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Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les troubles mentaux représentent un problème croissant dans la société, affectant de plus en plus la productivité et le bien-être des personnes au travail. Le rapport de cette organisation publié en 2012, intitulé Mal-être au travail ? Mythes et réalités sur la santé mentale et l’emploi[1], révèle qu’un travailleur sur cinq souffre de troubles mentaux, comme la dépression ou l’anxiété, et que bon nombre d’entre eux peinent à s’en sortir. Sur quatre travailleurs présentant un trouble mental, trois font état d’une baisse de productivité au travail, la proportion n’étant que de un sur quatre pour les travailleurs en bonne santé. Les absences sont également beaucoup plus fréquentes chez les personnes atteintes d’une maladie mentale ; par ailleurs, de 30 à 50 p. 100 des nouvelles demandes de pension d’invalidité dans les pays de l’OCDE sont désormais motivées par une mauvaise santé mentale. La plupart des personnes souffrant d’un trouble mental travaillent : leurs taux d’emploi oscillent entre 55 et 70 p. 100, soit de 10 à 15 points de pourcentage de moins que ceux des personnes en bonne santé. Pourtant, un individu présentant un trouble mental est de deux à trois fois plus susceptible qu’un autre de se trouver au chômage. Selon l’OCDE, la précarisation croissante des emplois et l’augmentation actuelle des pressions au travail pourraient entraîner une aggravation des problèmes de santé mentale dans les années à venir.

En dehors des troubles mentaux survenus indépendamment du travail et éventuellement aggravés par lui, il faut évoquer ceux qui puisent leur cause en tout ou partie dans les conditions de travail[2]. La proportion de travailleurs exposés au stress ou à des tensions sur leur lieu de travail a augmenté dans l’ensemble des pays de l’OCDE au cours de la dernière décennie. En France, on parle des risques psychosociaux[3] qui, pour s’en tenir aux risques psychosociaux du travail, désignent, comme l’écrit justement Loïc Lerouge, « une nouvelle catégorie de risques associés aux phénomènes de transformation du travail liés à l’intensification, à la précarisation, aux nouvelles organisations d’entreprise et à l’introduction de nouvelles technologies […] [Ils] sont aussi une catégorie de risques relatifs aux conditions de travail regroupant le stress, le harcèlement, la dépression, la souffrance, l’épuisement professionnel (« burn out ») voire les discriminations et le suicide[4]. » À la fois plus précis et plus englobant dans son approche, le ministère du Travail français considère que les risques psychosociaux recouvrent des risques professionnels qui portent atteinte à l’intégrité physique et à la santé mentale des salariés : stress, dépression, souffrance au travail, harcèlement, épuisement professionnel, violence au travail… Ils peuvent également entraîner des maladies psychosomatiques, des problèmes de sommeil, mais aussi générer des troubles musculo-squelettiques, des maladies cardio-vasculaires, voire entraîner des accidents du travail[5]. À ce titre, les maladies mentales d’origine professionnelle ou non peuvent entraîner un handicap pour le travailleur.

L’OCDE préconise l’adoption d’une nouvelle approche, en particulier sur le lieu de travail, pour venir en aide aux personnes qui souffrent de troubles mentaux, y compris, donc, les risques psychosociaux. Ces préconisations comprennent en particulier deux volets consistant, d’une part, à garantir de bonnes conditions de travail et, d’autre part, à éviter les licenciements motivés par des problèmes de santé mentale en veillant ainsi au maintien en emploi des personnes souffrant d’un problème de santé mentale.

Concernant le premier volet de ces préconisations et donc la qualité des conditions de travail, l’employeur a une obligation générale de sécurité. Cette obligation générale de prévention a avant tout un socle légal, spécialement dans l’article L. 4121-1 du Code du travail[6], fruit de la transcription en droit français d’une directive européenne de 1989[7] qui posait les assises juridiques actuelles des actions de prévention des risques professionnels et de l’amélioration des conditions de travail. Depuis 2002, cette obligation de sécurité est devenue jurisprudentiellement une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la préservation de la santé des salariés[8]. En l’espace de quelques années, le domaine de l’obligation s’est étendu à mesure que se renforçaient les préoccupations de protection de la santé au travail et que la notion même de santé au travail se faisait plus compréhensive[9]. Cette obligation impose notamment à l’employeur d’évaluer les risques et de prendre toutes les mesures pour y faire face sous peine d’engager sa responsabilité civile, voire pénale. Dans cette démarche, il doit améliorer dans un processus continu les conditions de travail afin, notamment, de prévenir l’inaptitude des salariés et de favoriser leur maintien en emploi, et ce, avec l’aide des services de santé au travail. Malgré cela, la santé mentale des salariés en France reste marquée par un stress prégnant susceptible d’altérer la qualité de vie au travail qui a d’ailleurs fait l’objet de nombreux rapports[10]. C’est un problème qui touche plus largement toute l’Europe puisque, selon une étude de la fondation de Dublin sur les conditions de travail, 22,3 p. 100 des salariés européens estiment que leur santé est affectée par des problèmes de stress au travail[11]. Le ministre du Travail a, dans ce contexte, présenté lors du Conseil des ministres du 28 octobre 2009 le 2e Plan santé au travail 2010-2014, qui vise à développer une politique de prévention active des risques professionnels où figurent en bonne place les risques psychosociaux[12]. Dans la même dynamique, les préoccupations en matière de qualité de vie au travail se multiplient, afin de prévenir les conséquences des nouvelles organisations, particulièrement en termes de risques psychosociaux[13].

