l’ambivalence des mots du droit est inévitable, mais elle est nécessaire pour qu’on puisse utiliser les mots comme mots du droit. On pourrait le dire à la Endicott — « Law is necessarily vague because it necessarily uses (or can be stated in) abstract terms such as “reasonable” or “substantial”[87] » — en cherchant la tautologie : le mot du droit est nécessairement flottant parce qu’il est un mot du droit.
Au terme de cette analyse de certains dispositifs textuels du droit, il est possible de spécifier l’acte d’écriture du droit. Il s’organise autour du processus que j’ai proposé d’appeler le « jeu de la référence ». Selon ce processus, on dira qu’il y a écriture juridique chaque fois qu’un texte, pris indépendamment du point de savoir quel en est l’auteur, fait référence à d’autres textes dont il n’est pas douteux qu’ils soient eux-mêmes « juridiques » (ils réfèrent à leur tour à d’autres textes qui, eux-mêmes, réfèrent, etc.). Dans le cours des références, il s’établit un « jeu », c’est-à-dire un espace creusé dans le sein du texte juridique par les références. On peut parler d’« espace » parce que le dispositif textuel du droit ne « remplit » pas toutes ses significations juridiques possibles. Les significations juridiques possibles — celles qui ne sont pas visées par le texte — existent par l’effet d’un renvoi à la littérature juridique. C’est encore par le biais de la référence qu’a lieu ce renvoi ; mais l’effet de la référence est alors implicite, en ce sens qu’il est inévitable et incontrôlable, quel que soit le degré de conscience qu’en a l’auteur. Dans le jeu de la référence, le texte juridique est flottant.
Conclusion
Le droit qui se présente « dans la lignée ininterrompue des commentaires juridiques ou des nouvelles versions du texte[88] » flotte, au fil de l’écriture. Ceci ne veut pas dire qu’il faudrait voir le droit comme étant indéterminé. Mais plutôt qu’il se détermine dans le texte ou, pour ainsi dire, littérairement. Ainsi, ce que nous appelons « système » ou « ordre juridique », d’une part, et « discipline juridique » ou « science du droit », d’autre part, apparaissent comme des ensembles de textes. Ces ensembles obéissent à certains principes de composition communs. Prendre l’écriture juridique comme objet d’étude pourrait conduire à une reconfiguration radicale du travail théorique en droit. En libérant celui-ci de la nécessité de fonctionner relativement à ce que les juristes ont convenu d’appeler le « droit positif ».
En effet, les activités juridiques théoriques sont, en général, tenues de se justifier par rapport au droit en vigueur dans le monde réel. Soit qu’elles doivent offrir des perspectives pour la pratique juridique, soit qu’il leur faille exposer leurs propres conséquences en termes de droit positif, soit qu’elles assument n’avoir aucun effet sur le droit dont elles parlent (discours strictement descriptif). Cette nécessité de se justifier est un problème à partir du moment où les activités juridiques se trouvent jugées, non pas selon ce qu’elles proposent, mais selon cette espèce de police du discours juridique. Or cette police fonctionne avec un concept de positivité dont elle est incapable de préciser le rapport avec le réel. Parce que le moment de l’application concrète du droit est théoriquement insaisissable. Les juristes ne peuvent pas garantir que l’effet de droit annoncé dans un texte juridique se produit effectivement, pas plus qu’ils n’en peuvent prévoir la forme.
En prenant l’écriture juridique comme objet d’étude, on évite la difficulté. Parce que le travail théorique se déroule dans les textes, et non plus sur ou à propos des textes juridiques. On considère alors que l’effet de droit est l’écriture d’un texte juridique. Jugements, lois et livres sont tour à tour, et à la fois, des textes juridiques et des effets de droit. C’est dans leurs rapports textuels que se constitue l’ordre juridique qui est donc un ordre de l’écriture.
Le travail juridique s’oriente vers une pratique du texte et de l’écriture. Toujours flottant, le texte juridique offre des possibilités d’action et d’argumentation renouvelées.
