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Comme l’ont brillamment démontré les professeurs Bryant Garth et Mauro Cappelletti, à la fin des années 70, dans leur désormais célèbre étude internationale sur l’accès à la justice[1], les consommateurs de tous les pays sont aux prises avec un sérieux problème d’accès à la justice, qui se traduit par une difficulté réelle à exercer leurs droits substantiels devant les instances judiciaires. La procédure et les tribunaux sont certes à leur disposition, et la qualité du traitement judiciaire au moyen d’un procès est indéniable, mais les consommateurs ne peuvent, pour diverses raisons, profiter de ces services dans les faits. Notre humble analyse, à bien plus petite échelle, fondée sur les treize rapports nationaux reçus dans le contexte des Journées colombiennes 2007 de l’Association Henri Capitant[2], confirme ce que nous savions déjà : si les autorités sont plus conscientes que jamais de cette réalité et si la situation s’est améliorée en quelques endroits du monde, le problème persiste plus que jamais et la question demeure toujours d’actualité. Au fait des enjeux en cette matière, les organisateurs de ces journées l’ont bien compris en réservant un thème au consommateur et au procès.

D’abord, avant de se pencher sur la problématique de ce consommateur et de ce procès, il convient de s’entendre sur les concepts. Ainsi, comme le souligne le rapporteur belge[3], il y a lieu de distinguer l’accès à la justice et l’accès au droit, le premier faisant référence aux difficultés financières et autres entraves à l’exercice d’une procédure judiciaire, tandis que le second accès tient plutôt aux complications liées à l’absence de connaissances des consommateurs relativement à leurs droits et à la manière de les exercer. Dans les pays d’Europe, la difficulté pour les consommateurs de connaître le droit européen en plus du droit national[4] participe de cette méconnaissance. Derrière cette distinction se cache ici la différenciation entre les obstacles objectifs (ou matériels) et les obstacles psychologiques, magistralement développée au Québec par les chercheurs Giard et Proulx[5] ainsi que par le professeur Macdonald, président du Groupe de travail sur l’accessibilité à la justice[6]. À cet effet, le professeur Thierry Bourgoignie a élaboré le concept englobant d’« aide juridique au consommateur » pour tenir compte tant du problème d’accès à la justice que de celui d’accès au droit, car si ces problèmes se distinguent, l’un reste indissociable de l’autre[7].

Ajoutons, pour notre part, qu’il importe de distinguer l’accès à la justice de l’accès aux tribunaux, le professeur Galanter nous rappelant avec prudence que la justice ne se trouve pas seulement devant les tribunaux[8]. Dans la conception classique, la résolution des différends passe nécessairement par le tribunal. Cette conception purement judiciaire de l’accès à la justice ne vise ni plus ni moins qu’à améliorer l’accès des citoyens aux institutions en place ou à la « justice du droit », comme l’appelait André Tunc[9]. À l’instar d’autres groupes de justiciables, les consommateurs ont vite compris les vertus du pluralisme juridique et ont réclamé justice devant d’autres forums : administration, comité d’arbitrage, centre de conciliation ou de médiation, etc. Les tribunaux judiciaires constituent des instruments de la justice, non la justice en elle-même. Ils ne possèdent pas le monopole de la résolution des conflits. D’ailleurs, cette approche pluraliste repose sur une donnée fondamentale : malgré l’absence généralisée de statistiques précises sur la question[10], il est permis de conclure qu’une très petite proportion des différends sont portés devant les tribunaux[11] (encore moins par des personnes physiques[12]) et, parmi ceux qui y sont présentés, sauf au Japon[13], une minorité se rend à procès (de 5 à 10 %), les autres connaissant leur dénouement en dehors du champ d’action des tribunaux, principalement au moyen d’un accord entre les parties[14]. En pareil contexte, diriger les efforts d’amélioration de l’accès à la justice exclusivement vers le tribunal et vers son point culminant, le procès, relèverait d’une entreprise aussi peu légitime que réaliste.

L’universalité des causes rejoint l’universalité de la problématique. Tous les rapporteurs mentionnent l’engorgement des tribunaux causé par la pénurie de ressources, le coût prohibitif des poursuites judiciaires et des honoraires des avocats, la lenteur du processus, la complexité des démarches à effectuer, leur formalisme et leur solennité, l’ignorance des droits et des voies juridiques pour les faire valoir et, en dernier lieu, les obstacles psychologiques qui freinent la volonté d’ester en justice (par exemple, le manque d’expérience du procès, le syndrome du one shot litigant), conjugués à la perte de confiance de la population envers le système judiciaire. Rares sont les pays qui, comme le Luxembourg[15] et, dans une certaine mesure, la Turquie[16], peuvent se vanter d’avoir des tribunaux gratuits. Ces causes de non-accès aux tribunaux ne sont pas propres au droit de la consommation, loin s’en faut. Cependant, en accord avec le rapporteur français, nous sommes d’avis que le droit de la consommation les a fait ressortir de manière peut-être plus évidente, en posant l’hypothèse que le droit qui encadre la protection du consommateur est conduit plus qu’aucune autre discipline par un besoin d’effectivité[17]. À ces facteurs, ajoutons que le consommateur moyen se voit placé également devant l’enjeu souvent modeste de sa réclamation, un net déséquilibre et un isolement à l’égard du professionnel, ainsi que devant une dispersion des responsabilités entre plusieurs institutions[18], qui ressemble parfois à un chemin de Damas qui peut en dissuader plus d’un.