Parallèlement, la toute récente réforme de la santé au travail de 2011-2012[14] a réaffirmé la mission exclusive de ces services qui consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. À cette fin, les services de santé au travail et leurs équipes pluridisciplinaires sont chargés de conduire des actions de santé au travail. Ces actions visent à préserver la santé physique et mentale des salariés tout au long de leur parcours professionnel. Les services doivent, selon la loi, conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires à la réduction des risques professionnels, à l’amélioration des conditions de travail, à la prévention de la pénibilité, mais également à la réduction de la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail. Ils doivent aussi agir sur la désinsertion professionnelle et contribuer au maintien dans l’emploi. Il leur revient également d’assurer la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des risques, de la pénibilité et de l’âge. Enfin, ils participent à la traçabilité des expositions professionnelles, ainsi qu’à la veille sanitaire[15]. L’ensemble de ces missions s’appuie sur une approche mixte, à la fois individuelle (le suivi médical) et collective (l’action en milieu de travail), par le médecin du travail qui coordonne une équipe pluridisciplinaire. Signalons ici que, si le médecin est habilité à proposer des aménagements individuels des conditions de travail qui doivent être pris en compte par l’employeur, et que nous préciserons par la suite, il dispose également d’une obligation de signalement des situations de risque collectif qui pourra notamment être utilement exploitée en cas d’organisation du travail pathogène[16]. L’enjeu est donc bien de prévenir, entre autres risques professionnels, les situations de souffrances au travail, dans une organisation actuelle du travail qui favorise, par ses rythmes, sa densité et ses exigences une hypersollicitation psychologique et mentale… Dans ce contexte, la baisse démographique des médecins du travail en France ne peut que pénaliser le suivi des salariés qui requièrent une attention qualitative toujours plus soutenue.

Concernant le deuxième volet des préconisations de l’OCDE qui vise à éviter les licenciements motivés par un problème de santé mentale, nous avons pour dessein d’interroger dans cet exposé l’efficacité du droit français de l’(in)aptitude à atteindre cet objectif. Ce droit de l’(in)aptitude a pour vocation première le maintien en emploi des salariés dont la santé peut être notamment altérée du fait d’une maladie mentale, qu’elle soit induite ou entretenue par le travail[17]. La maladie mentale sera ici entendue comme pouvant être alternativement les risques psychosociaux, ou les troubles et handicaps mentaux indépendants du travail qui ne renvoient d’ailleurs pas nécessairement à la souffrance, dès lors que l’aptitude au poste antérieur de travail pourrait être remise en question, que ce soit par l’effet direct de la pathologie sur la personne ou par ses répercussions sur l’entourage du travailleur.

Pour ce faire, il faut examiner la façon dont la maladie peut juridiquement aboutir à remettre en cause la capacité de travail et les conséquences pour le contrat de travail et les cocontractants. C’est donc la question de l’(in)aptitude au poste de travail du salarié du fait de sa pathologie mentale qui sera en premier lieu envisagée. À travers ce cheminement, nous verrons le rôle central du médecin du travail et le fait que la question du maintien en emploi est envisagée de multiples façons (1). En second lieu, à travers l’obligation de reclassement incombant à l’employeur, nous tenterons de cerner le volontarisme du droit français pour éviter le licenciement dans ce type de situation (2). Il ne faut pourtant pas se leurrer : si l’analyse ici est centrée sur le dispositif spécifique de l’aptitude/inaptitude, la question du maintien en emploi en cas de souffrances au travail dépasse largement ce cadre dans la mesure où il faudrait y intégrer, ce qui ne fait pas l’objet de ce travail, l’ensemble des outils français du maintien en emploi concernant tant la période d’une incapacité temporaire que celle d’une incapacité définitive à occuper son précédent emploi, voire un travail de façon temporaire. Au-delà même de cette analyse ici restrictive de l’environnement juridique de l’(in)aptitude au poste de travail, peut parfois se poser la question du retrait définitif de l’emploi de certains salariés en situation d’incapacité définitive de travail, ce qui dépasse notre propos.