La question qui demeure est de savoir comment développer ces possibilités puisque l’acte d’écriture est lui-même promis au flottement. Le travail juridique ainsi conçu serait condamné à demeurer aléatoire. Une rigidité typique du droit aurait sauté : on ne pourrait jamais expliquer la production d’un effet de droit sans saturer sa propre affirmation d’une incertitude dévastatrice du propos. En d’autres termes, l’écriture, passant au premier plan, viendrait à ce point relativiser le droit dont elle parle qu’elle risquerait d’en saper la force. Tel n’est ni l’objectif ni le résultat du travail ici entrepris. Mais cela doit résonner comme une mise en garde. On ne peut s’engager sur cette voie qu’en développant des pratiques du texte juridique qui ne se soldent pas par la dissolution du droit formalisé.
L’une d’entre elles, dont j’ai essayé de suggérer l’emploi par un certain nombre d’effets d’écriture et de références dans le présent travail, est une déconstruction des textes juridiques : un travail qui respecte scrupuleusement la lettre du droit et qui entend simultanément lui soutirer du sens par une réécriture utilisant la dislocation, la dissémination, la suspension des dispositifs textuels.
Une autre pratique possible se ferait sur le terrain de la forme du texte juridique. Elle consisterait, elle aussi, dans un type de réécriture. Celle-ci jouerait avec les lignes, le style, la composition des textes juridiques afin de les réinterpréter. On songe à une sorte de poétique ou d’esthétique juridique. À suivre.
Appendices
Remerciements
L’auteur tient à remercier Michelle Cumyn, H. Patrick Glenn, Daniel Jutras, Christophe Jamin, Robert Leckey, Sébastien Pimont et Ruth Sefton-Green pour leurs précieux commentaires et suggestions sur les versions successives de ce texte. Ses remerciements vont aussi aux évaluateurs anonymes ; ce texte leur doit beaucoup. L’auteur est le seul responsable des erreurs.
Note biographique
Vincent Forray
Professeur, Université McGill.
Notes
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[1]
William Kirby, Le Chien d’or. Légende canadienne, BeQ, [En ligne], [beq.ebooksgratuits.com/pdf/Kirby-chien-1.pdf] (11 juillet 2013).
-
[2]
Nicholas Kasirer pose la question à propos du droit civil dans l’ouvrage qu’il a dirigé il y a quelques années : Nicholas Kasirer (dir.), Le droit civil, avant tout un style ?, Montréal, Éditions Thémis, 2003. Dans un tout autre domaine, Richard Rorty suggère que certaines distinctions, que nous pensons être fondées substantiellement, tiennent en réalité à « une question de style ». Ainsi en est-il, du point de vue de Rorty, de la différence entre la philosophie analytique et les autres types de philosophie. Voir Richard Rorty, Philosophy and the Mirror of Nature, Princeton, Princeton University Press, 2009, p. 9.
-
[3]
Parmi de nombreuses références, on peut consulter : Gérard Cornu, Linguistique juridique, 3e éd., Paris, Éditions Montchrestien, 2005, et la bibliographie fournie par l’auteur ; Michael Freeman et Fiona Smith (dir.), Law and Language, vol. 15, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; Duncan Kennedy, « A Semiotics of Legal Argument », (1991) 42 Syracuse L. Rev. 75 ; Jeremy Paul, « The Politics of Legal Semiotics », (1991) 69 Texas L. Rev. 1779 ; Jack M. Balkin, « The Promise of Legal Semiotics », (1991) 69 Texas L. Rev. 1831 ; Duncan Kennedy, « A Semiotics of Critique », (2001) 22 Cardozo L. Rev. 1147 ; Guyora Binder et Robert Weisberg, Literary Criticisms of Law, Princeton, Princeton University Press, 2000 ; Eric Landowski, « Towards a Semiotic and Narrative Approach to Law », (1988) 1 I.J.S.L. 79.
-
[4]
Un exemple récent : François Ost, Shakespeare. La comédie de la loi, Paris, Éditions Michalon, 2012 ; on peut encore consulter Richard A. Posner, Law and Literature, 3e éd., Cambridge, Harvard University Press, 2009.
