Que reste-t-il de l’histoire nationale ? Si les nations ont perdu leur capacité de rêver, pour broder autour du titre du précédent livre de Gérard Bouchard (Les nations savent-elles encore rêver ? Les mythes nationaux à l’ère de la mondialisation, Montréal, Boréal, 2019), sont-elles encore au moins en mesure de se mirer dans l’histoire ? Plus largement, l’impuissance présumée des sociétés contemporaines à se projeter vers l’avant à travers des projets collectifs a-t-elle pour conséquence, ou pour cause, une inaptitude de ces mêmes sociétés à regarder derrière elles ? Peut-on réanimer l’avenir à grand renfort de passé ? Ainsi se fait la soudure entre les travaux récents de Bouchard, consacrés aux imaginaires sociaux et à la crise des fondements symboliques des communautés contemporaines, et ce nouvel essai voué au sort de l’histoire nationale, principalement dans l’enseignement. J’écris « essai », mais j’aurais tout aussi bien pu écrire « étude » puisqu’en plus d’une réflexion sur les origines, l’état présent et le devenir de l’enseignement de l’histoire nationale, l’auteur propose l’analyse de 103 manuels parus entre 1804 et 2018. En résulte un ouvrage composite, qualifié avec justesse d’« ambitieux » en quatrième de couverture et dont la structure est complexe jusqu’à en paraître déroutante. Dès la première page, le réputé sociologue et historien québécois annonce la couleur : son livre est un plaidoyer en faveur de l’histoire nationale, la seule, estime-t-il, apte à retisser le tissu culturel – la mémoire – passablement éméché de nos sociétés, de même qu’à susciter une authentique participation citoyenne. Un relèvement qui passe par l’une des rares institutions qui surnagent malgré la crise de la transmission culturelle : l’école. Mais comme l’histoire nationale traîne à ses chevilles de lourds boulets et que les débats sur son enseignement sont aussi innombrables qu’incessants, l’auteur n’a besoin de rien de moins que de quatre parties et dix chapitres, munis chacun de leur propre introduction et conclusion, pour accomplir la tâche qu’il s’est assignée. Résultat : la table des matières s’étale sur dix pages ! Le lecteur est prié de boucler sa ceinture, la route sera longue, sinueuse et bosselée. La première partie (chapitres un à quatre) est de nature théorique. Bouchard tente d’extirper la nation du tordeur qui ne cesse de la broyer depuis plusieurs décennies. Une après l’autre, sans chercher à la laver de tous ses péchés, il balaie plusieurs des objections qui ont été soulevées à son encontre. Aux dires de plusieurs experts et praticiens, elle serait homogénéisante, réfractaire à la diversité, téléologique et imperméable aux réalités transnationales. Bouchard rétorque que, du point de vue politique, la nation reste encore aujourd’hui le lieu privilégié où se nouent les accords qui confèrent une légitimité à l’État, à la démocratie et à la citoyenneté. La nation, telle que redéfinie depuis les années 1950, souligne-t-il, est fondée « sur la liberté, la démocratie, les droits de la personne, le pluralisme, la non-violence, la recherche de l’égalité sociale et le rejet du magistère abusif des Églises » (p. 217). Une réalité qui ne s’est toutefois pas transposée du point de vue de l’enseignement, comme le révèle l’examen des finalités successives attribuées à l’histoire nationale au Québec depuis la Révolution tranquille. À partir du rapport Parent et particulièrement depuis la réforme de 2006, on assiste à une dénationalisation tranquille des programmes. Pour autant, les valeurs et objectifs privilégiés par ces programmes (objectivité, autonomie de l’élève, inclusion, pluralisme, etc.) ne parviennent pas toujours à trouver leur chemin jusque dans les manuels et les salles de classe. « En d’autres mots, la nation a survécu dans l’enseignement, mais par le biais des …
Gérard Bouchard, Pour l’histoire nationale. Valeurs, nation, mythes fondateurs, Montréal, Boréal, 2023, 392 p.
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Julien Goyette
Université du Québec à Rimouski
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