Volume 53, Number 2, June 2012
Table of contents (10 articles)
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Médiation, justice et droit : un mélange hétéroclite
Sylvette Guillemard
pp. 189–228
AbstractFR:
Pour diverses raisons, les citoyens semblent de plus en plus invités à régler leurs différends non plus par le biais de recours devant les tribunaux étatiques mais par la médiation. Ce processus par lequel ils sont accompagnés par un tiers dans leurs échanges, leur négociation, est utilisé aussi bien en matière familiale que dans le domaine civil et commercial. S’en tenant à ce dernier registre, l’auteure du présent article se penche sur ce mode de résolution des différends tant dans sa version extrajudiciaire que sous sa forme de conférence de règlement à l’amiable, également appelée « médiation judiciaire ».
Le discours officiel sur la médiation, en particulier celui tenu dans l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile qui propose un livre entier sur les modes de prévention et de résolution des différends, en fait un élément de la justice. Il rejoint en cela les propos de ceux qui font la promotion de la médiation et qui voient en elle un nouveau chemin vers la justice. L’auteure estime que cette assimilation ne repose sur aucun fondement solide et s’éloigne même plutôt de la raison d’être du processus et du choix que font les citoyens de l’utiliser. Sa seule vertu est peut-être de rendre plus prestigieuse l’incitation à délaisser le système judiciaire traditionnel. En outre, l’auteure dénonce une certaine ambiguïté que d’aucuns entretiennent en ce qui concerne les rapports entre la médiation et le droit.
En somme, l’auteure propose de prendre la médiation pour ce qu’elle est, ni cousine du judiciaire ni parente du juridique. En quelque sorte autonome, elle constitue un excellent moyen de rétablir des relations qui se sont dégradées. La considérer et la traiter autrement ne la sert pas et risque au contraire d’en éloigner les citoyens.
EN:
For a host of reasons, the general public seems to be increasingly drawn to settling differences less and less by taking their issues to courts of law, while progressively resorting to mediation for settlement. In favouring the latter, they are accompanied in their dealings by a third party and such negotiations are found as often in family matters as in civil and commercial undertakings. This paper explores civil and commercial applications in which the author surveys the means for settling differences both within an extra-judicial context as well as for out-of-court settlements, also referred to as extra-judicial mediation.
Official discourse on mediation, especially as found in the Draft Bill to enact the new Code of Civil Procedure in which an entire book dealing with means of prevention and resolving disputes is presented, thereby making it a part of the judicial process. As such, it joins with those who promote mediation and therein see a new path leading to justice. The author deems that this assimilation does not rest upon any solid footing and in fact moves away from the very basis of the process and choice that the general public exercises in resorting to it. Its only virtue lies perhaps in making more prestigious the incentive of abandoning the traditional system of justice. Moreover, the author speaks out against an undefined ambiguity that some proponents maintain with regard to relations between mediation and the law.
All in all, the author suggests accepting mediation for what it is : neither a close relationship with the judiciary, nor a predecessor of the law per se. In some ways it is an autonomous entity that constitutes an excellent means for restoring damaged relations. Considering and treating it otherwise serves no useful purpose and on the contrary, runs the risk of alienating the general public.