-
[5]
Voir Platon, Lois X. 890e-891a, dans Luc Brisson (dir.), Platon. Oeuvres complètes, Paris, Flammarion, 2011, p. 932 et 933, où Clinias dit :
Il est en outre certain qu’on ne saurait trouver un plus grand secours à une oeuvre législative à laquelle la réflexion ne fait pas défaut, puisque les prescriptions de la loi, une fois confiées à l’écriture, se trouvent alors parfaitement figées et disposées à rendre raison de leur contenu pour tout le temps à venir ; si bien que l’on ne doit pas s’effrayer de la difficulté que l’on éprouve au début à les entendre, puisqu’il sera possible, y compris pour celui qui est lent d’esprit, d’y revenir plus d’une fois pour les examiner.
-
[6]
Stéphane Rials, « Veritas iuris. La vérité du droit écrit. Critique philologique humaniste et culture juridique moderne de la forme », Droits Rev. Fr. 1997.101 ; le rapport entre la vérité et les formes juridiques est un thème important chez Michel Foucault : voir, par exemple, Michel Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, Paris, Gallimard, 2011.
-
[7]
Un tel présupposé n’est pas propre au droit. La hiérarchie entre l’oral et l’écrit, en ce sens que l’écrit est considéré comme second ou « supplémentaire » à la parole, domine, selon Jacques Derrida, toute l’histoire de la pensée occidentale. C’est une thèse centrale de son livre : Jacques Derrida, De la grammatologie, Paris, Éditions de Minuit, 1967.
-
[8]
À propos de l’écriture pratiquée par les professionnels du droit, voir le très stimulant et original ouvrage de Steven D. Stark, Writing to Win. The Legal Writer, New York, Three Rivers Press, 2012 ; voir aussi Teri A. McMurtry-Chubb, Legal Writing in the Disciplines. A Guide to Legal Writing Mastery, Durham, Carolina Academic Press, 2012.
-
[9]
Dans le sens d’un propos préparatoire, un peu à la manière dont Edmund Husserl veut « préparer l’accès » à la phénoménologie pure « en caractérisant sa situation exceptionnelle » dans Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, Paris, Gallimard, 1950, p. 3.
-
[10]
Paul Ricoeur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p. 154.
-
[11]
Id., p. 157.
-
[12]
Id.
-
[13]
Id., p. 158.
-
[14]
Voir Mikhail Xifaras, « Les figures de la doctrine. Essai d’une phénoménologie des “personnages juridiques” dans la doctrine administrative française », dans Association française pour la recherche en droit administratif à la Faculté de droit de Montpellier, La doctrine en droit administratif, Paris, Litec, 2010, p. 175.
-
[15]
Deux exemples d’analyses structuralistes en droit : André-Jean Arnaud, Essai d’analyse structurale du Code civil français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise, Paris, L.G.D.J., 1973 (on peut avoir une idée du travail en lisant sa conclusion : p. 143-155) ; Jean-Guy Belley, « La Loi sur la protection du consommateur comme archétype d’une conception socioéconomique du contrat », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), Mélanges Claude Masse. En quête de justice et d’équité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 119, à la page 124.
-
[16]
Adolf Reinach répond sur le mode phénoménologique dans Adolf Reinach, Les fondements a priori du droit civil, Paris, Vrin, 2004, p. 41-45 : « Nous montrerons que les formations que l’on décrit le plus souvent comme spécifiquement juridiques, possèdent tout autant que les nombres, les arbres ou les maisons, une existence propre ; que cette existence est indépendante de ce que les hommes en peuvent concevoir, qu’elle est tout particulièrement indépendante de tout droit positif » ; voir contra Bjarne Melkevik, « Un peu de débroussaillage dans le domaine de l’épistémologie juridique », (2011) 52 C. de D. 671, 673 et 674 : « Il nous faut accepter ou admettre que le droit n’a aucune “existence” réelle ou empirique dans le monde. Le droit n’a aucune existence physique ou matérielle dans le monde social ou politique, et encore moins une existence sur le mode de l’existant ou l’effectif, pour ne rien dire de l’être ou de l’avoir, et qu’il convient en fin de compte d’agir et de penser en conséquence. »
-
[17]
On remarquera à ce propos que, dans d’autres disciplines, le mot « droit » est utilisé pour spécifier une relation qui, précisément, ne réfère pas au monde. Voir, par exemple, J. Derrida, préc., note 7, p. 110 : « Qu’est-ce que l’écriture ? À quoi se reconnaît-elle ? Quelle certitude d’essence doit guider l’enquête empirique ? La guider en droit car il y a une nécessité de fait à ce que l’enquête empirique féconde par précipitation la réflexion sur l’essence » ; voir André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 2010, s.v. « Droit », critique du sens 1 : « D’où les formules : “en droit comme en fait, en droit sinon en fait, etc.”, dans lesquelles en droit peut devenir presque exactement synonyme de logiquement ou moralement », et le sens 2 : « Le Droit, par opposition au Fait, est, dans tout ordre de choses, le légitime par opposition au réel, en tant que celui-ci peut être illégitime ». Peut-être faut-il plus simplement rappeler ici que « [le] fait forme avec le droit l’antithèse la plus spontanée, la plus élémentaire… de la science du droit » : Jean Carbonnier, Droit civil, vol. 1, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 9.
