Volume 41, Number 2, 2000
Table of contents (9 articles)
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Mondialisation et État de droit
Daniel Mockle
pp. 237–288
AbstractFR:
En suivant une démarche dialectique, des pistes d'analyse sont proposées en vue de mesurer la contradiction insoluble qui oppose les vecteurs d'expansion de la mondialisation aux exigences de l'État de droit. Le problème de leur compatibilité réciproque ne peut être éludé, car les deux phénomènes reposent sur des prétentions hégémoniques, ce qui leur permet de revendiquer la prééminence dans des champs distincts. Ainsi, durant la décennie 90, la progression tangible de l'État de droit comme mode d'expression de la démocratie constitutionnelle au-delà du cercle restreint des pays occidentaux a contribué à l'universalisation latente du principe, mais aussi au développement d'une rhétorique qui l'a transformé en mythe constitutif du débat politique contemporain. Les idées (le constitutionnalisme, la démocratie politique, la « justiciabilité » des droits fondamentaux) qui alimentent le discours sur l'État de droit orientent dans une direction précise les pratiques politiques et institutionnelles des États souverains.
À l'opposé, la mondialisation est associée à l'émergence d'un droit sans frontière et à la création de nouveaux mécanismes de régulation qui pourraient réduire la souveraineté des États dans divers champs qui sont de leurs compétences propres. Comme l'intégrité des droits nationaux repose en définitive sur la primauté des normes constitutionnelles, l'effectivité de l'État de droit et du constitutionnalisme peut devenir aléatoire par la multiplication des ordres juridiques en situation potentielle de concurrence. La mondialisation offre un terrain fertile pour concevoir divers scénarios où la dynamique de création des normes de même que la détermination des principes de référence ne sont plus du ressort des États. Si la présente étude montre ainsi l’exacerbation de plusieurs contradictions, elle souligne en revanche la complémentarité qui résulte du dédoublement de la limitation de l'État par les sources classiques du droit international. Entre la mondialisation de l'État de droit et son intégration corrélative à la réalité multiforme de la mondialisation, les transformations en cours montrent la nécessité d'une reconceptualisation de l'État de droit.
EN:
In following dialectic reasoning, avenues of analysis are proposed to assess the insolvable contradiction that puts the vectors of globalized expansion at odds with the requisites of the Rule of Law. The issue of their reciprocal compatibility cannot be eluded because the two phenomena are based upon hegemonic premises, which allow them to lay claim to the preeminence of distinct fields. Thus, during the 1990s, the tangible progression of the Rule of Law as a means of expression for constitutional democracy beyond the limited circle of occidental countries contributed to the latent universalization of the principle, but also of the development of a rhetoric that transformed it into a myth that forms the basis of contemporary political debates. The ideas (constitutionalism, political democracy, the « juridical handling » of fundamental freedoms) that nurture discussions on the Rule of Law point the political and institutional practices of sovereign states in a specific direction.
Conversely, globalization is associated with the emergence of « borderless laws » and the creation of new machinery for imposing regulations that would reduce state sovereignty in various areas currently under their exclusive jurisdiction. Since the integrity of national legal systems is solidly based upon the prevalence of constitutional standards, the effectiveness of the Rule of Law and constitutionalism may become shaky owing to the multiplication of legal systems in potential competition with one another. Globalization offers fertile ground for devising various scenarios wherein states no longer have precedence over the dynamics for creating standards or setting reference points. If this analysis highlights the exacerbation of many contradictions, it correspondingly underscores the complementarity arising from the limits of the State being outpaced by the classical sources of international law. Between the globalization of the Rule of Law and its correlative integration into the multiform realities of globalization, current transformations demonstrate the need for reformulating the Rule of Law.
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L'État et les entreprises : des partenaires pour la création d'une réglementation favorable à la quête des capitaux dans le marché des valeurs mobilières
Raymonde Crête
pp. 289–321
AbstractFR:
Fidèle aux préceptes du libéralisme économique, l'État a cherché, depuis plus d'un siècle et demi, à favoriser la quête des capitaux en mettant en place un environnement juridique favorable à la création, au financement et à l’administration des sociétés par actions en vue de promouvoir la maximisation des profits en faveur des investisseurs. Dans l'étude qui suit, l'auteure montre comment la mise en place de cet encadrement propice aux entreprises et aux investisseurs se manifeste dans la réglementation du marché des valeurs mobilières, plus particulièremet dans celle qui est relative aux sociétés par actions et à l'appel public à l'épargne.
