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Il n’est peut-être pas de notion plus confuse actuellement que celle de cancel culture, qu’on l’envisage sous l’angle de la sociologie, de l’histoire ou des études culturelles. À peine s’agit-il d’un concept, au demeurant difficile à manier tant son emploi est risqué. En l’état, la cancel culture représente surtout une catégorie polémique du discours social, un marqueur ouvertement politisé, caractéristique des rhétoriques conservatrices, en particulier depuis que le président américain Donald Trump s’en est fait une cible privilégiée lors de son allocution du 4 juillet 2020 au mont Rushmore en la qualifiant de « fascisme d’extrême-gauche[1] ». Bien qu’elle continue d’être revendiquée, positivement ou négativement, à gauche comme à droite, la cancel culture est le contraire d’une expression neutre. Elle ne possède pas la valeur descriptive et analytique attendue d’un terme savant, et l’on est en droit de s’interroger pour cette raison sur son véritable potentiel heuristique.
Il est indéniable toutefois que cet emploi correspond à un ensemble de pratiques, pour certaines plutôt anciennes comme la diffamation ou le vandalisme, pour d’autres plus récentes, par exemple les comportements liés aux nouvelles technologies de la communication. Il est non moins contestable que la cancel culture répond à des phénomènes d’abord observés aux États-Unis et inséparables de leur histoire. Il suffit de songer aux campagnes de déboulonnage de statues commencées autour de 2015, qui se sont intensifiées après la marche de Charlottesville (le 11-12 août 2017) et le meurtre de George Floyd (le 25 mai 2020). Bien qu’elle obéisse à un calendrier militant chargé, avec ses acteurs propres (Ligue du Sud, Alt-Right, Black Lives Matter, antifas), la cancel culture a rapidement gagné d’autres pays, du Québec à l’Europe, en s’adaptant alors à d’autres particularités sociales et nationales.
Un autre écueil attaché à l’idée de cancel culture est que le terme devrait subsumer des usages divers par nature : les sit-in et boycotts, le vandalisme, les dénonciations sur les réseaux sociaux à l’encontre de personnalités publiques, le limogeage d’employés, les interdits symboliques associés au « politiquement correct », la censure des oeuvres littéraires ou artistiques et, pour finir, l’activisme woke ou le courant de justice sociale apparu dans la dernière décennie. Ce sont beaucoup de faits pour un seul concept, et autant de matériaux hétérogènes entre lesquels l’observateur est contraint d’opérer des choix, avec les conséquences que cette opération entraîne au plan de la démonstration ou de ses conclusions. Il est difficile par conséquent d’y percevoir de l’extérieur une cohérence en dehors de la logique de l’« annulation » elle-même, de saisir ce qui est vraiment commun à ces pratiques. Il est certain qu’il ne se dégage pas la même compréhension de la cancel culture selon que l’on se place au point de vue du vandalisme et de l’histoire politique, à laquelle il est associé, ou des stratégies de diffamation dans l’espace numérique et des enjeux juridiques qui les accompagnent.
S’il est vrai que la cancel culture renvoie à une catégorie plus normative que descriptive, et laisse pour cette raison entrevoir des limites, elle apparaît malgré tout nécessaire et même incontournable dans la mesure où elle peut être défendue comme nécessaire par certains, ou au contraire rejetée par d’autres, ce que les différents acteurs s’affrontant autour de ce que Michel de Certeau appellerait le champ des « procédures » ou des « tactiques[2] » – boycott, vandalisme, dénonciation. Dans ce contexte, la cancel culture est un révélateur des représentations ayant cours dans une société, comme des conflits auxquels donnent lieu ces représentations. Ainsi, lorsque la statue d’Edward Colson est retirée le 7 juin 2020 de son socle à Bristol et jetée à l’eau par la foule, ce n’est pas tant le philanthrope ni l’ancien membre du parti Tory au parlement anglais qui se trouvent en cause que le marchand de la Royal African Company et sa participation à la traite négrière, un trafic estimé à 84 000 esclaves dans son cas. C’est alors une réévaluation du passé que vise en premier lieu l’entreprise iconoclaste. En ce sens, on pourrait même dire que la cancel culture met au jour les discours que des sujets portent sur leur propre culture, c’est-à-dire le système de croyances et de valeurs sur lequel se fonde la société. Enfin, si elle est l’objet d’attaques régulières de la part de la droite américaine, rappelons qu’elle a été également critiquée par Barack Obama[3]. De Noam Chomsky à Francis Fukuyama, elle préoccupe encore des intellectuels aux positions diamétralement opposées sur le spectre politique comme en témoigne « A Letter on Justice and Open Debate », parue dans le magazine Harper en juillet 2020. L’objectif n’est donc pas de prendre parti, mais plutôt de reconstituer et de comprendre la perspective des sujets.
Cette démarche compréhensive distingue certains articles ou livres, au rang desquels on peut compter Aja Romano, « Why We Can’t Stop Fighting about Cancel Culture » ; Meredith D. Clark, « Drag them : A Brief Etymology of So-Called “Cancel Culture” » ; Annulé [e]. Réflexions sur la cancel culture de Judith Lussier ; La cancel culture. Des États-Unis à la France par Julie Assouly ; et enfin Laure Murat, Qui annule quoi ? Sur la cancel culture[4]. Ce corpus, non exhaustif, peut servir de point de départ à la réflexion en ce qu’il est au moins représentatif de la question. Le regard porté sur le phénomène varie en fonction du champ de spécialité : chronique politique et culturelle (Romano, Lussier) ; études médiologiques (Clark) ; histoire et histoire des idées (Murat) ; études civilisationnistes et américanistes (Assouly). Ces textes appartiennent en majorité à un corpus de langue française, ce qui a aussi l’intérêt d’envisager la cancel culture sous l’angle de sa réception et de son assimilation par une société étrangère, que ce soit le Québec (Lussier) ou la France (Assouly et Murat). En effet, dans le premier cas, la cancel culture a pu constituer un point de fracture avec le Canada, sur la base notamment des valeurs associées à la doctrine multiculturaliste et postnationale. Dans l’autre cas, elle a donné lieu à une controverse (aux résonances variablement xénophobes) autour d’une américanisation présumée de la société française. Aux pratiques de censure, on oppose alors le rationalisme des Lumières, les principes de vérité, d’universalité et de laïcité. Au-delà de la concurrence entre ces modèles de société, la cancel culture a servi à alimenter au Québec comme en France des clivages idéologiques entre conservateurs et progressistes. Elle a motivé pour finir des prises de position publiques de la part d’essayistes ou de polémistes québécois tels que Mathieu Bock-Côté ou Gad Saad[5]. Côté français, elle a opposé par l’intermédiaire de tribunes dans Le Monde des sociologues comme Nathalie Heinich et Éric Fassin[6].
Des propositions développées dans les cinq textes retenus se dégage néanmoins l’idée à la fois générale et centrale que là où elle s’exerce – le monde politique, le journalisme, l’école et l’université, les milieux artistiques –, la cancel culture porte le débat en tout premier lieu sur l’identité des sociétés, notamment en raison de leur passé colonial. D’un côté, elle désigne une culture au sens des pratiques matérielles et symboliques qui ont cours à l’intérieur d’une collectivité et qui lui donnent sens. De l’autre, et simultanément, elle est une pratique qui met en oeuvre une critique de la culture, au sens des valeurs organisées autour des coutumes, de la religion, des arts ou des lois d’une société. Ainsi, on peut dire que la cancel culture se rapporte d’abord à une critique politique de la culture.