-
[18]
Il se produit ce que Sébastien Pimont appelle une « densification normative », à savoir une force supplémentaire du texte acquise à la faveur d’une répétition ou superposition d’énoncés normatifs : Sébastien Pimont, « Densification normative et écriture doctrinale du droit. Une force interne et silencieuse », dans Catherine Thibierge (dir.), La densification normative, à paraître.
-
[19]
Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, L.G.D.J., 1999, p. 255-266.
-
[20]
Comme l’écriture trouble les distinctions qui fonctionnent dans un cadre qui n’en tient pas compte, voir J. Derrida, préc., note 7, p. 42-142 : « Qu’est-ce que l’écriture ? […] On ne peut même plus faire ici confiance à l’opposition du fait et du droit qui n’a jamais fonctionné que dans le système de la question qu’est-ce que, sous toutes ses formes métaphysiques, ontologiques et transcendantales » (p. 110) ; à rapprocher de ce qu’écrit Gérard Timsit, « La science juridique, science du texte », dans Danièle Bourcier et Pierre Mackay (dir.), Lire le droit. Langue, texte, cognition, Paris, L.G.D.J., 1992, p. 457.
-
[21]
Voir Isabelle Pariente-Butterlin, Le droit, la norme et le réel, Paris, Presses universitaires de France, 2005, qui suggère l’unité de la lecture (interprétation) et de l’écriture du droit lorsqu’elle parle du « législateur dans la perspective de l’écriture du droit » (p. 105).
-
[22]
P. Ricoeur, préc., note 10, p. 171.
-
[23]
J. Derrida, préc., note 7, p. 141.
-
[24]
Ceci peut ressembler à ce qu’écrit G. Cornu, préc., note 3, p. 207-211, mais en diffère sur un point important : l’ouvrage de Cornu ne s’intéresse pas à la question de l’écriture mais à celle de la langue. Les signes graphiques et phoniques sont traités de la même manière (c’est annoncé à la page 1). En outre, il apparaît à plusieurs reprises que les signes linguistiques étudiés indiquent quelque chose du droit. Celui-ci est un donc un objet, disons un phénomène, en-dehors de la langue (quoique l’introduction ouvre la possibilité du « droit comme langage »). Par conséquent, la perspective ouverte par Derrida sur l’écriture dans De la grammatologie est absente du livre de Cornu (avec cependant – coïncidence ? – des passages qui effleurent le discours de la « trace » : voir, par exemple, la page 15). Mais je ne suis pas sûr que Cornu aurait été d’accord pour considérer « qu’il n’y a rien hors du texte » : J. Derrida, préc., note 7, p. 233.
