Abstracts
Résumé
Les historiens autant que les littéraires se sont intéressés de près à la correspondance entre Olivar Asselin et Claude-Henri Grignon. Nous pensons, entre autres, aux travaux d’Yvette Francoli et d’Antoine Sirois. Qu’en est-il toutefois de la correspondance entre Grignon et Jules-Édouard Prévost, député de Terrebonne, sénateur et directeur du journal L’Avenir du Nord de Saint-Jérôme ? Les premiers contacts entre Prévost et Grignon remontent à 1916, alors que ce dernier était au début de la vingtaine. Dès ces moments-là, le jeune Grignon entreprit, sous l’oeil attentif de Prévost, une carrière de journaliste et de critique littéraire à L’Avenir du Nord, hebdomadaire d’allégeance libérale. C’est ainsi que Grignon se familiarisa avec les couleurs du libéralisme radical, pour ne pas dire le « rouge » de Prévost. Cette première expérience professionnelle, à titre de critique littéraire parmi la presse locale, l’aurait mené vers une nouvelle étape de son développement intellectuel, lui permettant de se tailler une place dans l’univers des lettres canadiennes-françaises. L’analyse de la correspondance Grignon-Prévost, qui regroupe plus d’une vingtaine de lettres rédigées entre 1917 et 1940, nous permettra de nous plonger dans l’intimité du mentor et de son mentoré, ce dernier étant alors profondément touché par la rhétorique enflammée et les idées libérales de Prévost. Nous croyons que les années passées aux côtés de Prévost marquèrent de façon indélébile la pensée du redoutable pamphlétaire en devenir qu’incarna Grignon sous le pseudonyme de Valdombre à la fin des années 1930.
Mots-clés :
- Claude-Henri Grignon,
- Jules-Édouard Prévost,
- libéralisme,
- liberté,
- pamphlet,
- polémique,
- politique,
- littérature,
- correspondance,
- Québec
Article body
« M. Prévost faisait la part très large à la littérature. Il est vrai que la politique y prenait la première place pour la défense des idées libérales. J’en ai bien connu des libéraux, mais jamais aussi rouge écarlate que Jules-Édouard Prévost[1]. » C’est ainsi que Claude-Henri Grignon, auteur prolifique et pamphlétaire redoutable originaire de Sainte-Adèle dans les Laurentides, décrivait la pensée et l’oeuvre journalistique de Jules-Édouard Prévost, directeur du journal d’allégeance libérale L’Avenir du Nord de Saint-Jérôme, député libéral de Terrebonne de 1917 à 1930 et plus tard, sénateur au Parlement canadien.
En dépit de ses nombreuses oeuvres littéraires, Claude-Henri Grignon, reconnu dans la culture populaire pour une certaine agressivité verbale dans ses célèbres Pamphlets de Valdombre de 1936 à 1943, ou encore pour ses talents de scénariste des Belles Histoires des Pays d’en Haut présentées à Radio-Canada de 1956 à 1970, nous a révélé très peu de choses sur sa vie personnelle de même que sur ses années de formation à la profession de journaliste, de critique littéraire et, bien entendu, de pamphlétaire.
Dans cet article, nous esquisserons le développement de la relation entre Claude-Henri Grignon et Jules-Édouard Prévost. Relation qui s’étendit de la fin des années 1910, alors que Grignon se trouvait dans la jeune vingtaine, jusqu’aux années 1940, et dans laquelle Prévôt a tenu les rôles de confident, de mentor et même de mécène à certains moments. Durant ces années, Grignon poursuivit, sous l’oeil attentif de Prévost, une carrière de journaliste et de critique littéraire, d’abord à L’Avenir du Nord, puis dans ses Pamphlets de Valdombre. Ainsi, qu’a retenu Grignon de ses années passées aux côtés de Prévost ? Une certaine idée de la liberté ou encore un certain registre de l’écriture pamphlétaire ? Nous pensons que cette relation fut déterminante pour le jeune pamphlétaire en devenir qu’était Grignon, notamment en ce qui concerne ses écrits sous le pseudonyme de Valdombre, à partir du milieu des années 1930.
Dans l’ensemble de l’historiographie québécoise, seuls deux chercheurs se sont penchés sur la correspondance personnelle de Grignon. François Sirois, professeur à l’Université de Sherbrooke, a dépouillé la correspondance entre celui-ci et Olivar Asselin, tandis que sa collègue, Yvette Francoli, a étudié les lettres que le pamphlétaire envoya à l’auteur d’À l’ombre de l’Orford et poète des Cantons-de-l’Est, Alfred DesRochers[2]. Nous avons également étudié la correspondance entre Grignon et l’écrivain et polémiste français René Benjamin[3]. Tous s’accordent pour dire que Grignon était un épistolier infatigable et sincère, entretenant ses interlocuteurs de ses intérêts personnels, mais aussi de ses angoisses et de ses peurs[4]. Les rôles de mentor et de mécène d’Asselin ou encore celui de confident de Desrochers auprès de Grignon sont assez bien connus. Toutefois, nous connaissons moins celui de Prévost qui fut tout aussi important (comme nous le verrons) pour le développement intellectuel de Grignon, en particulier sur son oeuvre littéraire, mais aussi sur sa pensée. Seul Pierre Rouxel, au moyen d’une thèse de doctorat réalisée à l’Université d’Ottawa et consacrée à l’oeuvre polémique de Grignon, a reconnu que le jeune pamphlétaire devait une fière chandelle à Jules-Édouard Prévost « qui lui apprend à écrire et qui met à sa disposition une admirable bibliothèque où il passe, à lire, des heures précieuses ». Dans le même esprit, Rouxel indique qu’il « n’est pas exagéré que de l’affirmer : c’est bien dans L’Avenir du Nord, et dès les premiers textes, que naît l’oeuvre polémique de Grignon[5] ». Quant à Prévost, l’écrivain québécois Paul Beaulieu a étudié sa correspondance avec le critique, poète et romancier Louis Dantin, de son vrai nom Eugène Seers, dans Les écrits du Canada français, en 1982[6]. Beaulieu présente Prévost jouant le rôle de mécène et de mentor auprès du jeune Louis Dantin qui souhaitait alors se tailler un nom dans l’univers des lettres canadiennes-françaises de la première moitié du XXe siècle[7].
Tout autre est l’historiographie des idées libérales au Québec, surtout depuis 1990. En effet, les ouvrages sur le libéralisme ou encore les biographies de personnages politiques libéraux abondent[8]. Toutefois, ce qui étonne le plus par rapport à l’historiographie du libéralisme, c’est l’absence quasi totale d’études portant sur des « figures libérales » évoluant à l’extérieur de la sphère politique, surtout de la politique partisane. Grignon représente alors un cas intéressant, non seulement pour étudier le discours ou les idées libérales des sphères littéraires et artistiques du Canada français, mais aussi pour éclairer la pensée d’auteurs canadiens-français moins bien connus, c’est-à-dire plus atypiques ou vivants à l’extérieur de la métropole. Par conséquent, le cas particulier de Grignon — décrocheur scolaire, ex-détenu à la prison de Bordeaux, témoin d’une grande misère sociale à une certaine époque de sa vie et pamphlétaire autodidacte du nord des Laurentides — nous permettra d’éclairer cette facette de l’historiographie quelque peu oubliée jusqu’à maintenant[9].
Comme indiqué plus haut, les historiens et les littéraires se sont peu intéressés à l’influence de Prévost sur Grignon, sans parler des origines de sa sensibilité libérale ; sensibilité qui se serait essentiellement traduite par un attachement profond au Parti libéral, alors perçu, par Grignon lui-même, comme le garant des « traditions fondamentales », des institutions britanniques, de l’ordre établi, mais également du droit de propriété et des libertés individuelles (liberté de presse, d’opinion, d’entreprise et de possession)[10]. Pour Grignon, tout cela est resté vrai jusqu’à l’avènement de la Révolution tranquille. Nous y reviendrons.
Cet article s’appuie essentiellement sur la correspondance entre Grignon et Prévost, conservée dans le Fonds Famille Prévost au Centre d’archives du Vieux-Montréal de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec, ainsi que sur les Pamphlets de Valdombre, qui aident à comprendre les liens entre les deux hommes. Précisons que la correspondance s’est échelonnée de 1917 à 1940. En tout, elle représente 20 lettres : deux en 1917, six en 1919, une en 1920, une en 1922, une en 1923, deux en 1930, deux en 1931, une en 1934, deux en 1936, une en 1939 et une en 1940. Elles sont toutes de Grignon. Celles du sénateur Prévost, que nous avons tenté de dénicher dans le Fonds Claude-Henri Grignon, sont manquantes. Peut-être Grignon lui-même les aurait-il détruites vers la fin de sa vie, au cours d’un grand élagage de ses documents personnels ? En l’absence des lettres de Prévost, nous devons interpréter les activités et la pensée de Prévost à la lumière des missives de Grignon.