Cancel culture ou call-out culture ?
L’un des symptômes de la controverse entourant la cancel culture et de son caractère passionnel apparaît dans le mot lui-même. En anglais, lorsqu’il est appliqué à une personne et non à une chose, cancel est classé comme argotique (slang), ce qui permet de rappeler ses origines populaires. Lié au cinéma puis au rap, ce trait de la langue vernaculaire s’est étendu aux luttes portées dans la dernière décennie par les mouvements Black Lives Matter et #MeToo. Un de ses points d’émergence autour de 2012 est notamment le Black Twitter qui, sur des bases communautaires, oeuvre à une forme de militantisme[7]. Tandis qu’elle traque les expressions publiques du racisme et/ou du sexisme, la technologie numérique est conçue comme un nouvel outil de justice sociale. Dans ce qui est appelé désormais digital activism, la linguiste Anne Charity Hudley perçoit même la survivance d’une pratique ancienne, propre aux communautés noires, celle des boycotts dans le sud des États-Unis, à commencer par celui des bus de Montgomery (1955-1956). Elle l’inscrit par conséquent dans la continuité des Civil Rights et de leurs tactiques de contestation[8]. Ainsi, l’acte de canceller n’est pas uniquement synonyme de « révoquer » ou de « supprimer »[9]. D’un côté, il s’agit de soustraire toute espèce d’autorité et de légitimité à la personne ou à l’institution qui fait l’objet de l’annulation ; de l’autre, l’objectif est d’inverser les rapports de force (neutralize or balance in force or influence).
Ce bref rappel permet de distinguer la cancel culture au sens étroit de la call-out culture, avec laquelle on l’amalgame trop souvent, de tout ce qui relève des mécanismes de dénonciation ou de calomnie (public shaming), voire d’intimidation et de harcèlement. Alors que la cancel culture se rattache originairement à une politique d’émancipation des minorités noires, les appels aux expéditions punitives contre les puissants s’inscriraient dans un autre récit, et constitueraient une variante de ce qui est parfois désigné sous le terme de culture de l’indignation (outrage culture[10]). Dans les faits, les cadres sont beaucoup plus poreux qu’il n’y paraît. Mais, ces précisions liminaires nuancent le tableau qui tient habituellement la cancel culture comme une série de réactions cathartiques, l’expression d’un ressentiment ou d’une colère populaire. La traduction politique de ce problème tient dans l’accusation récurrente du côté des médias (surtout conservateurs, mais pas exclusivement), et parmi les dirigeants eux-mêmes, de « maccarthysme de gauche » avec sa chasse aux sorcières. À cette perception s’attache enfin le lieu commun de la foule ou de la meute, notamment sous l’espèce de la woke mob ou online mob, désignant une entité collective désorganisée ou spontanée : une nouvelle variante de la peur du peuple.
De ses origines communautaires aux manoeuvres d’ostracisme, la cancel culture apparaît donc comme multiple et ambivalente. Même lorsque son usage est promu, ses limites ou ses excès se trouvent également dénoncés. Y voyant une conséquence directe de la « fracture raciale » aux États-Unis, et du « caractère inachevé » du mouvement des droits civiques, Julie Assouly n’hésite pas à qualifier ainsi de « populisme » la cancel culture lorsqu’elle emprunte des formes extrêmes (cabales, interdits, restrictions, voire entraves au débat)[11]. Mais, s’agit-il vraiment de dérives, auquel cas il y aurait divers degrés de l’annulation, en phase avec une typologie des tactiques ? Ou ne sont-ce pas là plutôt des risques inhérents à cette culture qui en révéleraient par conséquent sa nature ?
La prise de parole
Il est certain que la cancel culture traduit une demande de démocratie aux lieux où celle-ci serait défaillante et cible pour cette raison les élites. Si les médias sociaux y occupent une place si importante, c’est sans doute que la cancel culture agit en priorité au point de rencontre entre démocratie et visibilité, dans la mesure où le but immédiat est de rendre publics les iniquités et les antagonismes qui traversent la société. Sous cet angle, elle assimile (et réduit probablement) le problème de la représentation, inhérent à la condition démocratique, au régime de la visibilité elle-même. C’est que son champ d’action est d’abord symbolique, ce qui se vérifie dans le cas des déboulonnages de statues (Robert Lee, John A. Macdonald). Mais les oeuvres de création reçues comme héritage civilisationnel ou patrimoine national en relèvent également, des plus classiques comme Les Suppliantes de Sophocle, dont la mise en scène est perturbée par l’Union nationale des étudiants de France en mars 2019 à la Sorbonne, à J’accuse de Roman Polanski, qui suscite de violentes controverses, quelques mois plus tard à la Mostra de Venise, auprès de militantes féministes. La cancel culture vise donc à inverser le capital de visibilité dont bénéficient les dominants, de l’homme politique à l’artiste ou au patron d’entreprise. La demande de démocratie participerait ici très exactement à une prise de parole porteuse de contestation et d’émancipation. Elle soutiendrait l’appel à une expérience sociale neuve, à l’instauration d’un monde commun autre. Or, une telle requête, qui émane souvent de groupes dominés, ne peut se dire, selon Michel de Certeau, qu’à l’intérieur du « langage qu’elle réemploie », celui de l’économie, de la religion, du savoir, des médias (autant de domaines appartenant à la culture dominante) : la parole se définit par conséquent comme l’« usage différent d’un langage déjà fait[12] ». Enfin, si elle tente de déplacer, voire de transformer, les rapports de force, elle peut être à son tour contrôlée et replacée à l’intérieur des « langages » dont elle prétend disjoindre les valeurs et les normes, un phénomène connu sous le nom de « récupération ».
Quoi qu’il en soit, cette demande de démocratie se caractériserait comme pratique anonyme, au sens où la prise de parole aurait comme auteur l’homme ordinaire, le citoyen singulier et quelconque, à l’opposé des dominants, dont le pouvoir tiendrait en premier lieu à sa visibilité. C’est cette hypothèse qu’il convient de vérifier. Ce n’est pas par hasard si les réseaux sociaux servent de référence paradigmatique pour penser dans sa diversité la cancel culture, ne serait-ce que parce qu’ils déclinent très concrètement cette prise de parole dans un espace de communication alternatif (de Facebook à Reddit), liant les procédures de cet espace à de nouvelles manières d’être et de faire ensemble. Sans doute une statue et un tweet constituent-ils deux réalités hétérogènes et discontinues, sans lien apparent. Mais, est-il besoin de le souligner, ce qu’on appelle désormais les « subjectivités » numériques interagissent dans l’espace virtuel en tant que consommateurs et usagers, elles s’inscrivent dans un circuit qui appartient à un capitalisme dématérialisé. Aussi, de même que Michel de Certeau récusait l’idée couramment admise d’une passivité ou d’un assujettissement des usagers face aux objets de la société productiviste et consumériste des années 1960-70 (de la télévision au catalogue de vente des supermarchés), il n’y a pas plus de raison d’opposer production et consommation pour ce qui regarde les médias sociaux. Il importe de mettre plutôt l’accent sur les « opérations[13] » ou les modalités par lesquelles des sujets se réapproprient l’espace de parole à des fins qui sont celles de collectivités elles-mêmes variables : groupe d’amis, cercle professionnel, communauté ethnoculturelle, syndicat ou association, réseau social d’entreprise, institution publique. Ainsi s’étendent non seulement la possibilité de dire, mais le droit de dire (eu égard aux déontologies ou aux contraintes que tel ou tel groupe peut en retour imposer ou exercer sur l’usager).