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La Cour du Québec et la justice administrative
Patrice Garant
pp. 229–256
AbstractFR:
La Cour du Québec est aujourd’hui une juridiction impressionnante par l’ampleur et la diversité de ses attributions en matière tant civile que criminelle et pénale, mais aussi dans des matières de droit administratif ou qui ont un aspect de droit administratif. Quelle est la vocation véritable de cette cour ? Récemment une division administrative et d’appel a été créée. Il y a une controverse au sujet de la signification de l’appel à cette cour civile qui n’est pas une cour supérieure… Il y a eu plusieurs tournants décisifs dans l’histoire contemporaine de cette cour. En 1965, la jurisprudence a permis un élargissement considérable de sa juridiction civile, ce qui a inclus des matières comme les contrats administratifs ou la responsabilité civile de l’Administration. Par contre, en 1972 la Cour suprême du Canada a amputé la Cour du Québec d’une de ses attributions traditionnelles en droit municipal, soit la contestation des règlements municipaux pour cause d’illégalité. Le rôle spécifique de la Cour du Québec comme instance d’appel en droit administratif a été étudié dans le rapport Dussault en 1970, le livre blanc de 1975, le rapport Ouellette en 1987 et le rapport Garant en 1994. Au cours de la décennie 70, le législateur continuera de créer des droits d’appel à la Cour, mais surtout il crée d’importants tribunaux administratifs d’appel, tels que le Tribunal du travail, le Tribunal des transports ou le Tribunal des professions où il fait siéger les juges de la Cour. La Cour est devenue la plus imposante institution judiciaire au Québec : 270 postes de juges réguliers et 33 postes de juges de paix magistrats. Depuis les années 60, la Cour a bénéficié d’un parti pris très favorable de la part du législateur québécois. En 1996-1997, la Cour a été amputée de certaines juridictions d’appel au profit du Tribunal administratif du Québec, mais elle est restée un important tribunal d’appel dans des domaines variés : expropriation, impôt sur le revenu, fiscalité municipale, contentieux électoral, territoire agricole, déontologie policière, logement, accès à l’information… ; elle entend des contestations provenant de plusieurs tribunaux administratifs. Or la grande question de l’heure est de préciser la portée de ce contrôle judiciaire par comparaison avec celui de la Cour supérieure…
EN:
The Court of Quebec today is an impressive institution in terms of the range and variety of its areas of responsibility in both civil and criminal matters, and also in administrative law and related matters. What is the true vocation of this Court ? Recently an Administrative and Appellate Division was created. The significance of appeals to the Court of Québec is a controversial topic, since it is not a superior court. There have been several decisive turning-points in the contemporary history of the Court. In 1965, the Supreme Court allowed a significant expansion of its civil jurisdiction to include, for example, administrative contracts and the civil liability of the Public Administration. On the other hand, in 1972 the Supreme Court deprived the Court of one of its traditional responsibilities in the field of municipal law, namely challenges to municipal by-laws on grounds of illegality. The specific role of the Court as the court of appeal for administrative law was studied in the Dussault Report in 1970, the White Paper of 1975, the Ouellette Report of 1987 and the Garant Report in 1994. During the 1970s, the Legislature continued to multiply rights of appeal to the Court, while setting up several key administrative appeal tribunals such as the Labour Court, the Transport Tribunal and the Professions Tribunal, to which it appointed judges of the Court. The Court has become the largest judicial institution in Quebec, with 270 regular judges and 33 justices of the peace. Since the 1960s, the Court has enjoyed the favour of the Quebec Legislature. However in 1996-97, the Court lost certain appeal responsibilities to the Administrative Tribunal of Québec, but remained an important appeal tribunal in a variety of fields, including expropriation, income tax, municipal taxation, electoral disputes, agricultural land protection, police ethics, housing, and access to information. The Court also hears appeals from several administrative tribunals. However, the key question here is to clarify the scope of the judicial review exercised by the Quebec Court as compared to that exercised by the Superior Court…
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L’intégration des objectifs économiques et sociaux dans l’appréciation de l’exception d’efficience
Karounga Diawara
pp. 257–302
AbstractFR:
Si, dans son principe, l’exception d’efficience semble simple, puisqu’elle prévoit une mise en balance entre les effets anticoncurrentiels, d’une part, et les gains en efficience, d’autre part, sa mise en oeuvre présente néanmoins plusieurs difficultés, dont la plus importante consiste en l’équilibrage et en la pondération entre les gains en efficience et les effets anticoncurrentiels. En effet, cet équilibrage des gains en efficience et des effets anticoncurrentiels doit fondamentalement tenir compte de tous les objectifs de nature économique et sociale poursuivis par le droit canadien de la concurrence. Dès lors, la question principale que suscite cette étude est de savoir comment faudrait-il concilier les objectifs de nature économique et sociale dans l’interprétation de l’exception d’efficience ?