Les lettres de Grignon à l’intention de Prévost, empreintes d’une grande franchise, nous révèlent les tensions et les noeuds existentiels du jeune auteur en début de carrière, surtout dans sa vie privée. Cette correspondance nous révèle également les origines de son style pamphlétaire, ainsi que l’importance qu’il accordait à la liberté d’expression : deux traits déterminants de son caractère professionnel. Pour nous, étudier Grignon, c’est d’abord et avant tout chercher à comprendre les gens qui l’ont côtoyé tout au long de sa vie[11].
Dans cette analyse, nous dresserons d’abord une courte biographie de Prévost et de Grignon. Cela nous amènera ensuite à examiner les idées fortes du libéralisme de Grignon, en particulier dans ses Pamphlets. Nous nous pencherons ensuite sur la correspondance entre Grignon et Prévost. L’étude de leur correspondance nous permettra d’éclairer leur relation, la vie intime de Grignon et aussi son évolution intellectuelle.
Parcours biographiques de Prévost et de Grignon
Prévost naît à Saint-Jérôme dans les Laurentides en 1871, sur la rivière du Nord, à environ 30 kilomètres en aval de Sainte-Adèle où Grignon naîtra 23 ans plus tard. Le jeune Prévost étudie au Collège Saint-Sulpice de Montréal avant d’étudier à Paris ainsi qu’au couvent des Pères du Saint-Sacrement à Bruxelles. Journaliste et polémiste redoutable, Prévost s’affirme, dès 1897, en tant que personnage de premier plan dans L’Avenir du Nord de Saint-Jérôme, hebdomadaire libéral « né rouge, qui vécut rouge et mourra rouge », aux dires de Grignon[12]. Le journal traite de front des sujets politiques et sociaux de nature délicate pour l’époque, par exemple, l’instruction obligatoire. En plus de diriger L’Avenir du Nord, Jules-Édouard participe de façon importante à la scène politique locale. En 1910, le premier ministre québécois, le libéral Sir Lomer Gouin, nomme Prévost au Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique. Puis, en 1917, Jules-Édouard est élu comme député libéral de Terrebonne à Ottawa, poste qu’il occupe jusqu’en 1929.
Dans L’Avenir du Nord, Prévost défend l’idée de la gratuité scolaire et l’uniformisation des manuels scolaires, en plus de favoriser une loi de l’instruction obligatoire et la création, à plus long terme, d’un ministère de l’Instruction publique, et ce, au grand dam des membres du clergé et des politiciens conservateurs siégeant avec lui à la table du Conseil. Il en demeure membre jusqu’à la fin de sa vie. De 1930 à 1943, Prévost termine sa carrière politique à titre de sénateur à la division sénatoriale de Mille-Isles, poste lui ayant été offert par le premier ministre canadien de l’époque, William Lyon Mackenzie King. Prévost demeure au Sénat dans son fief de Saint-Jérôme jusqu’à son décès en 1943, à l’âge de 72 ans[13].
Pour sa part, Claude-Henri Grignon naît à Sainte-Adèle le 8 juillet 1894. Fils de médecin de campagne, le jeune Grignon grandit parmi la petite bourgeoisie canadienne-française en milieu rural. Élève des pères de Sainte-Croix au Collège Saint-Laurent et des pères trappistes à l’Institut agricole d’Oka, le jeune Grignon préfère la littérature à l’agronomie. Dès ce moment, le jeune homme emprunte un parcours d’apprentissage plutôt atypique, en autodidacte, loin des canons collégiaux[14]. En 1916, Grignon, alors au début de la vingtaine, quitte Sainte-Adèle et s’installe à Montréal pour devenir critique littéraire sous le pseudonyme de Claude Bâcle à L’Avenir du Nord de Saint-Jérôme. Travailleur acharné, Grignon collabore sous différents pseudonymes à plusieurs journaux, notamment La Minerve, le Matin, le Nationaliste et le Canada[15]. En 1919, Grignon rencontre le journaliste nationaliste Olivar Asselin par l’entremise de Prévost. C’est aussi à cette époque que Grignon découvre l’oeuvre de l’écrivain catholique Léon Bloy, ainsi que les textes de Charles Maurras et de Léon Daudet dans L’Action française de Paris[16].
De retour à Sainte-Adèle en 1930, Grignon connaît une grande incertitude financière. Durant la Grande Dépression, Grignon et sa famille plongent dans la misère sociale. Du 16 juin au 19 novembre 1932, Grignon se retrouve derrière les barreaux, purgeant une peine de six mois à la prison de Bordeaux de Montréal pour un vol commis à la fin des années 1920. À sa sortie de prison, Grignon réussit à se dénicher un emploi au ministère de la Colonisation du Québec. Entre-temps, il se consacre à la rédaction d’Un homme et son péché, son célèbre roman qui se voulait à l’origine un pamphlet contre l’argent[17]. En 1933, le vent tourne en sa faveur avec la parution de son roman qui connaît un immense succès de librairie. En 1934 et 1935, Grignon collabore comme critique littéraire à des journaux éphémères lancés par Asselin, soit l’Ordre et La Renaissance.
En août 1936, Grignon est congédié du ministère de la Colonisation par le gouvernement Duplessis fraîchement élu, possiblement en raison de sa participation à la campagne électorale aux côtés des libéraux d’Adélard Godbout[18]. Néanmoins, Grignon profite de son retour à Sainte-Adèle pour lancer ses Pamphlets de Valdombre en décembre de la même année. Dès lors, cet homme querelleur, reconnu pour son agressivité verbale, confirme sa réputation de pamphlétaire redoutable[19].
Parallèlement, de 1937 à 1939, Grignon assure la direction de la section littéraire du journal En Avant, alors dirigé par le député libéral Télesphore-Damien Bouchard, surnommé le « Diable de Saint-Hyacinthe ». Des années 1940 à la fin des années 1950, Grignon s’éloigne du genre pamphlétaire pour se consacrer à son oeuvre littéraire, particulièrement à la radio, puis à la télévision, ce qui lui permet d’acquérir une renommée de taille dans la culture populaire québécoise de même qu’une petite fortune personnelle. Il faudra attendre les années 1960 et l’avènement de la Révolution tranquille pour voir Grignon reprendre la littérature pamphlétaire dans ses éditoriaux du Journal des Pays d’en Haut (1967-1970) et rompre ses liens avec le Parti libéral et l’« équipe du tonnerre » de Jean Lesage. Pour la petite histoire, Jean Lesage, alors chef de l’opposition, s’était lui-même rendu dans le grenier de Grignon, à Sainte-Adèle, pour inviter le pamphlétaire à se joindre à son équipe. Lors de l’entretien, Grignon piqua une colère monstre, refusant catégoriquement la proposition de Lesage, car René Lévesque, que le pamphlétaire considérait comme un gauchiste notoire, était au nombre des candidats vedettes. Grignon apportera publiquement son soutien à l’Union nationale d’Antonio Barrette, alors à bout de souffle[20].
Les idées fortes du libéralisme de Grignon
Les chercheurs qui ont étudié la pensée de Grignon de même que ses écrits polémiques soulignent ses tendances vers les idées libérales : l’individualisme, la liberté d’expression et la propriété privée en forment les principales composantes. Bernard Proulx, par exemple, fait de Grignon un franc-tireur « assoiffé d’indépendance journalistique », défendant des idées « libérales marginales[21] ». Même son de cloche du côté de Paul Bouchard, directeur du journal indépendantiste La Nation de Québec pendant les années 1930, qui le considérait « comme un libéral défenseur des idéologies du dernier siècle[22] », ou encore de Jean-Pierre Bonneville qui écrivait que Grignon se « proclame nationaliste sans l’être, et il est ardemment libéral sans le dire[23] ». Ses liens d’amitié avec des politiciens libéraux, dont Jules-Édouard Prévost, Athanase David, T.-D. Bouchard, Hector Perrier et Lionel Bertrand, sans parler de son appui aux premiers ministres Louis-Alexandre Taschereau, Adélard Godbout et même au chef libéral Georges-Émile Lapalme[24], en disent également long sur sa relation étroite avec le Parti libéral et, par la même occasion, avec une certaine idée de liberté.
Difficilement classable sur l’échiquier idéologique canadien-français, Grignon développe une pensée originale quelque peu étrange, défendant tout à la fois les libertés individuelles et l’Église catholique comme institution d’encadrement, sans parler de son traditionalisme, de son ruralisme et de son antiétatisme. Nous pourrions dire que Grignon avait une façon bien personnelle de conjuguer libéralisme et traditionalisme. En réalité, cet autodidacte sans réelle formation classique a effectué un bricolage idéologique pouvant paraître contradictoire, alliant un libéralisme hérité d’une vieille tradition remontant à Wilfrid Laurier et aux « rouges, les vrais rouges, ce qu’il y a de plus rouge (ceux de quatre-vingt-seize)[25] », un catholicisme de tendance ultramontaine et, pour terminer, un antiégalitarisme assumé, inspiré de la conception hiérarchique et élitiste de la société qui avait été celle des nationalistes traditionalistes canadiens-français, notamment Olivar Asselin[26]. Dans la tradition politique française et canadienne-française, cette sensibilité intellectuelle partagée a généralement été perçue comme un anarchisme de droite[27].