Critique de l’espace public
Il est impossible néanmoins de comprendre la cancel culture sans cette circulation de la parole, dont l’horizontalité serait un signe définitif de démocratisation. En ce sens, la question amorce selon Meredith D. Clark une critique du modèle habermassien de l’espace public, devenu classique, une construction historiquement inséparable de l’élite bourgeoise éclairée en Europe et destinée à médiatiser les rapports de la société civile et de l’État[14]. Dans cette optique, la cancel culture résisterait à une approche idéaliste de la conversation démocratique, réglée pour l’essentiel sur les pouvoirs de la raison et de l’argumentation. Au contraire, elle ne cesserait de mettre au jour les rapports de force qui gouvernent implicitement l’espace public et ses acteurs, de sorte que « any examination of so-called “cancel culture” must begin with an analysis of the power relations by which it is defined. » (p. 89). Si le concept d’espace public est à ce point « disrupted » (p. 90), c’est qu’il entretient une fiction typiquement libérale, celle d’une égalité présumée ou abstraite dans la distribution des compétences et des prises de parole, alors que les règles qui le fondent comme discours acceptable sont en vérité établies par ceux qui jouissent de privilèges sur la base de la race, du genre et de la classe (p. 91). On est en droit évidemment de s’interroger sur le pouvoir explicatif du trinôme race – genre – classe, emprunté aux études culturelles et validé sans être questionné. À la vision binaire qui oppose la sphère publique dominante des élites aux autres, la cancel culture aurait ainsi l’aptitude de substituer un échange démocratique intersectionnel et multidimensionnel (p. 90) à l’image du Black Twitter, lui-même comme mise en réseau de « queer communities of color » (p. 89).
L’acte d’annulation impliquerait quatre opérations : a) une critique de l’inégalité systémique que subiraient les « disempowered groups » (p. 90) ; b) l’expression d’une agency ou agentivité (p. 88) consistant à ne plus soutenir une personne ou une organisation dont les valeurs, actions ou discours sont reçus comme offensants ; c) une requête de redevabilité (accountability) auprès des dominants, proportionnée aux injustices ressenties ou aux impunités déclarées et, en ce sens, la cancel culture pourrait se définir plus largement comme « digital discursive accountability praxis » (p. 88) ; d) l’invention de contre-sphères et d’oppositions (p. 91), notamment de contre-publics noirs (p. 89), fût-ce sous l’espèce de micro-publics. Mais, alors que l’image des cercles concentriques (p. 91) devrait adéquatement résumer l’univers des élites et la coupure qui les séparent des dominés, les contre-publics que la cancel culture aurait les moyens d’instaurer s’organiseraient quant à eux par séquence fractale (p. 91) ou segmentation de l’espace collectif. De même, au modèle de l’individuation par agentivité répondrait, dans l’univers des nouveaux médias, une connectivité numérique (p. 91) qui tiendrait lieu ici de pensée du social.
Cette modélisation théorique soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout, et ses enjeux s’étendent aux autres manifestations de la cancel culture :
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Bien qu’elle valorise le champ des tactiques et des manipulations des usagers, elle ne s’interroge à aucun moment sur le quadrillage préalable de cette parole. Car il n’y a de réappropriation possible de l’espace public et de redistribution des voix dans cet espace au moyen des médias sociaux que dans le périmètre lui-même assigné par les industries de la communication. Là où la cancel culture met en crise le modèle habermassien, l’espace public est en réalité l’objet d’une concurrence d’abord économique entre des entreprises qui tendent à le découper et à y assurer leur contrôle, voire leur monopole, un point sur lequel Clark fait totalement l’impasse. Ce faisant, elle n’envisage pas davantage la censure exercée par les organisations du GAFAM, rendue sensible pourtant à l’occasion de plusieurs controverses, par exemple lorsque Facebook a désactivé en 2011 pour non-respect des règles d’utilisation le profil personnel d’un enseignant français, Frédéric Durand-Baïssas, qui avait affiché sur son mur L’Origine du monde de Gustave Courbet. Un contrôle qui, à l’inverse, s’interpréterait comme un geste de modération nécessaire dans le cas de Donald Trump, dont le compte Twitter est suspendu le 8 janvier 2021, soit deux jours après l’assaut du Capitole. Apparemment contradictoires, ces deux exemples soulignent bien le rôle de contre-pouvoir joué chaque fois par les entreprises.
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Le regard sur la cancel culture, fondé sur l’idée de réseau, entraîne une conception mouvante ou liquide des sujets. Dans ce cadre, celui qui annule demeure néanmoins privé de pouvoir réel : il en appelle plutôt à un rééquilibrage des forces. La cancel culture consacrerait ainsi une utopie, celle de sujets qui seraient « equally empowered » (p. 89). Il reste qu’en dehors du critère racial (Noirs vs Blancs), ces sujets connectés par l’outil numérique ne sont pas socialement identifiés ni caractérisés, alors que la catégorie de classe a été par ailleurs explicitement convoquée. La notion de gens ordinaires (p. 90) construit plutôt un archétype, mais ne dit rien des âges, sexes, genres, goûts et centres d’intérêt des usagers, pourtant dûment répertoriés et exposés par les nouveaux médias : autant d’éléments empiriques, susceptibles de trahir des prédispositions sociales ou culturelles qui expliqueraient à bien des égards le miracle de la rencontre, en démystifiant la part d’aléatoire que revêt encore la connexion sur Internet (et ceci indépendamment du rôle technique assumé par les algorithmes, comme des chambres d’échos qui en résultent). Quant à la tactique qui consisterait à déplacer la dynamique de pouvoir et à instaurer des espaces de créativité (p. 91) à destination des micro-publics, elle semble participer d’un imaginaire performatif, peut-être réalisable dans l’univers alternatif des réseaux, mais éloigné de l’expérience ordinaire des sujets. Elle n’en pose pas moins deux questions corrélées : l’une sur la nature exacte des mobilisations qu’entraînent sur le Web les pratiques de cancel culture, dans la mesure où elles ne ressemblent pas aux luttes traditionnelles, concertées ou organisées par des associations, syndicats ou partis, à l’instar des grèves, rassemblements et autres défilés ; l’autre sur les mesures correctives, voire réparatrices, réclamées par le principe de redevabilité. Se trouve ici mise à l’épreuve l’efficacité pragmatique de la prise de parole, dont l’opération est symbolique avant d’être matérielle. Le problème politique demeure néanmoins entier de savoir si la cancel culture a la capacité réelle de changer l’ordre social existant, sans cesse saisi sous l’angle d’une inégalité systémique (p. 89), si elle cherche même à obtenir dans certains cas un tel changement.
