Toute relation entre un homme et une femme qui s’aiment est étrange et appelle, plus que tout autre chose, à être considérée sui generis. Elle demeure mystérieuse car on ne connaît pas plus la vérité de leurs sentiments que leur intimité et l’on ne peut sonder le secret de leurs affinités charnelles. « Vous êtes loin, ce soir, physiquement loin puisque vous voilà à Chicago, mais vous êtes bien près de ma pensée. Et c’est pourquoi je vais au moins commencer à vous écrire une de ces longues lettres que nous appelons “biologiques”, mais qui se termine rarement sans qu’un paragraphe plus sentimental ne s’ajoute. C’est heureux, en vérité, car je vis toujours de votre dernier paragraphe, qui décuple mon énergie ! », écrivait Marcelle Gauvreau, un soir de janvier 1937, à celui qu’elle aimait appeler son « Cher Ami ». À bord du SS Haïti, en route pour les Caraïbes, l’auteur de l’imposante Flore laurentienne notait dans une lettre adressée à sa « grande amie » le jour de Noël 1937 quelques-unes de ses réflexions botaniques : « La postérité est à présent une ouvreuse de lettres, s’inquiétait le prince de Ligne, il n’y en a plus de confidentielles. On est en chemise : et on paraît en public. » Le risque est bien réel de flatter les penchants voyeuristes d’une foule de curieux. Marcelle Gauvreau partageait ce tourment. C’était sans compter le tact et le discernement mesuré d’Yves Gingras. Éminent historien des sciences, Gingras fréquente le frère Marie-Victorin de longue date. Intéressé par sa liberté d’esprit et de parole, il avait déjà porté à notre connaissance un choix des textes de combats du frère des Écoles chrétiennes qui, en plus d’être un botaniste passionné, fut également un intellectuel avant-gardiste dont les travaux et les discours ont profondément influencé la société québécoise de l’entre-deux-guerres. Yves Gingras a pris une heureuse initiative, celle de nous offrir une sélection des lettres échangées entre le frère Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau, son assistante à l’Institut botanique. Cette correspondance tout à fait singulière s’est déployée sur une dizaine d’années, à partir de 1933, jusqu’à ce que la mort accidentelle de Marie-Victorin en juillet 1944 vienne y mettre un terme cruel. L’existence de ces échanges épistolaires, longtemps restée confidentielle, avait été rendue publique en 1990 lors de la parution d’un article du journaliste Luc Chartrand, intitulé « Les amours secrètes du frère Marie-Victorin ». Fondé sur une lecture partielle du corpus des lettres échangées entre le frère et Marcelle Gauvreau, l’article attirait l’attention sur leur relation amoureuse tout en évoquant les tourments sexuels de la vie religieuse. Surtout, souligne Yves Gingras, le journaliste appelait à une publication intégrale des lettres pour jeter la lumière sur les dimensions psychologiques et morales de la chasteté. L’ensemble de cette correspondance – environ 330 lettres et cartes postales échangées au cours de la période 1933-1944 – fut acquis en juillet 1990 par le Service des archives de l’UQAM. Yves Gingras a décidé de retenir les lettres que Marie-Victorin qualifiait lui-même de biologiques : ces lettres relatent les recherches, les expériences et les réflexions du frère Marie-Victorin sur la sexualité, recherches, expériences et réflexions toutes partagées, jusqu’à aujourd’hui dans le plus grand secret, avec sa confidente et collaboratrice Marcelle Gauvreau. En 2018, lorsque paraissent ces Lettres biologiques, les réponses de Marcelle étaient encore protégées par la Loi sur le droit d’auteur, mais il n’aura pas fallu attendre bien longtemps pour que le titulaire des droits accepte de rendre ces lettres publiques, permettant ainsi la parution des Lettres au frère Marie-Victorin. Avec ces deux ouvrages, il devient …
Marcelle Gauvreau et frère Marie-Victorin : d’une enquête biologique à la vie éternelleFrère Marie-Victorin, Lettres biologiques. Recherches sur la sexualité humaine, présentées par Yves Gingras, Montréal, Boréal, 2018Marcelle Gauvreau, Lettres au frère Marie-Victorin. Correspondance sur la sexualité humaine, présentées par Yves Gingras et Craig Moyes, Montréal, Boréal, 2019
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Anne Collinot
CNRS - Centre Alexandre Koyré (UMR 8560)
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