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Chaque contribution à l’étude des « Rébellions » est la bienvenue, car l’importance et l’intérêt de cet épisode historique semblent déconsidérés par les chercheuses et les chercheurs enseignant dans les universités du Québec et du Canada, mais également du fait de la richesse de l’évènement qui reste à explorer. Le livre d’Yvan Lamonde, Les colonies du Haut et du Bas-Canada avant et à l’époque des rébellions, vient compléter une discussion historiographique qui a pris forme depuis les années 1990 et qui s’est accélérée avec la publication, en 2010, du livre de Michel Ducharme sur l’idée de liberté : que nous apprend la déprovincialisation d’un évènement qu’il nous faut, aussi, comprendre dans son unicité, c’est-à-dire en englobant dans une même réflexion les deux colonies canadiennes ? L’apport de Lamonde est toutefois limité, mais les lectrices et les lecteurs intéressés par l’histoire politique de ces deux colonies, entre leur création administrative en 1791 et la tentative de révolution qui éclate en 1837, auront certaines bonnes raisons de consulter l’ouvrage.

Le but d’Yvan Lamonde est de comparer les histoires du Bas-Canada et du Haut-Canada (le Québec et l’Ontario) afin de « pondérer la dimension nationalitaire des évènements de 1837 et de 1838 » (p. XI). Il est structuré en ce sens avec, tout au long d’une progression chronologique, des chapitres et des sections qui s’appliquent à mettre en parallèle les deux colonies, alors que plus de la moitié du livre est consacrée à ce que l’auteur nomme les « rébellions », au pluriel. Diverses annexes complètent l’ouvrage, rendant accessibles des informations utiles et élémentaires. La narration commence avec le bouleversement provoqué par la Révolution américaine et l’auteur rappelle un ensemble d’informations politiques, démographiques et culturelles sur la période couverte. Les lecteurs attentifs sourcilleront néanmoins à la vue de certaines imprécisions factuelles ou éditoriales, comme les dates de la guerre d’Indépendance des États-Unis (p. 1 et p. 3). Le propos se concentre sur la progressive radicalisation de la contestation face à l’ordre britannique dans les deux colonies (chapitres 1 et 2), prélude à l’éclatement de la violence dans les années 1830. L’ampleur de l’analyse s’avère néanmoins restreinte, ce qui est manifeste pour le Haut-Canada puisque l’auteur s’appuie davantage sur des notices du Dictionnaire biographique du Canada (DBC) – excellente source, certes, malgré l’âge des textes – que sur les recherches disponibles, notamment les plus récentes. La juxtaposition d’informations qui résulte de cette démarche accentue sa tendance à personnifier l’histoire, ce qui tend régulièrement vers l’anecdotique, même si sa connaissance générale de l’histoire lui permet de proposer un récit agréable et accessible aux non-spécialistes. Les informations portant sur le Bas-Canada sont largement reprises de ses précédents ouvrages, incontournables et donc bien connus.

Si les extraits des notices biographiques du DBC continuent de fournir une importante partie des informations, le propos se densifie dans le chapitre consacré au radical William Lyon Mackenzie, qui permettra notamment au lectorat francophone de mieux se familiariser avec cette grande figure haut-canadienne de l’époque. L’auteur souligne que le « vice » de l’administration coloniale, incarné par le « Family Compact » et la « clique du Château » au pouvoir dans les deux colonies, « était massivement le même dans le Haut et dans le Bas-Canada » (p. 40). Par conséquent, Mackenzie et Papineau s’accordent dès les années 1820, selon l’auteur, pour identifier leur « intérêt mutuel » et « l’intérêt d’un travail commun ». Le troisième chapitre documente cette convergence des luttes et des revendications, qui se précise au tournant de 1830, ce qui représente une contribution historiographique notable. Pour les années qui précèdent l’éclatement de la violence militaire (chapitre 4), nous percevons, à travers un récit chargé en longues citations et excessivement focalisé sur quelques individus, l’imprégnation de la logique républicaine chez les opposants au régime britannique des deux colonies, mais également l’intensification des échanges entre les deux groupes. Les trois derniers chapitres sont consacrés aux « rébellions », mais ils n’apprendront pas grand-chose au lectorat connaissant l’évènement, si ce n’est quelques citations ou anecdotes ; l’organisation du récit rappelle ce que nous pouvons lire ailleurs, et Lamonde confirme indirectement ce que d’autres ont démontré quant à la synchronisation et à la coopération des républicains des deux colonies.

L’intérêt d’une comparaison du Haut et du Bas-Canada est finalement très peu explicité dans ce livre. L’auteur fait le choix de présenter deux histoires parallèles plutôt qu’une histoire imbriquant les deux colonies, ce qui était pourtant le sens de l’article d’Allan Greer, « Rebellion Reconsidered », auquel l’auteur fait référence (traduit dans le Bulletin d’histoire politique en 1998). Le « bilan », qui fait office de conclusion, s’avère ainsi relativement confus sur les enseignements de la comparaison. Ne comportant qu’une seule note de bas de page, il témoigne également de l’écueil majeur du livre : l’auteur a choisi de mettre de côté les recherches récentes sur son objet d’étude, qui ne sont, dans leur ensemble, ni mentionnées, ni utilisées, ni discutées. Le livre ne comporte pas d’introduction, ce qui aurait permis de proposer un état de la littérature savante et de mieux démontrer l’apport de l’ouvrage, la nature de la réflexion, de même que l’originalité de la démarche. Présenté comme une sorte de synthèse, le livre se révèle plutôt être un essai personnel et étranger à la discussion historiographique. Il est agréable à lire et comporte des informations pertinentes, mais il demeure assez superficiel en plus de réduire l’histoire à une poignée d’individus, maintenant hors de celle-ci les sociétés coloniales tout autant que les Premières Nations. Ce sentiment de superficialité est nourri par l’utilisation discutable de certaines notions et de certains concepts, notamment celui de « démocratie », et par l’absence de sources soutenant le point de vue de l’auteur sur des moments clés ou controversés (le départ de Papineau à Saint-Denis en novembre 1837, p. 124, par exemple, ou l’épisode de Navy Island, p. 139). Le lectorat souhaitant explorer et évaluer l’intérêt d’une histoire intégrée ou comparée des deux colonies durant l’ère des révolutions, ou contrebalancer certaines interprétations de l’auteur, est donc encouragé à consulter un ensemble de travaux qui ne sont pas mentionnés dans ce livre, en particulier Le concept de liberté au Canada à l’époque des révolutions atlantiques (1776-1838)[1] et Guerre d’indépendance des Canadas[2].