En nos temps, il est rare de trouver un énoncé de politique publique s’ouvrant sur une pareille prescription normative, qui repose sur une conception humaniste des potentialités du zoon politikon. Par le foisonnement de ses pistes interprétatives, celle-ci n’est pas sans plaire au regard de l’historien.ne. Elle situe l’acteur socio-historique – le citoyen, la citoyenne – comme le principal acteur du fait social – la collectivité, la culture, la démocratie. Elle le considère sous de nombreuses facettes, à la fois empiriques et idéelles. Elle lui attribue une finalité à son action – son épanouissement plein et entier –, comme la guérison est l’objectif ultime de toute thérapie. Cette déclaration traduit la réflexion, sinon l’introspection, de son auteur, une réflexion toute tendue vers son accomplissement. Or, son auteur n’est nul autre que le psychiatre et homme politique Camille Laurin. En épilogue de son ouvrage de témoignage sur ses années passées aux côtés de Laurin, paru en 2005, Robert Filion rappelait que de nombreux aspects de la vie et de l’oeuvre de l’homme politique restaient encore à raconter, voire à découvrir. Deux ans auparavant, Jean-Claude Picard avait pourtant fait paraître une biographie conséquente, la seule à ce jour, sur celui qui fut une figure majeure de la psychiatrie comme de la politique québécoise. Compilant témoignages de proches et archives inédites, le journaliste avait réussi à donner un aperçu juste et assez complet de la vie plurielle de ce personnage majeur de l’histoire québécoise du XXe siècle. Pour autant, beaucoup restait encore à faire. D’une part, parce que Picard avait laissé, démarche synthétique oblige, des aspects de la vie et de l’oeuvre de Laurin dans l’ombre, privilégiant qui plus est souvent la description à l’analyse. D’autre part, parce que, comme le signalait déjà Filion, le personnage reste complexe, multiple, et de ce fait difficilement saisissable dans son unité, son entièreté : « il n’existe pas un seul Camille Laurin, il en existe aujourd’hui plusieurs, selon l’expérience de celles et ceux qui auront eu la chance et le bonheur de le côtoyer. » Dans un long reportage sur Laurin publié en 1978 dans L’Actualité, le journaliste Graham Fraser notait déjà l’ambivalence, la dualité du personnage : Peut-être est-ce cette difficulté à cerner l’homme dans son entier, ou bien l’immensité du personnage historique, ou encore la qualité du livre de Picard, reste que, malgré la présence d’archives nombreuses et bien identifiées grâce au travail de ce dernier, aucun.e historien.ne ne se décida à s’emparer de ce riche sujet d’étude que pouvait être Camille Laurin, et ce alors même que le contexte historiographique québécois commençait à revaloriser l’histoire intellectuelle ainsi que l’histoire des acteurs et actrices de la Révolution tranquille et de ses prémices. Constatant encore en 2013 le peu d’intérêt jusqu’alors porté au père du mouvement souverainiste et de la fameuse loi 101 (au-delà de ses collègues, admirateurs ou élèves), le sociologue et homme politique Jean-François Simard s’attacha, avec l’aide de plusieurs auteurs, dont d’anciens collaborateurs de Laurin, à étudier avec sérieux ses principales contributions politiques. Tout en participant ainsi activement à ouvrir le champ des études lauriniennes dans le monde académique, l’ouvrage, qui restait, il faut le dire, plutôt en surface de la pensée du psychiatrie-politicien à différents égards, ne suscita pas de vocation. Ainsi, plus de vingt ans après son décès, l’oeuvre de Camille Laurin reste encore peu étudiée, ou alors indirectement, comme certains travaux d’histoire politique portant sur les années 1960 à 1980 l’ont fait. Pourtant, comme l’a montré l’un de nous en se penchant sur sa carrière psychiatrique, il reste beaucoup à dire sur l’oeuvre de Laurin, beaucoup …
À la (re)découverte de l’oeuvre de Camille Laurin
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Alexandre Klein
Université d’OttawaMartin Pâquet
Université Laval
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