Une autre cause du difficile accès aux tribunaux réside curieusement dans le droit processuel lui-même. Les lacunes du droit judiciaire, conçu principalement pour les réclamations individuelles d’une importance pécuniaire certaine, font souvent obstacle à l’exercice effectif des droits substantiels des consommateurs devant les tribunaux. Les consommateurs disposent d’un grand nombre de droits qui leur sont reconnus par des lois particulières et par le droit commun ; le problème est qu’ils ne peuvent pas les exercer devant les tribunaux. Le droit qui ne s’incarne pas peut être jugé inutile. De plus, le droit processuel néglige de prendre en considération l’intérêt collectif des consommateurs ou limite sa représentation par le respect de conditions étroites. Au nom de la qualité d’agir en justice et du principe « nul ne plaide par procureur[19] », il refuse, dans certains cas, de reconnaître le traitement collectif des réclamations individuelles des consommateurs contre la même entreprise fautive. Rares demeurent les exemples de pays, telle la Colombie, qui prévoient un principe d’interprétation des règles processuelles favorable au justiciable, principe consistant à rendre effectifs les droits reconnus par le droit substantiel[20], sous réserve de l’application concrète de ce principe, bien sûr.

Les mesures et les solutions de chaque pays n’ont pas seulement été analysées à l’aune de leur existence et de leur mode de fonctionnement, mais aussi à la lumière de leur efficacité. Car, si la justice est affaire de résultat[21], il ne saurait être question de se contenter d’ouvrir les portes de la justice aux consommateurs : encore faut-il que le droit judiciaire puisse mener à des aboutissements probants. Dans certains pays, le principe de l’accès à la justice est symboliquement élevé au niveau d’un droit fondamental dans la Constitution[22]. L’étude des différents systèmes juridiques montre, dans bien des cas, l’existence de structures et de mesures intéressantes pour le consommateur, dont le but est rempli de noblesse et de bonne volonté, mais qui trop souvent n’ont que très peu de portée significative en pratique. En bref, ces mesures ne se révèlent pas suffisamment généreuses, appropriées ou efficaces.

Si le droit substantiel de la consommation s’est construit en marge du droit commun, le droit processuel de la consommation doit suivre une voie semblable : celle de l’adoption de règles et de procédures à la fois propres à la situation du consommateur et dérogatoires aux principes traditionnels[23]. De concert avec les rapporteurs espagnol[24] et italien[25], nous concluons que la procédure judiciaire ordinaire n’est pas appropriée pour régler les différends liés à la consommation. Cette conclusion nous amène à structurer notre propos en deux parties. Dans un premier temps, nous examinerons le contexte de l’adaptation du processus judiciaire aux besoins du consommateur, en d’autres termes le consommateur et le procès. Adapter ne suffit cependant pas. Il faut innover ! Dans la seconde partie, nous nous concentrerons donc sur la voie de l’intégration de nouvelles procédures adaptées aux besoins de justice du consommateur. Le registre de ces nouvelles formes procédurales s’étend de solutions qui prennent place à l’intérieur du système judiciaire traditionnel à d’autres qui s’inscrivent en l’absence totale de procès. Dans le cas des modes extrajudiciaires, le procès se trouve évidemment exclu. Dans les autres cas, il reste tout de même possible de parler du consommateur en l’absence de procès, en insistant sur le fait que, dans les systèmes qui permettent la représentation collective, le consommateur n’est pas personnellement présent devant le tribunal puisqu’il y est représenté.

1 Le consommateur et le procès : l’adaptation du processus judiciaire aux besoins du consommateur

Une première voie d’intervention pour améliorer l’exercice effectif des droits des citoyens est l’adaptation du processus et des institutions judiciaires à leurs situations particulières. L’adaptation demeure le meilleur gage de survie. La première solution serait d’instituer des tribunaux spéciaux réservés aux consommateurs. Mis à part les cas particuliers de la Turquie et de l’Inde[26], notre analyse des rapports nationaux montre très clairement un parti pris contre cette option[27]. En Turquie, malgré la présence de tribunaux spéciaux, le problème d’accès à la justice subsiste, car les tribunaux de la consommation n’arrivent pas à satisfaire à la demande et les délais d’attente d’un jugement demeurent longs[28]. À défaut d’instaurer des juridictions spécialement destinées aux litiges de consommation, le principe consisterait à conserver relativement intactes les institutions judiciaires en place et à prévoir des accommodements afin que plus de personnes — et donc plus de consommateurs — puissent les utiliser. Ces mesures cherchent en quelque sorte à concrétiser le principe de l’égalité de tous devant la loi. Peuvent être incluses dans cette catégorie l’aide juridique (1.1), l’assurance frais juridiques (1.2) et la procédure de traitement des petites réclamations (1.3).

1.1 L’aide juridique

Dans la première vague d’amélioration de l’accès à la justice, qualifiée autrefois de « mouvement droit et pauvreté[29] », les gouvernements se sont attaqués à l’indigence de certains justiciables incapables d’affronter les coûts d’utilisation du système judiciaire et des services d’avocats. Des systèmes d’aide financière publique sont apparus un peu partout dans les sociétés occidentales et obligeaient l’administration gouvernementale à payer, en tout ou en partie, en lieu et place de l’indigent, les frais judiciaires et les honoraires de son procureur. Parmi les rapports soumis, il apparaît que les citoyens de la Colombie, de la Belgique, du Québec, de l’Espagne, du Luxembourg, du Brésil, de la Bulgarie, des Pays-Bas, de la Turquie et, dans une certaine mesure, du Japon bénéficient d’une telle aide juridique ou judiciaire. Certains modèles offrent, en plus d’une aide totalement gratuite, un régime d’aide partielle ou contributoire aux personnes justifiant des revenus légèrement supérieurs aux barèmes prescrits[30], de façon à en étendre la portée. De manière très généreuse, la loi espagnole prévoit même l’admissibilité des associations agréées de consommateurs inscrites au registre d’État[31]. D’autres modèles, comme celui du Japon, n’offrent généralement qu’une aide temporaire, qui doit être remboursée par mensualités dès le mois suivant[32].