Néanmoins, toute sa vie, Grignon se présente comme « un apôtre, un passionné, un esclave de l’individualisme[28] », ainsi qu’un défenseur acharné des libertés individuelles[29]. Comme nous l’avons montré, dans la pensée grignonienne, le concept de liberté ou encore le libéralisme, « qui garde pour but ultime le perfectionnement de l’individu, lui permettant d’utiliser ses propres facultés à son profit personnel, à condition que la masse n’en souffre pas[30] », est fondamental. Par exemple, dans ses Pamphlets de Valdombre, tel un véritable franc-tireur libre, Grignon exprime une soif d’indépendance journalistique et de liberté sans limites[31]. Lors d’une entrevue réalisée en 1957, Grignon ne déclare-t-il pas avoir « choisi le métier d’écrivain pour être libre et pour [s]e battre[32] » ? Grignon vénère la liberté d’opinion et d’expression. Son appétit de liberté individuelle guide son oeuvre[33], en plus d’être un gage de bonheur[34]. Pour lui, la protection de la liberté de parole doit également passer par la défense des opinions de ses adversaires, prenant même la défense du journal Le Devoir en 1950[35]. En 1937, Grignon réagit même violemment à la fermeture du journal La Province de l’Action libérale nationale (ALN), alors sous la direction de Paul Gouin, écrivant : « parce que j’aime à me battre, parce que je suis essentiellement un journaliste d’opposition, j’adore la presse individuelle et je suis prêt à défendre tout journal libre, même s’il ne pense pas comme moi[36] ». Grignon est même prêt à plonger dans la misère la plus totale pour la défense des libertés de presse : « Il se peut que ma liberté de parole me force un jour à crever de faim. Je crèverai de faim. Ce sera un vendu de moins au pays de Québec[37]. » Pour Grignon, la liberté d’expression se prend et se vit.
De même, en dépit de son attirance envers les régimes fascistes italien et portugais de Mussolini et de Salazar à la fin des années 1930, Grignon ne manque aucune occasion de dénoncer en termes virulents les régimes politiques fascistes qui font fi des libertés. Par exemple, dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Grignon fait brusquement volte-face, après s’être opposé aux politiques d’armement d’Ottawa en 1937, pour se rallier définitivement à la conscription et à l’effort de guerre canadien[38]. Considérant désormais les régimes démocratiques comme un « moindre mal » devant les dictatures européennes et la menace nazie, Grignon affirme sa détermination à protéger la démocratie et les institutions parlementaires britanniques pour préserver ses libertés individuelles[39].
Méfiant envers l’État, Grignon conspue l’assistance publique sous forme de pensions de vieillesse et de secours direct aux chômeurs. Il chérit aussi l’autonomie : l’esprit d’indépendance, l’épargne, l’individu âpre au gain et l’esprit d’entreprise, c’est-à-dire la figure du self-made man. Même ses personnages sont empreints de liberté. Citons le personnage de Séraphin Poudrier, surtout celui incarné par le comédien Jean-Pierre Masson dans les Belles Histoire des Pays D’en Haut, de 1956 à 1970, soit un authentique self-made man d’origine modeste qui a gravi les échelons tout au long de sa vie, passant ainsi de fils de colon à maire de Sainte-Adèle, préfet du comté de Terrebonne, agent des terres pour le ministère de la Colonisation sous l’oeil attentif du curé Labelle, alors sous-ministre, sans oublier son rôle de prêteur qui lui permit de devenir l’homme le plus riche des Laurentides[40]. Mentionnons aussi le personnage d’Alexis Labranche, célèbre draveur et déserteur qui quitte son petit patelin des Laurentides pour les États-Unis et refuse de s’établir définitivement comme colon afin d’assouvir sa soif de liberté[41].
Chez Grignon, on constate également l’importance centrale de la propriété terrienne, qu’il conçoit comme source essentielle de liberté, d’autonomie et d’indépendance rurale, voire un véritable « royaume de liberté », avait-il coutume d’écrire[42]. Reliant la propriété à la liberté, dans l’introduction aux Pamphlets de Valdombre de décembre 1936, il écrit : « Il n’y a qu’une seule façon de reconquérir nos droits chez nous et de reprendre notre liberté : c’est par la possession du sol et par le maintien sur le sol de la paysannerie canadienne-française[43]. » De plus, selon lui, l’argent n’exerce aucune emprise sur le propriétaire terrien. Chez Grignon, le paysan est entièrement autonome, car il subvient à ses propres besoins au moyen de la culture du sol[44] : « Y a-t-il une chose plus belle au monde qu’une bonne terre, avoir une maison à nous autres, être son propre maître ? C’est le seul bonheur et la seule indépendance […]. Tout le reste, c’est de l’esclavage[45]. » Selon son ancien compagnon d’armes, Jean-Louis Gagnon, Grignon « croyait ferme que la passion du sol chez un vrai paysan lui faisait presque un devoir de convoiter la parcelle du voisin. Posséder du bien était une obligation pour tout homme raisonnable ; on le devait aux siens, sinon à soi-même[46] ». Dans ses textes, Grignon insiste surtout sur la valeur cardinale de liberté du propriétaire qui souhaite rester maître de son travail et de son destin.
En définitive, selon la conception grignonienne de la liberté, tous les hommes, du journaliste de combat le plus aguerri au propriétaire terrien, peuvent s’emparer de la liberté. Les premiers doivent se battre avec leur plume pour défendre leurs opinions, et les seconds, mettre leurs bras à profit pour s’emparer du sol. En d’autres mots, selon Grignon, la liberté se choisit ; elle se définit et se construit, pour une minorité d’hommes, grâce à des prouesses, à de la volonté et de l’énergie, et repose essentiellement sur le travail des individus.
La correspondance Prévost-Grignon
Pour mieux retracer le cheminement de la correspondance entre Grignon et Prévost, nous avons divisé cette section en trois périodes historiques : Le jeune disciple en quête de conseils (1917 à 1923), Le confident appelant à l’aide (1930 à 1934) et L’héritier pressenti (1936 à 1940).
Le jeune disciple en quête de conseils (1917-1923)
Alors que Grignon connaît ses débuts en journalisme à L’Avenir du Nord en 1916, cette année marque aussi son départ de la paisible résidence familiale de Sainte-Adèle pour la métropole. Ce grand déménagement se caractérise par des conditions de logement médiocres, des soucis d’argent et un poste d’employé civil à la douane canadienne que Grignon trouve monotone : « Je gagnais péniblement ma vie à Montréal. Mon père mort, j’entrai dans le fonctionnarisme […]. Je me vouais à Montréal à une jeunesse fébrile, violente et folle[47]. »
Le jeune homme, alors isolé à Montréal et nostalgique de ses années passées à la campagne, trouve rapidement en Prévost non seulement un lecteur attentif et un interlocuteur chaleureux avec qui il partage des aspirations, mais aussi un juge riche d’une expérience politique acquise au cours d’une longue carrière. C’est donc à Montréal que Grignon entreprend, sous le pseudonyme de Claude Bâcle, une carrière parallèle à titre de critique littéraire sous l’oeil attentif de Prévost. Grignon acquiert alors une tribune où il peut publier en toute liberté ses écrits : « Mon père mourut en 1915. Je me suis cru obligé de continuer la tradition et je commençai à écrire dans l’Avenir du Nord sous le pseudonyme de Claude Bâcle […]. Je n’écrivais pas des chroniques de villages à la mode de mon père, mais bien des critiques littéraires assez percutantes[48] ». Dès lors, Prévost guide les premiers pas dans l’arène journalistique de ce jeune autodidacte qui nourrit le rêve d’entreprendre une carrière d’écrivain, voire de pamphlétaire.
Dans le courrier du 21 janvier 1917, soit à peine quelques mois après son embauche à un poste de journaliste, Grignon tient à aviser Prévost des changements qu’il compte apporter à ses chroniques littéraires. Passant du pseudonyme de Claude Bâcle à celui de Pierre Gringoire, le jeune pamphlétaire se veut désormais à l’image de son mentor, soit plus bagarreur et plus polémiste : « Je ne suis plus Claude Bâcle […]. Je suis maintenant Pierre Gringoire qui souffre de voir comment […] plusieurs de bons Canadiens envisagent certaines questions sociales. […] Si j’étais tant soit peu un écrivain, je resterais Claude Bâcle […]. Je suis loin d’être cet écrivain, et mon esprit a besoin de varier, de changer. C’est même une nécessité[49]. »
Ce propos est fort éclairant sur les nouvelles aspirations littéraires du jeune homme qui cherche désormais à se tailler une place dans l’univers des lettres canadiennes-françaises de l’époque. Précisons que ses premiers articles dans L’Avenir du Nord, notamment « Maison à vendre » et « Nostalgie », tiennent plus des chroniques du village, des souvenirs d’enfance et du journal intime que du journalisme de combat. Grignon se sentait sans doute las d’écrire ce type de textes. Cette lettre représente un tournant pour l’élève tout dévoué auprès de son mentor. Elle nous permet de mieux comprendre le nouveau ton des textes de Grignon et des critiques littéraires qu’il rédigera par la suite, un genre qu’il défendra d’ailleurs toute sa vie.