-
[25]
J. Derrida, préc., note 7, p. 150.
-
[26]
Voir Pierre Legrand, « Perspectives du dehors sur le civilisme français », dans N. Kasirer (dir.), préc., note 2, p. 151, à la page 163 :
-
[Ce]
n’est pas dire qu’il n’y ait jamais d’idiosyncrasie stylistique car, assurément, tout civiliste est une présence qui s’affirme, mais le désir de distinction, pour autant qu’il se manifeste, demeure contraint, notamment par l’activité d’écriture puisque la pulsion qui veut faire avaliser l’écrit doit passer par une réconciliation sanctifiante de celui-ci avec la tradition, laquelle l’emporte dès lors sur toute déviance langagière, sur toute néologie, quelle que soit l’intensité de l’inhibition subie : « L’écart est alors pris en charge par une convention anonyme » [l’auteur cite ici Jean Starobinski, La relation critique, 2e éd., Paris, Gallimard, 2001, p. 83]. Dans la mesure où le civilisme s’actualise dans le texte qu’il régit, le civiliste ne crée pas le civilisme autant qu’il y participe.
-
[27]
Un exemple au hasard : Loi instituant le Fonds Accès Justice, L.Q. 2012, c. 3, section III.0.1.
-
[28]
Voir Revue de droit de McGill, Manuel canadien de la référence juridique, 7e éd., Toronto, Carswell, 2010.
-
[29]
Voir Christian Atias, Épistémologie juridique, Paris, Dalloz, 2002, p. 84-86.
-
[30]
Iain Ramsay, Consumer Law and Policy : Text and Materials on Regulating Consumer Markets, Portland, Hart Publishing, 2007.
-
[31]
Georges Azzaria, « L’avare et l’intangible : à propos du téléchargement d’oeuvres », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), Le droit de la consommation sous influences, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 139.
-
[32]
Louis Van Delft, Les moralistes. Une apologie, Paris, Gallimard, 2008, p. 213-310.
-
[33]
Selon ce qu’en dit Max Weber dans Max Weber, Sociologie du droit, Paris, Presses universitaires de France, 2007.
-
[34]
Michel Foucault, Philosophie. Anthologie, Paris, Gallimard, 2004, p. 290 ; voir le chapitre « La mort de l’auteur », dans Roland Barthes, Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 61.
-
[35]
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Éditions de Minuit, 2005, p. 60.
-
[36]
Thierry Bourgoignie (dir.), Regards croisés sur les enjeux contemporains du droit de la consommation, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006.
-
[37]
On songe à Ronald Dworkin, Law’s Empire, Cambridge, Harvard University Press, 1986, p. 45-87.
-
[38]
Centre national de ressources textuelles et lexicales, s.v. « Corpus » [En ligne], [www.cnrtl.fr/definition/corpus] (12 juillet 2013).
-
[39]
Le seul sens figurant au dictionnaire Paul-Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, Encyclopaedia Universalis, 2007.
-
[40]
McGill University, General Requirements for Master’s and Doctoral Theses, [En ligne], [www.mcgill.ca/gps/thesis/guidelines/general-requirements] (12 juillet 2013) (l’italique est de nous). Il faut préciser que ce texte ne vise pas la thèse de doctorat en droit, mais toutes les thèses. La dissociation prescrite est peut-être moins troublante dans d’autres disciplines, mais je n’en suis pas sûr : il faudrait déterminer comment est jugé le rapport du savoir précédant la thèse avec le réel, la vérité, la certitude ou la littérature.
-
[41]
P.-É. Littré, préc., note 39, s.v. « Contribuer ».
-
[42]
McGill University, préc., note 40 (l’italique est de nous).
-
[43]
Oxford English Dictionnary, s.v. « Familiarity », [En ligne], [www.oed.com] (juin 2012).
-
[44]
Id.
-
[45]
En ce sens, l’écriture du droit pourrait être performative. Mais on voit alors que le caractère performatif du langage juridique n’est pas réservé aux formes normatives du droit. Contra : Léon Raucent, « Droit et linguistique − Une approche du formalisme juridique », (1978) 19 C. de D. 575, 579-581.
-
[46]
McGill University, Preparation of a Thesis, [En ligne], [www.mcgill.ca/gps/thesis/guidelines/preparation] (3 août 2013) (l’italique est de nous).
-
[47]
Pour une structure semblable voir Faculté de droit de l’Université de Montréal, Guide du programme de doctorat en droit (LL. D.) 2012-2013, [En ligne], [www.droit.umontreal.ca/doctorat/fichiers/Guide%20du%20programme%20de%20doctorat%202012-2013.pdf] (14 juillet 2013), plus détaillé et plus explicite encore.