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La même ambivalence subsiste quant aux présupposés qui commanderaient l’acte de l’annulation : « It is often a critique of systemic inequality rather than an attack against specific, individualistic transgressions » (p. 89). Car cette critique est bien souvent révélée grâce à des attaques centrées sur des personnes ou des organisations. En ce domaine, l’explication raciale (qui n’est peut-être pas elle-même exempte de préjugés), pour rendre compte de la généralisation de pratiques au-delà du Black Twitter, est aussi simpliste que manichéenne : « The reference was subsequently seized upon by outside observers, particularly journalists with an outsized ability to amplify the (ir own) white gaze. » (p. 89) En l’occurrence, le terme de transgression ne sort pas d’une idéologie de l’ordre. S’il est vrai que la cancel culture met en débat les valeurs de la culture, c’est par une approche éthique résolument normative, puisque ses cibles concernent en priorité les individus ou les groupes qui rompent avec les normes sociales en évolution (p. 90). Sans doute les valeurs culturelles n’existent-elles pas a priori, elles sont en devenir (evolving), et il y a lieu de croire que les communautés d’usagers non seulement exigent (demand), mais contribuent même à ce qu’adviennent de « new social standards » (p. 91). En vérité, c’est peut-être moins aux valeurs qu’ils instaurent qu’aux valeurs qu’ils (se) reconnaissent que ces sujets doivent leur appartenance collective. Mais, c’est bien en raison de ces normes, qui seront en partage dans tel groupe tandis qu’elles ne le seront pas dans tel autre, qu’ils pourront avancer un programme politique et lutter pour leurs intérêts.
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Dans la cancel culture, la prise de parole ressortit bien à un projet de société. Mais, en raison même de ses fondements normatifs, cette prise de parole tend à redevenir un « langage » jusqu’à prendre la forme d’une orthodoxie. Il faut rappeler ici que la cancel culture se pense moins comme transgression qu’elle ne vise d’abord à dénoncer les actes transgressifs (spécialement dans le domaine de la race et du genre), venus des membres de la majorité. C’est donc sur ces mêmes fondements normatifs que s’établissent les entreprises de moralisation et de rééducation, associées à tort à des dérives, alors qu’elles ne sont en toute hypothèse que l’extension de ces fondements.
#MeToo a illustré ce paradoxe à partir de 2017. D’un côté, le mouvement s’est traduit par une libération nécessaire de la parole des femmes, rendant à la fois audibles et visibles des victimes qui revendiquent une « nouvelle civilité sexuelle[15] » au coeur des rapports humains. Il a mis au jour les obstacles et dysfonctionnements de l’appareil judiciaire auxquels ces femmes doivent faire face. De l’autre, par ses tactiques propres, tribunal médiatique, inventaire des noms de criminels, auto-arbitrage, il a pu se prêter à une sorte de « populisme pénal[16] », comme le dit Sabine Prokhoris, dans lequel la parole de la victime est présentée « dans son inquestionnable “vérité”[17] ». Dans certains cas, la résistance – motivée ou non – à certains outils légaux (plaintes, prescriptions, preuves) traduit une forme de méfiance à l’égard de l’État de droit. Entre autres exemples, celui du groupe Dis son nom au Québec, sommé par la juge Katherine A. Desfossés de sortir de l’anonymat à la suite d’une plainte pour diffamation de Jean-François Marquis, dont le nom figurait sur une liste d’abuseurs présumés[18]. Autant d’éléments qui font valoir combien la perception d’un sujet entre le juste et l’injuste comme les normes éthiques d’un groupe peuvent entrer en conflit avec la société, qui leur assigne en retour des limites.
Panique à droite, déni à gauche
L’extension de la cancel culture ne s’explique pas uniquement par des réemplois populaires, mais aussi par l’usage détourné qu’en font les élites en mettant en oubli ses origines, liées aux communautés noires. Au même titre que la wokeness ou l’identity politics, écrit Olúfémi O. Táíwò, la cancel culture est ainsi devenue en quelques années l’une des principales « social preoccupations of “ rich white people ˮ or the “ professional-managerial class ˮ[19] ». À ce titre, on peut dire qu’elle survit au mythe de l’usager ordinaire qu’entretiennent les médias sociaux. Ainsi, le mouvement #MeToo, qui est devenu le prototype du militantisme numérique, a été popularisé par Alyssa Milano (et non par le « prolétariat » culturel des milieux hollywoodiens) au moment où sont révélés de nombreux cas de harcèlement et d’agressions sexuelles contre Harvey Weinstein, magnat de l’industrie cinématographique. À noter qu’en 2022, la valeur nette de l’avoir personnel de l’actrice atteignait environ 10 millions de dollars us. Surtout, la surmédiatisation de l’événement a laissé dans l’ombre celle qui est à l’origine du nom et du courant « néo-féministe », Tarana Burke, activiste noire née en 1973 d’une famille très modeste originaire du Bronx, bachelière en science politique de l’Université Auburn à Montgomery, et victime de viols pendant son adolescence. Les sociologues Bradley Campbell et Jason Manning ont montré, quant à eux, que les tactiques associées à la cancel culture dans le milieu universitaire – sit-in, boycotts, « désinvitations » de conférenciers, demandes de censure, deplatforming[20] – ont surtout été recensées sur des campus dont les frais de scolarité sont aussi parmi les plus élevés aux États-Unis. Le revenu annuel des familles pour certains colleges (Oberlin, Claremont, Middlebury) a pu être estimé entre 200 000 et 240 000 dollars us[21].
Ces deux exemples montrent combien la cancel culture s’est non seulement diversifiée dans ses expressions au cours de la dernière décennie, mais qu’elle est loin de se limiter aux revendications de la gauche radicale. Au contraire, elle est plus largement devenue la marque d’un « progressisme » des élites, de dominants s’exprimant souvent au nom (et à la place) des dominés. Elle a donc servi leur programme politique, un phénomène qui a pris de l’ampleur après que Donald Trump a été élu à la Maison Blanche sur un slogan, « Make America Great Again », explicitement emprunté à la Nouvelle Droite de Ronald Reagan et à son conservatisme économique et moral. C’est dans ce contexte que la cancel culture contribue à la polarisation du débat public. La gauche et la droite se retrouvent dans une même volonté d’interdire, même si les moyens et les méthodes peuvent varier d’un camp à l’autre, se révéler déséquilibrés à leur tour. On rappellera toutefois que c’était en raison même de ce déséquilibre qu’Herbert Marcuse, figure tutélaire de la Nouvelle Gauche, rejetait en 1965 la tolérance répressive et justifiait le recours à des moyens non démocratiques, notamment « the withdrawal of toleration of speech and assembly from groups and movements which promote aggressive policies, armament, chauvinism, discrimination on the grounds of race and religion[22] », ce qui fait probablement de la cancel culture l’héritière directe de cette théorie politique. De son côté, la riposte des conservateurs américains s’est aussitôt traduite par un contrôle accru des institutions publiques, spécialement des écoles. Ron DeSantis, gouverneur de la Floride, a ainsi adopté des mesures visant à proscrire l’enseignement de la Critical Race Theory, notoirement le Woke Act (Stop Wrongs to Our Kids and Emloyees) en décembre 2021. De cette tendance, la campagne des book bans est la plus significative. Tandis que la gauche rejette les textes à contenus homophobes ou racistes, de son côté, la droite milite contre les livres qui parlent trop ouvertement d’orientations sexuelles ou d’enjeux raciaux. Certaines oeuvres, reçues comme classiques ou libérales, Of Mice and Men de John Steinbeck, To Kill a Mockingbird d’Harper Lee ou même le roman graphique MAUS d’Art Spiegelman, n’ont pas été épargnées. Entre 2021 et 2022, la société PEN America, qui défend la liberté d’expression, a recensé 2532 interdictions de livres ayant affecté 138 districts scolaires répartis sur 32 États[23]. En tête viennent le Texas, la Floride, la Pennsylvanie et le Tennessee.