Forcément, les conditions d’admissibilité, la portée et les modalités d’application de ces régimes diffèrent d’un pays à l’autre, mais une tendance générale ressort néanmoins : l’aide que ces régimes, très honorables soit dit en passant, apportent réellement aux consommateurs demeure on ne peut plus limitée et n’entretient pas de pertinence avec leur situation particulière. Les raisons paraissent évidentes : ces régimes ne sont pas destinés aux consommateurs, qui, sans être nécessairement des personnes à hauts revenus, ne se définissent pas en soi comme des pauvres et, surtout, — notre analyse des rapports nationaux le confirme à tous égards —, leur portée se veut éminemment restrictive. En plus des budgets limités alloués à ce genre de régime[33] et de l’insuffisance d’avocats publics — ou de l’insuffisance d’avocats tout court, comme cela se vit au Japon[34] —, les principaux reproches qui leur sont adressés concernent l’exclusion du bénéfice de l’aide juridique d’une trop grande partie de la population dont les revenus excèdent les seuils d’admissibilité trop bas sans pourtant être suffisants pour arriver à payer les services d’un conseil (en d’autres termes, la classe moyenne), la couverture restreinte des services visés (types de procédure, frais d’expertise, etc.)[35] et l’approche individualiste qu’elle maintient vivante. Seul le régime espagnol paraît plus généreux et plus utilisé par les consommateurs, avec une couverture de services plus large et la possibilité offerte aux personnes dont les revenus excèdent le seuil d’admissibilité de se faire représenter par une association de consommateurs qui, elle, bénéficie de l’assistance juridique gratuite[36].

1.2 L’assurance frais juridiques

Dans un contexte de rationalisation des budgets étatiques, de réduction de l’État-providence et d’une privatisation des services publics, s’est développé en marge des programmes d’aide juridique un nouveau produit d’assurance : l’assurance frais juridiques. Cette protection permet à l’assuré qui se la procure d’avoir accès gratuitement ou à frais réduits aux services d’un avocat et au remboursement de certains frais judiciaires. Elle se présente généralement en complément d’un contrat d’assurance principal. Cette assurance, de nature strictement privée, se situe à l’opposé des régimes d’aide juridique, de nature publique.

Ce type d’assurance, parfois encouragée par le Barreau[37], n’existe pas dans tous les systèmes juridiques. Au nombre des pays à l’étude, la France[38], la Belgique[39], le Québec[40], l’Espagne[41], le Luxembourg[42], les Pays-Bas[43], la Bulgarie[44] et le Japon[45] en possèdent de manière claire et certaine. Mais là non plus, le succès n’est pas éclatant. Il semble que ce nouveau produit demeure méconnu des justiciables et que peu d’assureurs l’offrent. Au surplus, l’étendue de la couverture se révèle trop souvent limitée pour englober tous les frais d’une poursuite judiciaire. Lorsqu’elle existe, les consommateurs hésitent encore à utiliser l’assurance protection juridique pour leurs différends de consommation, y préférant un usage pour les litiges familiaux ou liés aux automobiles. Enfin, paradoxalement, ce sont les justiciables les plus aisés, et donc ceux qui en ont moins besoin, qui prennent la peine de s’assurer[46]. S’il s’agit aux yeux de certains d’une voie d’avenir, l’avenir reste encore… à venir.

1.3 La procédure de traitement des petites réclamations

Une des adaptations les plus répandues dans le monde occidental demeure certes l’adoption d’une procédure simplifiée de traitement des petites réclamations, concrétisée bien souvent par l’instauration d’un tribunal spécialisé ou d’une division d’un tribunal existant. Ainsi trouve-t-on en Colombie, outre une procédure spéciale par audience (procès-verbal) devant les juridictions ordinaires, une procédure administrative auprès de la Surintendance de l’industrie et du commerce (laquelle toutefois ne connaît pas de limite juridictionnelle)[47]. Toujours en Amérique du Sud, au Brésil, les Tribunaux spéciaux entendent les causes de moindre valeur pécuniaire issues de tous les domaines[48]. Depuis 1998, le Japon possède sa procédure spéciale pour les petites créances devant les tribunaux d’instance sommaire[49]. En France, à défaut de procédure spéciale, le tribunal d’instance et le juge de proximité[50], de même que les tribunaux d’instance au Brésil[51] et le juge de paix en Belgique[52] et en Italie[53], font office, sinon officiellement du moins naturellement[54], de juridiction de prédilection pour les consommateurs en raison de l’oralité de la procédure qui y est observée, de la simplification du processus judiciaire, de leur proximité géographique et, il ne faut pas l’oublier, de l’absence de représentation obligatoire par un avocat[55]. Ces caractéristiques les rapprochent de la division des petites créances de la Cour du Québec (dont la compétence matérielle est limitée à 7 000 $) qui, pour sa part, est réservée aux personnes physiques et aux personnes morales de cinq employés et moins[56].

Les avantages d’une telle procédure s’avèrent similaires d’un pays à l’autre : procédure simplifiée et donc plus rapide, frais réduits, absence d’obligation de représentation par avocat (si ce n’est carrément l’interdiction, comme au Québec[57]). Sur le chapitre des distinctions, deux grandes orientations se dessinent : premièrement, des procédures réservées exclusivement aux affaires de consommation[58], comme en Colombie, par opposition, en second lieu, à des voies d’action devant des juridictions générales, ouvertes à toutes affaires venantes. Les sanctions que peut imposer le décideur varient considérablement d’un pays à un autre, conformément au droit interne, mais elles semblent s’aligner sur celles du droit commun.