-
[48]
M. Foucault, préc., note 34, p. 302-310.
-
[49]
Id., p. 305 : « opération complexe qui construit un certain être de raison qu’on appelle l’auteur. Sans doute, à cet être de raison, on essaie de donner un statut réaliste : ce serait, dans l’individu, une instance “profonde”, un pouvoir “créateur”, un “projet”, le lieu originaire de l’écriture. Mais en fait, ce qui dans l’individu est désigné comme auteur (ou ce qui fait d’un individu un auteur) n’est que la projection, dans des termes plus ou moins psychologisants, du traitement qu’on fait subir aux textes ».
-
[50]
Id., p. 307.
-
[51]
Thierry Bourgoignie, « En guise de fil conducteur… », dans T. Bourgoignie, préc., note 36, p. xi.
-
[52]
Id., p. xi-xiv.
-
[53]
M. Foucault, préc., note 34, p. 309.
-
[54]
Id., p. 310-314 (l’italique est de nous).
-
[55]
Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1, art. 8.
-
[56]
Crédit Trans-Canada Limitée c. Despatie, C.Q. Montréal, 500-02-032812-914.
-
[57]
Claude Masse, Loi sur la protection du consommateur. Analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 142. Voir aussi en ce sens la préface de la juge Saint-Louis.
-
[58]
M. Foucault, préc., note 34, p. 310.
-
[59]
Thierry Bourgoignie, Éléments pour une théorie du droit de la consommation. Au regard des développements du droit belge et du droit de la Communauté économique européenne, Bruxelles, Story-Scientia, 1988.
-
[60]
Id. Dès la page 5, on est passé d’un « ensemble normatif nouveau » à une « discipline » : « Les objectifs et le domaine du droit de la consommation n’apparaissent pas de façon claire. Loin de constituer une discipline cohérente et complète, les différentes matières qu’il traverse relèvent de multiples catégories juridiques déjà confirmées. » Dans un même ordre d’idées, le « droit de la consommation » peut être appréhendé comme « concept » (p. 145). Toujours dans le sens de l’approche disciplinaire, voir p. 203-204. La pluridisciplinarité traverse, quant à elle, la totalité de l’ouvrage. On peut, plus spécialement, consulter les développements sur la « perception du rôle du consommateur par la théorie socio-économique » (p. 34-44) ; voir aussi parmi les « considérations justifiant l’expression d’une politique visant à la promotion des intérêts des consommateurs » p. 63-92 ; voir également, pour une position explicitement pluridisciplinaire dans un sens un peu différent p. 186-202.
-
[61]
Id. La diversité des références est une caractéristique de ce texte (voir les quelque 30 pages qui dressent la liste des ouvrages cités). Voir aussi les développements sur la « vocation du droit de la consommation à l’internationalisme » (et quoique le propos puisse être « déceptif »), p. 215-266.
-
[62]
Id. Le texte contient de nombreuses références à une littérature qu’on qualifiera facilement de critique : Jean Baudrillard, Jürgen Habermas, Lewis Kornhauser, Herbert Marcuse, Karl Marx, David Trubek, Roberto Unger… Le propos se fait lui-même globalement critique : on a souvent affaire à un droit de la consommation comme élément d’une théorie sociale développée en opposition à un certain modèle économique. Un exemple (p. 185) : « Instrument du changement social, il se veut efficace et opérationnel. Le droit de la consommation n’en devient pas pour autant une seule technique de gestion ou un simple levier à la mise en oeuvre des règles économiques d’efficacité […] Son instrumentalisme s’entend dans un sens “politique” plus que technique. »
-
[63]
Le texte réfère au droit positif, y compris dans sa première partie, la plus théorique, qui restitue aux ensembles normatifs du droit de la consommation un fondement politique (« la promotion des intérêts du consommateur »). Il est ainsi question de traités et de jurisprudence européennes (UE) (id., p. 101-106 et 248-264) et de législations (p. 187-190 et 192-201). De manière générale, le texte n’entend pas rompre avec l’univers normatif, signalant ainsi sa vocation au droit (il s’agit d’une « théorie du droit »). Alors que l’introduction inaugurait le passage d’un « ensemble normatif » à une « discipline », la conclusion replace le droit de la consommation dont il a été question dans la perspective normative. En fait, le texte entrelace très subtilement ce qui relève de la compréhension, de l’interprétation et de la prescription, d’une manière qui peut rappeler celle de Richard A. Posner, Economic Analysis of Law, 8e éd., New York, Aspen Publishers, 2011, au service d’un propos radicalement différent.