Sans doute le phénomène n’est-il pas nouveau, les book ban panels, ces conseils de parents d’élèves dédiés à l’interdiction de livres aux programmes, existant de longue date aux États-Unis. Précisons avec Assouly que si la droite est « très active dans les établissements du secondaire », elle cède aussi la place à « la gauche radicale ou modérée dans les universités[24] ». Dans tous les cas, la cancel culture est également pratiquée par les conservateurs. De l’enseignement à la bibliothèque, il est non moins remarquable qu’elle s’adresse en priorité au monde de l’écrit comme emblème de la culture, dépositaire à la fois de la mémoire et de l’identité collectives. Elle est encore révélatrice de la manière dont des groupes se les représentent l’une et l’autre. Si cet enjeu n’est pas absent à l’intérieur du Canada et y demeure encore modéré (sans être insignifiant[25]), il n’en va pas de même dans ses rapports avec les minorités francophones. En septembre 2021, la campagne bat son plein pour les élections fédérales qui ont finalement reconduit Justin Trudeau au poste de premier ministre du Canada quand est révélée au public l’histoire d’une destruction d’oeuvres francophones dans plusieurs écoles privées du sud-ouest de l’Ontario : la mise au pilon et l’autodafé de bandes dessinées, d’écrits de jeunesse et d’encyclopédies, nuisant supposément à l’image des Premières Nations[26]. Il apparaît par la suite que l’instigatrice de cette purge littéraire, Suzie Kies, oeuvrait à titre de conseillère au sein du Parti libéral sur les questions autochtones, révélant ainsi une évidente collusion avec le pouvoir fédéral. Cette version est particulièrement complexe en ce qu’elle mélange « militantisme » et « élitisme » en quelque sorte, jusqu’à prendre indirectement les traits d’une censure d’État. Du moins tend-elle à instrumentaliser la cause antiraciste et décoloniale des minorités autochtones contre les minorités francophones elles-mêmes.
Dans un tel contexte, la thèse de la panique morale, empruntée au sociologue Stanley Cohen pour décrire la peur des élites d’être bâillonnées ou censurées, semble plus difficile à soutenir. Sans doute est-elle utile pour souligner la disproportion entre certains événements de cancel culture et le récit spectaculaire qu’en donnent à des fins partisanes les rhétoriques de droite, en usant des mêmes lieux communs (« police de la pensée », « inquisition », « totalitarisme ») et surtout de puissantes machines de communication, voire de propagande (de la Fox Broadcasting Company à Twitter). Mais, cette thèse se heurte à la résistance élémentaire des faits et trahit à l’inverse des stratégies d’euphémisation à gauche. Les controverses qui ont suivi au Québec la crise de l’Université d’Ottawa autour de l’enseignante Verushka Lieutenant-Duval en 2020 sont assez symptomatiques du malaise et du déni qui habitent une partie du camp progressiste, notamment la gauche dite woke. Judith Lussier réduit ainsi les incidents rapportés dans la province à des « histoires sensationnalistes » alimentées par les journaux qui traduiraient in fine les « dérives conservatrices » du milieu savant. En revenant sur la pétition ouverte en ligne par des étudiants contre la professeure Catherine Russell parce qu’elle a cité Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières dans un cours de cinéma à l’automne 2019, Lussier justifie cette démarche en l’inscrivant dans « un long historique des luttes contre les inégalités raciales », notamment l’affaire Sir George Williams en 1969, dont « peu de francophones se souviennent[27] ». Ce faisant, elle établit une corrélation entre deux événements qui ne sont pas comparables, et sans avoir pris la peine de vérifier si les pétitionnaires eux-mêmes se souviennent de l’affaire… La thèse de la panique morale peut même servir d’alibi rituel comme il arrive chez Francis Dupuis-Déri, qui y voit pour l’essentiel « l’industrie des idées réactionnaires[28] », mais au prix d’omissions dommageables. L’essayiste se garde de discuter une recherche savante qui s’est préoccupée pourtant ces dernières années des pratiques de cancel culture sur les campus américains et européens[29], et qui ne correspond en rien à l’idéal type du polémiste conservateur qui seul l’intéresse, celui qui carbure « à l’exagération, à l’hyperbole et à l’outrance pour mieux fabriquer une menace diabolique » (p. 113). Il ne dit rien non plus, dans les cas de boycott et de censure, du rôle de premier plan des administrateurs et gestionnaires, dont l’attitude clientéliste en phase avec un modèle d’éducation néolibérale favorise les demandes du public, au risque de fragiliser la liberté universitaire.
Dupuis-Déri est enfin tenté de réécrire à sa guise les événements comme il apparaît avec la crise d’Evergreen College, déclenchée en 2017 par le professeur de biologie Bret Weinstein, ayant refusé de participer au Day of Absence observé chaque année dans son établissement. Ce rituel consistait à célébrer l’importance au sein de la communauté des minorités visibles qui, ce jour-là, ne venaient pas sur le campus. Dupuis-Déri rappelle à juste titre les témoignages de l’enseignant devant les caméras de la Fox, laquelle a démagogiquement exploité l’incident ; les menaces d’un tueur qui en appelle à se débarrasser de la gangrène du communisme ; l’évacuation du campus deux jours durant par la police ; les représailles de groupuscules nazis et les ripostes antifas : un contexte hystérisé et inexplicable sans les premiers mois de la présidence de Donald Trump. La stratégie de narration passe cependant sur les sources[30]. Elle se contente de dire que la cause des turbulences tiendrait à la décision de Weinstein de « ne pas participer à cette journée de sensibilisation au racisme » (p. 180). Or, ce que contestait cet enseignant progressiste, ce n’était pas le principe de sensibilisation en soi, mais l’inversion des codes voulue par certains activistes : c’étaient les Blancs qui devaient cette fois quitter le campus et non les gens de couleur. Mais, la véritable raison tenait surtout aux nouvelles orientations données par le président George Summer Bridges, dont le comité « Diversité, Équité, Inclusion » rompait ouvertement avec le modèle liberal du collège. Au bout du compte, Weinstein est uniquement « chahuté et traité de raciste » (p. 182), alors qu’il a été l’objet d’une chasse à l’homme par des groupes patrouillant avec des bâtons de base-ball, pour ne rien dire des menaces et autres insultes verbales. Cette technique d’atténuation sert à faire valoir que Weinstein sort vainqueur du conflit, puisqu’il est finalement parvenu à auditionner devant le Congrès américain et a obtenu, après avoir porté plainte contre Evergreen, 500 000 $ us de dédommagement[31].