À ce moment-là, Grignon traverse une période difficile à Montréal : le décès de son père, la vente de la maison familiale de Sainte-Adèle et des problèmes d’adaptation à la vie urbaine. Le jeune homme se trouve dans une situation de dépaysement, cherchant tant bien que mal à s’acclimater à la fois à la ville et à son travail de fonctionnaire. Quoi qu’il en soit, le jeune critique littéraire s’impose alors comme « ligne de conduite de tomber nos auteurs canayens [sic] ; le premier de tous, Monseigneur Camille Roy, et le deuxième, Louis Dantin. Un clerc et un défroqué. Ça commence bien. Ça plaît à Prévost, lui-même un écrivain de combat[50] ». De plus, Prévost accorde carte blanche à son jeune protégé, soit la liberté de création et d’écriture la plus totale, car, selon Grignon : « Prévost avait pour la liberté de parole un respect qui pouvait aller jusqu’aux plus grands sacrifices[51]. »
C’est ainsi que naît l’oeuvre polémique de Grignon dans les pages de L’Avenir du Nord. Ce dernier tient d’ailleurs à remercier chaleureusement Prévost dans une lettre datée du 22 août 1919 pour les mots d’encouragement, mais surtout pour les conseils qu’il avait reçus au fil du temps :
Quand je songe, Monsieur Prévost, à mes tristes débuts littéraires, je dois forcément reconnaître que vous avez été bien bon d’avoir publié ces articles. […] L’encouragement que vous m’avez prodigué tant de fois m’a rendu audacieux et un peu sans gêne. C’est vous, plus que les livres même, qui m’avez fait aimer les lettres. Les lettres ! mais c’est tout pour moi, à cette heure. […] Je travaille avec le peu de talent que je peux y mettre, pour une littérature canadienne[52].
Plus bas dans cette lettre, le jeune Grignon profite de l’occasion pour faire valoir ses intérêts. Chez lui, la critique littéraire marque une étape importante dans sa formation menant au métier de pamphlétaire :
Il faudrait, mon Dieu ! que les esprits finissent par comprendre que la critique est un genre littéraire comme un autre et que nous en avons grandement besoin si nous voulons revivre dans les vieilles époques littéraires et par là même préparer les nouvelles. Que la critique soit un travail ingrat, il ne faut pas tout de même la négliger complètement. […] Je vous demanderai, monsieur Prévost, la permission d’écrire dans votre journal, une fois par mois, une critique sur les vieux livres canadiens. Vous connaissez mes forces.
Défendant une littérature typiquement canadienne, Grignon est tout entier absorbé par la critique littéraire et surtout par la querelle du régionalisme qui fait rage. Sans trop s’éloigner, disons que le conflit opposant les écrivains régionalistes aux auteurs exotiques permet à Grignon de jouer un premier rôle de polémiste qu’il n’abandonnera plus jamais[53].
À la même époque, L’Avenir du Nord offre à Prévost une tribune de choix pour exprimer ses idées en matière d’enseignement, en particulier l’instruction obligatoire des enfants de 7 à 14 ans, une idée plutôt avant-gardiste et audacieuse pour l’époque. En 1918, Prévost dépose une législation sur l’instruction obligatoire, d’où sa proposition de modifier la Loi de l’instruction publique afin de permettre aux villes ayant une population supérieure à 1 000 habitants d’obliger les enfants de 7 à 14 ans à fréquenter l’école. Chiffres des recensements fédéraux à l’appui, il fait valoir que le Québec a le triste titre de champion de l’analphabétisme et du décrochage scolaire au Canada. Malgré sa démarche conciliante au sein du Conseil de l’Instruction publique, il se heurte à l’opposition de Mgr Paul-Eugène Roy, évêque auxiliaire de Québec, qui réussit à faire rejeter la motion après en avoir réfuté les arguments. Prévost devra attendre les dernières années de sa vie pour voir enfin poindre des jours meilleurs en faveur de l’instruction obligatoire au Québec[54].
Dans sa lettre du 20 janvier 1919, Grignon tient, dès les premières lignes, à féliciter Prévost pour ses « connaissances en pédagogie » ainsi que pour les réformes qu’il compte mener « avec une franchise admirable et un jugement qui va vous créer des adeptes ». Grignon admire surtout en Prévost le représentant d’une liberté de pensée que très peu de politiciens, à l’époque, osent s’accorder : « [S]’il est encore au pays des hommes qui croient à la liberté et à l’intelligence, ajoute Grignon, ils ne pourront faire autrement que de vous applaudir et vous suivre[55] ».
La lettre esquisse également une chronologie des découvertes de Grignon, de plus en plus au fait de l’actualité et de la politique, notamment de la question de l’enseignement[56]. Bien que la question littéraire occupe la place prédominante chez Grignon, il s’intéresse aussi de près à la question de l’enseignement, et ce, jusqu’à occuper le poste de président de la Commission scolaire à Sainte-Adèle entre 1940 et 1950. Dans les années 1930, Grignon critique sévèrement l’enseignement des collèges classiques, et trente ans plus tard, dans les années 1960, Grignon se porte à la défense du Département de l’Instruction publique, tout en étant farouchement opposé à la création du ministère de l’Éducation du Québec, l’un des grands symboles de la Révolution tranquille.
Chez Prévost, si Grignon admire l’homme, il applaudit surtout le journaliste, le penseur et l’homme de grande culture. Dans sa lettre du 26 février 1919, soit au lendemain du décès du premier ministre canadien d’allégeance libérale Sir Wilfrid Laurier, ainsi que de la parution d’un article fort élogieux de Prévost à l’endroit du défunt, Grignon profite de l’occasion pour exprimer toute son « admiration la plus légitime pour le Grand Mort ». Après avoir lu et sans doute relu l’article de Prévost, Grignon écrit d’un seul trait : « Je serai maintenant un grand politique, j’aurai foi dans un gouvernement Lauriériste[57]. » Puis vient cette phrase essentielle qui nous permet de bien saisir sa démarche intellectuelle, alors en pleine croissance : « [J]e comprends bien votre douleur, monsieur Prévost, vous […] qui devez désormais marcher dans le chemin de la justice et de la liberté possible. […] Tous les libéraux (je n’entends pas les “rouges”) marcheront vers les succès s’ils négligent [sic] pas un seul instant la doctrine politique de Laurier[58]. »
Ce dernier passage met en évidence l’attrait du jeune Grignon pour l’expression des idées libérales, notamment son attachement aux idées libérales de tradition britannique promue par Laurier et le Parti libéral fédéral. Il parle alors du « grand chef » Laurier, et jure que l’avenir du libéralisme est assuré si les hommes sont guidés par sa « doctrine politique » et par sa « mémoire ». S’établit alors entre les deux hommes un échange fondé sur la communauté de vue et d’aspiration. Cette lettre montre la sensibilité politique de Grignon, alors dans la jeune vingtaine. Malgré la correspondance se révélant limitée à cette époque, elle en demeure un moment décisif dans sa découverte d’une tradition politique qu’il défendra une grande partie de sa vie.
Au fil des ans, Grignon exprime sa reconnaissance envers Prévost. On la mesure à cette lettre du 18 avril 1919 à l’intention du député de Terrebonne, et dans laquelle Grignon rend hommage à son « directeur de conscience » qui le guide depuis 1916 :
Je sais fort bien que les journaux ne puissent pas atteindre la liberté que rêvaient de leur donner les directeurs. Le pays est un enfant […]. Mais les hommes aussi sont des enfants et les directeurs de journaux doivent les surveiller de près, surtout quand ils sont comme moi pleins d’enthousiasme, de rêves et de folies. Les hommes comme vous se doivent à nous ; ils restent nos maîtres et les meilleurs amis du monde. Leurs conseils alors sont toujours religieusement écoutés et suivis : ils nous tracent le chemin de la vie et le rendent agréable[59].
Grignon semble s’exprimer avec aisance et spontanéité. Rappelons également que les années 1919 et 1920 marquent un tournant idéologique décisif dans la vie de Grignon. C’est à ce moment qu’il rencontre Olivar Asselin par l’entremise de Prévost[60] et qu’il découvre l’oeuvre de l’écrivain catholique Léon Bloy. Avec ces trouvailles, Grignon passe dès lors de la philosophie des Lumières au traditionalisme (Grignon est, à ce moment-là, un avide lecteur des encyclopédistes comme Voltaire, Rousseau, d’Alembert et Diderot) et de l’athéisme au catholicisme le plus absolu (Grignon est alors athée). Toutefois, en dépit de cette conversion idéologique à la fois importante et significative, Grignon demeure un ardent défenseur des idées libérales et du libéralisme.