L’efficacité et l’utilisation réelle de cette procédure simplifiée par des consommateurs semblent reconnues dans la majorité des systèmes, avec toutefois des nuances importantes. Compte tenu du vaste besoin à combler, les ressources judiciaires peuvent se révéler insuffisantes[59] et les listes d’attente peuvent être longues[60]. La simplicité de la procédure promise n’atteint pas toujours son but ; l’approche a été simplifiée, soit, mais l’enveloppe du droit continue de demeurer complexe pour le profane. Ce qui, au départ, était perçu comme un avantage — l’absence de représentation par avocat — constitue, dans les faits, un élément qui a tendance à se retourner contre le justiciable perdu dans cette jungle judiciaire. Le déséquilibre est encore pire lorsque la partie adverse choisit, elle, de faire appel aux services de représentation d’un avocat. Le rapporteur français rappelle avec grande pertinence qu’il ne s’agit pas d’une juridiction statuant en équité[61], contrairement à la perception de plusieurs consommateurs. Qui plus est, la fréquentation de ces instances par les consommateurs n’est pas toujours à la hauteur des espérances[62]. Les professionnels et les commerçants continuent d’en être les plus grands utilisateurs[63].

En résumé, aide juridique, assurance frais juridiques et tribunaux des petites créances n’ont pas réussi à endiguer le problème d’accès à la justice des consommateurs.

2 L’intégration de nouvelles procédures adaptées aux besoins du consommateur

Pour plusieurs, l’accès à la justice, la vraie, ne saurait se résumer à une simple question d’adaptation du processus et des institutions judiciaires. Il ne suffit pas de lever les obstacles, objectifs et subjectifs, ni d’en réduire les effets[64].

L’amélioration de l’accès à la justice passe par l’intégration de nouvelles procédures et de nouvelles instances mieux adaptées aux besoins de justice du consommateur. Plusieurs États l’ont compris et sont passés à l’action, souvent sous l’impulsion de l’Union européenne, comme le montrent les rapports nationaux. Il est fascinant de constater combien les solutions se ressemblent d’un système à l’autre, donc comment, nous l’avons déjà exprimé dans un autre forum, le droit de la consommation est le résultat d’un jeu d’influences et d’expériences étrangères[65].

Des procédures les plus marquantes, nous retenons celles visant la représentation des intérêts collectifs des consommateurs (2.1), les actions en représentation collective de leurs intérêts individuels (2.2) et les modes alternatifs de règlement des différends (2.3), qu’ils soient judiciaires ou extrajudiciaires.

2.1 Les procédures de représentation des intérêts collectifs

La puissance du mouvement associatif a forcé les législateurs à tenir compte en partie des revendications des consommateurs. Résultat : la procédure judiciaire de représentation ou de défense des intérêts collectifs des consommateurs compte parmi celles qu’on trouve le plus souvent et depuis longtemps. Elle vise la réparation de l’atteinte à l’intérêt général et diffus des consommateurs dans leur ensemble. Habituellement, ce type de procédure conduit à des sanctions en vue de faire cesser la violation des droits collectifs : cessation de l’activité ou de la publicité illicite, déclaration d’illégalité et prohibition d’un contrat ou d’une clause contractuelle, attribution de dommages-intérêts généraux.

L’action populaire colombienne paraît un modèle original[66] à cet égard. Instituée en 1998[67], elle peut être exercée dans un but préventif ou de réparation contre des actes des particuliers ou des autorités publiques. Elle n’est pas réservée aux associations agréées des consommateurs, comme dans la plupart des pays européens, et peut être introduite par un simple consommateur, sans nécessité de l’intervention d’un avocat. En outre, le Fonds pour la défense des droits et des intérêts collectifs, administré par le Défenseur du peuple, peut défrayer le coût de la preuve[68]. Malheureusement, comme il en va des autres modèles en Europe, l’action populaire colombienne reste peu utilisée, du moins pour défendre les intérêts des consommateurs : seulement 1,7 % des 6 082 actions populaires exercées jusqu’à ce jour concernent le domaine de la consommation.

En France, comme en Belgique d’ailleurs, le droit processuel de la consommation s’est beaucoup développé autour de la défense des intérêts collectifs des consommateurs — au détriment d’ailleurs du développement de la représentation collective des intérêts individuels, comme nous le verrons plus loin, comme si les intérêts abstraits avaient plus d’importance procédurale que les réclamations concrètes —, d’abord en 1973 par la reconnaissance de l’action civile des associations agréées de consommateurs greffée à une poursuite pénale[69], étendue par la suite à l’action en suppression des clauses abusives en 1988[70]. L’action civile, pour sa part, a essuyé plusieurs critiques liées à sa pertinence et à son efficacité, parmi lesquelles nous retenons le phénomène de remorque à des poursuites publiques et l’obtention de réparation symbolique[71]. Par ailleurs, l’action en suppression de clauses abusives connaît beaucoup plus de succès. Élargie en 2001, en conformité avec une directive européenne, cette action réservée aux associations agréées de consommateurs permet de faire déclarer abusive un type de clause contenue dans les contrats proposés aux consommateurs et d’en interdire l’utilisation.

En Belgique (dès 1971, d’ailleurs)[72], au Luxembourg, en Bulgarie, en Espagne, en Italie, en Turquie et récemment au Japon (7 juin 2007), les actions en cessation d’actes illicites, exercées selon le cas par des associations de consommateurs ou des entités correspondantes, sont prévues en droit interne et, selon le cas, en droit communautaire[73] et peuvent être exercées dans l’intérêt collectif ou diffus des consommateurs. Elles ne peuvent cependant servir à accorder la réparation du préjudice collectif sous forme de dommages-intérêts[74], ce qui a pour désavantage de laisser intactes les réclamations individuelles des consommateurs.