1 L’altération de la santé mentale et l’aptitude du salarié à occuper son poste de travail

L’action de l’employeur pour améliorer les conditions de travail se conjugue avec celle du médecin du travail qui gère notamment l’aptitude du salarié à occuper son poste, afin de prévenir les inaptitudes au poste de travail. L’avis d’aptitude est ainsi un véritable outil de concordance entre la santé et le travail (1.1) et a une certaine force d’obligation vis-à-vis de l’employeur (1.3). Toutefois, même sans avis d’aptitude à proprement parler, les avis du médecin du travail, qui peuvent aussi concerner l’aménagement des conditions de travail, doivent toujours être pris en compte par l’employeur (1.2).

1.1 L’avis d’aptitude comme outil d’adéquation entre la santé et le travail

L’avis d’aptitude au poste de travail est la décision du médecin du travail qui conclut la visite médicale. L’« aptitude » est l’adéquation entre l’état de santé du salarié à un instant « t » et les exigences physiques et mentales d’un poste de travail précisément définies. C’est l’ensemble de l’activité du médecin du travail, et notamment son action en milieu de travail, qui participe de sa connaissance des postes de travail.

Cet avis est de la compétence exclusive du médecin du travail, tout avis émanant d’un autre médecin ne pouvant être pris en compte par l’employeur[18].

Les maladies mentales peuvent justifier, même en dehors de tout arrêt de travail, une visite spontanée à l’initiative du salarié ou encore conduire l’employeur, en cas de comportement anormal, à demander une visite médicale auprès du médecin du travail.

Il existe ainsi différents types de visites médicales : les visites périodiques, les visites de reprise à l’issue d’un arrêt de travail[19], les visites à l’initiative du salarié[20], du médecin du travail ou de l’employeur. L’objectif commun de ces visites est de prévenir l’inaptitude et de favoriser le maintien en emploi, notamment par des conseils tant au salarié (par exemple relatifs aux moyens de protection) qu’à l’employeur concernant des aménagements des conditions de travail. Par ailleurs, il existe un type particulier de visite médicale qui peut avoir lieu pendant la période d’arrêt de travail, la visite de préreprise, dont l’objectif est de « préparer » la reprise du travail.

1.2 Les visites de préreprise comme outils de prévention de la désinsertion professionnelle

L’altération de la santé mentale, quelle que soit son origine, professionnelle ou non, entraîne fréquemment des arrêts de travail au cours desquels le Code du travail prévoit un dispositif ayant pour but de favoriser le maintien dans l’emploi du salarié, en envisageant précocement les éventuelles mesures à prendre pour faciliter le retour en entreprise. Il s’agit de la visite de préreprise auprès du médecin du travail[21]. Facultative pour le salarié, elle est désormais systématiquement proposée en cas d’arrêt de travail de plus de 3 mois[22]. Son but est de faciliter le retour au travail du salarié en envisageant la façon dont la reprise pourra s’effectuer et la faisabilité des mesures d’adaptation du poste de travail ou du temps de travail. En l’état actuel du droit, un avis d’aptitude ne peut pas être délivré lorsque le contrat de travail du salarié est suspendu, c’est-à-dire lorsque le salarié est en arrêt de travail. A fortiori, en visite de préreprise, aucun avis d’aptitude ne peut être émis, puisqu’une telle visite a lieu pendant l’arrêt de travail. Cependant, la réforme de la médecine du travail de 2011[23] a réaffirmé avec force le rôle du médecin du travail en matière de maintien en emploi des salariés. À ce titre, cette réforme a précisé qu’au cours de la visite médicale de préreprise, donc en période d’arrêt de travail, les préconisations du médecin du travail doivent être rigoureusement prises au sérieux par l’employeur qui doit y donner une suite. Ainsi, et alors même que le médecin du travail n’émet pas à proprement parler un avis d’aptitude, l’employeur est tenu de prendre en compte, lorsque le salarié reviendra en entreprise, les recommandations concernant un aménagement de poste, un reclassement ou une formation professionnelle[24].

Lors de la visite de reprise qui aura lieu ensuite, le médecin du travail pourra examiner les propositions d’aménagement, d’adaptation de poste ou de reclassement qui auront été faites par l’employeur à la suite de ses préconisations émises lors de l’éventuelle visite de préreprise[25]. Si la visite de préreprise n’a pas eu lieu, ce sera l’occasion pour le médecin du travail de délivrer un avis d’aptitude médicale du salarié à reprendre son poste antérieur et de conseiller un aménagement ou une adaptation du poste du salarié.

1.3 L’opposabilité de l’avis du médecin du travail dans le cadre de la procédure d’aptitude

L’avis médical, quel qu’il soit, s’impose non seulement à l’employeur mais aussi au salarié, en l’absence de recours[26], qu’il s’agisse d’un avis d’aptitude avec ou sans réserve ou d’un avis assorti d’une demande d’aménagement des conditions de travail.

