Abstracts
Résumé
« Gouverner sans le droit » découle du simple constat de l'utilisation croissante de mécanismes qui sont exclus de la catégorie des actes réglementaires dans plusieurs champs de l'action administrative. Par des solutions de rechange, les autorités administratives peuvent désormais élaborer des règles en marge du droit officiel. Si ces nouveaux instruments de pouvoir entretiennent des rapports complexes et nuancés avec le droit positif, ils introduisent néanmoins un effet de rupture dans le but de faire prévaloir les exigences de l'efficacité et de l'effectivité, ce qui relègue au second plan la légalité et la validité qui ont pour seule fonction d'en permettre l'utilisation. Ces transformations menées afin de répondre aux attentes des gestionnaires sont visibles dans la réorganisation des modes de gestion (le nouveau management public), ainsi que dans la recherche de solutions de rechange à la réglementation (réforme de la réglementation). Par l'expérimentation de nouveaux procédés—plans stratégiques, chartes d'usagers, normes de substitution, normes intégrées par renvoi, codes de conduite, — la formulation des règles déborde largement les modes traditionnels de la loi et des actes réglementaires. Cette logique de dépassement du droit accentue l'évolution entamée par le recours sans cesse accru aux directives et aux règles infraréglementaires.
Comme ces procédés sont ou pourraient être autorisés explicitement par la loi, l'hypothèse d'une gouverne sans le droit peut sembler étonnante. En dépit des apparences, l'État peut désormais gouverner sur un double registre, celui du droit officiel et celui d'un droit en mutation, sorte de droit invisible qui accentue ses possibilités d'intervention en vue de repenser l'élaboration des choix stratégiques et des politiques publiques. Un clivage progresse entre la régulation en sa forme proprement juridique (lois et règlements) et une régulation technicienne où l'État administratif cherche à investir de nouveaux champs par des règles « déjuridicisées » (apparence de non-droit). Au-delà des enjeux politiques, ces transformations réactualisent plusieurs questions classiques pour la théorie juridique de l'État et le droit public.
Abstract
« Governing without law » has arisen from the growing use of instruments usually excluded from the category of regulatory acts in many fields of administrative action. By resorting to alternative solutions, administrative authorities may now draft rules which are on the fringe of the official legal system. While these new power instruments have a complex arid subtle relationship with positive law, they also set themselves apart from it. Values of efficiency and effectiveness are given precedence over those of legality and validity, the latter's sole function being strickly limited to allowing the use of such instruments. Two fields, the reorganization of management techniques (the new public management), and the issue of regulatory reform, are targeted by managers. Through experimentation with new instruments like strategic plans, users charters, substitution standards, compliance plans and alternative solutions, rules incorporated by reference and codes of practice, the drafting of rules extends far beyond the traditional frameworks of the law and its regulatory applications. This intensifies an evolution that feeds upon the ever-increasing usage of directives, guide-lines, instructions and other infra-regulatory rules.
Since these instruments are or could be explicitely authorized by law, the hypothesis of governance without law may appear somewhat surprising. Despite appearances, the State may now govern from two levels : one being the official law and the other, a law in transition or an invisible law which increases its possibilities for intervention for purposes of reformulating strategic choices and public policies. A divide is widening between the regulation in its strictly legal formulation (laws and regulations) and a « technician-type » regulatory action where the Administrative State seeks to occupy new fields with « dejudiciarized » rules. Beyond the political issues at stake, these transformations warrant new debates on classical questions regarding the legal theory of the State and public law.