Cette étude explore ainsi la possibilité de la réception de normes de nature sociale au sein du droit de la concurrence qui, par ses objets, est caractérisé par une forte prégnance économique. Elle a pour objet de montrer à travers l’appréciation de l’exception d’efficience qu’une conciliation des objectifs en apparence contradictoires de nature sociale et économique est possible et souhaitable. À cet effet, le critère d’équilibrage des gains en efficience et des effets anticoncurrentiels, qui concilie et intègre le mieux les objectifs économiques et sociaux dans l’appréciation de la balance d’efficience, semble être le critère du surplus modéré du consommateur que nous proposons dans la seconde partie de l’étude.
EN:
The efficiency exception, when examined from the standpoint of its principle, appears elementary since it provides equilibrium between anti-competitive effects on the one hand and efficiency gains on the other. Yet the implementation of this exception raises several difficulties the most important of which consists in balancing and stabilizing efficiency gains when traded off against anti-competitive effects. Indeed, this balancing of gains and effects must at its very basis take into account all economic and social objectives pursued by Canadian statutes governing competition. From the outset, the primary question that this survey addresses is to know how one should conciliate economic and social objectives when interpreting an efficiency exception.
This survey therefore explores the possibility of integrating standards that are social in nature into law governing marketplace competition which, by its very nature, is characterized by forceful economic bearing. Its purpose is to demonstrate via an appreciation of the efficiency exception how a reconciliation of apparently contradictory, social and economic objectives is possible and desirable. In pursuing this end, the criteria of balancing efficiency gains and anti-competitive effects that reconcile and best integrate the economic and social objectives in appreciating the efficiency equilibrium seems to envelop the criterion of moderated consumer surplus that we propose in the second part of this survey.
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La Loi sur le transfert des valeurs mobilières et l’obtention des titres intermédiés ou les excès d’un régime d’exception en matière de sûretés mobilières
Aurore Benadiba
pp. 303–348
AbstractFR:
La Loi sur le transfert des valeurs mobilières et l’obtention des titres intermédiés a opéré d’importants changements en matière de droit des sûretés mobilières. Elle a créé de toutes pièces un régime dérogatoire au droit commun en prévoyant un gage par maîtrise. Cette loi a ajouté de nouvelles dispositions dans le Code civil du Québec. Le présent article pose un regard critique sur l’ensemble de ces nouvelles dispositions puisque les règles traditionnelles de constitution et d’opposabilité du gage sont remises en cause. D’une part, la remise matérielle du bien ou du titre est remplacée par le concept de maîtrise des valeurs mobilières et des titres intermédiés. D’autre part, la règle de l’ordre temporel des créanciers munis de sûretés est écartée. Le gage par maîtrise a préséance sur les autres gages ou hypothèques sans dépossession constituées sur les mêmes valeurs mobilières et titres intermédiés. L’auteure propose d’analyser cette transformation, qu’elle juge inquiétante, du concept classique du contrat de gage. Elle décrira également les incohérences et les incertitudes juridiques causées par l’application d’un tel régime dérogatoire sur l’ensemble du droit des sûretés mobilières au Québec.
EN:
The Act respecting the transfer of securities and the establishment of security entitlements (hereinafter the “TSESE”) has brought about substantial changes in the law governing the establishment of security entitlements. It has indeed created a regime overriding the ordinary rule of law by making a provision for controlling pledges. The TSESE has introduced new provisions into the Civil Code of Québec. This article proposes a critical view of these provisions since the traditional rules governing the collateralization or opposability of the pledge are now questioned. On the one hand, the substantial delivery of the property or title is replaced by the concept of controlling securities and intermediated titles. While on the other, the time-dependant rule of creditors holding pledges is set aside. The controlling pledge takes precedence over other pledges or hypothecs without dispossession based upon the same securities and intermediated titles. We shall attempt to analyze this transformation — that we deem to be problematical — as regards the classical concept of the pledge. We shall also describe the legal incoherencies and uncertainties brought about by applying such a regime overriding the entirety of Québec personal property security law.