Un élément constamment présumé dans le récit est que Weinstein est du côté dominant en sa qualité de mâle-hétérosexuel-blanc, alors qu’il est d’ascendance juive, un argument qui, dans un contexte de « radicalité » militante, a été très précisément utilisé contre lui : il lui est reproché d’endosser le rôle de la victime pour se défendre des accusations de racisme, une critique issue d’étudiants juifs eux-mêmes au prix de quelques contorsions rhétoriques[32], mais propres à nourrir un antisémitisme de gauche dont Dupuis-Déri ne souffle pas un mot. La narration se conclut sur l’après-Evergreen, notamment les positions publiques de Weinstein contre les campagnes de vaccination au moment de la COVID-19. Ce qui est incontestable, mais sans lien avec le problème : plus une ruse qu’une analyse. Car, dans un contexte où la question sanitaire a été hyperpolitisée aux États-Unis, il s’agit d’une tentative d’insinuation visant à assimiler de manière implicite « l’antivax » et « l’antiwoke », et à lier cette double attitude à l’idéologie de droite (comme s’il n’était pas d’antiwoke ni d’antivax à gauche).
Censure et réparation
De la gauche à la droite, et inversement, le champ des tactiques illustre bien l’aspiration des partis en présence à contrôler le discours social et les représentations qui y circulent. En ce sens, la cancel culture n’est pas seulement une arme au service des luttes qui les opposent, elle en est l’objet : la gauche accuse la droite de s’autoproclamer championne des libertés démocratiques et de dissimuler sous ce combat des oppressions et des inégalités ; la droite s’en prend à la gauche et à son programme de justice sociale en raison des nouvelles formes de censure que celui-ci impose, mais en passant sous silence la censure qu’elle exerce ou voudrait exercer à son tour. Il ne s’agit pas d’arbitrer ici les points de vue, mais de montrer qu’ils ressortissent au même récit : pour l’essentiel, la cancel culture s’y trouve associée à un processus d’occultation, d’oubli ou d’effacement. Or, comme le montre Laure Murat, en privilégiant le thème des statues, elle ne contribue pas moins à un travail d’anamnèse. En s’attaquant aux symboles légitimes de l’espace public, elle libère le refoulé. Elle active « une mémoire que la foule distraite des villes modernes néglige, lorsqu’elle passe tous les jours, en allant au bureau, sous le sabre d’un colonisateur[33] ». À ce titre, la cancel culture conserve un potentiel critique ou représente une contre-culture à la culture dominante. Par-delà le sentiment de scandale ou de rejet qu’elle provoque, elle a pour effet de mettre en lumière les « impensés » (p. 35) d’une société. En outre, elle agit plus par « sensibilité à l’histoire » (p. 17) que par connaissance de l’histoire, ce qu’il importe de souligner contre l’argument de l’inculture ou l’esprit de falsification, qui ont pu lui être prêtés. Le point de vue demeure ici celui de l’acteur et non celui du savant aux prises avec l’opération historiographique, les sources et les archives comme la mise en intrigue des événements.
En ce sens, demande Laure Murat, retirer une statue, « est-ce vraiment effacer un nom de l’histoire, laquelle est surtout consignée dans les livres et les musées ? » (p. 15). Autrement dit : ne parle-t-on pas ici plutôt d’une guerre des mémoires ? N’est-il pas question d’opposer une contre-mémoire au récit officiel – celui des vainqueurs et des symboles, par lesquels les vainqueurs célèbrent leur propre histoire – en ménageant a contrario la place de l’autre, tous les oubliés ou absents de l’histoire ? Car, à terme, l’objectif est bien de réviser et de changer le récit national, d’en repérer les failles et d’y inscrire les voix de ceux qui ont longtemps été tenus aux marges de l’historiographie, spécialement les Autochtones et les Noirs dans la tradition nord-américaine. C’est cette demande de réparation qui gouverne le descellement de la statue d’Abraham Lincoln le 11 octobre 2020 à Portland (Oregon), alors que les protestataires signent leur geste à la peinture rouge : « Dakota 38 ». Organisée la veille du Columbus Day, cette action fait partie d’une manifestation plus large appelée Indigenous Peoples Day of Rage Against Colonialism. « Dakota 38 » est une référence à l’exécution de trente-huit Sioux du Dakota, ordonnée par Lincoln en 1862 en pleine guerre civile. En sapant la figure du « grand émancipateur », les contestataires obligent à « déconstruire » le « mythe » (p. 34) qui l’entoure, rejoignant les critiques que les minorités noires adressent par ailleurs au père de l’abolitionnisme. Ce faisant, la demande de réparation n’en confronte pas moins l’historien à ce qui se décline depuis Miranda Fricker sous l’appellation de justice épistémique[34]. Comme si, par-delà la sensibilité aux stratégies d’oublis et d’occultations, l’écriture de l’histoire et la connaissance des sociétés, des formes de vie passées, pouvaient ou devaient désormais conjuguer le vrai et le juste, ou faire que le vrai soit (de nécessité) juste. C’est là une autre conception du savoir qui a été spécialement mise de l’avant par les pensées postcoloniales. La raison en est, selon Achille Mbembe, que la « restitution » et la « réparation » sont « au coeur de la possibilité même de la construction d’une conscience commune du monde, c’est-à-dire de l’accomplissement d’une justice universelle[35] ». Aussi n’est-ce qu’une « éthique de la restitution et de la réparation » (p. 34) qui serait à même de commander le récit de l’historien, en liant ce qui a été à ce qui devrait être ?
Mais est-ce là encore l’histoire comme science parmi les sciences sociales ? Ou n’est-ce pas plutôt une autre philosophie de l’histoire ? Une philosophie qui assignerait à l’histoire un telos et qui en fixerait idéologiquement le sens ? Au reste, dans cette économie de la réparation, l’écueil du présentisme ou de l’anhistorisme n’est pas non plus à écarter[36]. Ce qui vaut ici pour les statues s’appliquerait aux textes bannis ou censurés, mais tous lus à partir de normes et de présupposés contemporains qui sont trop rarement questionnés. De même, on peut dégrader des bâtiments publics ou abattre des monuments officiels, sur le long cours, il paraît néanmoins difficile de trouver dans le passé des personnages absolument équitables et vertueux, sans part d’ombre. Dans la lecture symptomatologique que Laure Murat en propose, la cancel culture fait valoir pour finir trois questions majeures :
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En s’attaquant à certains signes et emblèmes de l’État, elle en dénonce la colonialité et soulève par conséquent la question « inévitable, et centrale, du continuum raciste des gouvernements occidentaux impérialistes, et de la façon dont l’esclavage, une fois aboli, se prolonge dans le régime de la ségrégation qui, pourtant banni, s’insinue dans mille formes de discriminations ordinaires » (p. 16-17). Une telle question ne s’énonce pas à l’identique pour les États-Unis et pour les anciennes puissances européennes par exemple. Mais, c’est sur ce genre d’observation que prospère la thèse du « racisme systémique » ou du « racisme institutionnel ». Sans entrer dans cette discussion, le plus important est encore de relever le lien historique qu’elle pointe entre l’expansion des régimes coloniaux et l’enracinement des démocraties libérales.