2.2 Les procédures de représentation collective des intérêts individuels

L’émergence récente dans les pays occidentaux d’actions de groupe exercées par des associations ou par des individus au bénéfice des intérêts particuliers des membres d’un groupe non constitué constitue l’un des phénomènes les plus importants qu’ait connus le droit judiciaire au cours des dernières années[75]. Nous assistons ici à une véritable révolution et, au contraire de la Révolution française de 1789 ou de la Révolution tranquille du Québec, celle-ci est loin d’être achevée.

Ce type d’action sert essentiellement au traitement collectif des réclamations individuelles. Elle peut se définir comme le moyen procédural par lequel une personne ou une association est autorisée à représenter en justice, généralement sans mandat, un groupe non organisé de personnes possédant des réclamations similaires à l’encontre du même défendeur, le jugement final du tribunal liant chacun des membres de ce groupe. En principe, elle peut être dirigée contre tous, y compris contre les autorités publiques et les prestataires de services publics[76].

L’expérience des pays qui ont intégré cette procédure collective dans leur droit interne montre qu’elle est utilisée principalement dans des domaines tels que le crédit à la consommation, la qualité et la sécurité des biens et des services, la responsabilité du fabricant, les pratiques anticoncurrentielles, les services de voyages, les services financiers et les services publics (téléphone, électricité, soins de santé, etc.).

L’action de groupe connaît plusieurs déclinaisons selon les systèmes juridiques. Six grandes tendances se dessinent, avec une gradation vers la représentation la plus permissive : 1) l’absence totale d’action de groupe[77] ; 2) le modèle français d’action en représentation conjointe ; 3) l’action collective indemnisatrice de l’Espagne ; 4) l’action collective brésilienne pour la défense des droits individuels homogènes[78] ; 5) la procédure néerlandaise de règlement collectif des préjudices de masse[79] ; et 6) le modèle de la class action américaine, adopté par le Québec et la Colombie. À l’intérieur de chacun de ces modèles, on note des variations selon que l’action est réservée aux consommateurs (France, Espagne, Bulgarie) ou non (Colombie, Brésil, Pays-Bas, Québec), que son exercice est réservé aux associations de consommateurs (Brésil[80], France[81], Bulgarie[82]) ou non (Colombie, Québec, Espagne), qu’elle obéit à un mécanisme d’inclusion automatique des membres avec faculté d’exclusion (opting out)[83] ou au principe d’adhésion volontaire de chacun (opting in)[84].

À l’une des extrémités du spectre, se trouve l’action en représentation conjointe instituée en France en 1992[85], dont on observe un équivalent en Bulgarie[86]. Presque tous les commentateurs s’entendent pour dire qu’elle apparaît assurément comme un modèle à ne pas suivre : les conditions restrictives de cette procédure, notamment la nécessité d’obtenir un mandat de chaque consommateur paradoxalement opposée à l’interdiction de solliciter ces mandats par voie de démarchage individuel ou d’appel public autre que la presse, outre la crainte des associations de voir leur responsabilité retenue en cas d’échec du recours[87], ont limité le nombre de causes recevables à quelques rares exceptions depuis quinze ans. Ce type de procédure d’agrégation des réclamations ressemble trop au procédé du mandat individuel qui n’a jamais fait ses preuves, du moins en droit de la consommation. En conclusion, comme l’énonce le rapporteur français, la représentation collective des intérêts individuels des consommateurs en France demeure pour l’instant largement déficiente. En raison d’oppositions de principe aussi profondes que diverses, une tentative récente d’introduction d’une action de groupe inspirée des modèles étrangers[88] a été reportée aux calendes grecques[89]. En Italie, où il n’existe aucune procédure de représentation des intérêts individuels des consommateurs, plusieurs projets d’action collective sont présentement en discussion[90].

À l’autre extrémité, la procédure québécoise du recours collectif[91] et l’action de groupe colombienne[92], inspirées des class actions américaines, brillent par leur pragmatisme et leur efficacité. Procédure héritée des systèmes juridiques de common law, le recours collectif québécois, pour sa part, est un véhicule procédural général, applicable dans tous les secteurs du droit, contrairement aux modèles européens d’actions collectives. C’est toutefois en droit de la consommation qu’il connaît la plus vaste application, avec environ 40 % de tous les recours collectifs exercés jusqu’à maintenant[93]. À la différence de ces modèles, son exercice n’est pas non plus réservé aux associations, une personne physique pouvant agir comme représentant, ce qui se produit d’ailleurs dans 85 % des cas[94]. Dans le domaine de la consommation, nous sommes néanmoins d’avis que les associations demeurent les mieux indiquées pour diriger une action de groupe[95]. Parmi les caractéristiques importantes, il y a lieu de noter le principe de l’opting out qui inclut automatiquement tous les membres du groupe, sans nécessité de leur part de s’inscrire à l’action, et la procédure d’autorisation qui précède l’exercice du recours. L’action de groupe colombienne, de son côté, entretient plusieurs similitudes avec la procédure québécoise.