Au début de 1922, Grignon offre ses voeux de Nouvel An à Prévost. Le milieu libéral et intellectuel dans lequel il baigne depuis déjà un certain temps lui convient parfaitement :
Je vous souhaite de longues et bienheureuses années ; et cela, pour le bien et la liberté de quelques jeunes littérateurs qui vous admirent dans votre dilettantisme, votre libéralisme littéraire, votre amour de la franchise et du style personnel. Moi, surtout, j’ai besoin de votre journal pour exprimer romantiquement ou froidement mon opinion. Quand vous ne serez plus là, où sera « l’avenir » du parti des intellectuels[61] ?
À ce sujet, dans la lettre du 2 août 1923, Grignon fait part à Prévost de son rêve, celui de faire découvrir aux Canadiens français l’auteur italien de l’Histoire du Christ, Giovanni Papini. Dans sa lettre, Grignon critique sévèrement le silence du journal Le Devoir et de ces journalistes qui « préfèrent discourir avec emphase, ignorance et cuistrerie sur des poètes médiocres qui n’épouseront jamais l’amour, ni l’enthousiasme ou l’absolu[62] ».
Dans cette même lettre, Grignon révèle à Prévost son désir de profiter d’une plus grande liberté d’action dans les années à venir « afin d’accomplir son devoir », c’est-à-dire de nettoyer « à grands coups de balai et de pelle, notre misérable écurie de lettres. [E]n attendant cette tempête […] ou cette bénédiction nécessaire, j’ose écrire ma pensée dans des journaux qui ont le courage de la publier entièrement[63] ». Et Grignon de terminer : « Se savoir compris et aimé de quelques-uns, c’est la moitié de la victoire[64]. » Les témoignages de ce genre sont nombreux dans les lettres de Grignon et annoncent un programme ambitieux auquel Grignon demeura fidèle.
Le confident appelant à l’aide (1930-1934)
En 1930, Grignon quitte Montréal pour Sainte-Adèle en compagnie de son épouse et de sa nièce, Claire Grignon, qui deviendra sa fille adoptive. Grignon connaît dès lors une grande incertitude professionnelle et financière, le plongeant dans la misère matérielle la plus totale. Durant ces années, ses problèmes personnels dominent ses préoccupations. Précisons qu’à ce moment, des charges criminelles, en particulier des accusations de vol et de recel d’argent, crimes qu’il aurait commis pendant la prohibition alors qu’il était employé des douanes canadiennes, étaient portées contre lui[65]. L’homme de Sainte-Adèle clamera toujours son innocence, se disant même victime d’un coup monté à son égard.
Contrairement aux lettres précédentes, celle du 10 mars 1930 revêt un caractère plus officiel, étant adressée non pas à un ami, mais bien à « Monsieur Jules-Édouard Prévost, député de Terrebonne au fédéral. » Dans sa lettre, Grignon demande à Prévost, désormais sénateur à Ottawa, de l’aider dans cette affaire, notamment pour mettre un terme aux procédures judiciaires. La lettre de Grignon ne manque toutefois pas d’aplomb :
Vous n’ignorez pas que le Gouvernement semble ne pas vouloir agir dans mon affaire […]. Il y a déjà sept mois que la chose est devant les tribunaux. Je suis dans une situation malaisée, incapable de gagner ma vie. C’est assez. Je n’attends plus. Je ne peux plus attendre […]. Je charge donc mon beau-frère […] à se rendre à Ottawa pour rencontrer les intéressés. Je n’aurais pas voulu agir sans vous en parler[66].
Le paragraphe suivant est le plus instructif de sa missive auprès de Prévost. Grignon est formel :
La chose est simple. Je veux que le Ministère des Douanes lève la plainte au criminel, me remettre [sic] mon « back pay » (5 %) et mon salaire depuis le 15 août 1929. Qu’il se nomme un auditeur (comme il aurait dû faire d’abord) qui, en compagnie du mien, auditeront les livres. Si je dois quelque chose au département, je paierai. Si, au contraire, c’est la faute de la mauvaise administration, je ne paye pas. Un point. C’est tout[67].
Prévost est-il intervenu dans cette affaire ? Ce porte-parole auprès d’hommes politiques influents a-t-il exercé son influence pour aider Grignon ? Lui a-t-il tendu une perche à un moment critique de sa vie ? La correspondance, de même que nos recherches, n’ont pu nous éclairer là-dessus.
L’année suivante, sans argent et au bord de la faillite, Grignon tend de nouveau la main vers Prévost qui, en 1929, reprend en charge la direction de L’Avenir du Nord, mais sans en assumer la propriété qu’il avait cédée en décembre 1926. L’Avenir du Nord convient alors, par raison d’économie, de couper le salaire de Grignon. Espérant écrire des recensions payées, Grignon avise rapidement Prévost de la décision du journal dans sa lettre du 5 octobre 1931 : « Vous comprenez comme moi ma déception, surtout si vous réalisez que je ne gagne que $2.50. Cette somme n’a rien d’extravagant, mais elle m’aide à vivre, étant donné la crise actuelle et les grandes difficultés qui m’accablent[68]. »
Bien que les colonnes de L’Avenir du Nord fussent toujours ouvertes à Grignon, il entendait voir ses compétences comme critique littéraire reconnues, étendues et rémunérées à leur juste valeur depuis bon nombre d’années. C’était tout le contraire. Vivant dans la misère et traversant la Crise économique tant bien que mal, Grignon travaille toujours pour un salaire dérisoire en échange de ses articles de critique : « Je vis misérablement avec ma plume. J’écris dans différents journaux sans distinction de couleur politique. […] Et des amis, tel que M. Asselin, l’ont bien compris qui m’aident à vivre et m’encouragent […] ». Puis il termine ainsi : « Je sais bien, cher monsieur Prévost, qu’il n’en dépend pas de vous, mais comme ancien collaborateur et comme ami surtout, je tenais à vous exposer ma situation et à vous faire voir de quelle façon l’on me traite après quinze ans de service[69]. »
Quelques semaines plus tard, dans sa lettre du 3 novembre 1931, Grignon avoue sa pauvreté à Prévost. Mourant de faim, Grignon remercie d’ailleurs ce dernier « des $3 que [lui a] values [sic] [un] article sur [Louis] Dantin » dans L’Avenir du Nord. Cette modeste somme lui paraît d’autant plus importante, étant donné qu’elle lui « permit d’acheter un morceau de pain à [sa] famille[70] ». Ainsi, au détour d’une phrase, le lecteur glane cette confession de Grignon sur lui-même. Celle-ci nous révèle l’état misérable de sa situation financière et sociale dans le creux de la crise, alors causée par une grave pénurie de travail, des ennuis de santé, un peu de dépression et l’attente de son jugement : « J’ignore de quelle façon je passerai l’hiver ? Les vivres me sont coupés dans la plupart des journaux. Ma femme est malade. Moi, je succombe dans une désespérance mortelle. Mon affaire est toujours remise. Mon avocat m’arrache mes dernières piastres, produit d’un travail littéraire qui m’a coûté le sang du coeur. Quel enfer ! »
S’accrochant à Prévost comme à une bouée de sauvetage, Grignon termine sa lettre par ce témoignage d’estime et d’amitié tout à fait caractéristique : « J’ai, cependant, l’espoir de n’avoir pas perdu votre amitié, l’un des rares biens qui me restent ici-bas[71]. »
Les lettres que Grignon rédige entre 1930 et 1931 figurent parmi les plus angoissantes et les plus dures qui soient nées de sa plume.
Mais avant le triomphe, d’autres déboires et déceptions attendent Grignon, à commencer par une peine de six mois d’emprisonnement (du 16 juin au 19 novembre 1932) à la prison de Bordeaux, pour vol. Dès sa sortie de prison, Grignon réussit toutefois à se dénicher un emploi au ministère de la Colonisation du Québec, et ce, grâce à l’influence dont Olivar Asselin usera afin d’aider son ami. Il occupera différents postes au sein de ce ministère jusqu’en 1936. Entre-temps, Grignon se consacre à la rédaction d’Un homme et son péché. Le vent tourne enfin en sa faveur en 1933 avec la parution du roman qui connaît un immense succès de librairie. Sans compter que son auteur remporte le Prix David, assorti d’une bourse de 1700 $. Les années de disettes et de misères financières deviennent enfin chose du passé.
L’héritier pressenti (1936-1940)
Dans sa lettre du 30 juillet 1936, Grignon, alors à l’emploi du ministère de la Colonisation, en particulier au « Service de la publicité » selon l’en-tête de la lettre, met Prévost au courant de sa participation à la campagne électorale. Près de l’organisation libérale, Grignon rédige de nouveau des chroniques politiques dans L’Avenir du Nord :
À la demande de M. [Hector] Perrier, je n’ai pas hésité à fournir de la copie à votre journal durant la campagne […] je peux vous dire que le Premier-Ministre [sic] [Adélard Godbout] n’est pas fâché de me voir mettre la main à la pâte. […] Étant fonctionnaire, j’aurais dû m’abstenir de dire et d’écrire quoi que ce soit, mais devant l’injustice criante et scandaleuse des bleus « retournés » et en face du beau programme de Godbout […] je rentre dans la mêlée pour ne plus en sortir[72].