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La vague iconoclaste entraîne un démantèlement non seulement de la colonialité, mais aussi de la monumentalité, soumise jusque-là à un processus d’héroïsation et de glorification, au culte très personnalisé des grands hommes, dans une perspective de pérennité elle-même inséparable de la nature des matériaux employés, architecturaux ou sculpturaux. Il faut probablement y voir la persistance d’une vision héritée du XIXe siècle, dont le Panthéon français serait l’archétype. Mais dans la mesure où il s’agit le plus souvent d’un art de propagande, c’est surtout la relation entre l’État et le peuple qui se trouve mise en débat. Les oeuvres publiques sont-elles représentatives de la société ? La société se reconnaît-elle dans ces oeuvres ? À tous ces enjeux, la cancel culture répond peut-être en allant à contre-courant, par le désir de « pluralité » et par la promotion du « temporaire » (p. 25).
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Le vandalisme rend visible le principe de causalité qui gouverne les rapports de force au sein de la société. Car, il ne s’agit pas de savoir qui annule quoi, mais bien de comprendre qui annule qui, et corrélativement ce qui unit censeurs et censurés. Laure Murat suggère l’hypothèse suivante : la violence de la cancel culture serait « l’avatar logique, inévitable, d’une démocratie à bout de souffle, dite désormais “illibérale” », une « riposte » avec les « moyens du bord » face à « l’impunité » et « au refus de reconnaissance, qui prolonge la souffrance des dépossessions et rappelle les mécanismes d’oppression » (p. 35-36). À ce titre, elle n’aurait d’autre explication que « la brutalité du pouvoir » (p. 36) lui-même. On reconnaît là la thèse classique, qui se fonde sur une double prémisse : d’une part, le déséquilibre des forces ; d’autre part, la verticalité du pouvoir : seul l’État, qui en dispose, serait capable de censurer. Elle tient cependant à un sophisme qui reverse la violence de la cancel culture dans celle de l’État, en usant du sentiment de l’évidence : « n’allez pas chercher ailleurs que dans la brutalité du pouvoir » (p. 36). Or, de la violence postcoloniale de l’État, il n’est pas si facile de déduire (mécaniquement) la violence polémique de la cancel culture. L’auteure fait l’économie d’une démonstration, en plus de décharger, sinon disculper (éthiquement) ceux qui mobilisent ou mettent en oeuvre les tactiques.
Mais, c’est surtout l’autre point qui retient l’attention. Car sans être périmée, l’approche verticalisée du pouvoir se révèle d’une pertinence toute relative. Elle ne prend pas en compte les particularités de la cancel culture, notoirement la circulation de la parole dans l’espace public, segmenté ou alvéolaire, et déjà perceptible dans les médias sociaux. La distribution des pouvoirs et contre-pouvoirs obéit à un modèle désormais beaucoup plus horizontalisé. On assiste ainsi sur les plateformes à ce que Romain Badouard appelle une « privatisation de la censure[37] ». Car le débat ne porte plus sur la nécessité de réguler les contenus, mais sur l’identité des acteurs, qui ont désormais la légitimité ou non à le faire. On a vu plus haut le rôle d’ingérence et de contrôle des entreprises. Mais une des conséquences des réappropriations de l’espace numérique est pour certains groupes d’usagers d’y trouver les ressources pour avancer leurs intérêts jusqu’à détenir sans partage possible l’hégémonie. Autrement dit, le pluralisme des opinions qui sans cesse s’y affrontent se double de la possibilité d’exclure ou d’interdire, de prescrire ou de proscrire ce qui peut ou non être exprimé. Il convient donc de tirer toutes les conséquences de cette horizontalité de la parole en régime démocratique, car elle dépasse le champ des nouveaux médias eux-mêmes. En résumé, si la censure d’État est loin d’avoir disparu (au même titre que la censure de droite), elle ne s’exerce plus de manière unilatérale et exclusive du haut vers le bas. La censure donne lieu désormais à des pratiques horizontales. De même que les entreprises peuvent endosser le rôle de tiers (comme adjuvant ou opposant, selon les intérêts du moment), et représenter une sorte de contre-pouvoir, les groupes d’usagers ne sont pas toujours les censurés. Ainsi, l’annulation en 2018 du spectacle SLAV de Robert Lepage ne se fait pas uniquement sur la base des critiques d’appropriation culturelle ; c’est l’institution qui réagit et qui agit, ici le Festival international de jazz de Montréal, et qui décide de le retirer de l’affiche. Mais lorsqu’un groupe LGBTQ+ interrompt une conférence du professeur Éric Marty, qui vient présenter à l’Université de Genève son dernier livre, Le Sexe des Modernes, et ce, parce que les militants considèrent ses positions transphobes, la séance est annulée sans que ni l’État ni les gestionnaires s’en mêlent[38]. Il y a donc lieu d’apprécier au cas par cas les degrés de l’annulation, en distinguant par exemple le boycott de l’interdiction ; il est surtout impératif de sortir du cadre strictement vertical de la censure.
La cancel culture est le nom d’une ambiguïté politique. Si elle traduit bien une demande de démocratie, cette demande demeure irrésolue ou inachevée. Elle avorte très souvent dans ses tactiques et ses luttes. Mais, là où elle s’oppose à la culture du débat rationnel et contradictoire, elle fait probablement signe vers une nouvelle économie des forces , celles qui traversent désormais nos sociétés.
Appendices
Notes
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[1]
David Smith, « US under siege from “far-left fascism”, says Trump in Mount Rushmore speech », The Guardian, 4 juillet 2020.
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[2]
Michel de Certeau, L’Invention du quotidien. Arts de faire, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1990 [1980], p. XLIV et passim.
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[3]
« President Obama in conversation with Yara Shahidi and Obama Foundation Program Participants », entretien sur l’activisme des jeunes, en ligne sur Youtube, 31 octobre 2019.
-
[4]
Aja Romano, « Why We Can’t Stop Fighting about Cancel Culture », Vox, 25 août 2020, vox.com, ; Meredith D. Clark, « Drag them : A Brief Etymology of So-Called “Cancel Culture” », Communication and the Public, vol. 5, no3-4, 2020, p. 88-92 ; Julie Assouly, La cancel culture. Des États-Unis à la France, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2022 ; Judith Lussier, Annulé [e]. Réflexions sur la cancel culture, Montréal, Éditions Cardinal, 2021 ; Laure Murat, Qui annule quoi ? Sur la cancel culture, Paris, Seuil-Libelle, 2022.
-
[5]
Mathieu Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, Paris, Les Éditions du Cerf, 2019 ; Gad Saad, The Parasitic Mind. How Infectious Ideas Are Killing Common Sense, Washington D.C., Regnery Publishing, 2021.
-
[6]
Nathalie Heinich, « La Cancel Culture n’a rien à faire sur notre territoire », Le Monde, 8 août 2020 ; Éric Fassin, « Faire honte, c’est discréditer des valeurs pour en accréditer d’autres, plus démocratiques », Le Monde, 20 août 2020.
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[7]
Pour une synthèse, Meredith D. Clark, « Black Twitter : Building Connection through Cultural Conversation », dans Nathan Rambukkana (ed.), Hashtag publics : The Power and Politics of Discursive Networks, Berne, Peter Lang, 2015, p. 205-217.