Entre ces deux pôles, s’insère l’action espagnole en réparation des dommages collectifs ou diffus (ou action collective indemnisatrice). Celle-ci, fort éloignée de la nature d’une class action américaine, est réservée aux consommateurs, ce qui pose naturellement une difficulté de qualification, et s’aligne sur la formule de l’opting in n’autorisant strictement que l’indemnisation individuelle. Sont habilités à l’exercer les associations de consommateurs représentatives et les groupes de consommateurs visés, selon que l’on cherche à représenter les intérêts collectifs (groupe de consommateurs déterminés ou déterminables) ou les intérêts diffus (consommateurs indéterminés ou difficiles à déterminer)[96]. Aucune exigence d’autorisation ou de certification n’est préalable à l’introduction du recours, et les pouvoirs du juge semblent mal définis. Pour l’instant, l’action de groupe espagnole pose plus de questions qu’elle n’en résout, ce qui amène le rapporteur espagnol à conclure à la nécessité d’une réforme prochaine[97]. Malgré tout, à défaut d’un autre véhicule procédural, il semble que les actions en réparation de dommages diffus soient multiples[98].

La procédure brésilienne d’action collective pour la défense des droits collectifs homogènes offre un autre modèle d’action de groupe. Non soumise à une étape préalable d’autorisation, elle est d’application générale, bien que son exercice soit réservé aux associations de consommateurs, au Ministère public et à d’autres organismes administratifs. Le Brésil propose une formule tout à fait originale avec un principe d’inclusion automatique, mais dans lequel le jugement collectif ne lie pas les membres du groupe si l’action est rejetée (absence d’effet erga omnes). Une fois le jugement collectif rendu, s’il est favorable, chaque personne lésée doit produire une procédure de liquidation et d’exécution individuelle[99].

Le droit néerlandais se distingue avec sa procédure de règlement collectif des préjudices de masse, introduite dans son code civil en 1994, ce qui ne la limite donc pas au secteur de la consommation[100]. L’originalité de cette procédure tient au fait qu’elle repose sur le principe de la transaction collective. Un contrat de transaction est en effet conclu entre l’auteur des dommages et une organisation de défense des intérêts des victimes pour prévoir un dédommagement. D’ailleurs, seul ce type de réparation reste envisageable. Une fois signé, ce contrat est déclaré d’application générale par la Cour d’appel d’Amsterdam et s’étend à toutes les victimes du préjudice, qu’elles aient signé la convention ou non. Une possibilité de s’exclure de l’effet de la transaction est prévue.

Ainsi en va-t-il des différents modèles en vigueur. Du côté des sanctions, celles-ci varient d’un modèle d’action de groupe à l’autre, selon les pouvoirs accordés au juge. En Colombie, le juge doit donner un avis sur la responsabilité des défendeurs, pour ensuite allouer une compensation pécuniaire aux membres du groupe ou ordonner l’exécution en nature d’une obligation[101]. Au Brésil, toutes les sanctions pour défendre efficacement les consommateurs sont admises[102]. Au Québec, le juge hérite du titre de gardien des intérêts des membres absents et possède à cet égard d’énormes pouvoirs et un rôle très actif dans le déroulement de la procédure[103]. Certains régimes[104] admettent le procédé de l’indemnisation fluide ou du recouvrement collectif, dans lequel les dommages causés sont évalués et compensés globalement, à l’opposé d’une indemnisation individuelle, et qui peut prendre la forme de l’exécution d’une mesure réparatrice au bénéfice du groupe, par exemple une réduction tarifaire temporaire. En droit québécois, le tribunal peut même attribuer le reliquat des sommes non réclamées ou non distribuées à un organisme pour utilisation à une fin particulière, voisine de l’objet du recours[105]. De manière similaire, au Brésil, le reliquat peut être versé dans un fonds administré par le Ministère public[106] lorsque les bénéficiaires du jugement font défaut de réclamer leur dû, ce qui semble arriver souvent[107].

2.3 Les modes alternatifs de règlement des différends

En réponse au problème d’accès des consommateurs aux tribunaux, les consommateurs se sont tournés vers d’autres forums de règlement des conflits. Les modes alternatifs de règlement des différends font désormais partie de l’espace processuel contemporain. Les exemples sont nombreux dans les pays à l’étude. Certains se trouvent à l’extérieur du système judiciaire, mais parfois ils figurent même à l’intérieur. Il est question, dans le premier scénario, de pluralisme juridique et, dans le second, de pluralisme judiciaire[108], cette dernière expression signifiant que le système judiciaire cherche à s’adapter aux nouvelles réalités sans nécessairement renoncer à l’emprise du droit ni reconnaître la valeur d’autres ordres normatifs.

Sur le chapitre des procédures judiciaires alternatives, plusieurs pays ont adopté la solution de la conciliation ou de la médiation qui peut s’insérer dans le processus dirigé par le tribunal, qu’il soit de droit commun ou administratif[109]. Les nouveaux codes de procédure civile vont jusqu’à favoriser cette approche de « justice douce » en en prévoyant expressément le principe et en en confiant la responsabilité au juge[110]. Le conciliateur, qui peut être un tiers indépendant ou parfois même le juge, cherche à aider les parties à résoudre leur différend avec leur accord, avant ou pendant le procès. Ce procédé est généralement volontaire, mais peut présenter un caractère contraignant dans certaines circonstances. Au pays du soleil levant, compte tenu de la philosophie non litigieuse des Japonais, la conciliation judiciaire constitue une tradition séculaire[111]. Ainsi, il entre dans le rôle du magistrat japonais de tenter de concilier les parties en cours de procès[112]. Le résultat en est que près d’un tiers des dossiers prennent fin par une conciliation judiciaire[113]. Il est également intéressant de constater qu’en Espagne toute procédure ordinaire est impérativement précédée d’une audition préalable dont le but avoué est de stimuler un accord entre les parties[114] ; à cet effet, un projet encadrant la conciliation judiciaire pour tenter de convaincre les juges d’adopter un comportement plus actif dans ce rapprochement est en cours de réalisation[115]. Évidemment, le principal problème reste que la médiation judiciaire s’adresse à ceux qui ont déjà saisi le tribunal d’une poursuite, ce qui, comme nous l’avons vu précédemment, demeure le lot d’une minorité de consommateurs.

