Synthèse de dix ans de recherches sur les suites du régime seigneurial au Québec, l’ouvrage grand format et richement documenté de Benoît Grenier révèle la survivance d’une forme de propriété foncière qu’on croyait disparue et dont on cultive la mémoire. Avec cette synthèse, Grenier complète un circuit de recherches, de publications, de conférences et d’entrevues filmées. L’auteur est un spécialiste du régime seigneurial en Nouvelle-France, sur lequel il a déjà publié plusieurs ouvrages. Son enquête classique dans les archives a été augmentée par une étude ethnologique auprès de plusieurs informateurs avec la complicité de Stéphanie Lanthier et de Michel Morissette. La question seigneuriale offre l’intérêt de l’originalité. Voici en effet un régime de propriété qui a marqué la géographie et le peuplement continu d’une vallée fluviale isolée aux confins de l’Amérique du Nord. Pour Grenier, il s’agit d’un authentique « lieu de mémoire », car la seigneurie forme aussi « une dimension, jusqu’ici négligée, de l’identité sociale et culturelle du Québec contemporain » (p. 19). Mieux, il s’agit d’une « particularité qui a contribué, au même titre que la religion catholique, la langue française et le droit civil, à l’émergence de l’identité canadienne-française dans ce qui a d’abord été le Bas-Canada, puis le Canada-Est et enfin le Québec » (p. 19). D’où son étonnement : en dehors des études littéraires, la production savante a boudé une « mémoire seigneuriale » pourtant omniprésente, de sorte qu’elle « ne constitue donc pas, à ce jour, un objet d’étude au Québec » (p. 25). Son étude vise à combler une lacune qu’il faut aussi expliquer. La première partie du livre (deux chapitres) explique la place du régime seigneurial dans la société québécoise à partir de son abolition en 1854. Parce qu’il a perduré jusqu’en 1940, ce régime s’inscrit dans l’histoire contemporaine. En effet, l’abolition de 1854 a été fictive, car les seigneurs, confortablement dédommagés de leurs pertes de revenus, ont pu maintenir de vastes domaines fonciers — les résidus non concédés de ces seigneuries —, et que la plupart des anciens censitaires ont continué de payer un modeste loyer annuel sur leur propriété, trouvant plus avantageux de le faire que de racheter la totalité des rentes constituées. Le premier chapitre traite du rachat. En 1940, 81 % des rentes dues aux seigneurs et à leurs ayant droit n’avaient toujours pas été acquittées, ce qui éternisait la disparition d’un régime encombrant et administré sans surveillance. Le gouvernement décida donc d’y mettre fin en obligeant les « censitaires » à racheter leur rente par le biais des administrations municipales. Le deuxième chapitre traite de l’état des seigneuries après l’abolition. Car elles continuent d’exister, parfois sous ce nom, parfois sous d’autres, et peuvent constituer de vastes domaines, comme sur la côte de Beaupré, en Minganie et sur l’île d’Anticosti. Voilà donc pour la réalité tangible, celle que l’histoire peut le mieux appréhender puisque ses sources et sa chronologie sont abondantes. La deuxième partie comprend un chapitre sur la mémoire institutionnelle du régime seigneurial, les deux suivants sur la mémoire et l’identité familiale des seigneurs, un autre encore sur la mémoire des censitaires, et un dernier sur la mémoire bâtie. Ici entre en jeu l’enquête de terrain, l’auteur ayant réalisé plusieurs entrevues auprès d’informateurs issus surtout des anciennes familles seigneuriales, mais aussi de la descendance des censitaires. La conclusion évoque la folklorisation de l’institution et l’oubli des contraintes qu’il imposait à la société et revient enfin sur les hypothèses et la démarche de l’étude. L’ensemble, reposant sur un travail minutieux et soigneusement expliqué, est complété par un lexique, des cartes et documents, une bibliographie et un index. …
Benoît Grenier, Persistances seigneuriales. Histoire et mémoire de la seigneurie au Québec depuis son abolition, Québec, Septentrion, 2023, 266 p.
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Patrice Groulx
Historien
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