Dans L’Avenir du Nord, et en dépit de son emploi de fonctionnaire, Grignon n’hésite pas à s’élever contre l’Union nationale et son chef, Maurice Duplessis, qu’il juge arbitraire et rétrograde. Grignon se sert de « violences de langage » pour dénoncer les « mercuriales de l’hypocrite Grégoire et les injures de l’avocat Duplessis[73] ». Les textes de Grignon annoncent-ils la venue prochaine des Pamphlets de Valdombre ? Chose certaine, un sentiment de colère et de révolte l’anime.
Nous connaissons tous la suite. Les libéraux de Godbout perdent leurs élections au profit de l’Union nationale, et Grignon est congédié du ministère de la Colonisation en août de la même année. Au même moment, des accusations de corruption planent sur le ministère de la Colonisation, dont le ministre de l’époque, Iréné Vautrin, ce qui donne notamment lieu au fameux épisode des « culottes à Vautrin ». Toutefois, la correspondance ne nous permet pas de voir comment Grignon navigue dans ce scandale, spécialement en tant que directeur-adjoint de la publicité au ministère de la Colonisation et secrétaire de Vautrin lui-même. Dans ses lettres, le pamphlétaire demeure silencieux sur cet épisode, préférant attribuer son congédiement à ses bravades personnelles contre Duplessis dans L’Avenir du Nord, lesquelles ont certainement pesé dans la balance. Grignon profite de son congédiement et de son retour précipité à Sainte-Adèle, tel un écrivain « frustré » et terriblement dégoûté de s’être fait montrer la porte, pour lancer ses célèbres Pamphlets de Valdombre, en décembre 1936. Grignon caressait ce rêve depuis plusieurs années. En dépit de son congédiement, Grignon, maintenant âgé de 42 ans, exprime à Prévost, dans sa lettre du 19 octobre 1936, sa joie sans réserve de retourner définitivement dans son petit patelin de Sainte-Adèle pour réaliser son rêve : vivre uniquement de sa plume, se dédier au métier de pamphlétaire et lancer ses propres cahiers : « J’ajoute que c’est là une liberté qui me satisfait et qui ne devrait pas trop vous décevoir[74]. »
Dans cette phrase, chaque mot compte. En particulier, la revendication d’une liberté de parole plus grande. Rappelons que cette attitude n’est pas nouvelle chez lui :
Les faits et les idées de la politique aussi bien que de la littérature actuelle vont me permettre d’exprimer librement mes opinions. […] J’ai toujours compris que le seul orgueil de l’écrivain, c’est de pouvoir dire franchement ce qu’il pense, et dans une langue qui, pour n’être pas celle des sorbonnards ou des salonnards, ne traîne pas nécessairement dans les carrefours[75].
Et Grignon de conclure : « Avec mes remerciements anticipés, je vous prie de croire à l’assurance de mon entier dévouement à la cause qui nous est particulièrement chère : celle de la Vérité[76]. »
Dans cette lettre, nous ressentons ce souci qu’a Grignon, à 42 ans, de se poser en confrère, c’est-à-dire d’être considéré comme faisant partie de la famille des journalistes de combat. Grignon promet aussi de ne vivre que de sa plume, de se consacrer entièrement au pamphlet et de revendiquer, plus que jamais, sa liberté de parole. C’est donc avec une certaine impatience qu’il entend, dans ses écrits mensuels, transmettre son point de vue sur la société canadienne-française dans un style vigoureux, polémique et empreint de liberté[77]. Mais ce qu’il exprime le plus dans cette lettre, c’est son désir d’être accepté en tant que collègue par son mentor.
Dans la dernière lettre de Grignon à Prévost le 13 avril 1940, le pamphlétaire raconte avoir reçu une invitation pour se présenter comme candidat libéral dans le comté de Terrebonne pour succéder à Athanase David, mais qu’il « préfère rester dans le rang, et consacrer tout son temps à ses travaux littéraires[78] ». Pressenti comme son possible héritier dans le château fort libéral de Terrebonne, Grignon refuse l’invitation. Bien que ses talents et sa notoriété d’alors le destinent à tenir un rôle majeur en politique provinciale, Grignon écrit : « Vous savez, cher monsieur Prévost, que je ne me suis pas rallié au parti libéral pour ne pas le servir. Mais de là à devenir député, il y a tout de même une marge que mes dispositions naturelles ne peuvent pas combler[79]. »
Fidèle à lui-même, Grignon demeure toujours plus ou moins à l’écart de la politique active, du moins comme candidat sous une bannière politique[80]. À ce moment-là, le pamphlétaire a certainement d’autres projets à l’horizon, notamment s’engager en politique municipale ou encore écrire pour la radio, le théâtre et même le cinéma. À l’aube de la cinquantaine, Grignon cherche sans doute à se tailler pour de bon une place dans le monde des lettres. Voulant désormais réussir en dépit de tout et de tous, Grignon acquiert d’abord une petite célébrité avec la polémique dans ses Pamphlets, comme Prévost avant lui, mais sans doute veut-il désormais réussir financièrement avec ses talents de conteur.
Conclusion
Il est opportun de se questionner sur l’importance d’étudier la correspondance entre Claude-Henri Grignon et Jules-Édouard Prévost, en particulier pour l’histoire intellectuelle. La réponse est bien simple : cette correspondance nous dévoile une facette méconnue de l’histoire intellectuelle et des idées au Canada français. Comme nous l’avons vu, elle jette un nouvel oeil sur la formation de Grignon, personnage quelque peu atypique en raison de son décrochage scolaire, de son autodidactisme loin des canons collégiaux de l’époque, de sa détention à la prison de Bordeaux, de ses années de pauvreté matérielle et de misère sociale au début de la crise, sans oublier son attachement profond à son petit coin de pays et à aux montagnes des Laurentides. Ce cheminement plutôt difficile et non orthodoxe peut expliquer, du moins en partie, la complexité, l’ambiguïté ou encore l’énigme que demeure Grignon sur le plan de sa pensée et de ses idées. À plusieurs égards, la pensée de Grignon constitue un véritable bricolage idéologique, alliant des idées pouvant paraître contradictoires comme le libéralisme rouge de Prévost, d’une part, et aussi le traditionalisme, le catholicisme et le ruralisme, d’autre part. Néanmoins, dans ses lettres à Prévost, les premières années de son cheminement idéologique et littéraire sont révélées, de même que les balbutiements de son parcours de critique littéraire, puis de pamphlétaire, parcours qu’il a traversé loin des milieux politiques plus partisans, de la petite bourgeoisie lettrée et urbaine ou encore des professions libérales. Pour tout dire, l’action intellectuelle et littéraire de Grignon rappelle la place importante des régions plus éloignées du Québec dans la vie culturelle du Canada français.
Nous pensons donc que cet autodidacte en quête de reconnaissance que fut Grignon dès la jeune vingtaine a rapidement assimilé dans sa pensée et dans ses écrits une veine libérale ou un amour de la liberté résultant de ses premières années passées aux côtés de Prévost, et de l’influence de ce dernier. Cette pensée libérale a guidé Grignon toute sa vie durant dans sa vision du journalisme de combat et de la littérature pamphlétaire. En d’autres mots, Grignon chérissait l’esprit d’indépendance, l’individualisme, la liberté d’expression et la propriété privée. Grignon a surtout montré cette soif de liberté dans ses Pamphlets. Il a mené ses combats contre les partis politiques, la corruption et le népotisme au nom de cette liberté qu’il chérissait tant, et ce, depuis ses débuts littéraires en compagnie de Jules-Édouard Prévost. Ce grand principe, soit celui de liberté, pensons-nous, l’emportait dans la pensée de Grignon sur toute autre considération, y compris le catholicisme et l’agriculture qu’il brandissait pourtant avec tant de conviction lorsqu’il estimait la tradition canadienne-française menacée.
La correspondance nous dévoile une amitié profonde et solide entre Grignon et Prévost. Il s’agit de deux hommes qui, rappelons-le, originaires de la même région, étaient passionnés de politique, de littérature et qui étaient des journalistes forts en gueule. Les lettres nous montrent également l’envers de la vie de Grignon : celle d’un jeune pamphlétaire épris de liberté et cherchant à se tailler une place dans le monde des lettres canadiennes-françaises. Comme nous l’avons vu, les années de crise sont parmi les plus angoissantes pour Grignon, alors marqué par la pauvreté, la dépression et les ennuis de santé. Le soutien de Prévost à son jeune disciple et confident fut sans relâche, même durant les périodes difficiles.