Du côté des procédures extrajudiciaires, la conciliation et la médiation constituent les exemples les plus courants et paraissent mieux adaptées aux différends de consommation, en raison de leur rapidité, de leur faible coût (sinon de leur gratuité), de leur caractère informel et de la présence d’un tiers qui peut contribuer à tempérer le déséquilibre des forces en présence. Selon les définitions, il existe peu de différences entre ces deux modes alternatifs, à l’exception que le conciliateur pourrait proposer une solution, alors que le rôle du médiateur serait plus passif. Les deux visent la recherche d’une solution satisfaisante pour les deux parties et conforme à leur situation. Les exemples rapportés dans les différents systèmes juridiques s’avèrent trop nombreux pour les citer tous ici. La Bulgarie se distingue toutefois sous ce rapport puisque, dans la nouvelle Loi de protection des consommateurs qui y est en vigueur[116], le législateur a choisi de favoriser le règlement des différends par une voie autre que le procès[117]. En effet, la nouvelle loi de 2005 institue des Commissions de conciliation chargées d’encourager le règlement à l’amiable des différends de consommation[118]. Au Japon, en plus des services offerts par des organisations privées, le Centre national des affaires des consommateurs et les centres locaux, organismes publics, offrent des services de conciliation qui sont parmi les plus utilisés par les consommateurs[119]. À la même enseigne, les Commissions de contentieux aux Pays-Bas, à la disposition uniquement des consommateurs et offrant des services à mi-chemin entre la conciliation et l’arbitrage, occupent une place importante[120]. Pour sa part, le Luxembourg dispose de pas moins de quatre organes prometteurs de règlement extrajudiciaire des différends de consommation qui empruntent la voie de la médiation ou de la conciliation[121]. Certains pays disposent également de services d’ombudsman, chargés de recevoir les plaintes des consommateurs et de formuler des recommandations non contraignantes, mais généralement suivies[122]. En Europe, les programmes en vigueur sont encadrés par les principes de fonctionnement définis par deux recommandations communautaires[123]. Les modes alternatifs suivant l’évolution technologique, il existe même des services de conciliation, de médiation et d’arbitrage en ligne. L’exemple du Québec présente un intérêt particulier et inspirant en la matière, avec ses développements dans le secteur des services financiers.

Une fois de plus, les études empiriques et les statistiques sur le taux d’utilisation de ces procédés manquent à l’appel. Néanmoins, à l’exception de la Belgique[124], des Pays-Bas[125] et du Japon[126], tous s’accordent à dire que les consommateurs les utilisent peu et que les régimes de justice alternative connaissent un succès mitigé[127]. Outre leur méconnaissance par les principaux intéressés, une des principales causes de cet absence d’engouement — il en existe plusieurs — tiendrait dans la préférence du consommateur à régler son différend à l’intérieur du cercle contractuel, auprès du professionnel, sans la présence d’un tiers intervenant[128]. Il faut ajouter qu’il s’agit de procédures volontaires, qui nécessitent l’accord non seulement du consommateur, mais aussi de l’entreprise.

La question de l’arbitrage, par définition toujours extrajudiciaire, demeure intéressante à plus d’un point de vue. Utilisé dans certains pays dans les dossiers de consommation[129], l’arbitrage reste d’application restreinte en Europe dans ce secteur en raison de la nullité des clauses compromissoires dans les contrats de consommation[130]. Plus récemment, au Québec, les mêmes clauses d’arbitrage contraignant ont été déclarées illé- gales[131]. Il ne reste donc que la possibilité d’un arbitrage volontaire une fois le différend survenu. En raison de son coût parfois élevé et du formalisme qu’il emprunte souvent au modèle judiciaire, il y a lieu de se questionner sur le caractère véritablement alternatif de ce mode. Quelques exceptions font toutefois mentir cette perception. En Belgique, plusieurs exemples de procédures d’arbitrage en droit de la consommation se sont néanmoins développés en marge de la réglementation étatique[132], avec succès dans certaines matières, les voyages principalement[133]. Au Canada, l’exemple du Programme d’arbitrage pour les véhicules automobiles du Canada (PAVAC), sous la gouverne de l’Association canadienne des constructeurs d’automobiles, se veut un programme tout à fait gratuit pour le consommateur et qui, malgré certaines critiques, est largement utilisé[134]. En Turquie, les comités d’arbitrage de la consommation jouissent d’une compétence exclusive pour régler les différends dont l’enjeu financier est inférieur à un certain montant[135]. Ils permettent aux consommateurs de contourner la procédure bureaucratique et complexe des tribunaux[136]. Les frais de ces comités composés de cinq personnes sont payés par l’État et la demande est telle que les travaux des comités ne suffisent pas à la tâche, surtout qu’ils n’existent que dans les grands centres urbains. Enfin, l’arbitrage avec ses Comités d’arbitrage de la consommation[137], sa gratuité, son caractère volontaire, sans formalités complexes et ses décisions d’équité remporte la palme en Espagne, car il représente le mécanisme extrajudiciaire le plus utilisé pour régler les différends entre les consommateurs et les entreprises, et le nombre de réclamations traitées ne cesse d’augmenter d’année en année[138].