EN:
True to the principles of economic liberalism, for the past 150 years States have attempted to favour the quest for capital by creating a legal environment conducive to the forming, financing and managing of joint-stock companies to generate maximum profits for in vestors. In this paper, the author explains the effects that the implementation of this framework favouring businesses and investors have had on securities regulations, especially in those dealing with joint-stock companies and public offerings.
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L'interprétation du cautionnement : une approche nouvelle quant à la formation et à la détermination du contenu du contrat
Louise Poudrier-LeBel and André Bélanger
pp. 323–347
AbstractFR:
En matière de cautionnement, l'interprétation du contrat risque de subir l'influence du caractère unilatéral de l'acte. En raison de la nature particulière de l'engagement de la caution, il faudra que le juge vérifie l'existence et l'étendue du cautionnement. L'interprétation aura donc un rôle à jouer tant dans la formation que dans le contenu du cautionnement. Si l'erreur se présente comme un moyen simple pour la caution d'annuler son engagement, une interprétation à l'aide des règles du contrat d'adhésion pourrait s'avérer plus efficace. De même, bien que le cautionnement n'impose par sa nature que des obligations à l'égard de la caution, l'interprétation permettra souvent de faire ressortir du contrat un contenu obligationnel imposé par la bonne foi. L'interprétation permettra ainsi au juge de chercher un certain équilibre au sein d'une relation contractuelle par nature déséquilibrée dans ses effets.
EN:
In the field of suretyships, interpretation of the contrat is likely to reflect the influence of the unilateral nature of the act. Owing to the specific type of commitment on the part of the surety, the judge must verify the existence and the scope of the bond. As such, this interpretation will play a role both in the formation and in the content of the bond. If an error appears as a simple means for the surety to cancel his commitment, then an interpretation based upon the rules for contracts of adhesion could prove more efficient. Likewise, while the suretyship by its very nature only imposes obligations on the surety, an interpretation often makes it possible to extract from the contract an obligational content based on good faith. Interpretation thereby also allows the judge to seek some equilibrium within a contractual relationship that in its effects, is lopsided by its very nature.
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Le droit du commerce international des produits agricoles génétiquement modifiés (OGM) : les obstacles de la preuve scientifique et l'avènement du principe de précaution
Sylvestre-José-Tidiane Manga
pp. 349–382
AbstractFR:
Le droit du commerce international des OGM est un droit en formation. Le Protocole sur la prévention des risques biotechnologiques en constitue désormais le cadre de référence principal. Les OGM destinés à la libération dans l'environnement sont couverts par le principe de précaution et la procédure d'accord préalable en connaissance de cause. Quant à ceux qui sont destinés à la consommation et à la transformation, ils ne sont que partiellement visés dans la procédure et les modalités de leur étiquetage ne seront pas fixées avant deux ans. Enfin, les produits dérivés des OGM sont exclus du Protocole. Les limites du champ d'application de ce dernier font en sorte que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) continuera de régir exclusivement le commerce international des produits à base d'OGM non protégés. Par ailleurs, le Protocole et l'Accord sanitaire et phytosanitaire (Accord SPS) de l'OMC ne sont pas subordonnés. Donc, l'OMC peut continuer de commercialiser les OGM protégés par le Protocole dans les mêmes conditions que les produits agricoles ordinaires. Et pourtant, l'Accord SPS met en avant la preuve scientifique comme outil principal d'harmonisation du processus de normalisation, même si ce concept est imprécis. Dès lors, le contexte particulier de faiblesse des connaissances scientifiques dans le recours aux OGM dans l'agriculture et l'alimentation justifie non seulement le principe de précaution mais aussi la nécessité de préciser la notion de preuve scientifique. Il s'agit là de l'un des multiples enjeux d'un droit qui n'en est qu'à ses premiers balbutiements.