La décision médicale va conditionner le devenir du salarié à son poste de travail, de même qu’elle va déclencher une série d’obligations de la part de l’employeur. En effet, l’article L. 4624-1 du Code du travail précise :

Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs. L’employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite.

C’est ici le lieu d’ajouter qu’une obligation permanente d’adaptation est, par ailleurs, expressément prévue par la loi en ce qui concerne les salariés handicapés (statut qui peut être singulièrement justifié par une pathologie mentale). Il est, en effet, prévu par l’article L. 5213-6 du Code du travail que, pour garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés, l’employeur prend en fonction des besoins dans une situation concrète les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs handicapés de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.

Les stratégies de maintien en emploi en cas de pathologie mentale portent sur plusieurs aspects : la mise en oeuvre de solutions relatives à la personne (bilan de compétence, formation, admission en invalidité, réduction du temps de travail…) ou celle de solutions relatives à l’environnement du travail (aménagement du poste de travail, parfois des cadences et des tâches effectuées, parfois de l’environnement humain et matériel de travail, aménagement du temps de travail). Certains de ces aménagements peuvent être pris en tout ou partie financièrement par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées[27] si la personne bénéficie du statut de travailleur handicapé. Le plus important est sans doute que ces stratégies puissent intervenir suffisamment tôt dans l’installation de la pathologie mentale au risque de ne plus pouvoir, ensuite, être suffisantes pour maintenir le salarié à son poste de travail.

Les juges veillent strictement à ce que l’employeur suive les préconisations du médecin du travail et ils le sanctionnent pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, donc abusif, lorsque cela n’a pas été le cas[28]. Un avis d’aptitude, même avec des réserves médicales, interdit à l’employeur de mettre fin au contrat tout en l’obligeant à adapter le poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail.

Le droit du travail incite ainsi fortement au maintien en emploi des salariés, notamment en situation de souffrance mentale, et ce, d’autant plus que le médecin du travail et son équipe sont intervenus. En regard, un salarié qui n’aurait pas fait connaître sa situation auprès du médecin du travail pourrait davantage mettre en péril la pérennité de son emploi. Ceci en effet, parce que l’employeur ne pouvant empiéter sur sa vie privée (et donc ignorant de sa situation de santé et n’ayant pas le droit de s’en enquérir) pourrait le sanctionner, voire le licencier, pour absence prolongée et désorganisation de l’entreprise ou encore insuffisance de résultat. Ces motifs pouvant apparaître comme apparemment déconnectés de l’état de santé du salarié alors qu’il n’en est en réalité rien. Cela démontre combien le médecin du travail et son équipe doivent être les interlocuteurs essentiels, précoces et incontournables en cas d’altération de la santé, en particulier mentale parce que souvent « invisible ».

La graduation des avis à être émis par le médecin du travail, allant de l’aptitude sans ou avec réserves, illustre bien que, avant d’envisager une inaptitude[29], le médecin du travail tente toujours le maintien au poste initial par le biais, le plus souvent, d’un avis d’aptitude avec aménagement des conditions matérielles ou organisationnelles de travail, ces dernières n’étant pas toujours aisées à mettre en oeuvre même si ce sont souvent elles qui sont à l’origine des risques psychosociaux. L’inaptitude, quant à elle, ne peut être constatée qu’après étude du poste de travail et des conditions de travail et à la suite de deux examens médicaux espacés de 15 jours, sauf danger immédiat pour la santé ou la sécurité du salarié[30]. Ce n’est que lors du second examen que le médecin du travail se prononce définitivement sur l’aptitude ou l’inaptitude du salarié et formule à cette occasion des propositions afin de reclasser le salarié.

Revenons quelques instants sur la notion de « danger immédiat ». Il s’agit d’une procédure dérogatoire à la progressivité habituelle d’une décision d’inaptitude qui se fait habituellement en deux visites. Cette procédure dérogatoire est particulièrement souvent utilisée en cas de souffrances dues au travail, dans la mesure où elle permet le retrait immédiat d’un salarié d’une situation de travail pouvant aggraver sa pathologie et où le maintien au poste, même 15 jours, pourrait être délétère pour lui. Un tel avis doit cependant être aussi accompagné des précisions du médecin du travail concernant les capacités de travail restantes du salarié. S’il appartient au médecin de circonscrire le périmètre d’un éventuel reclassement, en revanche, l’employeur sera quand même dans l’obligation de lui proposer au sein de sa structure une solution de reclassement. Cette dernière éventualité, souvent rejetée par le salarié inapte à la suite d’une souffrance au travail, devra néanmoins être étudiée avec attention par lui dans la mesure où ce refus le conduirait à rester sans revenu à l’issue de ses périodes d’arrêt maladie, sauf à bénéficier d’une reconnaissance en invalidité[31], soumise elle-même à l’aval de l’organisme d’assurance sociale et à des cotisations antérieures suffisantes.