-
[64]
Id. La deuxième partie du livre est consacrée à l’« évaluation des acquis du droit de la consommation en Belgique et au niveau de la Communauté économique européenne » (p. 267).
-
[65]
La dogmatique juridique s’est beaucoup préoccupée de la « définition juridique du consommateur ». L’ouvrage réfère alors à un point de vue dogmatique aux pages 46 à 60.
-
[66]
Voir Duncan Kennedy qui distingue six étapes dans le déclin de la distinction public / privé : Duncan Kennedy, « The Stages of the Decline of the Public/Private Distinction », (1982) 130 U. Pa. L. Rev. 1349 ; voir aussi Duncan Kennedy, « Thoughts on Coherence, Social Values and National Tradition in Private Law », dans Martijn W. Hesselink (dir.), The Politics of a European Civil Code, La Haye, Kluwer Law International, 2006, p. 9.
-
[67]
Sur le principe de différenciation par summa divisio comme un « tropisme » du droit, force inconsciente et irrésistible qui pousserait les juristes à raisonner comme ils raisonnent, voir Marie-Claude Prémont, Tropismes du droit. Logique métaphorique et logique métonymique du langage juridique, Montréal, Éditions Thémis, 2003, p. 39-50.
-
[68]
Gerald L. Gall, The Canadian Legal System, 5e éd., Scarborough, Carswell, 2004, p. 26-29.
-
[69]
Stephen M . Waddams, Introduction to The Study of Law, 7e éd., Toronto, Carswell, 2010, p. 57-70.
-
[70]
Groupe de réflexion en droit privé, [En ligne], [www.fspd.uqam.ca/recherche/equipes-de-recherche/182-groupe-de-reflexion-en-droit-prive-grdp.html] (3 août 2013) ; T. Bourgoignie, préc., note 36, à la page vii.
-
[71]
Paul Ricoeur, Philosophie de la volonté I. Le volontaire et l’involontaire, Paris, Seuil, 2009, p. 215.
-
[72]
Soyons clair : l’espace en question est un espace textuel. Il n’est pas question de prétendre qu’il se tient dans un monde réel qui serait l’Université du Québec à Montréal, ou le Québec, ou le Canada.
-
[73]
H. Patrick Glenn, Legal Traditions of the World, 4e éd., Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 16.
-
[74]
Dans les textes de présentation de l’éditeur (www.editionsyvonblais.com), on peut relever les affirmations suivantes sous l’onglet « Juridique » :
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Le monde juridique et les ressources humaines sont le reflet de la société et elle est en pleine effervescence, cette société. Notre objectif est donc de vous transmettre un portrait juste des réalités qui touchent votre quotidien professionnel mais également de voir un peu plus loin, de suivre les tendances pour que vous soyez prêts quand elles cogneront à votre porte […] Papier : Découvrez-y l’interprétation actuelle de la loi, les grands enjeux contemporains, les précisions d’auteurs expérimentés […] Formation : Venez y chercher des réponses concrètes aux questions que suscite votre pratique et échangez avec des formateurs en pleine possession de leur sujet.
« La référence Droit québécois Droit civil » : ce texte est affiché en permanence dans la colonne de droite sur l’écran. On trouve sous l’onglet « À propos de nous » :
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Parmi nos auteurs, nous comptons des juristes et professeurs de renom, des cabinets réputés de même que de jeunes avocats prometteurs. Depuis 1996, les Éditions Yvon Blais sont membres de la maison Carswell, la division canadienne du groupe Thomson Reuters. Grâce aux liens de collaboration étroits qui unissent les diverses compagnies du groupe Thomson Reuters, nous sommes en mesure de vous fournir de l’information juridique riche et variée. Afin d’offrir à notre clientèle des produits innovateurs et de qualité supérieure, nous nous sommes associés à des partenaires importants du monde juridique. Grâce à notre partenariat avec le Barreau du Québec, nous publions les textes des conférences des formations continues organisées par le Barreau du Québec ainsi que la Collection de droit et la Collection des habiletés destinées aux étudiants. De plus, en collaboration avec la Chambre des notaires du Québec, nous publions, notamment, les recueils des conférences des Cours de perfectionnement du notariat.