Conclusion

De nombreux rapporteurs l’ont souligné dans leurs travaux : l’État, la magistrature, le Barreau et le milieu universitaire affichent sur la place publique, et depuis plusieurs années déjà, des préoccupations indéniables à l’égard de l’accès des justiciables à la justice et concluent à l’échec du système judiciaire de droit commun à régler cet épineux problème[139]. Dans les pays d’Europe, la situation est officiellement admise par l’Union européenne depuis son livre vert de 1993[140]. Cela est sans compter les consommateurs eux-mêmes et leurs associations qui se réclament de justice depuis la naissance du mouvement du consumérisme durant les années 60. Là et ailleurs, l’accès à la justice est devenu un réel enjeu de société, à tel point qu’il est devenu dans certains États un thème des programmes politiques et une priorité gouvernementale[141]. L’heure n’est donc plus aux constatations et aux récriminations. Le temps des discours et de la rhétorique a assez duré. Cela fait près de 30 ans que nous nous intéressons personnellement au problème de l’accès à la justice et que nous entendons les autorités en parler, sans que la situation ait guère évolué. Tous ceux, et nous en sommes, qui se penchent sur le sujet ne souhaitent pas se retrouver dans vingt ans et réitérer les mêmes constats. L’urgence de la situation appelle une action immédiate. Il existe des solutions et il presse de réfléchir à leur implantation.

De l’analyse des divers rapports nationaux, il se dégage les conclusions suivantes. L’accès à la justice des consommateurs nécessite de sérieux efforts d’amélioration dans tous les pays. Notre analyse a eu l’effet de nous conforter, en nous montrant que le Québec n’était pas le seul à connaître cet enjeu, mais en même temps de nous désoler, en constatant qu’aucun pays n’avait réussi à endiguer le fléau.

Le moyen à privilégier dépend de la nature de la réclamation, selon qu’elle est collective, individuelle, nécessitant l’intervention d’un tribunal ou non.

Pour les réclamations de nature collective, la formule qui paraît la plus appropriée entre toutes pour traiter efficacement les réclamations des consommateurs reste l’action de groupe (y compris l’action populaire en droit colombien). L’impact réel et bénéfique que cette procédure produit sur l’exercice des droits des consommateurs ainsi que sur les pratiques juridiques et sociales élève ce mécanisme au rang des outils indispensables et incontournables de la protection du consommateur. Les gains que procure cette procédure ne se limitent pas au groupe impliqué, mais s’étendent à l’ensemble des consommateurs, voire à la société tout entière. Parce que les tribunaux sont saisis de nouvelles réclamations — nouvelles dans le sens que celles-ci n’auraient pas été soumises à l’attention des tribunaux dans un cadre strictement individuel —, des discussions juridiques, sociales et politiques émanent des jugements rendus ou des accords conclus, et une évolution du droit de la consommation s’ensuit. L’action de groupe participe clairement au changement de conduites répréhensibles des entreprises et des autorités publiques. Les pays qui ne l’ont pas encore intégré dans leur droit interne, comme la France, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie, la Turquie et le Japon, ne tarderont pas à le faire, sous la pression de l’action communautaire et des groupements de consommateurs. Mais, que les opposants se rassurent, il y aura toujours des résistants.

Toutes les réclamations des consommateurs ne pouvant faire l’objet d’un traitement collectif, pour les réclamations strictement individuelles, les procédures et les tribunaux spéciaux voués au traitement rapide et simplifié des différends de consommation semblent remporter la faveur de certains pays[142]. Plus précisément, l’établissement de cours des petites créances, comme il en existe au Brésil, au Japon et au Québec, paraît un besoin urgent. Il faudra toutefois y injecter les ressources suffisantes pour répondre efficacement à la demande et faire disparaître les irritants.

Comme nous l’avons vu, le procès a un prix, souvent trop élevé. Dans bon nombre de cas, il faut donc se garder de plaider pour le procès à tout prix. Au surplus, la création de nouveaux tribunaux spéciaux pour les consommateurs a aussi un coût social difficile à gérer. Dans cette perspective, la promotion de la conciliation, de la médiation et de l’arbitrage par les autorités européennes pour les différends de consommation ne peut échapper à notre recherche commune de solutions[143]. De concert avec les rapporteurs luxembourgeois[144], turcs[145] et japonais[146], nous croyons que le développement des modes alternatifs doit être privilégié. Bon nombre d’expériences menées dans les pays consultés montrent la réussite, sinon le mérite de ces mécanismes extrajudiciaires. Il y a certes là une voie d’avenir à exploiter, mieux qu’elle n’est actuellement servie. Une attention particulière doit être accordée à la disponibilité des services, à la formation des intervenants[147], à l’indépendance de l’organisme, à la transparence de la procédure et à son efficacité[148]. Par-dessus tout, qui dit « modes alternatifs » dit « choix ». Les programmes de conciliation, de médiation et d’arbitrage tirent leur légitimité de l’existence d’un libre accès à la justice ; en l’absence d’un accès réel aux juridictions ordinaires, ils risquent d’engendrer une situation que d’aucuns qualifient de « justice à rabais ».

Enfin, comme dernière solution mais non la moindre, ainsi que le rappellent les rapporteurs indien et turc, la prévention par l’information du consommateur sur ses droits demeure sans doute l’arme la plus efficace. Il est souvent plus facile de prévenir un conflit que de le régler, devant un tribunal ou à l’extérieur de son enceinte. Ce travail en amont est colossal, et il nous tarde tous de nous y attaquer.

Nous souhaitons que les travaux de l’Association Henri Capitant contribueront à sensibiliser les pouvoirs en place et à les inciter à agir. À cet égard, le droit comparé peut jouer un rôle particulièrement inspirant pour les législateurs et les administrations en quête de solutions et de modèles efficients. La protection du consommateur connaît des enjeux et des problèmes universels, auxquels seules des solutions inspirées des expériences étrangères pourront répliquer. Le droit comparé offre de magnifiques leçons qui n’attendent qu’à être saisies et adaptées.