L’état de santé en particulier mental du salarié peut donc avoir une incidence sur son maintien au poste de travail et donc son contrat de travail. Si une inaptitude médicale au travail est constatée par le médecin du travail, des solutions seront recherchées pour concilier santé et emploi. Ainsi, le médecin du travail accompagne obligatoirement tout avis d’inaptitude de propositions concernant la mutation ou la transformation de poste, justifiées notamment par l’âge, la résistance physique ou l’état de santé du salarié. Par contre, ce ne peut être le médecin du travail qui peut imposer unilatéralement un reclassement en cas d’inaptitude puisqu’il s’agit là d’une obligation qui incombe à l’employeur. Il faut dès lors préciser en quoi le droit positif impose à l’employeur de maintenir en emploi un salarié devenu inapte du fait de sa pathologie mentale.

2 Les obligations de l’employeur en vue d’optimiser le maintien en emploi en cas d’inaptitude

En dehors des mesures propres à prévenir au fur et à mesure l’inaptitude professionnelle en raison de l’état de santé, il existe des dispositifs juridiques destinés directement à protéger ou à maintenir l’emploi des personnes vulnérables en raison de l’altération de leur santé et de leur inaptitude avérée. Le premier consiste à interdire la rupture du contrat en raison de l’état de santé du salarié (2.1), le second réside dans l’obligation de reclassement (2.2).

2.1 L’interdiction du licenciement en raison de l’état de santé du salarié et ses conséquences

En l’état actuel de l’article L. 1132-1 du Code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge, de son état de santé ou de son handicap.

La maladie et l’accident, professionnels ou non, du salarié étant une cause de suspension du contrat de travail, il en résulte que l’absence au travail du salarié consécutivement à la maladie ou à l’accident ne peut être en soi un motif valable de rupture et que toute rupture à raison de ce seul motif est une rupture en raison de l’état de santé du salarié[32], et donc nulle par application de l’article L. 1132-4 du Code du travail[33], ce qui ouvre droit pour le salarié à sa réintégration.

Par assimilation, la jurisprudence considère donc comme prononcé en raison de son état de santé, et comme tel nul, le licenciement d’un salarié pour inaptitude sans que l’inaptitude de ce salarié ait été déclarée conformément aux exigences légales, à savoir deux visites médicales à 15 jours d’intervalle[34].

Mais n’est pas un licenciement à raison de l’état de santé le licenciement prononcé pendant une période de suspension pour un motif non lié à l’accident ou à la maladie de sorte que demeure possible (licite) le licenciement du salarié pour une cause réelle et sérieuse étrangère à la maladie si du moins, s’agissant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail, le licenciement est justifié par une faute grave de l’intéressé ou l’impossibilité pour l’employeur de maintenir le contrat de travail[35]. Cette impossibilité peut, par exemple, résulter d’un arrêt de production de l’usine[36].

Par ailleurs, en vertu d’une jurisprudence constante, il est admis que l’interdiction du licenciement d’un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap ne s’oppose pas à son licenciement motivé, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées de l’intéressé, sous réserve toutefois que ces perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif[37].

Enfin, le licenciement du salarié en raison de son inaptitude physique, donc pour raison de santé, demeure possible[38] lorsque l’inaptitude a été constatée régulièrement par le médecin du travail[39] à condition, comme il sera vu ci-après, que l’employeur justifie d’une impossibilité de reclassement du salarié ou d’un refus par celui-ci des postes de reclassement proposés.

L’ensemble de ces dispositions montre bien, qu’en elles-mêmes, les pathologies mentales ne peuvent entraîner le licenciement. Néanmoins, un licenciement peut avoir indirectement pour cause une telle altération de la santé, notamment parce que l’obligation de reclassement comporte des faiblesses, particulièrement dans le contexte de ces pathologies.

2.2 L’obligation de reclassement

Des mesures d’accompagnement sont prévues, à l’endroit des personnes devenues handicapées ou déclarées inaptes à leur emploi par le médecin du travail, de telle manière que, même si ces personnes sont handicapées ou inaptes à leur emploi, leur licenciement ne soit en toute hypothèse envisagé qu’après échec ou impossibilité de mesures alternatives destinées à les maintenir dans un emploi, tel qu’un reclassement.