-
-
[75]
Il va de soi qu’il n’est pas possible de réduire les livres édités par Yvon Blais à ce propos : ils ne sont pas écrits par les « Éditions Yvon Blais ».
-
[76]
Mathieu Devinat et Édith Guilhermont, « Enquête sur les théories juridiques en droit civil québécois », (2010) 44 R.J.T. 7.
-
[77]
On peut comparer la présentation des Éditions Thémis (www.editionsthemis.com). Le texte souligne l’implication universitaire de l’éditeur, comporte peu de références au droit positif québécois, de même qu’aux besoins des professionnels du droit.
-
[78]
Sur « les mots », voir le travail assez fantastique de G. Cornu, préc., note 3, p. 61-205, dont je ne m’écarterai que pour les raisons indiquées en note 3.
-
[79]
Iain Ramsay, Consumer Protection. Text and Materials, Londres, Weidenfeld and Nicholson, 1989, p. 74.
-
[80]
Richard A. Posner, How Judges Think, Cambridge, Harvard University Press, 2008, p. 230-265.
-
[81]
Dictionary of Law, A&C Black, 2007 s.v. « Adjudication ».
-
[82]
L’harmonie joue son rôle de rationalisation, elle figure le système, la loi et la science. Faisons le rapprochement (Camille Saint-Saens Harmonie et mélodie, Paris, Calmann Lévy, 1885, p. 14-15) :
-
[L]'harmonie est venue avec le développement de la civilisation occidentale, avec le développement de l’esprit humain. Les personnes qui nient le progrès, qui croient à la supériorité du monde antique sur le monde moderne, peuvent nier l’importance de l’harmonie dans la musique et s’attacher exclusivement à la mélodie. Les autres, si elles veulent être logiques, reconnaîtront qu’avant la naissance de l’harmonie, la musique était en quelque sorte rudimentaire et que ses principaux organes lui faisaient défaut. Le développement de l’harmonie marque une nouvelle étape dans la marche de l’humanité […] Les belles mélodies et les belles harmonies sont également le produit de l’inspiration ; mais qui ne voit qu’il faut un cerveau bien plus puissamment organisé pour imaginer les belles harmonies ?
(Cet ouvrage de Saint-Saens entend cependant nuancer la conception scientifique de l‘Harmonie au profit d’une conception plus esthétique, et montrer que la composition d’une oeuvre harmonique ne requiert pas moins d’inspiration ou de génie qu’une oeuvre mélodique).
-
-
[83]
Voir Robert Leckey, « Rhapsodie sur la forme et le fond de l’harmonisation juridique », (2010) 51 C. de D. 3.
-
[84]
Il est probable que le conceptualisme juridique soit entré dans une nouvelle phase de développement. C’est assez net en Europe où la réflexion académique sur le droit des contrats s’illustre souvent par une recherche des concepts communs : voir, par exemple, Bénédicte Fauvarque-Cosson, Denis Mazeaud et Aline Tenenbaum (dir.), Terminologie contractuelle commune. Projet de cadre commun de référence, vol. 6, Paris, Société de législation comparée, 2008. En Amérique du Nord, la récente amplification des travaux de théorie du droit privé pourrait entamer une nouvelle ère conceptualiste en droit : voir, par exemple, Ernest J. Weinrib, The Idea of Private Law, Oxford, Oxford University Press, 2012.
-
[85]
J. Derrida, préc., note 7, p. 227. Rappelons que le signifiant est l’image acoustique du mot et que le signifié est l’idée ou le concept qu’indique le mot.
-
[86]
Id.
-
[87]
Timothy Endicott, « Law is Necessarily Vague », (2001) 7 Legal Theory 379, 384.
-
[88]
Pierre Legendre, L’amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil, 1974, p. 5.