L’admiration de Grignon pour le travail de Prévost à l’époque où celui-ci était à la tête de son journal était profonde. En 1937, Grignon fera d’ailleurs, dans ses Pamphlets, le bilan des polémiques qui opposèrent, en 1907, les cousins Prévost, Jean et Jules-Édouard, les « deux lions du Nord », au journaliste Olivar Asselin. Grignon écrit alors à ses abonnés : « Je vous prie de croire que le Prévost de l’Avenir du Nord d’il y a trente ans n’était pas le paisible sénateur d’aujourd’hui. Il fut même l’un des journalistes les plus redoutables de l’époque […][81] ». Et le pamphlétaire d’ajouter : « M. Jules-Édouard Prévost se distinguait surtout comme polémiste, constamment à l’affût de l’ennemi et cherchant sans cesse des raisons de se battre. Il était né journaliste ; il lui fallait des victimes[82]. » En ce qui concerne la pratique du journalisme, de la critique littéraire, voire du pamphlet, nous pouvons affirmer que les années passées aux côtés de Prévost ont été pour Grignon une école aussi importante que ses années d’études : « Jules-Édouard Prévost m’aura enseigné l’amour et le respect des livres, l’art de la polémique, comment attaquer, comment se défendre[83]. » Grignon cherchera jusqu’à la fin de sa vie à recréer ce journalisme de combat, notamment dans ses Pamphlets. Et ses années près de Prévost y ont certainement joué un rôle considérable. Il serait maintenant intéressant de relever dans les écrits plus populaires de Grignon des bribes de discours de combat, une posture pamphlétaire ou encore une critique de la société québécoise, notamment dans ses scénarios des Belles Histoire des Pays d’en Haut. En réalité, Grignon a-t-il été un pamphlétaire toute sa vie ?
Appendices
Notes
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[*]
Cet article scientifique a été évalué par deux experts anonymes externes, que le Comité de rédaction tient à remercier.
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[1]
Textes divers de Claude-Henri Grignon, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds Claude-Henri Grignon, MSS246, bobine 31, p. 1465.
-
[2]
Sur la correspondance entre Grignon et Olivar Asselin, ou encore avec le poète Alfred Desrochers, on consultera Antoine Sirois, « Les pamphlétaires dans l’intimité : la correspondance entre Olivar Asselin et Claude-Henri Grignon », Revue d’histoire littéraire du Québec et du Canada français, vol. 9, hiver/printemps 1985, p. 89-99 ; Yvette Francoli, « Frère de mon âme et de mon art : Claude-Henri Grignon-Alfred Desrochers (1930-1942) », Voix et images, vol. 16, no 1, 1990, p. 44-52.
-
[3]
Ghyslain Hotte, « Claude-Henri Grignon et les droites radicales françaises de l’entre-deux-guerres : influences et échanges », Bulletin d’histoire politique, vol. 27, no 2, hiver 2019, p. 119-145.
-
[4]
Sur l’oeuvre polémique de Grignon, on lira Bernard Doucet, La posture discursive du pamphlétaire chez Claude-Henri Grignon (analyse socio-critique des Pamphlets de Valdombre), Mémoire de maîtrise (littérature), Université du Québec à Montréal, 1980 ; Bernard Andrès, « Pour une grammaire de l’énonciation pamphlétaire », Études littéraires, vol. 11, no 2, 1978, p. 351-372 ; Karine Cellard, « Au terme de l’“âge de la critique” : Valdombre et le chant du cygne du régionalisme », dans Yvan Lamonde et Denis Saint-Jacques (dir.), 1937 : un tournant culturel, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 239-254 ; Dominique Marcil, Construction d’un ethos critique : discours sur la littérature canadienne-française dans Les Pamphlets de Valdombre de Claude-Henri Grignon, Mémoire de maîtrise (littérature), Université du Québec à Montréal, 2007.
-
[5]
Pierre Rouxel, Claude-Henri Grignon (1894-1976), polémiste (1916-1943). Introduction à Claude-Henri Grignon, Thèse de doctorat (littérature), Université d’Ottawa, 1987, p. 165-166.
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[6]
À ce propos, dans le cadre de recherches futures, il serait intéressant d’étudier la correspondance entre Louis Dantin et Jules-Édouard Prévost. Cette correspondance renfermerait, entre autres, des propos importants sur Grignon et nous permettrait de connaître « l’autre côté de la médaille », soit le point de vue de Prévost sur le pamphlétaire de Sainte-Adèle. Toutefois, dans le cadre de cet article, le point de vue de Prévost sur Grignon ne serait guère utile pour comprendre l’évolution de son libéralisme ou encore de son style pamphlétaire. Néanmoins, cette correspondance pourrait enrichir notre compréhension de Grignon en offrant des perspectives complémentaires sur sa vie et sa pensée.
-
[7]
Paul Beaulieu, « Jules-Édouard Prévost », Les écrits du Canada français, nos 44-45, 1982, p. 79-109.
-
[8]
Sur les courants libéraux ou la pensée libérale au Québec, on lira Yvan Lamonde (dir.), Combats libéraux au tournant du XXe siècle, Montréal, Fides, 1995 ; Fernande Roy, Progrès, harmonie, liberté : le libéralisme des milieux d’affaires francophones à Montréal au tournant du siècle, Montréal, Boréal, 1988 ; André Vachet, L’idéologie libérale, Paris, Éditions anthropos, 1970 ; Jean-Paul Bernard, Les Rouges : libéralisme, nationalisme et anticléricalisme au milieu du XIXe siècle, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1971 ; Michel Ducharme, Le concept de liberté au Canada à l’époque des révolutions atlantiques (1776-1838), Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2010. Sur les politiciens libéraux, on consultera Franck M. Guttman, Le diable de Saint-Hyacinthe. Télesphore-Damien Bouchard, Montréal, Hurtubise, 2013 ; Jean-Charles Panneton, Pierre Laporte, Québec, Septentrion, 2012 ; Jean-Charles Panneton, Georges-Émile Lapalme. Précurseur de la Révolution tranquille, Montréal, VLB éditeur, 2000 ; Patrice Dutil, L’avocat du diable : Godfroy Langlois et la politique du libéralisme progressiste à l’époque de Laurier, Montréal, Robert Davies, 1996.
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[9]
À cet effet, l’historien Pierre Savard nous offre un bon portrait d’une figure libérale importante de la région d’Ottawa, Gustave Lanctot. Voir Pierre Savard, « Gustave Lanctot et la Société Royale du Canada », Les cahiers des dix, no 48, 1993, p. 225-254.
-
[10]
Claude-Henri Grignon, « Préface », Mémoires de T. D. Bouchard. Quarante ans dans la tourmente politico-religieuse, Montréal, Éditions Beauchemin, 1960, p. 13.
-
[11]
Ghyslain Hotte, « Claude Henri-Grignon et les droites radicales françaises… », loc. cit.
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[12]
Claude-Henri Grignon, « Olivar Asselin et les polémiques d’autrefois », Les Pamphlets de Valdombre, Première année, no 11, octobre 1937, p. 450.
-
[13]
Fernand Harvey, « Le ministre Hector Perrier, l’instruction obligatoire et la culture, 1940-1944 », Les cahiers des dix, no 65, 2011, p. 258-259.
-
[14]
Interview accordée à Soeur Marie-Joseph-du-bon-Pasteur, 29 novembre 1966, p. 1, dans Rosa Descôteaux, Les sources d’Un homme et son péché, Mémoire de maîtrise (littérature), Université de Montréal, 1969.
-
[15]
Entre autres, Claude Bâcle, L’Ami d’Alceste, Gaston d’Aubecourt, Le Convive distrait, Des Esseintes, Les Frères Zemganno, Masque de Velours, Stello, Trois taxes et finalement Valdombre. Voir Bernard Vinet, Pseudonymes québécois, Québec, Éditions Garneau, 1974, p. 311.
-
[16]
Marguerite Poulin, « Claude-Henri Grignon (Valdombre) lecteur de Léon Bloy », Littérature, vol. 3, 1989, p. 77-85 ; Claude-Henri Grignon, « Mort du vieux lion Léon », Les Pamphlets de Valdombre, cinquième série, deuxième cahier, février 1943, p. 93-94.
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[17]
Claude-Henri Grignon, « Médecin, guéris-toi toi-même », Les Pamphlets de Valdombre, Deuxième année, no 4 mars 1938, p. 170.
-
[18]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, Lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 30 juillet 1936.
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[19]
Entre 1936 et 1943, les Pamphlets de Valdombre rejoignent plus de 3000 abonnés. Dans un style enflammé, Grignon y transmet ses vues concernant la société, l’actualité politique et la littérature. Il est surtout déterminé à faire triompher deux idées : la défense de la paysannerie et la foi catholique. Claude-Henri Grignon, « À mes abonnés, à mes lecteurs », Les Pamphlets de Valdombre, Première année, Cahier 1, décembre 1936, p. 1-3 et 4.
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[20]
Voir Pierre Grignon, « Présentation », dans Olivar Asselin, Le pamphlétaire maudit, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2007, p. 31-32. Pour Grignon, le Parti libéral de Lesage se situait trop à gauche. Il qualifiera d’ailleurs la formation politique de socialiste. Ghyslain Hotte, « Claude-Henri Grignon face à la Révolution tranquille. Les échos de Valdombre », Revue d’histoire de l’Amérique française, volume 73, numéro 4, printemps 2020, p. 35-59.
-
[21]
Bernard Proulx, Le Roman du territoire, Montréal, UQAM, Cahiers du Département d’études littéraires, no 8, 1987, p. 200.
-
[22]
Paul Bouchard, « Quelques remarques à Valdombre », La Nation, 25 novembre 1937.