S’agissant des travailleurs handicapés, la loi prévoit que tout travailleur handicapé peut bénéficier d’une réadaptation, d’une rééducation ou d’une formation professionnelle[40] et que tout établissement ou groupe d’établissements appartenant à une même activité professionnelle de plus de 5 000 salariés assure, après avis médical, le réentraînement au travail et la rééducation professionnelle de ses salariés malades et blessés en vertu de l’article L. 5213-5 du Code du travail. Sur le fondement de ce dernier texte, la Cour de cassation a décidé que, « si le manquement de l’employeur à l’obligation prévue à l’article [L. 5213-5] du Code du travail ne pouvait affecter le licenciement, il était susceptible de causer au salarié un préjudice que le juge devait réparer[41] ».

S’agissant des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’ils occupaient précédemment, la loi prévoit qu’ils ne peuvent être licenciés à raison de leur inaptitude, quelle que soit l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude, que pour autant que l’employeur justifie soit qu’il a été dans l’impossibilité de leur proposer un emploi approprié à leurs capacités, compte tenu des indications formulées par le médecin du travail, soit du refus par les salariés de l’emploi ou des emplois proposés[42].

Il convient ainsi de délimiter les sources et difficultés de cette obligation de reclassement (2.2.1), ses contours (2.2.2) ainsi que ses limites (2.2.3), tout particulièrement en cas de pathologie mentale.

2.2.1 Les sources et les difficultés de l’obligation de reclassement

L’obligation de reclassement est aujourd’hui analysée comme une obligation contractuelle essentielle, au même titre que la fourniture de travail[43] ou la rémunération. Elle est surtout une obligation légale depuis 1981[44] pour les inaptitudes d’origine professionnelle, et depuis 1992[45] pour les inaptitudes d’origine non professionnelle. Le chemin parcouru depuis l’époque où l’inaptitude médicale constituait un cas de force majeure justifiant la rupture du contrat par l’employeur, sans indemnité ni même respect d’une quelconque procédure est considérable. M. Gosselin[46], dans son rapport[47], juge ainsi que l’obligation de reclassement s’inscrit dans un véritable droit au maintien à l’emploi.

Pour autant, le doute subsiste sur la force de cette obligation et ses contours mériteraient d’être davantage précisés ainsi que sur son utilité/efficacité en matière de souffrance au travail. En effet, un important contentieux s’est développé à propos des limites que recèle cette obligation, surtout en cas d’inaptitude pour pathologie mentale. Sans doute ce contentieux est-il alimenté à la fois par l’ambiguïté même de cette obligation qui constitue la jonction entre la protection du droit à la santé du travailleur et la protection de son emploi, mais aussi par la difficulté de sa mise en oeuvre. En effet, concilier le droit au travail et le droit à la santé est parfois impossible en restant dans la même entreprise, lorsque la santé mentale est altérée du fait de l’organisation du travail propre à l’emploi précédemment occupé. Mais, singulièrement dans ces cas de souffrances dues à l’organisation du travail, le reclassement peut être ardu à mettre en oeuvre parce qu’il ne nécessite pas seulement un changement de poste, mais exigerait parfois une véritable restructuration organisationnelle pour permettre le maintien en emploi dans l’entreprise. Ces difficultés semblent particulièrement évidentes lorsque l’entreprise est de taille réduite.

Il faut préciser que, en cas de souffrances dues au travail, il est conseillé au médecin du travail français de rédiger son avis d’inaptitude avec une formule consacrée, mais cependant polémique, qui a pour ambition de préserver les chances du salarié de retrouver un autre emploi, mais qui complique la recherche de solution par l’employeur initial. Cet avis est ainsi formulé : « Salarié inapte à son poste antérieur mais apte à un poste similaire dans un environnement différent. » On le comprend, en cas de licenciement, ce salarié aura davantage de chances de retrouver un emploi similaire avec un avis d’aptitude à ce poste qu’avec un avis d’inaptitude (un futur employeur ayant le droit de demander la dernière fiche d’(in)aptitude du salarié qu’il veut embaucher). Mais dans la démarche de recherche d’une solution de reclassement par l’employeur initial, la définition d’un « environnement différent » est pour le moins floue. En effet, si les capacités restantes (que le médecin est obligé d’associer à un avis d’inaptitude) consistent à pouvoir occuper un même poste mais « dans un environnement différent », formule consacrée en la matière, la recherche d’une solution de reclassement est particulièrement délicate en matière de maladie mentale, dès lors que celle-ci trouve sa source dans l’organisation du travail (environnement) dont il faut soustraire le salarié. Or, les juges, dans un objectif de maintien en emploi, sont très exigeants en matière de reclassement et cette formulation, ou tout autre avis du médecin du travail imprécis ou incomplet, n’exonère pas l’employeur de devoir proposer à son salarié une proposition de reclassement acceptable.

La question sous-jacente devient donc réellement pertinente : le droit de l’inaptitude et le droit de l’obligation de reclassement assortie de sa jurisprudence foisonnante ont-ils un rôle réellement préventif des licenciements face à une inaptitude médicale ?