-
[8]
Aja Romano, « Why We Can’t Stop Fighting… », loc. cit.
-
[9]
À noter, contre un mythe philologique persistant, que c’est l’anglais cancel qui emprunte au français canceler (et non l’inverse). Ce terme qui a survécu dans la langue du droit est issu au XIIIe siècle de chanceler.
-
[10]
Ibid.
-
[11]
Julie Assouly, op. cit., p. 5, 19 et 36.
-
[12]
Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, coll. « Points », 1994 [1968], p. 64.
-
[13]
Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, op. cit., p. 71.
-
[14]
Meredith D. Clark, « Drag them… », loc. cit., p. 89. Les références subséquentes aux pages de cet article sont ci-après insérées entre parentheses dans le corps du texte.
-
[15]
Irène Théry, Moi aussi. La nouvelle civilité sexuelle, Paris, Éditions du Seuil, 2022.
-
[16]
Sabine Prokhoris, Le Mirage #MeToo, Paris, Le Cherche Midi, 2021, p. 93.
-
[17]
Ibid., p. 34.
-
[18]
Radio-Canada, « “ Dis son nom ” fera appel pour défendre son anonymat », ici.radio-canada.ca, 26 mars 2021.
-
[19]
Olúfémi O. Táíwò, Elite Capture, Chicago, Haymarket Books, 2022, p. 21.
-
[20]
Pratique visant à priver un orateur des canaux ou tribunes qu’il utilise publiquement.
-
[21]
Bradley Campbell et Jason Manning, The Rise of Victimhood Culture. Microaggreessions, Safe spaces and the New Culture Wars, New York, Palgrave Macmillan, 2018, p. 152.
-
[22]
Dans Robert Paul Wolff, Barrington Moore et Herbert Marcuse, A Critique of Pure Tolerance, Boston, Beacon Press, 1965, p. 100-101.
-
[23]
« Banned in the USA : The Growing Movement to Censor Books in Schools », PEN America, 19 septembre 2022, pen.org.
-
[24]
Julie Assouly, op. cit., p. 33.
-
[25]
Voir par exemple en Colombie-Britannique : John Azpiri, « Debate over Book Bans in Classrooms Highlights Limitations of School Trustee’s Role », CBC, 29 septembre 2022, cbc.ca. Concernant les guerres culturelles dont les bibliothèques sont l’objet, on consultera l’Enquête sur les contestations de la liberté intellectuelle de la Fédération canadienne des associations de bibliothèques, qui fait état de 73 incidents pour l’année 2021, notamment de demandes de retrait de livres, accusés d’être « transphobes », de pratiquer l’ « appropriation culturelle » ou de donner une représentation inadéquate des peuples autochtones. Il apparaît également que les documents retirés, surtout en Ontario, sont en majorité francophones… Pour une mise au point, voir une intervention d’Arnaud Bernadet à Radio-Canada Alberta le 28 mars 2023, ici.radio-canada.ca/ohdio.
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[26]
Des faits rapportés par le journaliste de Radio-Canada Thomas Gerbet : « Des écoles détruisent 5000 livres jugés néfastes aux Autochtones, dont Tintin et Astérix », Radio Canada, 7 septembre 2021, ici.radio-canada.ca.
-
[27]
Judith Lussier, op. cit., p. 46-47. L’auteure assimile par ce biais une simple citation à une pratique discriminatoire, ignorant la distinction pourtant élémentaire, et instaurée de longue date par la logique et les sciences du langage, entre un mot « en usage » et un mot « en mention ». Pour une mise au point concernant cette erreur largement répandue depuis l’affaire Verushka Lieutenant-Duval, voir Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet, Liberté universitaire et justice sociale, Montréal, Liber, 2022, p. 67 et suiv.
-
[28]
Francis Dupuis-Déri, Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, Montréal, Lux, 2022, p. 241. Les références subséquentes aux pages de ce livre sont ci-après insérées entre parenthèses dans le corps du texte. À noter que le titre choisi pour ce livre d’opinion est repris à une section d’Annulé[e] (p. 42). Aussi, de même que Lussier convoque Dupuis-Déri (Annulé[e], p. 26) pour soutenir sa démonstration, Dupuis-Déri salue en Lussier l’initiatrice de sa propre démarche (Panique à l’université, p. 50), selon une logique à circuit clos.
-
[29]
Outre Campbell et Manning déjà cités, Jonathan Haidt, Greg Lukianoff, James Lindsay, Helen Pluckrose, Isabelle Barbéris, Olivier Beaud, Laurent Dubreuil, Yves Gingras, Monique Canto-Sperber, Stéphanie Roza, sans parler de l’important collectif Libertés malmenées, paru chez Léméac en février 2022.
-
[30]
Rien par exemple sur les archives vidéo de l’Australien Mike Nayna (I. Bret Weinstein, Heather Heying and the Evergreen Equity Council ; II. Teaching to Transgress ; III. The Hunted Individual, 2019) ou le mémoire de maîtrise de Shaun Cammack, The Evergreen Affair : A Social Justice Society, Université de Chicago, 2020.
-
[31]
Autre inexactitude : Bret Weinstein a obtenu 250 000 $ ; son épouse, Heather Heying, également professeure dans le college, 250 000 $. D’autres enseignants ont quitté le navire à cette occasion, avec ou sans compensation financière.
-
[32]
« However, the fact that Jews have not always been enmeshed in whiteness does not negate the fact that today many Jews in this country benefit from and uphold white supremacy. » (« A Letter to Bret Weinstein from Some Jews Bent on the Destruction of White Supremacy », Medium, 7 juin 2017, medium.com.
-
[33]
Laure Murat, op. cit., p. 17. Les références subséquentes aux pages de ce livre sont ci-après insérées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[34]
Miranda Fricker, Epistemic Injustice : Power and the Ethics of Knowing, Oxford University Press, 2007.
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[35]
Achille Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013, p. 261.
-
[36]
Sur les conséquences entraînées par cette attitude en sciences sociales, voir Julia Scergo et Yves Gingras, « Le refus des mots. Moralisme et présentisme dans la recherche historique », Revue d’histoire culturelle. XVIIIe-XXIe siècles, no 2, MSH Paris-Nord, 2021, revues.mshparisnord.fr.
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[37]
Romain Badouard, Les nouvelles lois du web. Modération et censure, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2020, p. 32. Voir également Monique Canto-Sperber, Sauver la liberté d’expression, Paris, Albin Michel, 2021, p. 310 et suiv.
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[38]
« Une nouvelle conférence jugée transphobe bloquée à l’UNIGE, qui porte plainte », Radio Télévision Suisse, 23 mai 2022, rts.ch. On comparera cet incident au cas de Robert Wintemute, juriste et militant gai dont la conférence est annulée le 10 janvier 2023 par l’Université McGill sous la pression d’une centaine d’étudiants qui le jugent lui aussi transphobe, ou encore celui de Frances Widdowson, professeure de science politique qui, en raison de propos controversés sur les pensionnats autochtones, fait face à 700 manifestants à l’Université de Lethbridge, où elle doit donner le 1er février 2023 une conférence sur le wokisme (ce qu’elle finit par faire en Zoom). Quant à Mike Mahon, président et vice-chancelier de l’établissement , il donne ouvertement raison aux cancelleurs.