-
[23]
Jean-Pierre Bonneville, Études littéraires. De Valdombre à André Gide, Val-d’Or, Éditions des Quatre-Saisons, 1948, p. 17.
-
[24]
Dans une lettre adressée à Georges-Émile Lapalme, datée du 5 juin 1950, Grignon félicite le nouveau chef du Parti libéral pour sa victoire dans la course à la chefferie. Toutefois, Grignon y exprime sa frustration de ne pas avoir été choisi comme délégué pour représenter le comté de Terrebonne. Division des archives de l’Université du Québec à Montréal, Fonds Georges-Émile Lapalme, 109 P, Lettre de Claude-Henri Grignon à Georges-Émile Lapalme, 5 juin 1950.
-
[25]
Claude-Henri Grignon, « André Laurendeau a menti », Les Pamphlets de Valdombre, Deuxième année, no 4, mars 1938, p. 85.
-
[26]
Pierre Berthiaume, « La pensée paradoxale d’Olivar Asselin », dans Paul Wyczynski, François Gallays et Sylvain Simard (dir.), L’essai et la prose d’idées au Québec : naissance et évolution d’un discours d’ici, recherche et érudition, forces de la pensée et de l’imaginaire, bibliographie, Tome VI, Montréal, Fides, 1985, p. 379-395.
-
[27]
Au Canada français, l’anarchodroitisme aurait regroupé des auteurs issus d’horizons intellectuels assez variés, tels qu’Olivar Asselin (1874-1937), Jules Fournier (1884-1918), Victor Barbeau (1894-1994), Albert Pelletier (1896-1971), Dollard Dansereau (1909-1983), Berthelot Brunet (1901-1948), Rex Desmarchais (1908-1974) et même Jean-Paul Desbiens, alias Frère Untel (1927-2006). Ces derniers partageaient tous, à divers degrés, une posture polémique analogue exprimée par un refus de la démocratie, une haine des intellectuels, une révolte constitutive, un Moi au-dessus de tout (c’est-à-dire un individualisme excessif), un aristocratisme (considéré à la fois comme un traditionalisme et un antiégalitarisme) et, finalement, une chasse à l’absolu. En France, plusieurs auteurs à la plume acérée, dont Léon Bloy, Barbey d’Aurevilly, Jacques Laurent et les sulfureux Édouard Drumont et Lucien Rebatet, se retrouvent également dans cette sensibilité intellectuelle partagée. François Richard, L’anarchisme de droite dans la littérature contemporaine, Paris, Presses universitaires de France, 1988 ; Pierre Trépanier, « Victor Barbeau, anarchiste de droite », Les Cahiers des Dix, no 59, 2005, p. 55-87 ; Ghyslain Hotte, « Claude-Henri Grignon, l’inclassable anarchiste de droite », Cap-aux-Diamants, no 132, 2018, p.8-11. Nous remercions aussi le professeur Damien-Claude Bélanger de l’Université d’Ottawa pour ces références.
-
[28]
Claude-Henri Grignon, « Hitler et sa bible », Les Pamphlets de Valdombre, Deuxième année, 11 octobre 1938, p. 502-503.
-
[29]
Claude-Henri Grignon, « Louis Francoeur, toujours vivant », Les Pamphlets de Valdombre, Quatrième série, 11 avril-mai 1941, p. 347.
-
[30]
Pour Grignon, le libéralisme était le plus redoutable ennemi du communisme. Claude-Henri Grignon, « Le Christ à Québec », Les pamphlets de Valdombre, Première année, no 2, janvier 1937, p. 63-64.
-
[31]
Claude-Henri Grignon, « Il y a un an aujourd’hui », Les Pamphlets de Valdombre, Première année, no 12, novembre 1937, p. 502.
-
[32]
Entrevue avec Conrad Bernier, « Le rêve d’enfance de Grignon : écrire pour rester libre », La Presse, 10 avril 1976, p. D2-D3.
-
[33]
Claude-Henri Grignon, « Médecin, guéris-toi toi-même », loc. cit., p. 152.
-
[34]
Claude-Henri Grignon, « Qu’avez-vous à dire aux étudiants ? », Les Pamphlets de Valdombre, Cinquième série, Premier Cahier, mars-avril 1942, p. 37.
-
[35]
Claude-Henri Grignon, « Un journal qui ne veut pas ramper a droit à la vie », Le Devoir, no 91, vol. XLI, jeudi 20 avril 1950.
-
[36]
Claude-Henri Grignon, « Paul Gouin n’est pas mort », Les Pamphlets de Valdombre, Première année, no 3, février 1937, p. 115.
-
[37]
Claude-Henri Grignon, « Qu’avez-vous à dire aux étudiants ? », loc. cit., p. 42.
-
[38]
Claude-Henri Grignon, « Mon triomphe à Montréal ou le tendre discours interrompu », Les Pamphlets de Valdombre, Première année, no 4, mars 1937, p. 167-182.
-
[39]
Claude-Henri Grignon, « Nous vaincrons », Les Pamphlets de Valdombre, Quatrième série, no 1, juin 1940, p. 6-7 ; idem, « Nos sacrifices », Les Pamphlets de Valdombre, Quatrième série, no 2, juillet 1940, p. 48-49.
-
[40]
Victor-Lévy Beaulieu « Sur Claude-Henri Grignon », Le Devoir, 10 avril 1976, p. 15.
-
[41]
Luc Bertrand. Un peuple et son avare. Sources et histoire d’un téléroman, Outremont, Libre Expression, 2002.
-
[42]
Claude-Henri Grignon, « Notre aquarium national », Les Pamphlets de Valdombre, Deuxième année, no 7, juin 1938, p. 316.
-
[43]
Claude-Henri Grignon, « À mes abonnés, à mes lecteurs », Les Pamphlets de Valdombre, Première année, no 1, décembre 1936, p. 4.
-
[44]
Claude-Henri Grignon, « Les paysans sous la Monarchie française », Les Pamphlets de Valdombre, Troisième année, no 4, mars 1939, p. 174-175.
-
[45]
Claude-Henri Grignon, Le Déserteur et autres récits de la terre, Montréal, Stanké, 2012 [1978], p. 200.
-
[46]
Jean-Louis Gagnon, Les apostasies. Tome. 1 : Les coqs de village, Montréal, La Presse, 1985, p. 194-195.
-
[47]
Claude-Henri Grignon, « Louis Francoeur, toujours vivant », Les Pamphlets de Valdombre, Quatrième série, no 11, avril-mai 1941, p. 359.
-
[48]
Claude-Henri Grignon, Olivar Asselin, Le pamphlétaire maudit, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2007, p. 57.
-
[49]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 21 janvier 1917.
-
[50]
Claude-Henri Grignon, Olivar Asselin, Le pamphlétaire maudit, op. cit., p. 58.
-
[51]
BAnQ-Montréal, Fonds Claude-Henri Grignon, MSS246, bobine 31, p. 1468, textes divers de Claude-Henri Grignon.
-
[52]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 22 août 1919.
-
[53]
Annette Hayward, La querelle du régionalisme au Québec (1904-1931). Vers l’autonomisation de la littérature québécoise, Ottawa, Le Nordir, 2006 ; Dominique Garand, La griffe du polémique. Le conflit entre les régionalistes et les exotiques, Montréal, l’Hexagone, 1989.
-
[54]
Fernand Harvey, « Le ministre Hector Perrier, … », loc. cit., p. 258-259
-
[55]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 20 janvier 1919.
-
[56]
Ibid.
-
[57]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 26 février 1919.
-
[58]
Ibid.
-
[59]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 18 avril 1919.
-
[60]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 30 mai 1920.
-
[61]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 4 janvier 1922.
-
[62]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 2 août 1923.
-
[63]
Ibid.
-
[64]
Ibid.
-
[65]
Jean-Louis Gagnon, op.cit., p. 194-195.
-
[66]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 10 mars 1930.
-
[67]
Ibid.
-
[68]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 5 octobre 1931.
-
[69]
Ibid.
-
[70]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 3 novembre 1931.
-
[71]
Ibid.
-
[72]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 30 juillet 1936.
-
[73]
Ibid.
-
[74]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 19 octobre 1936.
-
[75]
Ibid.
-
[76]
Ibid.
-
[77]
Ibid.
-
[78]
BAnQ-Montréal, Fonds « Famille Prévost », P.268, lettre de Claude-Henri Grignon à Jules-Édouard Prévost, 13 avril 1940.
-
[79]
Ibid.
-
[80]
Maire de Sainte-Adèle de 1941 à 1951, Grignon est très actif dans sa communauté, aussi bien au sein de la commission scolaire que dans la vie religieuse de sa paroisse. Il sera aussi nommé préfet du comté de Terrebonne.
-
[81]
Claude-Henri Grignon, « Olivar Asselin et les polémiques d’autrefois », Les Pamphlets de Valdombre, Première année, no 11, octobre 1937, p. 451.
-
[82]
Ibid.
-
[83]
BAnQ-Montréal, Fonds Claude-Henri Grignon, MSS-246, Claude-Henri Grignon, « Textes divers et conférences ».