Il n’est pas inutile de délimiter l’actuel champ de l’obligation de reclassement. Les précisions apportées progressivement par les juges contribuent à renforcer cette obligation qui a pour vocation de favoriser le maintien du lien d’emploi du salarié en situation d’inaptitude.

2.2.2 Les contours de l’obligation de reclassement

La lettre du droit est sans équivoque : si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à occuper le poste pour lequel il a été embauché, l’employeur est tenu de lui proposer un autre emploi. Selon le Code du travail, cet autre emploi doit être approprié à ses capacités :

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail[48].

Si le salarié n’est pas reclassé dans l’entreprise à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail ou s’il n’est pas licencié, l’employeur est tenu de verser à l’intéressé, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s’appliquent également aux salariés en contrat à durée déterminée.

La jurisprudence interprète très rigoureusement cette obligation de reclassement du salarié déclaré inapte avant licenciement en lui donnant une étendue très large. Ainsi décide-t-elle :

  • tout d’abord, que cette obligation pèse sur l’employeur même en situation d’invalidité ou d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise[49], selon l’avis du médecin du travail, puisque ce n’est pas lui qui doit rechercher une solution de reclassement et qu’il ne peut être à même d’entrevoir l’ensemble des solutions possibles au sein du groupe, par exemple ;

  • que le classement d’un salarié en invalidité deuxième catégorie par la sécurité sociale, qui obéit à une finalité distincte et relève d’un régime juridique différent, est sans incidence sur l’obligation de reclassement du salarié inapte qui incombe à l’employeur par application des dispositions du Code du travail[50] ;

  • que la recherche d’une solution de reclassement doit se faire sur la double base des propositions du médecin du travail et d’une solution qui soit, en priorité, aussi comparable que possible en statut et en rémunération que la situation professionnelle antérieure du salarié. Cela signifie d’abord qu’en aucun cas l’employeur ne peut se retrancher derrière l’imprécision ou l’ambiguïté d’un avis du médecin du travail pour justifier de s’acquitter de l’absence de reclassement. Cela signifie ensuite que l’employeur a toute latitude pour proposer au salarié toute solution, y compris en modifiant son contrat de travail s’il ne peut proposer un poste comparable au poste antérieur. Il appartient donc à l’employeur, si nécessaire, d’envisager la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail[51].

D’une manière générale, il résulte de la jurisprudence que, dans l’exécution de son obligation de reclassement du salarié, l’employeur doit tout mettre en oeuvre pour préserver, sinon l’emploi du salarié auquel il est devenu inapte, du moins un emploi pour le salarié.

Une récente loi a du reste encore élargi l’étendue de l’obligation de reclassement de l’employeur en lui donnant davantage de consistance, en prévoyant que désormais, dans les entreprises de 50 salariés et plus, le médecin du travail dans les indications qu’il formule relativement au reclassement du salarié inapte se prononce également sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation destinée à lui proposer un poste adapté[52]. Sous réserve de l’interprétation du texte qui sera donnée par la jurisprudence, l’obligation de reclassement pourrait donc inclure à l’avenir une formation de base du salarié afin de faciliter sa reconversion professionnelle au sein de l’entreprise et d’éviter ainsi son licenciement.

Le périmètre de cette obligation de reclassement a ainsi été constamment étendu et dépasse désormais l’entreprise puisque la recherche d’un reclassement doit être étudiée dans le cadre du groupe auquel appartient l’entreprise, y compris jusqu’à la société mère située à l’étranger[53].

S’il n’existe pas, en matière d’obligation de reclassement, d’obligation de résultat[54], en revanche, il existe une obligation de moyen renforcée dont il revient à l’employeur le devoir d’établir la réalité et le sérieux de ses recherches. Est donc sans cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé par un employeur qui n’apporte aucun élément pour établir ses tentatives de reclassement[55]. Il doit ainsi justifier la réalité des efforts déployés pour parvenir au reclassement et, notamment, les démarches entreprises pour envisager des adaptations ou des transformations de postes de travail ou encore un aménagement du temps de travail[56]. Il doit rapporter des preuves concrètes et vérifiables (liste des postes correspondant aux restrictions du médecin du travail, liste des postes éventuellement disponibles ou déjà pourvus, structure et nature des effectifs[57], etc.) à l’appui de ses allégations selon lesquelles le reclassement s’est révélé impossible et ne peut se contenter d’affirmations en ce sens[58]. En tout état de cause, il faut évidemment garder la trace et la mémoire écrite des démarches effectuées.

Une démarche de reclassement classique peut s’appuyer sur un aménagement ergonomique du poste de travail (architecture du poste de travail, port de charges, ambiances lumineuses, thermiques, sonores, substitution de produits dangereux …). Mais, en cas de reclassement face à une inaptitude pour souffrance au travail, il faudra envisager de modifier l’organisation du travail, y compris sur un plan collectif, ce qui peut être complexe à réaliser, et il est, dans ce cas, encore plus difficile de démontrer les efforts effectués.

