Hors-dossierRecensions

Étienne-Alexandre Beauregard, Le schisme identitaire. Guerre culturelle et imaginaire québécois, Montréal, Boréal, 2022, 282 p.[Record]

  • Karim Chahine

…more information

  • Karim Chahine
    Université Laval

Si l’élection de François Legault en 2018 a permis de renverser le bipartisme PQ-PLQ, qui structurait la politique québécoise depuis de nombreuses années, elle a aussi permis de consacrer le retour d’un nationalisme identitaire décomplexé. Le schisme identitaire. Guerre culturelle et imaginaire québécois, premier ouvrage d’Étienne-Alexandre Beauregard, est sans doute l’un des projets les plus aboutis permettant de mieux comprendre les idées phares et les préoccupations de ce nationalisme résolument conservateur. L’auteur, qui est étudiant en philosophie et en science politique, tire profit de son expérience d’ancien militant au Parti québécois et d’ancien conseiller politique au cabinet du premier ministre Legault afin de présenter ce qui serait une nouvelle scission politique. Selon lui, il importe de prendre conscience de ce nouveau cadre hégémonique « pour mieux le renverser » (p. 16) et faire triompher une certaine idée du Québec. Ce clivage idéologique se trouve à être au coeur de ce que l’auteur désigne être une guerre culturelle pour la définition de l’imaginaire national. Au centre de ce constat, on retrouve la théorie de l’hégémonie de l’intellectuel italien Antonio Gramsci, duquel Beauregard ne reprend essentiellement que la terminologie d’hégémonie/contre-hégémonie. Dans cet affrontement idéologique ayant présentement cours se font face la vision nationaliste et la vision multiculturaliste. Ainsi, on retrouve d’un côté les tenants d’une « vision nationaliste, qui ne doute pas de la légitimité du peuple québécois à incarner la norme chez lui et faire de l’État un instrument de son affirmation » (p. 15), et de l’autre côté, « les porte-voix du discours hégémonique, qui voit le nationalisme québécois comme un crime de lèse-pluralisme et qui souhaite réinventer le Québec sur l’autel du multiculturalisme » (ibid.). Depuis les débuts de la Révolution tranquille jusqu’au référendum de 1995, c’est le discours nationaliste qui imposait son hégémonie en contraignant même les plus fédéralistes à s’y soumettre afin de rester un tant soit peu crédibles et pertinents dans l’espace politique québécois. C’est ce que Beauregard nomme la période du « nationalisme normal », titre du premier chapitre. La seconde défaite référendaire consacra le renversement hégémonique, et ce, au bénéfice notamment d’une « historiographie postnationale diamétralement opposée à celle de l’École de Montréal » (p. 39) et une éthique du « care » profitant à un éclatement des identités. Le déclin du pouvoir d’attractivité de cette hégémonie nationaliste est l’objet du chapitre 2. À la suite d’un renouveau progressiste de l’idée fédérale incarnée d’abord par Pierre Eliott Trudeau, et ensuite par Philippe Couillard lorsqu’il fut premier ministre du Québec, le camp fédéraliste proposa un « contre-pied radical à l’hégémonie québécoise » (p. 67). Cette « orthodoxie trudeauiste » (p. 75), qui se caractérise par un délaissement des « fondements unitaires du bien commun pour se recomposer sous la figure d’un pluralisme profondément antipathique à l’idée nationale » (p. 85), fit alors figure de nouvelle hégémonie : la nation et ses tentations unitaires sont dorénavant perçues comme source d’oppression pour les groupes marginaux. Sur le terrain de la politique provinciale, Québec solidaire serait le parti politique incarnant ce changement au sein de la gauche, ce que l’auteur nomme la « rupture de la gauche québécoise avec l’universel » (p. 87). Cette nouvelle gauche est « incapable de penser l’unité autrement que comme source de discrimination » (p. 93) et abandonne « l’idée de rejoindre la majorité pour plutôt rassembler les minorités » (p. 103). Cette emprise hégémonique grandissante de la gauche est abordée dans les chapitres 3 et 4. Dans le chapitre 5, l’auteur revient sur le début des années 2000 où, en réaction à ce « rejet de l’universel » évoqué …

Appendices