EN:
The fledgling field of law governing international trade in the field of genetically modified organisms (GMOs) is breaking new ground. The Protocol of Biosafety now constitutes its main frame of reference. GMOs intended for dispersion into the environment are covered by the principle of caution and the procedure of prior agreement with knowledge of critical factors. As for GMOs intended for consumption and processing, they are only partially covered in the procedure ; moreover, their terms and conditions will only be determined in two years. Finally, products derived from GMOs are excluded from the Protocol. The limits in the scope of the Protocol are such that the World Trade Organization (WTO) will continue exclusively to oversee the international trade of GMO-basedproducts that are not protected. Furthermore, the Protocol and the WTO Agreement on the Application of Sanitary and Phytosanitary Standards (SPS Agreement) are not subordinated. Hence, the WTO may continue the marketing of GMOs protected under the Protocol according to the same conditions as ordinary agricultural produce. Nonetheless, the SPS Agreement emphasizes scientific evidence as the primary tool for harmonizing the standardization process, even though this concept remains somewhat imprecise. As such, the peculiar context of weak scientific knowledge in the use of GMOs in agriculture and food producing not only justifies the precautionary principle, but also the need for making the concept of scientific evidence more precise. This is just one of the very many critical factors in an area of the law that is making its début.
Notes
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Critique de l'idée de propriété du corps humain ou Le miroir de l'infâme belle-mère de Blanche-Neige
Jacques Fierens
pp. 383–402
AbstractFR:
Comment rendre compte des fondements juridiques de la protection du corps humain ? Une doctrine ancienne héritière de Locke et certaines décisions de jurisprudence ont affirmé un droit de propriété du sujet sur son corps. Cette analyse repose sur l'affirmation au moins implicite d'une impossible distance entre le sujet et son corps, issue du platonisme, puis de la philosophie subjectiviste qui cherche à affirmer la maîtrise de la raison — d'une certaine raison — sur soi-même, sur autrui et sur le monde. Le danger est d'oublier que le corps est d'abord relation à autrui, ce qui d'ailleurs justifie sa protection contre des relations réifiantes. C'est dans cette relation même, et non dans un impossible lien de soi à soi, que doit être cherché le fondement ultime de la protection juridique du corps. Depuis la Renaissance, en philosophie, depuis la Charte des Nations Unies, en droit, le concept de respect de la dignité humaine pourrait constituer ce fondement.
EN:
How should one take account of the legal grounds for protecting the human body ? An ancient doctrine handed down through Locke, plus some case-law decisions, have asserted a right of ownership over one's own body. This analysis rests, however, upon the assertion, somewhat implicit, of the impossible distance between the body and the person living in it, an inheritance from Platonism, plus the subjectivist philosophy that seeks to assert the prevalence of reason - a given reason - over oneself, other humans and the world. The danger resides in forgetting that the body is first and foremost a relationship with others, which in fact justifies its protection from relations in substantiality. It is in this earthy setting of relations, and not in an impossible soul-to-soul linkage, that the ultimate grounds founding the legal protection of the body must be sought. Since the Renaissance in philosophy and the United Nations Charter in law, the concept of respecting human dignity could constitute such grounds.
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Aspects linguistiques de la preuve par tradition orale en droit autochtone
André Bourcier
pp. 403–421
AbstractFR:
La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Delgamuukw en décembre 1997 est particulièrement importante pour deux aspects des revendications autochtones : le titre aborigène et la preuve par tradition orale. Ces deux notions sont en relation puisque la seconde est souvent essentielle pour revendiquer le premier. Il existe toutefois deux différences fondamentales entre la tradition orale et les documents historiques qui ont un effet important sur le poids à accorder à cette preuve : la tradition orale est souvent conçue et exprimée dans une langue autochtone parlée par un très petit nombre de locuteurs et la connaissance de son contenu est toujours liée à une performance individuelle momentanée. L'objet du présent article est d'offrir certaines indications linguistiques sur l'interprétation de la tradition orale de façon à permettre aux autochtones comme aux juristes de mieux en évaluer la valeur probante.
EN:
With its decision in Delgamuukw v. British Columbia of December 11, 1997, the Supreme Court of Canada has touched upon two sensitive issues for Aboriginal claims in Canada : the existence of an Aboriginal title and the use of oral tradition to prove such a title. These two notions are related since oral tradition is often essential to support an Aboriginal Title claim. There is however two fundamental differences between oral traditions and historical documents that can create important problems in evaluating such a proof : oral traditions are often conceived and expressed in an aboriginal language spoken by few speakers and the knowledge of what is embedded in these traditions is always dependent on the perfomance of an individual. The goal of this article is to propose some linguistic evidence used to interpret oral tradition that may help Aboriginal people as well as lawers to better evaluate the quality of that proof.