Si le juge estime que l’obligation de reclassement n’a pas été respectée, le licenciement sera qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse. La violation par l’employeur de son obligation de reclassement sera ainsi retenue lorsque l’employeur ne sollicite pas du médecin du travail des propositions de reclassement, lorsqu’il ne tient pas compte de ces propositions ou qu’il ne peut démontrer l’existence d’une recherche sérieuse d’un poste de reclassement. Par ailleurs, si la proposition de reclassement n’est pas conforme aux préconisations du médecin du travail, ou encore si la proposition est floue ou non comparable au statut antérieur de l’intéressé, sans justification, cette obligation sera considérée comme non remplie.

Les conséquences de la violation de l’obligation de reclassement diffèrent selon que l’on se situe en situation d’inaptitude consécutive à une lésion professionnelle ou non. Lorsque l’inaptitude ne résulte pas d’une lésion professionnelle, des dommages et intérêts viendront s’ajouter aux indemnités légales de licenciement ainsi qu’à l’indemnité compensatrice de préavis[59]. Lorsque l’origine de l’inaptitude est une lésion professionnelle, une indemnité au moins égale à 12 mois de salaire est due, en plus des indemnités spéciales alors prévues[60] et de l’indemnité compensatrice de préavis.

2.2.3 Les limites de l’obligation de reclassement

Le caractère très technique et fragmentaire des différentes indications apportées par la jurisprudence de la Cour de cassation sur les contours de l’obligation de reclassement ne parvient pas à suffisamment préciser les limites de cette obligation ni à en dégager des principes directement opérationnels pour les différents acteurs en cause. Or, il est incontestable que quelques clés pourraient éclairer utilement les employeurs afin de limiter le contentieux tout en rendant réellement effective cette obligation. Car, il faut bien avouer aujourd’hui que certains employeurs peuvent adroitement démontrer qu’ils ont bien rempli cette obligation sans avoir jamais fait le moindre effort réel de reclassement mais simplement en alignant des éléments de formes pouvant leurrer les juges. Par ailleurs, d’autres employeurs ayant réellement tenté de reclasser leurs salariés se voient sanctionner par les tribunaux faute d’avoir jalonné leur démarche de preuves suffisantes ou parce que leur action n’a pas été admise par les juges comme sérieuse et loyale. Cela justifie de bien souligner les limites des exigences actuelles tout en précisant leurs effets pervers sur la volonté de limiter les licenciements. Ajoutons à cela la formulation absconse de l’inaptitude en cas de souffrance mentale au travail, et nous pouvons mesurer la difficulté de conjuguer les principes contractuels au droit pour le salarié de préserver son emploi en cas de pathologie mentale due ou aggravée par le travail. Le maintien en emploi de ces personnes paraît d’autant plus délicat que cette situation incite les personnes à fuir leur environnement de travail et non à s’impliquer pleinement dans le processus de reclassement qui, bien souvent et au demeurant, les exclut[61].

Conclusion

En conclusion, « la possibilité de rompre le contrat de travail “pour inaptitude médicale” reste étroitement bornée par l’interdiction des discriminations fondées sur l’état de santé et par le nécessaire respect par l’employeur de son obligation de rechercher le reclassement du salarié[62] ». Pour autant, l’impossibilité de reclassement permet à l’employeur de licencier son salarié inapte, ce qui conduit alors, lorsque « l’inaptitude est médicalement constatée[63] », à écarter la notion de discrimination. Ceci revient à dire que, si un handicap et un état de santé en tant que tels ne peuvent donc être pris en considération par l’employeur à des fins de licenciement[64], les effets de l’état de santé (notamment l’impossibilité d’exécution du contrat de travail) peuvent justifier une éventuelle rupture de la relation contractuelle. Néanmoins, le professeur Verkindt a insisté sur le « caractère subsidiaire du licenciement », qui ne peut intervenir qu’à partir du moment où la recherche d’une solution de reclassement a échoué[65]. Au demeurant, parfois, les salariés victimes de souffrance au travail ne peuvent ni ne doivent être maintenus dans l’entreprise, car cela pourrait mettre leur vie en danger. Dans ces cas-là, il ne reste que la démission ou le licenciement comme seules solutions possibles, en sachant qu’une démission ne donne pas droit aux indemnités de chômage, ce qui entraîne une situation très précaire pour le démissionnaire. Dans les deux cas cependant, le contrat de travail étant rompu, le médecin du travail n’est plus l’interlocuteur qui peut suivre ces salariés dont la santé a été fragilisée, qui se trouvent donc bien démunis pour tenter de réintégrer le monde du travail une fois leur état de santé consolidé.