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De l’équité dans l’office du juge en Chine contemporaine
Jianhua Zhou
pp. 349–381
AbstractFR:
L’équité dans l’office du juge est un principe modérateur du droit objectif selon lequel le juge apporte des atténuations ou des modifications au droit, à la loi, en considération de circonstances particulières, afin de donner à chacune des parties un traitement juste, égalitaire et raisonnable. En Chine contemporaine, la fragilité du droit chinois et l’activisme judiciaire permettent une grande liberté à cet égard. Ainsi, la Cour suprême populaire a un pouvoir « réglementaire » pour édicter de nombreuses circulaires interprétatives ; récemment, elle a conçu un autre moyen pour introduire l’équité par établissement d’un système d’arrêts directifs, système qui constitue pour ainsi dire la jurisprudence « chinoise ». Quant aux juges, fréquemment aux prises avec d’autres pouvoirs et les justiciables, ils introduisent délicatement l’équité dans leur pouvoir modérateur afin de bien jouer un rôle de coordonnateur dans la communauté.
EN:
Equity, as it applies to the office of judge, is a moderating principle of objective law that allows judges to attenuate or make adjustments to the application of the law, in consideration of special circumstances, to ensure that each party receives fair, equal and reasonable treatment. In contemporary China, the fragile state of Chinese law and the active role played by judges provides many opportunities for equity. The Supreme Court has a « regulatory » power to enact many interpretative circulars ; recently, it has developed another way of introducing equity by establishing a system of directive rulings — "Chinese" jurisprudence. Judges often deal with conflicts between other authorities and individuals, and are gradually introducing equity into their moderative approach in order to take on the role of coordinator in the community.
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Le Cachemire : peuple sans État ?
Pallavi Kishore
pp. 383–416
AbstractFR:
Le Cachemire, terre ancienne, est aujourd’hui la pomme de discorde entre l’Inde et le Pakistan. Cette dispute a commencé après la partition de l’Inde en 1947 quand le Cachemire était un État princier. Suite à une guerre entre l’Inde et le Pakistan, le Cachemire est divisé entre les deux belligérants. Depuis, chaque pays réclame le Cachemire entier. Il y a aussi des voix indépendantistes qui voudraient un Cachemire indépendant. Mais l’histoire de ce différend n’est pas aussi simple, car les deux pays ont des capacités nucléaires. D’ailleurs, les Cachemiris sont soumis aux violences des terroristes instrumentalisés par le Pakistan et aux exactions des forces de sécurité indiennes. Maintes tentatives de résolution de cette question ont échoué, mais les deux voisins continuent à faire des efforts pour la résoudre.
Cet article va examiner les thèses des différents acteurs dans ce conflit que sont non seulement l’Inde, le Pakistan et les Cachemiris mais aussi l’Organisation des Nations Unies. Nous montrerons que le principe de l’autodétermination des peuples se heurte au principe de la souveraineté des États.
EN:
The ancient land of Kashmir remains a bone of contention between India and Pakistan. The dispute started after the Partition of India in 1947, when Kashmir was a princely state. Following a war between India and Pakistan, it was divided between the two belligerent nations. Since then, each nation has claimed Kashmir in its entirety. There are also some who want to see Kashmir gain its independence. This is not a simple conflict, since both the nations involved have a nuclear arsenal. Moreover, the Kashmiris have to suffer the violent acts of terrorists supported by Pakistan and the atrocities committed by Indian security forces. The two neighbours continue to make efforts to resolve this issue, despite the failure of many previous attempts.
This article examines the position of the various actors in the conflict, including not only India, Pakistan and the Kashmiris, but also the United Nations Organisation. The author demonstrates that the principle of a people’s right to self-determination conflicts with the principle of national sovereignty.
Conférence annuelle Claire-L’Heureux-Dubé
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Le texte qui suit a été présenté lors de la Huitième Conférence annuelle Claire-L’Heureux-Dubé qui s’est déroulée le 9 septembre 2011, à l’Université Laval.
Chronique bibliographique
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Générosa BrasMiranda et Benoît Moore (dir.), Mélanges Adrian Popovici. Les couleurs du droit, Montréal, Éditions Thémis, 2010, 723 p., ISBN 978-2-89400-278-0.
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Sébastien Grammond, Anne-Françoise Debruche et Yan Campagnolo, Quebec Contract Law, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, 313 p., ISBN 978-2-89127-928-4.